Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : le "petit poucet" oublié du LMP1 à la loupe

Publié le 5 décembre 2025 à 14:30
Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : le "petit poucet" oublié du LMP1 à la loupe

Si la catégorie LMP1 d’Endurance a été dominée par les grands constructeurs tels qu’Audi, Peugeot, Toyota et Porsche, certaines voitures plus artisanales ont aussi tenté leur chance. Parmi ces "petits poucets" oubliés : cette Epsilon, seule auto espagnole à avoir jamais pris le départ des 24 Heures du Mans. Flash-back.

Les puristes les plus affûtés ne manqueront pas d’évoquer la venue de Pegaso aux 24 Heures du Mans 1953. Certes, le constructeur successeur d’Hispano-Suiza était bien présent dans la Sarthe, mais ses deux autos n’ont pas été en mesure de participer à la course.

Epsilon Euskadi : une équipe basque… créée par un Français !

Un échec effacé en 2008 par Epsilon Euskadi, une équipe basque… créée par un Français ! Ancien ingénieur de l’équipe Graff Racing, qui faisait la loi en F3 française, Michel Lecomte nous raconte la genèse de cette équipe : "J’ai créé, à Mulsanne, l’équipe Epsilon fin 1999 avec l’objectif de disputer le championnat Open Telefónica avec Grégoire de Galzain et Jean-Christophe Ravier.
Par la suite, Franck Montagny nous a rejoints et nous avons remporté le titre en 2001. C’est alors que nous avons été approchés par le pilote basque Ander Vilariño, qui venait de gagner le championnat espagnol de Formule 3.
Il a couru pour nous en 2002 dans le championnat World Series by Nissan. Il était soutenu par le gouvernement basque, qui nous a demandé si nous étions disposés à monter une équipe au Pays basque espagnol avec des pilotes basques.
Alors je leur ai présenté un projet qui consistait à fonder une structure basée sur trois piliers : une équipe de compétition, un bureau d’études et une école d’ingénieurs. Ils ont validé ce projet que nous avons lancé en 2003 sous le nom d’“Epsilon Euskadi” (“Euskadi” voulant dire “basque” en basque, NDLR).
Nous étions situés à flanc de montagne dans la petite ville d’Azkoitia, entre Bilbao et San Sebastián. De la fenêtre de mon bureau, je voyais l’abbaye de Loyola, le fondateur des Jésuites."

Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : de belles retombées médiatiques

Pour Michel Lecomte, la dimension pédagogique de ce projet coule de source. Diplômé de l’Ecole normale supérieure de Cachan option génie mécanique, ce Manceau a en fait déjà enseigné au lycée Le Mans Sud et établi des connexions entre cet établissement et une équipe de course, pour le plus grand bonheur de quelques étudiants… et de leurs parents, ravis de constater la métamorphose de leurs rejetons, soudain passionnés par leurs études.
"Etablie en partenariat avec l’université de Mondragón, notre école d’ingénieurs était spécialisée dans les véhicules haute performance, poursuit le créateur d’Epsilon. Il fallait déjà être ingénieur pour suivre cette formation bac +6 qui était prodiguée au sein même de l’entreprise. Les élèves étaient impliqués dans le programme compétition et venaient sur les circuits."
La formule fonctionne : en 2005, Epsilon Euskadi remporte le championnat World Series by Nissan avec un certain Robert Kubica au volant et un titre de champion de Formula Renault Eurocup suivra en 2007 avec Brendon Hartley, ce qui vaut à l’équipe basque de belles retombées médiatiques.
Parallèlement à l’équipe de course et à la formation, le bureau d’études basque prend corps : "En 2005, nous avons lancé la conception d’une voiture de course. Le choix de l’Endurance s’est imposé naturellement, car ce sont des autos à la fois extrêmement performantes et qui doivent le rester longtemps malgré des conditions d’exploitation très variées lors d’une même course. J’ai engagé John Travis, un ancien ingénieur de Penske, comme chef de projet et nous avons conçu ensemble la voiture en impliquant les élèves. Cela les a surmotivés ! Ils n’ont d’ailleurs pas eu de mal à trouver de bons postes par la suite…"
Un premier choix radical est opéré par le bureau d’études d’Epsilon : "Le règlement permettait d’engager une barquette sans toit ou bien une voiture fermée. A cette époque, il n’y avait pratiquement que des voitures ouvertes.
Avec nos élèves, nous avons dessiné les deux versions et nous avons opté pour la construction d’une voiture fermée. Cette option présentait un petit avantage mais induisait une complexité technique supérieure. Très vite, nous avons été confortés dans notre choix : Peugeot faisait de même."

Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : en stand-by

pendant deux ans En 2006, le Catalan Joan Villadelprat (ex-McLaren, Benetton, Ferrari et Prost Grand Prix) rejoint Epsilon Euskadi et noue un accord avec Judd pour équiper la voiture espagnole d’un moteur atmosphérique de 5,5 litres.
Autour du V10, John Travis et Michel Lecomte ont tâché d’innover : "La bâche à huile était fixée à l’avant du moteur, ce qui permettait d’éviter de devoir vidanger l’huile quand tu sortais le moteur. C’était une première avancée intéressante. Nous avons aussi conçu notre propre boîte de vitesses en carbone, retournée et porteuse.
Les suspensions étaient directement fixées dessus. Le carter était entièrement en fibres de carbone et la pignonnerie était signée Ricardo. Sur le plan aérodynamique, 80 % de nos recherches étaient faites en simulation CFD et nous avons procédé à des tests de validation en soufflerie en Italie, chez Jean-Claude Migeot. Autre caractéristique : des éléments de carrosserie clipsables."

Il en résulte une auto très intéressante qui devra toutefois attendre pour prendre la piste. "Le projet est resté en stand-by pendant près de deux ans. La voiture était dessinée. Nous avions fabriqué des pièces prototypes, mais nous ne disposions pas des moyens our la construire ni pour l’engager en course. Ces moyens sont malheureusement arrivés après mon départ."
Fin 2007, Michel Lecomte doit en effet retourner au Mans auprès de son épouse gravement malade. Le projet est dès lors porté par Joan Villadelprat, qui embauche l’ingénieur argentin Sergio Rinland (ex-Brabham, Benetton et Sauber).
Les moyens sont réunis pour construire deux châssis et engager l’équipe dans le championnat Le Mans Series 2008. Le châssis no 1 est tout juste terminé pour participer aux essais préliminaires, organisés début mars sur le circuit Paul Ricard.
Une vraie séance de déverminage ! De même, la première course disputée sur le circuit de Barcelone, début avril, s’apparente à une séance d’essais grandeur nature pour l’équipage espagnol composé d’Angel Burgeño et Miguel Angel de Castro.
La voiture se qualifie 17e  mais n’est classée que 32e en course. A Monza, trois semaines plus tard, l’Epsilon Euskadi ee1 s’élance de la 10e  place sur la grille, mais doit renoncer avant l’arrivée. Aux 1.000 Kilomètres de Spa, en revanche, elle rallie l’arrivée à une prometteuse 11e  position.

Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : une deuxième voiture en urgence !

A l’approche des 24 Heures du Mans, l’équipe basque frôle le surrégime : la deuxième voiture – qui figurait sur la liste des suppléants – est finalement repêchée par les organisateurs. La deuxième auto doit être montée en urgence !
Et Joan Villadelprat doit rapidement réunir un équipage solide. "Il m’a appelé quelques jours avant la course, me précisant que cette pige ne serait pas payée, se rappelle Jean-Marc Gounon, dont la dernière participation au Mans remontait à 2005 (4e sur Audi).
Il m’a rassuré en mentionnant que les deux autres pilotes seraient Stefan Johansson et Shinji Nakano. J’ai tout de même demandé un temps de réflexion. Je me suis renseigné auprès de l’équipe Pescarolo qui m’a indiqué que le projet était sérieux. J’ai dit banco."

