Chevrolet Corvette C3 Greenwood (1976) : rencontre avec une légende américaine (+ images)
Au mépris de la crise pétrolière de 1973, les frères John et Burt Greenwood ont livré au monde leur vision radicale de ce que devait être une voiture de sport. Surpuissante et hypertrophiée, leur Corvette C3 "Wide Body" demeure une légende américaine depuis sa participation aux 24 Heures du Mans 1976. Sport Auto l'a rencontrée de près.
Avec un père membre du centre technique General Motors à
Detroit, la capitale américaine de l’automobile, John et Burt
Greenwood avaient de qui tenir. D’autant que leur père les emmenait
souvent avec lui à son bureau, offrant à leur regard des prototypes
inédits et inspirants. Dès lors, pas étonnant que les deux frères
aient été tentés par la chose automobile.
Très tôt, ils passent leur temps les mains dans le cambouis, à
améliorer une Corvette de 1964. Grâce à ces
préparations, John devient une terreur lors des courses urbaines –
et totalement illégales – sur Woodward Avenue.
Leur savoir‑faire, surtout centré sur les moteurs, est recherché et
les deux frères fondent leur petite entreprise, baptisée Auto
Research Engineering. Ils parviennent à faire tourner leurs
moteurs à 8 000 tr/mn alors que les autres V8 de Corvette doivent
se contenter d’un régime de 7 000 tr/mn.
En plus d’être un préparateur hors pair, John est aussi titulaire
d’un excellent coup de volant. Il devient même pilote pro en 1969
et remporte le championnat SCCA l’année suivante. Les Corvette
préparées par les Greenwood font fureur.
Patriote, John n’hésite pas à décorer ses autos à l’effigie du
drapeau américain. C’est avec une telle livrée qu’il participe aux
24 Heures du Mans 1972 en compagnie des Français Alain Cudini et
Bernard Darniche.
« C’était un honneur pour moi que d’être sollicité par une
telle équipe américaine, nous confie l’ancien rallyman. J’en garde
un très bon souvenir. L’ambiance était très familiale, vraiment
dans le même esprit que ce que je vivais en parallèle avec Alpine.
»
Alors que le premier choc pétrolier, à la fin de l’année
1973, incite les constructeurs automobiles à freiner leurs
investissements et leurs ambitions en matière de compétition
automobile, les frères Greenwood se montrent insensibles à cette
crise.
Ils présentent même au Salon de Detroit 1974 une Corvette C3 qui
déclenche l’hystérie. Surnommée Batmobile par la presse,
cette Corvette se distingue au premier coup d’œil par une
carrosserie bodybuildée spectaculaire construite en fibres
de verre.
En désaccord avec la politique anti‑compétition de GM, Zora
Arkus‑Duntov et Randy Wittine, deux concepteurs emblématiques de la
Corvette de série, ont même donné un petit coup de main aux
Greenwood dans la conception de cette bête de course.
Subjugué par cette auto dans sa jeunesse et désormais spécialiste
des productions des Greenwood, le Français Patrick Caldentey nous
précise le concept du modèle Wide Body : « Il utilise
la partie centrale du châssis d’origine à laquelle sont greffés des
treillis tubulaires avant et arrière. Douze châssis ont ainsi été
produits, dont cinq donneront lieu à des voitures entièrement
montées. Les frères Greenwood ne concevront une auto à châssis 100
% tubulaire que bien plus tard et celui-ci ne sera fabriqué qu’à
deux exemplaires. »
Chevrolet Corvette C3 Greenwood : une aéro efficace
Dans sa version originelle, la Corvette Greenwood est équipée
de suspensions triangulées spécifiques dotées de combinés
ressort‑amortisseur à la place des bras oscillants et des ressorts
à lame d’origine.
Cette suspension est conçue par Bob Riley, qui deviendra quelques
années plus tard l’une des grandes figures du sport automobile
américain (entre autres avec la marque Riley & Scott). De même,
celui qui est missionné pour construire la voiture dans l’atelier
n’est autre que Gary Pratt, le futur cofondateur de Pratt & Miller,
qui sera longtemps le bras armé de Corvette Racing dans les années
2000.
