Essai - Ford Mustang Dark Horse : comme un goût d’interdit...

Un V8 sans turbo. Un moteur sans hybridation. Une transmission sans boîte robotisée. Une conduite sans filtre. Une voiture sans aucun avenir en France, malus oblige. La Ford Mustang Dark Horse a comme un goût d’interdit...
Pourquoi avoir choisi cette instrumentation quelconque ? A l’extérieur, la Dark Horse transpire la Mustang comme on l’aime : capot long, ailes joufflues, regard froncé.
Mais une fois la portière ouverte, une fois passée la déception de ses plastiques durs, une fois acclimatés avec les trop nombreuses commandes au volant, il faut en plus se fader ce bandeau numérique, composé de deux écrans, qui n’a pas grand‑chose à faire dans une Mustang.
On entend le discours officiel qui justifie la présence de cette dalle pour plaire à un plus jeune public. Nous rétorquons que le jeune public, ceux qui voient en Elon Musk le sauveur de l’humanité, a probablement peu d’atomes crochus avec la Dark Horse, représentante de l’ancien monde.
A l’heure où il n’est question que de rejets de CO2, d’hybridation supposée vertueuse, de transmission ultra‑véloce et de 0 à 100 km/h abattu en moins de 3”, la Ford persiste et signe. Oui, une Model 3 accélère plus fort que les 5”2 revendiquées par notre destrier.
Oui, une M5 est une meilleure voyageuse au long cours. Oui, empoigner le nouveau pommeau en titane anodisé fait perdre un temps précieux sur route sinueuse. Oui, tout comme pour une voiture électrique, l’autonomie de l’américaine donne des cheveux blancs avec son V8 à l’appétit de Shrek.
Mais une fois qu’on a dit ça, que reste‑t‑il ? Des frissons, des émotions et la satisfaction de faire partie des happy few à déguster, peut‑être pour la dernière fois, ces saveurs d’un autre temps.
Alors, pour nourrir cette fibre nostalgique, il nous fallait sortir des circonvolutions urbaines, trouver des routes rustiques offrant un panorama à la hauteur de cette star née il y a plus de soixante ans et si possible, puisque nous sommes fins gourmets, Greg et moi, atterrir dans une région où le mot « végan » n’a pas encore fait son entrée dans le dictionnaire.
En 1963, Ford présentait un concept de la Mustang. Le hasard fait bien les choses : le 63 (Puy-de-Dôme) est l’endroit où nous poserons nos valises.
God bless America
Les différences entre la Dark Horse et la GT sont subtiles. Cette 7e génération reprend les traits de son aînée au point que de dos, identifier l’une ou l’autre réclame un temps d’adaptation.
Le V8 5 litres, sans turbo, compresseur ou alterno-démarreur, est reconduit. Il développe 500 ch à… Minute : je regardais la fiche technique américaine. En traversant l’océan, la Dark Horse perd 47 ch.
L’air marin, probablement. Espérons que celui des volcans lui réussira mieux. Le moteur récupère le vilebrequin, les bielles ainsi que la lubrification de la précédente version GT500.
Le refroidissement, avec force ventilateurs et radiateurs additionnels, est accru, histoire que l’équipement mobile supporte les régimes de rotation importants (rupteur vers 7 300 tr/mn).
J’ai grossi et la Dark Horse me le rappelle de façon fort élégante, les bourrelets latéraux de ses sièges en cuir comprimant mes bourrelets latéraux pas en cuir. L’embrayage est raide, la boîte de vitesses aussi.
Cette dernière n’est pas la Getrag MT82 des GT mais une Tremec TR-3160, au verrouillage plus franc et à l’étagement moins long (en théorie). Cette transmission, nous l’avions déjà eue sur la Mach 1, et à l’époque, sa démultiplication frisait l’indécence : 438 km/h théoriques sur le dernier rapport !
Et comme cette ancienne mouture était plus puissante (460 ch au lieu de 453), les performances devraient être en retrait. Une météo anticyclonique, synonyme de brouillard épais à Mortefontaine en cette période de l’année, ne nous a hélas pas permis de vérifier la bonne santé mécanique de l’américaine.
Sur l’A71, la Mustang est un régal. Pour les passagers, si j’en crois les ronflements du photographe, tout comme pour les pompistes, la consommation moyenne sur les grands axes peinant à descendre sous les 12,5 l/100 km, à rythme légal évidemment.
