Retour aux sources - Venturi 400 GT (1993) : un drôle d’oiseau !
Drôle d’oiseau, cette Venturi 400 GT ! A la fois mémorable et un peu oubliée, cette jolie machine mérite bien qu’on la réveille et qu’on écoute ses beaux souvenirs.
Il faut d’abord débusquer l’oiseau rare. Cette machine‑là ne s’offre plus que rarement à la lumière de la route. Il y faut de la chance et la confiance d’un propriétaire, désireux ce jour‑là de partager son trésor secret, merci à Christophe.
On tourne autour, circonspects, ne sachant trop à quoi s’attendre. Considérons d’abord la ligne, point de départ d’une respectueuse fascination. Elle est petite… A peine plus de 4 m de long, c’est la mesure d’un temps qui n’est plus le nôtre.
On y faisait tenir toute une 911, c’est aujourd’hui la dimension d’une Clio. Petite, oui, c’est‑à‑dire courte, râblée. En même temps, c’est une « grosse auto » et ça se voit. L’expression est issue du jargon de la compétition, elle désigne les voitures qui ont subi une préparation fondamentale, une transformation en profondeur.
Venturi 400 GT (1993) : plumage nuptial
Convoquez le souvenir, un peu estompé, de la ligne simple et compacte d’une berlinette Venturi « de série ». Puis regardez celle‑ci, manifestement apparentée mais tellement plus large, plus gonflée.
Comme ressemble à sa parentèle celle des cousines qui fait du body‑building. La lisse portière tient lieu de butte‑témoin, de jalon, de repère des mensurations d’alors, elle indique la largeur initiale avant l’inflation de la taille des pneus et du nombre de chevaux.
Là où la main trouve habituellement la poignée, un fort relief s’est formé, qui accompagne et annonce le vaste capot arrière débordant. Celui‑ci couvre le Michelin de 285 de large, puissamment évocateur, et va porter l’aileron proprement géant, façon poignée de curling.
A l’avant, de part et d’autre du gerfaut émaillé (c’est l’emblème adopté par la marque en 1990), les phares aussi ont bien changé. Les petits capots lisses et timides qui s’érigeaient en gros yeux ronds de batracien ont fait place à de fines casemates où se tapissent deux paires de phares rectangulaires, probablement les plus fins disponibles à l’époque.
La 400 GT est une nouvelle créature, qui ne laisse qu’à peine deviner la Venturi initiale, comme Mr Hyde ressemble encore un peu au Dr Jekyll, la Porsche 935 à une 911 et la Ferrari F40 à une 308 GTB. Avec plus d’élégance, même. Passons sur la Porsche, proprement disproportionnée avec son pavillon trop haut et son capot avant mutilé, mais même l’intouchable F40, de plein profil, avoue plus de pragmatisme que de finesse.
J’entends d’ici glapir tout le clergé de la religion ferrariste et maugréer leurs ouailles, mais quoi, j’ai bien le droit de préférer qui je veux et de déclarer que, non, la Joconde n’a jamais été une jolie fille. La Venturi, elle, est un très beau monstre.
Venturi 400 GT (1993) : route ouverte !
Version extrême, ce modèle majuscule a clairement été élaboré dans une optique course ! D’abord, beaucoup plus de puissance (près de deux fois plus). 408 ch, à l’époque, c’est un peu comme 800 aujourd’hui, un chiffre assez inespéré ; aucune Audi, BMW ou Mercedes n’atteint les 400 ch, aucune Porsche non plus (360, la Turbo 3.6), ni aucune Ferrari V8 (300 ch pour la 348), ni aucune Maserati (la Shamal plafonne à 326 ch).
Plus de 400 ch, cela reste l’apanage des seuls monstres sacrés, Ferrari V12, Lambo Diablo (492 ch), Bugatti EB110. Et l’événement est encore plus exceptionnel si on se mêle de considérer son poids : 1 150 kg ! Bref, la 400 GT est une bête et ses amateurs sont prêts à composer avec un comportement, disons, rugueux.
En fait, qu’en est-il ? Eh bien, la réponse est : « Oui et non. » L’habitacle dépouillé, la boîte à fusibles apparente et la ventilation au bruit plutôt violent, les baquets spartiates (mais très efficients), tout cela parle de la course et dépaysera le passager venu là pour voir.
Le raffut de la wastegate (la soupape de décharge du turbo) ne le rassurera pas, ni la poussée au bas du dos, des plus puissantes. Mais côté suspensions, la 400 GT s’avère, comme toute Venturi, confortable. Entendons-nous : ce n’est pas un Pullman.
Mais si tous les mouvements de caisse sont très tenus, aussi bien en longitudinal (cabrage, plongée) qu’en transversal (roulis), le filtrage est bien là et vous ne tressautez pas inutilement sur le moindre gravier. Même un nid‑de‑poule, de taille raisonnable, est absorbé sans claquement choquant, ni pour les oreilles ni pour les lombaires.
