Retour aux sources - Shelby Mustang GT350 (1966) : mythe à l'Américaine...
C’est la première Mustang made by Shelby. La GT350, lancée en 1965, se voulait la réponse de Ford à la Corvette de General Motors. Liaisons au sol améliorées, freins optimisés, puissance rehaussée : la firme au cobra n’a pas ménagé ses efforts. Sans oublier l’essentiel, cette sonorité si reconnaissable !
Les pneus noirs et un volant rond : voilà peu ou prou à quoi se
résumaient mes connaissances à propos de la Shelby GT350, avant que
nous allions à sa rencontre, à Périgueux. C’est peu mais
heureusement son propriétaire, Jean-François Coget, spécialiste de
la Mustang, est là pour éclairer ma
lanterne.
« C’est bien une 1965 ? commencé-je. – Pas du tout !
Elle a les écopes sur les côtés et les custodes remplaçant les
ouïes arrière. C’est forcément une 1966, répond-il. Un mauvais
point pour moi. – 350, c’est bien en référence aux cubic inches
? enchaîné-je. Le regard sombre de Jeff m’indique que je me
trompe à nouveau. – Encore raté ! C’est un V8 289 ci (4,7
litres) de 306 ch. 350, c’est en référence au nombre de pas entre
les ateliers Shelby. »
Alors qu’il cherchait un nom pour
cette auto, Carroll demanda à Phil Remington, l’un de ses
ingénieurs, quelle était la distance entre les deux bâtiments. Ce
dernier répondit : « Environ 350 pas. » Celle qui aurait
pu s’appeler Cobra Mustang fut ainsi baptisée GT350.
C’est en janvier 1965 que l’auto fut présentée, mais le modèle
différait donc de celui qui illustre ces pages. Posée sur des
jantes tôle KelseyHayes de 15 pouces, le capot choisissait la fibre
de verre, des amortisseurs Koni remplaçaient ceux de série, la
banquette arrière restait à l’atelier et le carburateur d’origine
laissa sa place à un Holley quadruple corps.
Pourquoi Carroll Shelby, déjà bien occupé avec la Cobra et la GT40,
travailla-t-il sur la Mustang ? Afin de permettre à Ford de gagner en SCCA (Sports
Car Club of America).
Notre destrier est un millésime 1966, reconnaissable entre autres à
son second rang réapparu, son grand volant D bois/alu dont les
branches flottantes à l’arrière activent le klaxon et à son
compte-tours déporté et non plus intégré dans la planche de
bord.
Le capot allégé de la première version cède sa place à une pièce en
acier. Moins radical que le millésime 1965 dans l’esprit, le
canasson donne quand même très envie de l’atteler. Dont acte.
Immaculée
La teinte Wimbledon White et les bandes Guardsman Blue plantent
le décor. Cette configuration, imposée au lancement, ne l’était
plus en 1966 et les clients pouvaient opter pour d’autres couleurs.
La sécurité de l’époque se résume à une sangle ventrale, au
verrouillage à la fois élégant et malin.
Jean-François nous tend les clés : « Faites-y attention, j’y
tiens. » La petite ronde, c’est pour le coffre, dont le volume
est assez ridicule, la faute au réservoir (le bouchon d’essence est
orné d’un cobra).
Pour démarrer, c’est la clé rectangulaire, denture vers le haut. Un
simple quart de tour à droite et ça y est, j’ai traversé
l’Atlantique. Le V8 ne hoquette même pas et le ralenti se cale sur
800 tr/mn. Tout y est : le glouglou, le capot qui ondule, les
jambes qui vibrent en rythme.
La direction est lourde et l’image renvoyée par l’unique rétro
extérieur très déformée. Mieux vaut tourner la tête pour manœuvrer.
Les confortables sièges en cuir noir permettent de se contorsionner
sans peine.
Malgré ses voies très étroites et ses mensurations quelconques,
j’ai l’impression d’être au volant d’un hors-bord. Croiser les
camions génère des suées, tout comme les premiers freinages. La
GT350 a bien des disques (avant) et des tambours plus gros
(arrière), mais il faut y aller franco pour décélérer.
Pas d’assistance, une attaque dure et une désagréable sensation que
le joli museau, aux arêtes marquées, empiète d’un bon mètre au
premier cédez-le-passage. Le guidage est… aléatoire. Aux alentours
des 70/80 km/h, le flou directionnel est perturbant et incite à des
perpétuelles corrections.
Ma peur principale concernait la motricité, la GT350 de 1966
faisant l’impasse sur l’autobloquant du précédent millésime, jugé
trop bruyant (mais qui reste une option). Comme les pneus Goodyear
Blue Streak de 14 pouces sont aussi larges que ceux de mon vélo,
j’avais quelques craintes, vite dissipées. La fougue n’est pas la
qualité première de ce 4,7 l, plus percheron que pur-sang.