« Sa conception est vraiment très intéressante, pour ne pas
dire démentielle, souligne Guillaume Andrieux de l’équipe
Storic and Race Cars, qui gère deux Wide Body engagées
dans les courses historiques. John Greenwood était obnubilé par
la répartition des masses. C’est ainsi que le moteur est décalé
vers la droite pour compenser le poids du pilote installé à
gauche.
Ils ont aussi beaucoup travaillé sur le plan aérodynamique. Les
ailes élargies ont pour but de générer de l’appui. La carrosserie
est d’ailleurs penchée vers l’avant dans cet objectif. »
A l’époque, il n’était pas question pour les Greenwood de recourir
à des essais en soufflerie. « Burt m’a expliqué que sur
certaines séances d’essai, ils collaient de petits fils de laine
partout sur la voiture, poursuit Patrick Caldentey. Ils
roulaient sur l’aéroport et puis ils filmaient et regardaient ce
qui se passait. »
La Corvette Greenwood débute dans la catégorie IMSA GTX et signe un
premier succès en août sur le circuit de Talladega. Avec une
immanquable livrée « Spirit of Sebring », elle se distingue début
1975 en réalisant la pole aux 24 Heures de Daytona. Elle est même
enregistrée à 379 km/h en pointe, ce qui en fait la Corvette la
plus rapide du monde !
Malheureusement, elle connaît des problèmes de fiabilité, tout
comme aux 12 Heures de Sebring. Même scénario en 1976 : des
performances aux essais (pole à Sebring), mais peu de résultats en
course. Cela n’empêche nullement d’envisager l’engagement de la
Wide Body aux 24 Heures du Mans, parallèlement
à quelques voitures de NASCAR.
Cette année 1976 marque le 200e anniversaire de la
Déclaration d’indépendance américaine, un prétexte idéal pour faire
venir cette auto si spectaculaire et offrant un joli coup de promo
aux 24 Heures du Mans, qui en ont bien besoin après une édition
1975 boudée par les spectateurs, peu attirés par un règlement
centré sur l’économie d’énergie.
La voiture de John Greenwood ayant été endommagée peu de temps
avant, le pilote préparateur emprunte son auto à un de ses clients
Rick Mancuso. Elle est donc équipée d’une suspension avant
d’origine.
Déjà pilote d’une Corvette Greenwood plus classique en 1972,
Bernard Darniche est à nouveau sélectionné pour partager le volant
de cette Corvette Spirit of Le Mans avec John et Burt
Greenwood : « Une grosse opération s’était montée autour de cet
anniversaire et de notre participation. Si je me rappelle bien, la
télévision américaine avait même suivi notre course !
C’est vraiment un merveilleux souvenir. John mesurait 1,95 m et moi
1,70 m. Et donc j’avais une coquille énorme à mettre dans le
baquet. Autrement, je ne pouvais pas conduire. Je ne touchais pas
les pédales ! Alors ça faisait rire tout le monde. L’ambiance était
très bon enfant. »
Un certain mystère plane autour de la configuration précise du
moteur de la Corvette au Mans. Selon les sources, il s’agirait d’un
6,2 litres, d’un 7 litres ou même d’un 8 litres. « J’en ai déjà
parlé avec Burt Greenwood mais il ne s’en souvient plus,
raconte Patrick Caldentey. Greenwood avait racheté tout le
stock de moteurs et de pièces de Lola lorsque cette marque a cessé
de courir en CanAm. Et vu qu’ils utilisaient des moteurs de 8 l, ce
serait étonnant que, pour Le Mans, ils aient monté un moteur plus
petit… »
Quelle qu’en soit la cylindrée, son V8 produisait environ 700 ch.
« Cette voiture accélérait comme un avion ! se remémore
avec enthousiasme Bernard Darniche. Nous accélérions d’ailleurs
plus fort que les protos ! Il y avait des chevaux partout. On
sortait des virages avec un couple incroyable. C’était dingue !
J’aimais bien ce sentiment de puissance avec un engin qui me
dépassait physiquement. »
Cette impressionnante cavalerie
avait toutefois un petit revers : « Il était délicat de
s’arrêter, précise l’ancien pilote Greenwood. La procédure
pour le freinage était un peu spéciale. A 400 m du virage, je
devais commencer à monter les freins en température en freinant
avec le pied gauche, sans être trop agressif. Il fallait du doigté
! Si on freinait sans préparation, tout explosait et c’était la
sortie assurée. Voilà qui me changeait de mon Alpine de Rallye !
