Renault R25 F1 (2005) : rencontre avec la célèbre "tueuse de Ferrari" (en images)

Publié le 30 décembre 2025 à 09:00
Renault R25 F1 (2005) : rencontre avec la célèbre "tueuse de Ferrari"

Indétrônable, le duo Ferrari-Michael Schumacher ? Que nenni ! Avec cette R25 F1 entièrement faite maison et un certain Fernando Alonso à son volant, Renault a réussi il y a vingt ans un coup d’Etat aussi brillant qu’inattendu. Sport Auto a rencontré la machine.

Six titres de champion du monde consécutifs ! Jusque-là, jamais la suprématie d’un constructeur de Formule 1 ne s’était exprimée de manière aussi cinglante. C’est simple, au début des années 2000, la Scuderia Ferrari a l’allure d’une invincible armée rouge avec un fer de lance impérial : Michael Schumacher.
C’est donc en plein tsunami rouge que Renault décide de revenir à la Formule 1 en 2001. Après rachat de l’équipe Benetton, le losange ne se contente plus d’un simple rôle de motoriste, comme dans les années 90.
Objectif ? Afficher haut et fort son culte de l’innovation. Pour appuyer ce leitmotiv, le bureau d’études de Viry-Châtillon concocte un V10 à angle large, annoncé par les médias pour 111° (en réalité, il n’en fait que 102 !).
Alors responsable de l’exploitation moteur de Renault F1, Denis Chevrier nous rappelle l’origine de ce choix audacieux : « Cet angle large n’était pas, à la base, un choix de motoriste. C’était une demande du département châssis d’Enstone d’avoir un moteur qui pourrait structurellement apporter un avantage à la voiture tant du point de vue de son aérodynamisme – en faisant un moteur assez bas – que de celui de l’abaissement de son centre de gravité qui, à l’époque, n’était pas limité comme il l’est maintenant."
Après trois années et beaucoup d’énergie consacrées au développement de cet enfant terrible – qui a tout de même permis à Fernando Alonso de remporter son premier grand prix en 2003 –, décision est prise de repartir sur une architecture plus conventionnelle pour 2004.
Léon Taillieu est alors chargé de préparer un V10 à 71° s’appuyant sur les acquis de la glorieuse et fiable lignée des années 90. S Un choix d’autant plus pertinent que le règlement impose cette même année d’utiliser un seul moteur pour l’intégralité d’un week‑end de course.
Intégré au châssis R24, ce V10 offre à Renault de glaner une victoire (Trulli à Monaco) et de monter sur le podium du championnat des constructeurs, derrière Ferrari et BAR-Honda. Avant même que débute en course ce moteur RS24, Viry-Châtillon entame la conception d’un autre V10, plus abouti, destiné à la saison 2005.
Lancé par Jean-Jacques Brugirard, ce projet est conduit par Axel Plasse (qui est revenu à Viry-Châtillon en septembre dernier pour diriger l’entité Hypertech Alpine). Comme le souligne Denis Chevrier, les objectifs de ce moteur sont multiples : "On s’était ingénié à accroître les performances tout en augmentant la rigidité, en réduisant le poids et en abaissant le centre de gravité ! Nous avons donc dû refaire un nombre important d’éléments fondamentaux tels que les culasses, le carter, etc."

Renault R25 F1 (2005) : un tout nouveau V10

Mais un coup de théâtre intervient en octobre 2004 : la FIA décide d’imposer en 2005 qu’un même moteur doive être utilisé pendant deux week-ends de course ! Les motoristes s’interrogent : faut-il poursuivre le développement d’un nouveau V10 conçu pour une performance accrue, ou bien jouer la sécurité en augmentant la durée de vie des moteurs de 2004 ?
La plupart des équipes privilégient la fiabilité. A l’inverse, Renault décide de continuer le développement de son RS25 avec des résultats très probants que nous décrit Denis Chevrier : "Alors que le règlement nous a obligés à doubler son potentiel kilométrique, sa puissance avait progressé d’une quinzaine de chevaux et son poids avait été abaissé à 108 kg !
Une très belle réussite qui ne sort pas du chapeau comme par magie C’est vraiment le croisement entre une expertise, basée sur des années d’expérience, et une réelle ambition technique."

