Citroën ZX Rallye-Raid Evo 3 (1995) : flash-back sur une arme redoutable
Victorieuse du Dakar il y a 30 ans, la ZX Rallye-Raid Evo 3 a assis la domination de Citroën sur les rallye-raids face à Mitsubishi, bien que Lartigue et Vatanen n’aient pas fait le même usage de cette arme redoutable. Flash-back.
Sans même remonter à l’époque de la Croisière noire durant laquelle André Citroën avait lancé des autochenilles d’Algérie à Madagascar – c’était il y a cent ans ! –, la marque aux chevrons a souvent affronté les pistes les plus inhospitalières avec ses DS et ses SM, par exemple.
Avec son parfum d’aventure largement médiatisé, il était logique que le Dakar retienne son attention. Après de premières tentatives aussi courageuses qu’infructueuses avec des CX et des Visa, Citroën a remis le cap sur l’Afrique au début des années 90.
Peugeot Sport s’engageant en circuit (Endurance avec la 905 puis moteur F1), Citroën Sport a fort opportunément pris le relais du Lion de Sochaux. Profitant de cet héritage technique, Citroën fournit à la ZX, modèle compact de 1991, une magnifique caisse de résonance en glanant des victoires en Rallye-Raid.
S’imposant à la Baja Aragón 1990 dès sa première apparition en course, la ZX cueille un retentissant succès au Dakar 1991 avec le très médiatique pilote Ari Vatanen au volant.
La machine est lancée… mais la concurrence ne s’endort pas. Mitsubishi va jusqu’à s’offrir un cinglant triplé (mené par Hubert Auriol) au Paris-Le Cap 1992. Citroën réplique en gagnant le mythique Paris-Moscou-Pékin la même année avec Lartigue aux commandes, mais son adversaire japonais rafle le Dakar 1993 avec Bruno Saby.
Pour poursuivre ce combat, Citroën bénéficie d’un renfort bienvenu. Après trois victoires aux 24 Heures du Mans, Peugeot Sport décide de se contenter de livrer des moteurs de F1 à McLaren, et son équipe « châssis » est transférée à Citroën Sport un mois avant le Dakar 1994.
Jean-Claude Vaucard retrouve alors une discipline qu’il connaît bien : après avoir conçu la 205 T16 de Rallye, il avait en effet concocté les 205 et 405 de Rallye-Raid.
Abandon des basculeurs
En janvier 1994, les ZX Evo 2 signent le doublé dans un Paris-Dakar-Paris perturbé par une étape quasi infranchissable. Revenu en France, le transfuge de Peugeot prend le relais d’Hervé Guilpin et crée une Evo 3 selon les consignes que nous rappelle Guy Fréquelin, le directeur de l’équipe : « En cours d’exploitation, l’équipe technique s’est aperçue que la voiture était performante mais un peu compliquée. En vue du Dakar 1995, ils nous proposent de délester l’auto et de la rendre plus aisée à exploiter en assistance. »
Si l’Evo 3 ne se distingue guère de sa devancière vue de l’extérieur, il en va différemment une fois le capot avant ouvert. « Entre le pare‑brise et le pare‑chocs, tout le bloc avant était nouveau, résume Jean-Claude Vaucard. Il y avait plusieurs buts à cela : alléger la voiture, tout d’abord, et simplifier le train avant pour faciliter la maintenance de l’auto. »
Cette révision de la partie avant a permis un gros travail sur les masses. « L’Evo 2 pesait à peu près 1 400 kg pour un poids mini réglementaire de 1 300 kg, rappelle l’ingénieur.
En modifiant l’avant, nous avons gagné une cinquantaine de kilos tout en améliorant la répartition des masses. Le remplacement des suspensions à basculeur par un système plus classique – comme il existait sur les premières ZX de Rallye‑Raid – a permis de placer à l’avant l’une des deux roues de secours situées à l’arrière.
Nous avons aussi logé un réservoir de carburant additionnel qui pouvait être utilisé ou pas, selon la distance à parcourir. Tout cela a permis de remettre du poids sur l’avant et de mieux centrer les masses. »
L’abandon des basculeurs permettait également de faciliter la vie des mécanos : « Sur l’Evo 2, le pont avant était très long à sortir par la faute d’un treillis tubulaire complexe. La suspension à basculeur était une complication qui nous apportait plutôt des ennuis que des avantages, estime l’ingénieur.