Les freins très sérieux conservent pour toujours une exclusivité mondiale, la première apparition de disques et plaquettes en carbone sur une voiture de route. Les essayeurs de l’époque ont objectivement relevé que l’efficacité promise et obtenue se payait d’un manque de mordant à peu près total pendant les premiers kilomètres, freins froids.
On a appris depuis à composer avec un second défaut, le coût assez exorbitant du remplacement quand on est venu à bout de leur longévité effectivement supérieure. Si bien que la plupart des heureux possesseurs, y compris notre hôte du jour, ont préféré revenir à une monte métallique.
Au volant, l’atmosphère générale vire vite à la confiance. Comme au volant d’une F40, on est complice de cette voiture qui s’inscrit d’un bloc et apparaît tout de suite faite, et bien faite, pour coller à la route.
Rien à voir avec une McLaren F1, bien plus civile mais qui flotte déjà à 200 km/h et ne donne pas très envie d’aller explorer la stratosphère promise. Nous n’avions ni le temps ni la place d’aller taquiner les 290 km/h que revendique la Venturi, mais je ne doute pas qu’elle doit y voyager à l’aise, et son pilote aussi.
Venturi 400 GT (1993) : challenge passe
Lorsqu’une marque fait faillite, il est normal de parler d’un échec et, pour ceux qui l’appréciaient, encore plus pour ceux qui l’animaient, d’en ressentir de l’amertume. Pourtant, à quelques années de distance, les sentiments trop violents refroidis, peut-on vraiment dire que l’aventure Venturi a échoué ?
Il faut aussi mesurer le souvenir lumineux qu’elle a laissé et le plaisir qu’elle donne toujours aux heureux propriétaires de l’une des quelque 600 voitures produites. Rançon du manque de réussite commerciale, ils profitent à présent d’une exclusivité appréciable.
Et puis la GT que nous essayons aujourd’hui a laissé dans l’histoire du sport une trace flamboyante ! Le Trophy (Gentlemen Drivers Venturi Trophy), la formule monotype dont elle a fait l’objet, est bel et bien le noyau du championnat BPR, monté, comme ses initiales l’indiquent, à l’initiative de Jürgen Barth, Patrick Peter et Stéphane Ratel.
C’est-à-dire que c’est toute la relance d’un véritable championnat d’Endurance que nous lui devons, puisque la FIA a pris le contrôle du BPR pour en faire ce qui est actuellement le championnat WEC.
Quant au modèle en soi, on peut bien parler de succès, lié en partie à un prix d’abord fixé trop bas (et rapidement doublé !), du propre aveu de Stéphane Ratel qui défrichait là une toute nouvelle voie. Le Ferrari Challenge ne naîtra que trois ans plus tard !
Un succès, oui : en tout, 73 Trophy seront produites, dont quelques‑unes transformées ensuite, rejoignant les 13 GT vouées d’emblée à la route. Cette réussite n’a pas sauvé Venturi, qui, exactement en même temps, s’était dangereusement impliqué en Formule 1 en baptisant de son nom l’écurie Larrousse‑Lamborghini.
Une erreur ? Oui, mais avec le recul, qui peut dire si les choses n’auraient pas pu tourner autrement ? La réussite, c’est souvent une vantardise qui a réussi ! En tout cas, la GT marque fièrement le point le plus haut d’une belle trajectoire.
Venturi 400 GT (1993) : sa fiche technique
- Années de production : 1993-1998
- Exemplaires produits : 73
- Moteur : V6 à 90°, biturbo, 24 S
- Cylindrée : 2 975 cm3
- Puissance maxi : 408 ch à 5 750 tr/mn
- Régime maxi : 6 250 tr/mn
- Couple maxi : 53 mkg à 4 500 tr/mn
- Transmission : propulsion, 5 rapports manuels
- Suspension AV/AR : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, barre stabilisatrice/essieu multibras, ressorts hélicoïdaux, barre stabilisatrice
- Poids : 1 150 kg
- Rapport poids/puissance : 2,8 kg/ch
- L - l - h : 4 140 - 1 990 - 1 170 mm
- Empattement : 2 500 mm
- Pneus AV & AR : 245/40 & 285/35 ZR 18 (Michelin Pilot Sport 3)
- Réservoir : 90 litres
- Prix à l’époque : env. 800 000 F (205 000 €)
- Cote actuelle : env. 300 000 €
- V. max. : 290 km/h
- 400 m D.A. : 11’’0:
- 1 000 m D.A. : 22’’0
Retrouvez notre essai "Retour aux sources" de la Venturi 400 GT (1993) dans le Sport Auto n°763 du 25/07/2025.