A Enstone, ce bijou est accueilli avec bonheur par Tim Densham, le concepteur de la R25 : "La monoplace de 2005 se pose comme un développement du concept de la R24. Nous avons beaucoup travaillé avec Viry pour améliorer l’intégration châssis-moteur. Ils ont d’ailleurs fait un excellent boulot pour abaisser le centre de gravité du V10.
Je pense qu’il s’était bien rapproché de celui du RS23 à angle ouvert… Cela a permis de descendre également la boîte de vitesses. Finalement, ça s’est traduit par une grosse amélioration en matière de dynamique du véhicule."
Alors que la concurrence utilise des boîtes à 7 rapports, la R25 n’en emploie que six. Un choix parfaitement assumé par Tim Densham : "Nous tenions à recourir à une boîte de vitesses aussi petite que possible car nous avions constaté qu’avec les pneus Michelin, il était préférable d’avoir le moins de poids envisageable à l’arrière. Le moteur RS25 ayant beaucoup de couple, n’avoir que 6 rapports n’était pas un handicap."

Renault R25 F1 (2005) : perfos accrues malgré les restrictions

Pour 2005, la FIA a aussi imposé des restrictions aérodynamiques, comme l’obligation de relever de 5 cm le nez de la voiture et d’avancer de 15 cm l’aileron arrière. Objectif affiché : réduire l’appui global de 25 %… "Notre auto de 2024 générait un appui aéro énorme et ce changement réglementaire a vraiment amoindri cet avantage, regrette l’ingénieur anglais.
Mais l’équipe de Dino Toso, notre chef aéro, a réussi à compenser une bonne partie de cette perte. Dino était excellent et le fait qu’il ait été auparavant ingénieur de piste était un atout. Il savait précisément ce qui était important pour chaque piste."

Aux yeux des puristes, la R25 se distingue aussi par ses suspensions avant. "Généralement, les aérodynamiciens veulent que les triangles inférieurs soient tous les deux fixés à une quille unique, mais cela pose des problèmes de rigidité, analyse Tim Densham. Ainsi avons-nous opté pour une solution intermédiaire : une quille en forme de V dirigée vers l’avant. Cette trouvaille de Nigel Leaper combinait les avantages."
Dès ses premiers essais, la Renault R25 fait la joie de ses deux pilotes tituaires, Fernando Alonso et le nouveau venu Giancarlo Fisichella, ainsi que de son pilote d’essai. Franck Montagny garde un souvenir jubilatoire de cette machine : "De l’extérieur, elle donne l’impression d’être petite, mignonne et frêle, mais en réalité, elle est d’une férocité et d’une efficacité incroyables."
Avec une telle arme et après deux saisons ponctuées chacune par une victoire, comment positionner les ambitions de l’équipe pour cette nouvelle saison ? "Connaissant toutes les améliorations que nous avions apportées, je savais que nous serions bien, se rappelle Tim Densham. Mais ignorant ce qu’avait fait la concurrence durant l’hiver, j’avais du mal à imaginer ce qui allait se passer…"
Au Grand Prix d’Australie, première course de la saison, la R25 confirme ses bonnes dispositions : après avoir signé la pole, Giancarlo Fisichella remporte la course avec autorité, Fernando Alonso grimpant sur la 3e  marche du podium.
L’Espagnol ne tarde pas à prendre le relais de son équipier. Il s’impose lors de la deuxième manche en Malaisie, validant ainsi la capacité du moteur RS25 à tenir deux grands prix. Mieux : les deux pilotes Renault pointent en tête du championnat !
La troisième course, disputée dans le désert de Bahreïn, ternit l’ambiance : le V10 de Fisichella casse au cinquième tour. "Après démontage, nous avons considéré qu’il était possible que le moteur de Fernando ait lui aussi un petit problème, même s’il avait gagné la course, reconnaît Denis Chevrier. Il y a eu débat en interne pour savoir s’il fallait changer le moteur pour Imola ou le garder en en limitant le niveau d’utilisation.
Une campagne d’essais spécifiques au banc a été menée pour quantifier cette limitation. Fernando a choisi cette dernière option et, malgré un régime réduit, il a réussi à remporter la course alors qu’il avait Schumacher à ses trousses ! Un moment fort qui démontre sa totale maîtrise."