Nous sommes revenus à un dessin plus sobre, sachant que sur un Dakar, la philosophie est quand même que ce qui est le plus simple fonctionne le mieux. A chaque nouvelle complication, tu es sûr que tu prends le risque d’aller droit dans le mur. »
Vainqueur de son premier Dakar au volant de l’Evo 2, Pierre Lartigue aurait bien conservé les suspensions à basculeur : « Dans les portions mauvaises, c’était le top ! Ça permettait d’absorber très bien les trous et les bosses. Quand nous passions sur une grosse saignée, nous avions moins de remontées au volant… »
Pour ceux qui ont le compas dans l’œil, un élément visible de l’extérieur permet de distinguer les deux versions : le diamètre des jantes arrière. « Sur l’Evo 3, nous avons adopté à l’arrière des jantes de 16 pouces, contre 18 pouces à l’avant, avec des pneus à flanc plus haut, précise Jean-Claude Vaucard.
Dans les sections défoncées, là où la voiture avait tendance à “raquetter”, cela permettait d’éviter les chocs de pincement et donc les crevaisons. On gagnait en performances. Pour cela, il a fallu revoir les triangles de suspension à l’arrière. »
Le compartiment arrière des ZX Rallye-Raid est très chargé. Il reprend en effet une architecture héritée de la 205 T16 avec un moteur 4 cylindres turbocompressé en position centrale arrière situé transversalement dans le dos du copilote.
Sur l’Evo 3, ce moteur est couplé à une nouvelle boîte de vitesses, toujours disposée derrière le pilote dans l’axe du moteur. La boîte d’origine à 6 rapports synchronisés laisse place à une pignonnerie à crabots réalisée par X-Trac qui permettait de gagner du poids malgré l’ajout d’un septième rapport.
« La première était vraiment très courte, se souvient Pierre Lartigue. Nous ne l’utilisions presque jamais. Nous n’avions pas de boîte de transfert et nous ne passions la première qu’en cas d’ensablement afin de préserver l’embrayage. En spéciale, nous démarrions en deuxième. »
Ajustements techniques
Cette Evo 3 entame sa carrière dès le mois de mai 1995 avec le Rallye de l’Atlas que remporte Pierre Lartigue. Les autres manches de la coupe du monde étant des bajas, Citroën Sport décline aussi une Evo 4 à voies étroites spécifiquement adaptée à des profils d’épreuve plus contraints.
Elle gagne d’ailleurs les trois bajas inscrites au calendrier, permettant à la marque aux chevrons d’être invaincue sur l’ensemble de la saison 1994 ! Pour préparer le Dakar 1995 dont le départ est donné à Grenade, au sud de l’Espagne, l’équipe française ne fait pas dans le détail.
Elle décide d’engager pas moins de quatre voitures, soit le double de l’année précédente. Tenant du titre et tout frais vainqueur de la coupe du monde de Rallye-Raid, l’équipage Lartigue-Périn rempile.
En revanche, Hubert Auriol a raccroché son casque pour prendre la direction du Dakar. Pour compléter l’équipe, Guy Fréquelin se tourne vers des pilotes finlandais : Timo Salonen – qui a gagné la Baja Aragón six mois plus tôt sur l’Evo 4 – et… Ari Vatanen !
Après deux saisons centrées sur le WRC, le grand blond effectue son retour chez les Rouges. Sous l’impulsion de la filiale espagnole, une quatrième auto est engagée in extremis pour Salvador Servià.
Ces deux derniers recrutements nécessitent de petits ajustements techniques : « Vu sa grande taille, Ari n’était pas installé très confortablement dans la voiture, se souvient Jean-Claude Vaucard. Pour lui offrir un peu plus de garde au toit, nous avons dû légèrement surélever le pavillon. »
En rencontrant l’équipage espagnol, l’ingénieur a failli faire une syncope : « Jaime Puig, le copilote de Servià, est en effet un gaillard qui fait près de 2 m ! Pour le loger dans la ZX, surélever le toit n’a pas suffi, il a fallu aussi modifier le plancher ! »
Vainqueur du Dakar 1991 au volant de la première version de la ZX, Ari Vatanen ne manque pas de mesurer l’avancée réalisée depuis : « La ZX Rallye-Raid a beaucoup évolué, constatait-il à l’issue des essais préparatoires menés en Tunisie. Ce n’est plus la même voiture que celle que j’ai pilotée auparavant ! »
4 rallyes, 4 victoires
Disputée sous la pluie entre Grenade et Motril, la première étape permet d’adresser à Mitsubishi un avertissement à peine voilé : Salonen et Vatanen effectuent les deux meilleurs chronos.
La traversée de la Méditerranée ne se traduit pas par un gain sur le plan météorologique : c’est le brouillard qui accueille les concurrents au Maroc ! Malgré la victoire d’étape de Saby, Salonen et Lartigue s’installent au sommet du classement général. Pas pour longtemps.
Lors de la troisième étape, Ari Vatanen sort la grosse attaque et se porte en tête. Il s’y maintient alors que Timo Salonen perd tout espoir de victoire : il doit affronter l’étape marathon avec seulement 2 roues motrices et plonge au classement. Vatanen et Lartigue compensent en signant le doublé de cette étape éprouvante.