»
L’ancien rallyman confirme par ailleurs l’efficacité
aérodynamique de la Corvette : « Elle était bien faite de ce
point de vue. Elle générait de l’appui et ne donnait pas cette
sensation que j’ai éprouvée l’année suivante au volant de la
Rondeau – pourtant un vrai proto – de se désaccoupler du sol.
»
Le Mans 76 : une fois réanimé, il ramène la voiture au stand !
Titulaire du neuvième chrono aux essais et « radarisée » à 354
km/h, la Corvette était en bonne position en début de course avant
qu’un problème ne vienne mettre un terme prématuré à l’aventure :
« J’ai éclaté un pneu dans la ligne droite, raconte
Bernard Darniche. J’ai effectué une série de tête-à‑queue sur
500 m, car, quand on est lancé à 380 km/h, on ne s’arrête pas en un
claquement de doigts. J’ai réussi à ne pas toucher les rails et
quand je me suis immobilisé, j’étais inanimé.
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de course, mais il y en a des
marquants. Celui-ci en est un. J’étais donc allongé et ma première
vision, quand j’ai repris connaissance, a été un pompier qui
m’aidait à respirer avec un appareil.
Il avait une paire de moustaches hallucinantes et je me suis
demandé : 'Mais qu’est-ce qu’il fout sur moi ?' Je pense que
j’avais été intoxiqué par le début d’incendie de la voiture. Je me
suis réinstallé à bord et je suis rentré au stand. »
L’équipe a alors constaté la présence d’une fuite au réservoir de
carburant et a dû renoncer après cinq heures de course. La voiture
qui illustre ces pages n’est pas le châssis ayant couru aux 24
Heures du Mans (qui est exposé au musée de Daytona), mais son
jumeau construit quasi en même temps.
Baptisée Spirit of America, cette auto est la dernière
Wide Body fabriquée. Elle n’a disputé qu’une course à Lime Rock en
1982 aux mains d’Al DeLeo, qui a dû abandonner au bout de 11 tours
seulement.
Patrick Caldentey l’a dénichée aux Etats‑Unis il y a une dizaine
d’années : « Je l’ai trouvée au Texas. Elle était en vente chez
un concessionnaire Lamborghini qui l’avait récupérée en guise de
reprise auprès d’un client désireux d’acquérir une Lamborghini
neuve. Il avait passé une petite annonce dans un journal local, à
Dallas. »
Depuis, elle a été rachetée par un client privé et n’a jamais
autant couru. Elle a d’ailleurs fait le bonheur des spectateurs à
la dernière édition du Mans Classic, sur le plateau 6.
Malheureusement, par la faute de récurrents problèmes de
refroidissement, ils n’ont que peu eu l’occasion d’entendre le
bruit assourdissant de son V8 en configuration 8,2 l.
Lors des tests préparatoires menés sur le circuit de Nogaro,
Spirit of America avait été enregistrée à 122 dB, soit à
peu près le bruit d’un avion au décollage !
Chevrolet Corvette C3 Greenwood (1976) : sa fiche technique
- Moteur : V8 atmosphérique à 90° (ZL1)
- Position : longitudinale centrale avant
- Cylindrée : 7 654 cm3
- Alésage x course : 109,5 x 101,6 mm
- Taux de compression : 11,8
- Distribution : arbre à cames central, 2 soupapes par cylindre
- Alimentation : injection
- Lubrification : carter sec
- Puissance maxi : 700 ch à 6 800 tr/mn
- Couple maxi : 853 Nm à 4 000 tr/mn
- Transmission : propulsion, 4 rapports manuels
- Châssis : coque en acier et treillis tubulaire avant et arrière
- Carrosserie : fibre de verre
- Suspension AV/AR : triangles superposés, combinés ressorts amortisseurs, barres antiroulis (ou suspension avant d’origine pour les voitures client)
- Jantes AV/AR : 11x15/17x15
- Freins : disques ventilés
- L - l - h : 4 750 - 2 083 - 1 194 mm
- Empattement : 2 489 mm
- Voie AV/AR : 1 511/1 631 mm
- Poids : 1 309 kg
Retrouvez notre article consacré à la Chevrolet Corvette C3 Greenwood (1976) dans le Sport Auto n°763 du 25/07/2025.