La 6e extra-longue était pourtant là pour plaire aux donneurs de leçons, mais l’ordinateur de bord est formel : ce V8 a un bon coup de fourchette. Comme mon photographe qui, une fois les yeux ouverts, s’inquiète que nous n’ayons pas encore déjeuné.
Sur la route nous emmenant vers le col de la Croix Saint-Robert, entre Chambon-sur-Lac et le Mont-Dore, après avoir dévalisé la boulangerie locale pour remplir les estomacs, les bonnes impressions se confirment. Six modes de conduite sont disponibles, et le programme Track n’est pas à réserver à la piste.
La suspension magnétique est ferme mais absorbe très correctement et n’envoie pas les occupants valdinguer dans le ciel de toit lorsqu’elle se déleste. Pause jambon de pays et saint-nectaire à 1 451 m d’altitude, où nous croisons plus de rapaces que de touristes en cette saison.
Sur la D36, théâtre d’une course de côte, le comportement de la Mustang surprend. Longue et lourde, elle fait preuve d’une agilité et d’une précision aux antipodes des clichés qu’ont certains d’entre nous.
La Dark Horse n’est pas uniquement à son aise sur les départs arrêtés, même si elle dispose d’un mode Burn Out. Pour l’activer et émettre des panaches de fumée, c’est un brin fastidieux.
Après avoir validé l’opération avec le bouton O.K. du volant, appuyez fermement sur la pédale de frein pendant 3”, un décompte apparaît, qu’il faut de nouveau lancer par le même O.K.
Ensuite (et pas avant, sous peine de voir le processus s’interrompre), vous pouvez passer la première vitesse et peaufiner votre langage apache, sans vous préoccuper que la Mustang avance : le système bloque les freins avant.
Et ce, pendant 15”. Greg est mort de rire car il ne voit plus la voiture. Quant à moi, je m’extrais fissa de cet habitacle empli de volutes que je suppose peu indiquées pour les bronches.
God bless le Cantal itou
L’opération réduit l’espérance de vie des gommes Pirelli PZero comme peau de chagrin, mais elle est couronnée de succès. Le grip est bonifié, c’est sensible sur les longs appuis de cette départementale hautement recommandable.
Il faut même en rajouter des tonnes, antipatinage déconnecté, pour que la motricité soit prise en défaut. Et comme l’essieu directionnel est costaud (le feeling est meilleur en Sport qu’en Normal), la Dark Horse adopte une allure qu’on pensait réservée à une Emira ou à une 911.
Attention : cette déclinaison obscure de la Ford n’est pas la GT3 RS du catalogue. S’il faut continuer la comparaison avec la Porsche, elle se situerait entre une Carrera S et une T.
Le soleil se couche derrière le massif du Sancy, et les nuages qui s’y collent ne laissent rien présager de bon. S’ensuivent de grosses averses, aussi faisons-nous halte à La Bourboule. La route détrempée le matin incite à la prudence, sentiment vite oublié tant cette Mustang se montre civilisée.
Nous contournons le Massif central par son flanc ouest. Saint-Donat, Trémouille, Montboudif, Soubrevèze, Griffoul, Marchadial : les toponymes locaux donnent le sourire. A l’image du flanc rocheux qui se dresse devant nous : le puy Mary, perché à 1 783 m, est un monument.
Pour les touristes, avec sa vue à presque 360° sur les monts du Cantal, les nuages se servant de ce cirque naturel comme d’un toboggan inversé, mais aussi pour les amateurs de conduite rythmée, avec une ascension via le pas de Peyrol qui vaut son pesant d’aligot.
De nouveau, la Dark Horse nous bluffe. Elle n’offre bien sûr pas le tranchant d’une 750S, n’est pas aussi bien amortie qu’une Stingray, ne délivre pas les relances d’une 296 GTB et ne permet pas de retarder ses freinages comme avec une 911 S/T, mais elle est beaucoup plus qu’un lot de consolation.
Les MacPherson frontales (avec bras en aluminium et barre stabilisatrice de 33,3 mm de diamètre) autorisent des changements de cap rassurants, épaulées par cet amortissement MagneRide qui nous a séduits la veille.
Avec 2,2 tours d’une butée à l’autre, la direction asservie à la vitesse est collante et peu informative, mais n’est pas Lotus ou McLaren qui veut. Le différentiel Torsen (propre à la Dark Horse) permet un placement en accord avec cet avant bien guidé, et c’est une sensation d’équilibre qui prédomine.
Une sacrée gageure pour un engin accusant près de 2 tonnes avec ses deux convives du jour et leurs affaires. Une fois en haut, la mise en plis maltraitée par les zéphyrs, on profite tout autant du panorama que de la chance que Ford ait, compte tenu du contexte, eu l’audace de commercialiser cette 7e génération.