Le lendemain, lors de la huitième étape, le Finlandais est pétri de bonnes intentions : son plan est de laisser son équipier français ouvrir la route et de le suivre tranquillement entre Zouerate et Chinguetti.
Malheureusement, une crevaison contrarie cette stratégie. Le temps de changer la roue, Vatanen reprend la piste, le mors aux dents. « Ari a toujours été chaud, reconnaît Guy Fréquelin. C’est un garçon qui a un peu de mal à lever le pied… »
Et le Finlandais se fait piéger par une dunette : sa ZX pique du nez et retombe lourdement, endommageant son radiateur. La réserve d’eau de 8 litres a bien été versée dans le radiateur, mais cela ne règle pas le problème. La pâte miracle présente dans l’habitacle ne permet pas de colmater efficacement les brèches.
Le moteur est abîmé lui aussi. L’équipage no 203 doit se résoudre à attendre plusieurs heures le camion d’assistance, seul véhicule de l’équipe capable de tracter la bête blessée jusqu’au bivouac au cœur de la nuit.
Le duo Vatanen-Picard plonge alors à la 65e position du classement général, dont la tête est désormais occupée par le métronome Pierre Lartigue. Le lendemain, Vatanen – qui est littéralement déchaîné – se livre à une remontée incroyable.
Malgré la poussière soulevée par ses adversaires et le danger que représentent de telles manœuvres, il dépasse une soixantaine de concurrents entre Chinguetti et Tidjikdja et signe le deuxième meilleur temps du jour.
Un exploit inutile : le mal est fait. Il est même empiré lors de l’avant-dernière étape, entre Labé et Tambacounda : Vatanen part dans une impressionnante série de tonneaux, dont son navigateur et lui sortent heureusement indemnes.
« C’est toujours dur de se regarder dans un miroir », lâche-t-il, meurtri… Une chance pour Citroën que Pierre Lartigue soit à l’œuvre : « Avec Michel, mon navigateur, on a sans cesse essayé de rester dans le Top 5 sans se faire décrocher et de choisir une étape dans laquelle on se sentait d’attaquer et de frapper un grand coup, à la suite de quoi on gérait en veillant à ne pas fatiguer la voiture.
Nous savions que nous pouvions compter sur la fiabilité des autos. L’équipe Citroën avait adopté la méthode Peugeot qui consistait à changer les pièces systématiquement après un certain kilométrage avant qu’elles ne cassent, alors que chez Mitsubishi – ma précédente équipe –, ils attendaient que ça casse pour remplacer des pièces. »
Après 10 109 km parcourus en Espagne, au Maroc, en Mauritanie, en Guinée et au Sénégal, le pilote niçois offre à Citroën sa troisième victoire au Dakar. Dans la foulée, l’Evo 3 signe deux cinglants triplés au Rallye de Tunisie (Lartigue-Salonen-Vatanen) et au Rallye de l’Atlas (Vatanen-Lartigue-Salonen).
Elle termine donc sa carrière en affichant une impressionnante invincibilité (4 rallyes, 4 victoires) au moment de passer le relais à une Evo 5 encore plus radicale.
Citroën ZX Rallye-Raid Evo 3 (1995) : fiche technique
- Moteur : 4 en ligne (XU 15), turbo
- Cylindrée : 2 499 cm3
- Alésage x course : 93 x 92 mm
- Puissance maxi : 330 ch à 4 500 tr/mn (avec bride)
- Couple maxi : 59 mkg à 3 500 tr/mn
- Régime maxi : 7 300 tr/mn
- Turbo : Garrett à soupape de décharge séparée (pression de suralimentation : 2,4 bar)
- Injection et allumage : électronique Magneti Marelli
- Châssis : tubulaire en acier, carrosserie en Kevlar et carbone
- Suspension AV/AR : deux combinés ressort-amortisseur montés sur le bras supérieur à l’avant, deux combinés ressort-amortisseur et un amortisseur reliés au triangle supérieur par un tirant et culbuteur par roue
- Direction : à pignon et crémaillère avec assistance hydraulique
- Freins AV/AR : disques ventilés AP (355/315 x 28 mm), étriers à 4 pistons
- Jantes AV/AR : Speedline (18/16 pouces) Pneus AV & AR : Michelin (18/80 x 18 & 21/80 x 16)
- Transmission : intégrale, 7 rapports + marche arrière, disposée transversalement dans le prolongement du moteur
- Embrayage : bidisque à sec
- Différentiel : central à glissement limité, type Ferguson
- L - l - h : 4 690 - 2 018 - 1 810 mm
- Empattement : 2 696 mm
- Garde au sol : 350 mm
Retrouvez notre focus sur la Citroën ZX Rallye-Raid Evo 3 (1995) dans le Sport Auto n°757 du 31/01/2025.