Notre enquête : la F1 victime de la politique de Donald Trump ?

Avec un peu de recul, le sport auto n’est pas si important. C’est un divertissement qui permet aux gens d’oublier les tensions de la vie réelle et de s’évader dans un endroit où tout ce qui compte, c’est qui gagne – et comment il le fait. Mais parfois, la réalité du monde rattrape la F1, surtout depuis l’entrée en fonction de Donald Trump.
En plus d’être un sport et un divertissement mondial, la Formule 1 est un gros business. D’un point de vue économique, la discipline n’a jamais été en aussi bonne santé qu’à l’heure actuelle. La F1 se développe et le public s’élargit géographiquement, mais aussi à de nouveaux groupes démographiques. Tout est très positif.
John Malone, l’homme qui contrôle Liberty Media, la société mère de la F1, est un grand partisan de Trump. Pendant la campagne électorale de 2024, Malone a fait un don considérable de 2 millions de dollars à des candidats républicains et à des comités d’action politique. Beaucoup de ces dons ont été réalisés au profit de candidats chargés de permettre au Parti républicain de prendre le contrôle de la Chambre des représentants.
Pourtant, depuis l’investiture de Trump, la valeur des actions de Liberty Media a chuté de près de 15 % (à l’heure où nous écrivons ces lignes). Cela s’explique en grande partie par la conviction de Donald Trump que, malgré ce que disent tous les experts financiers, il peut ramener les Etats-Unis à la position qu’ils occupaient dans les années 50, en utilisant des droits de douane contre leurs rivaux et alliés.
Le fameux slogan Make America Great Again, soit « Rendre à l’Amérique sa grandeur ». Les gens qui ont voté pour lui ont aimé ce rêve et ont cru qu’il était possible de faire tourner les aiguilles de l’horloge à reculons.
La décision d’augmenter les droits de douane a fait plonger les marchés boursiers et alimenté les craintes d’une récession à venir. L’Histoire retiendra qu’en deux jours, 5 400 milliards de dollars de capitalisation boursière ont été purement et simplement anéantis.
En dépit d’un inattendu (et provisoire) retour en arrière du président américain sur les droits de douane, personne ne sait où s’arrêtera ce chaos économique, et personne n’est prêt à s’engager à dépenser de grosses sommes d’argent dans un tel contexte d’instabilité et d’incertitudes mondiales.
Les jeunes pilotes sacrifiés ?
Cela aura donc aussi un impact sur tous les sports mécaniques, même si la F1 va peut-être moins en souffrir, parce qu’elle est plus grande et plus forte que les autres championnats nationaux et internationaux.
Les gens auront moins d’argent à dépenser et, dès lors, moins de jeunes pourront se lancer dans une carrière de pilote et ceux qui le feront auront plus de mal à trouver des fonds. Les entreprises ne signeront pas de contrats de sponsoring et les ventes de billets VIP sur les grands prix vont également décliner.
On craint aussi qu’une récession ne se traduise par une baisse mondiale du pouvoir d’achat et, par conséquent, une diminution des ventes de billets pour les courses dans les années à venir, ce qui impliquerait que les promoteurs de ces dernières génèrent des marges plus étroites ou soient carrément dans le rouge.
La F1 a des contrats qui doivent être respectés (souvent garantis par les gouvernements) et les frais de course pourraient donc ne pas baisser. Mais les parrainages et les contrats de télévision, les deux autres principales sources de revenus de la F1, sont susceptibles d’être touchés.
Cela signifie qu’il y aura moins d’argent à répartir entre les équipes. Le fait que la F1 ait été contrainte d’accepter une onzième écurie – Cadillac – n’arrange pas les choses. L’un des moyens les plus faciles de réduire les dépenses est de moins soutenir de jeunes pilotes.
Les ralentissements économiques constitueraient, par ailleurs, un bon prétexte pour masquer les échecs sportifs des constructeurs automobiles. Ils peuvent s’en servir comme excuse pour se retirer des programmes de compétition qui n’ont pas été couronnés de succès.
Au lendemain de la crise financière de 2008, une grave récession s’est abattue sur la F1, entraînant la perte de trois constructeurs et de sérieuses réductions de revenus pour la discipline.
A l’heure actuelle, il est plausible d’imaginer, par exemple, que Mercedes et Audi, qui seraient durement affectés par les droits de douane américains, seraient tentés de faire des économies en se retirant de la F1… avant même d’y être entré concrètement en ce qui concerne Audi.
Ces prochains mois, il sera donc intéressant de surveiller la F1, le championnat du monde d’Endurance ou la Formule E pour voir qui s’en sortira. Le WEC est peut-être le plus exposé, parce qu’il compte un grand nombre de constructeurs et que tous ne peuvent pas gagner. Mais, en même temps, l’engagement en Endurance reste relativement bon marché.
Des effets sur le long terme
Les constructeurs ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le monde financier étant en proie à des turbulences soudaines, personne ne sait où le chaos économique s’arrêtera. Par conséquent, les entreprises ne veulent pas s’engager dans des programmes de partenariats coûteux, qui paraîtraient insensés dans six mois.
« Rien ne bouge dans le monde du sponsoring, a déclaré un responsable du marketing de la F1 à Suzuka, qui, pour des raisons diplomatiques, n’a pas souhaité être cité. C’est pourtant à ce moment de l’année que les contrats de la saison à venir se mettent en place, et il y aura des trous dans les budgets l’année prochaine à cause de cela. »
Ce n’est pas qu’un problème de court terme. Le cours des actions est susceptible de rebondir, et les sponsors peuvent recommencer à signer des chèques, mais d’autres éléments ont changé de manière irrévocable.
Même si Donald Trump revient sur sa politique et tente de ramener les choses à la normale, il a fait perdre aux Etats-Unis la confiance du monde. Il ne sera jamais en mesure de restaurer le « soft power » qu’il a gaspillé en intimidant ses alliés, en soutenant la Russie, en sapant l’Ukraine et en menaçant le Canada ainsi que le Groenland.
Qui sait si Malone et d’autres grands patrons vont continuer à soutenir Trump ? L’actuel président américain s’entoure de flagorneurs, mais même certains de ses plus fervents partisans ont été ébranlés par l’impact de ses décisions politiques.
Le sénateur texan Ted Cruz, membre du Parti républicain, a ainsi prévenu que les droits de douane pourraient provoquer un « bain de sang » politique lors des élections de mi-mandat en 2026.
L’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, affirme, pour sa part, que seulement 13 % des importations mondiales seront affectées par ce qu’il appelle « les folies de Trump » et qu’il n’y a aucune raison pour que les 87 % restants du commerce mondial soient touchés.
Acceptons-en l’augure, notamment pour les conséquences qui en résulteraient sur la bonne santé du sport automobile mondial et le soutien à l’émergence de nouveaux talents.
Une autre chose mérite d’être prise en compte. Dans les milieux d’affaires américains, on dit depuis longtemps que tout ce que Trump touche échoue. Un dirigeant impliqué dans la Formule 1 a plaisanté au Japon sur le fait que Lando Norris ne remporterait pas le championnat du monde cette année. En effet, il a serré la main de Donald Trump à Miami, l’année dernière (voir notre diaporama) ...
Retrouvez notre enquête sur l'influence de la politique américaine de Donald Trump sur la F1 dans le Sport Auto n°760 du 25/04/2025.