Notre modèle est équipé de la transmission automatique, qui était
une option à l’époque. Alors qu’en réunion, Carroll Shelby et son équipe se
prenaient la tête sur bon nombre de détails (bouchon de réservoir,
texture de l’instrumentation, largeur des bandes, arrivée
éventuelle des feux de la Thunderbird, pourtour des custodes,
etc.), il y eut consensus autour de cette transmission à trois
vitesses, toujours dans l’optique de démocratiser la GT350 en la
rendant plus simple à conduire.
Mais aussi moins chère à produire, le moindre dollar investi dans
le programme 1966 étant scrupuleusement discuté alors que le
millésime 1965, initié avant tout à des fins d’homologation, avec
une optique commerciale moins poussée, se montrait plus onéreux à
assembler.
Tout doux, bijou !
Cette version a beau être plus sage que la précédente, la GT350
se conduit avec concentration et humilité. Pour la première, vous
n’avez guère le choix, la Mustang allant de toute façon là où elle
souhaite et n’ayant jamais la même réaction lorsqu’elle passe au
même endroit deux fois de suite.
Pour la seconde, c’est plus compliqué car en dépit de ce
comportement parfois loufoque, la Shelby s’apprivoise. Du moins,
vous le fait croire. Malgré les tremblements de la caisse et dans
la colonne de direction, il est difficile de ne pas avoir le pied
lourd.
Alors que le volant gigote beaucoup, le train avant est accrocheur,
bien aidé par une barre antidévers de gros diamètre. Pour résumer :
pas simple de ressentir dans les mains ce qui se passe sous les
roues mais ça tient paradoxalement plutôt bien.
L’autre bonne surprise concerne la boîte auto. Le ripage est très
important et il faut garder à l’esprit de planter les freins dans
la circulation, sous peine d’incruster la belle saillie chromée du
pare-chocs dans l’arrière de devant. Mais lorsque le trafic se
libère, on apprécie la douceur de la transmission.
Mieux : elle est moins lente que ce que je craignais. Les kick
downs se soldent par un cabrage prononcé mais comme l’essieu
directionnel est costaud, le conducteur anticipe les sorties de
virage. L’allure augmente, les borborygmes aussi.
Les carburateurs Autolite au-dessus du bloc bleu (propres au modèle
66) avalent goulûment l’air de Dordogne. La GT350 ose suivre le
rythme des autos actuelles, qui donnent l’impression, depuis
l’habitacle de la sexagénaire, d’être verrouillées de toutes
parts.
Dire qu’on est ballotté est un euphémisme. Les assises ont un
maintien proche du tabouret de traite. Ce qui sauve la Shelby,
c’est son faible poids, du moins au regard des canons actuels. Les
infos diffèrent énormément, certaines sources évoquant 1 270 kg
quand d’autres mentionnent 1 406 kg.
Avec moi à bord, la seconde valeur est probablement la plus
réaliste. Malgré leur aspect sous-gonflé, les Goodyear sont
adhérents et impliquent de bien cramponner le volant. Et on revient
à la seconde consigne, celle d’être humble.
Si notre modèle était victime d’une suspension peu homogène
(arrière très chahuteur), aller vite en GT350 est à la portée du
premier venu. A l’exception des freins qui inspirent une confiance
toute relative, la vieille dame s’emmène sans ménagement.
Ses accélérations (0 à 100 km/h en environ 7’’) sont très
suffisantes et son couple généreux (45,5 mkg) fusille les
dépassements et permet de cruiser sans crainte. Jusqu’à ce qu’une
courbe se refermant nous rappelle à l’ordre. Pas de frayeur, juste
une alerte.
Une leçon réassénée : il y a soixante ans, conduire vivement ce
genre d’auto réclamait une concentration de tous les instants, les
sens en éveil. Le plus tranquille est l’ouïe, bercée par la mélopée
étonnamment reposante du V8 à arbre à cames central.
Il n’y a pas de déflagration comme dans une F-Type SVR, pas de
retour de flamme comme sur une McLaren. C’est à la fois apaisant et
stimulant et nous vaut d’ailleurs des pouces levés. « C’est une
vraie ou une réplique ? » questionne un ouvrier intéressé, en
centre-ville de Périgueux. Une pure race. L’un des 2 388 modèles
qui virent le jour en 1966. « Vous avez du bol. » Et j’en
ai pleinement conscience.
Shelby Mustang GT350 (1966) : fiche technique
- Années de production : 1965 - 1966
- Exemplaires produits : 2 388 (1966)
- Moteur : V8 en fonte, 16 S, arbre à cames central
- Cylindrée : 4 736 cm3
- Puissance maxi : 306 ch à 6 000 tr/mn
- Couple maxi :45,5 mkg à 4 200 tr/mn
- Transmission : roues AR, 4 rapports manuels (3 rapports auto en option)
- L - l - h : 4 610 - 1 730 - 1 400 mm
- Empattement : 2 740 mm
- Poids : env. 1 400 kg
- Roues AV & AR : 6,5 x 14
- Prix à l’époque : 4 428 $
- Cote actuelle : environ 200 000 €
- V. max. : 230 km/h
- 0 à 100 km/h : environ 7’’
Retrouvez notre essai "Retour aux sources" de la Shelby Mustang GT350 (1966) dans le Sport Auto n°761 du 30/05/2025.