Lors des essais du mercredi, Jean-Marc Gounon est le premier à prendre la piste au volant de l’Epsilon no 21 : "La voiture était inconduisible. Un enfer. Dès qu’elle passait 320 km/h, elle était plantée sur l’avant. L’arrière ne suivait pas. On a donc passé les deux premières heures à chercher, changer les amortissements, etc. Nakano a pris le volant aussi.
Il s’est même arrêté en piste, tellement c’était inconduisible. Notre voiture ayant été montée dans l’urgence, elle n’était pas équipée de capteurs permettant d’analyser le problème. Néanmoins, l’équipe a fini par trouver le souci. Il y avait eu une erreur de montage de l’aéro, à l’avant."
L’équipe espagnole a su rectifier le tir pour le deuxième jour d’essais : "Ça marchait bien mieux", confirme l’ancien pilote de F1 ardéchois. Aux mains de Jean-Marc Gounon, la voiture no 21 (châssis 1) se qualifie en 15e  position, deux rangs devant l’équipage espagnol sur la voiture no 20 (châssis 2).

Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : la n°21 se retire après 158 tours

La course démarre bien : "La voiture était équilibrée, avec un bon appui aéro. Le moteur envoyait fort. Ça marchait bien. Je crois qu’on était 8e en début de course. Malheureusement, nous avons commencé à avoir des problèmes de boîte de vitesses. Le défaut de la voiture était d’être conçue comme une F1 : l’accessibilité mécanique ne facilitait pas le travail des mécanos, notamment concernant la boîte de vitesses."
Les problèmes de boîte perdurent et les Epsilon plongent au classement : "Nous étions à près de 20 tours des leaders, déplore Jean-Marc Gounon. Difficile de rester motivé dans ces conditions. D’ailleurs, à un moment, en ligne droite, je me suis surpris à penser aux objectifs de fin de mois de mon entreprise !"
L’expérience prendra fin au petit matin : "A 7 heures, l’équipe me réveille pour que je prenne le volant. Quand j’arrive au box, la voiture est déjà arrêtée, boîte démontée. Là, un mécano vient me voir, en pleurs : 'Je suis désolé. On n’a plus de pièces. On est obligés d’abandonner.'"
La no 21 est retirée de la course après 158 tours. Fin de l’expérience pour Gounon, qui garde le souvenir d’une voiture dotée d’un potentiel : "Elle me faisait penser à un mix entre une Peugeot 908 et une Zytek LMP2. C’était une belle auto mais l’équipe manquait de budget. Encore une fois un projet pas abouti, faute de moyens."
La voiture sœur bouclera 31 tours supplémentaires avant de renoncer pour la même raison. Pour le reste de la saison, Epsilon Euskadi engage – comme au Mans – deux voitures pour les équipages Angel Burgeño-Miguel Angel de Castro et Adrián Vallés-Shinji Nakano.
Meilleurs résultats : 7e en qualif et 25e  en course à Silverstone. Le potentiel furtivement entrevu par Jean‑Marc Gounon au Mans ne sera jamais pleinement exploité. Joan Villadelprat caresse alors un autre rêve.
Grâce à une spectaculaire levée de fonds, il construit une nouvelle usine de 4 000 m2 , équipée de sa propre soufflerie. Objectif : propulser Epsilon Euskadi en Formule 1 ! Un projet grandiloquent voué à l’échec, qui se traduisit par une douloureuse liquidation en 2011.

Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) : sa fiche technique complète

  • Moteur : V10 atmosphérique à 72° (Judd GV5.5)
  • Position : centrale arrière, dans l’axe longitudinal
  • Cylindrée : 5 496 cm3
  • Alésage x course : 94 x 79,2 mm
  • Distribution : double arbre à cames en tête, 4 soupapes par cylindre
  • Alimentation : injection
  • Lubrification : par carter sec
  • Puissance : 650 ch à 7 000 tr/mn
  • Couple maxi : 67 mkg à 6 500 tr/mn
  • Châssis : coque en fibre de carbone avec moteur porteur
  • Carrosserie : fibre de verre et Kevlar
  • Suspensions AV & AR : triangles superposés, poussoirs, combinés ressorts amortisseurs, barres antiroulis
  • Freins AV & AR : disques ventilés en carbone et céramique
  • Transmission : propulsion
  • Boîte de vitesses : 6 rapports à commande séquentielle, pignonnerie Ricardo
  • Empattement : 2 980 mm
  • Voies (AV/AR) : 1 684/1 571 mm
  • Poids : 900 kg

Retrouvez notre article "A le loupe" consacré à l'Epsilon Euskadi-Judd ee1 (2008) dans le Sport Auto n°765 du 26/09/2025.

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