Tout n’est pas parfait, bien sûr. Les trop nombreux menus obligent à d’incessantes manipulations. Le pommeau en titane est rapidement marqué par les affres du quotidien. La course de la pédale d’embrayage est trop longue, et le maniement du levier suppose de ne pas forcer sur le guidage.
Le rayon de braquage, associé à une visibilité avant médiocre, incite à prendre ses précautions en manœuvres. Et puis, le conducteur presse le bouton rouge. Le V8 s’éclaircit le gosier et grommelle.
Pas de pétarades au lever de pied : juste cette sonorité caverneuse, à la fois apaisante et stimulante. Il semble rustique quand on soulève le capot en aluminium, mais ce V8, avec ses deux boîtes à air et autant de papillons des gaz, reçoit tout le nécessaire contemporain : calage des arbres à cames, double puits d’injection directe, vilebrequin renforcé, spray au plasma pour l’intérieur des cylindres générant une couche durable qui optimise la lubrification, etc.
Ça ne suffit pas à en faire le meilleur V8 du monde, et ce n’est pas ce qu’on attend d’une Mustang. Mollasson sous 3 000 tr/mn, il devient un peu plus volontaire vers 4 500, donne vraiment de la voix à 5 000, et mieux vaut anticiper le rupteur car le compte-tours (linéaire en mode Track) n’est pas lisible.
L’étagement trop long du pont nuit hélas aux relances. Le 6e rapport tire davantage (0,63:1) que le dernier et 10e (0,64:1) de la boîte auto optionnelle. Mais je m’en fiche.
Le capot chaloupe en fonction de la pression du pied droit, le solo de cuivres expectoré par les quatre tuyères noires ravit, et jouer de ce levier accrocheur me fait me sentir utile. D’autant plus que le talon-pointe, automatique et déconnectable, est réalisé à la perfection par la voiture.
Au volant de la Dark Horse, on réapprend quelques fondamentaux, habitués que nous sommes aux transmissions réagissant avant qu’on le leur demande, aux moteurs dégainant comme si l’on pressait un interrupteur, aux liaisons au sol annihilant tout mouvement pour effacer la première courbe.
La Ford n’est pas moins aboutie : compte tenu de son physique, elle se comporte même avec brio. Mais derrière son volant constellé de boutons, le conducteur savoure la route différemment.
Si, lorsqu’on la brusque, le survirage n’est pas fourbe mais progressif, il faut garder à l’esprit que les routes auvergnates sont moins larges que celles du Montana… mais pas moins jolies.
La descente sur Salers sonne la fin de la récréation. C’est sûrement la seule fois où vous verrez une Dark Horse sur les routes françaises, le malus de 70 000 € faisant grimper l’addition à plus de 140 000 €, soit le tarif d’une Audi S3 un tantinet équipée. Faut-il que je précise laquelle des deux distille le plus de plaisir ?
L’avis de Sylvain Vétaux
En attendant l’éventuel essai de la tonitruante version GTD, cette Dark Horse représente pour l’Européen le summum dans la gamme Mustang. Ses performances quelconques n’éclipsent pas un dynamisme étonnant, un équilibre rassurant et un V8 enthousiasmant. Certes, sa conduite a un petit côté rustique. Mais à titre personnel, j’ai toujours préféré les bâtisses en vieilles pierres…
Ford Mustang Dark Horse : fiche technique
- Moteur : V8 atmosphérique, 32 S
- Cylindrée : 5 038 cm3
- Puissance maxi : 453 ch à 7 250 tr/mn
- Couple maxi : 55,1 mkg à 5 100 tr/mn
- Transmission : roues AR, 6 rapports manuels (10 automatiques en option)
- Antipatinage : de série déconnectable
- Autobloquant : de série Torsen
- Poids annoncé/contrôlé : 1 742/1 812 kg
- L - l - h : 4 819 - 1 917 - 1 403 mm
- Empattement : 2 719 mm
- Roues AV & AR : 9,5 & 10 x 19
- Pneus AV & AR : 255/40 & 275/40 R 19
- Prix de base : 71 300 €
- Prix des options/malus : 3 100/70 000 €
- Prix du modèle essayé : 144 400 € (malus compris)
- V. max. : 263 km/h
- 0 à 100 km/h : 5”2
Retrouvez notre essai de la Ford Mustang Dark Horse dans le Sport Auto n°759 du 28/03/2025.