Toute la saison, les ingénieurs de Renault sont à l’affût : "Que ce soit sur le plan aérodynamique ou sur celui du moteur, nous apportions des évolutions constantes dont les équipes de F1 d’aujourd’hui n’oseraient même pas rêver, se délecte Tim Densham. A l’époque, il n’y avait pas de plafonnement de budget comme actuellement !"
Franck Montagny confirme : "Les essais privés n’étaient pas limités. L’équipe de test comprenait 80 personnes et nous roulions entre chaque grand prix. Je pense que j’ai dû parcourir près de 15 000 km au volant de la R25. C’est simple : chaque fois que je montais dans la voiture, elle était différente. Elle évoluait en permanence…"
Dans cette quête frénétique de performance, Renault peut compter sur un allié technique crucial : Michelin. Revenu à la F1 en 2001 pour défier Bridgestone, le manufacturier clermontois alimente ses partenaires en nouveautés. "Renault était leur équipe numéro un, et donc ils développaient essentiellement avec nous, souligne Franck Montagny. Surtout qu’en 2005, le règlement interdisait de changer de pneus pendant la course. Il fallait alors impérativement une voiture un peu plus facile pour le pilote et un peu plus douce sur le pneumatique."
Si Fernando Alonso et Renault restent solidement accrochés en tête du championnat, leur saison ne se résume pas pour autant à un long fleuve tranquille. A défaut de Ferrari (plombé par ses pneus Bridgestone), McLaren représente un danger permanent avec Juan Pablo Montoya et Kimi Räikkönen. Pour contrer l’équipe de Ron Dennis, Renault prépare dans le plus grand secret deux armes diaboliques pour la fin de saison.

L’atout top secret du "mass damper"

La première apparaît au Grand Prix du Brésil, à trois épreuves de la fin. Il s’agit du "mass damper" qui prend place dans le nez de la R25. Rendu public seulement huit mois plus tard, ce dispositif se présente comme un tube vertical de quelques centimètres de diamètre dans lequel se trouve une masse d’environ 9 kg et retenu par deux ressorts, l’un au-dessus, l’autre au-dessous.
"Le but de ce système était de réduire le niveau de charge sur les suspensions avant et de diminuer les vibrations parasites à l’avant de la voiture, explique Tim Densham. Cela ajoutait du poids et élevait le centre de gravité, c’est vrai, mais nous avions assez de lest pour pouvoir obtenir néanmoins une répartition des masses satisfaisante. Après analyse, nous avions estimé que c’était un avantage même si cela nous a imposé de refaire un crash-test du nouveau nez."
Au volant d’une auto ainsi dotée, Alonso remporte le titre mondial des pilotes à Interlagos… mais McLaren-Mercedes revient à deux points de Renault au classement des constructeurs ! Cet écart demeure jusqu’à la veille du Grand Prix de Chine, dix-neuvième et ultime épreuve de la saison.
La FIA ayant décidé de faire basculer la F1 vers des moteurs V8 en 2006, ce grand prix est aussi le dernier disputé par des V10. A cette occasion, les hommes de Viry-Châtillon brandissent une carte redoutable : la "Spec E", cinquième évolution moteur de l’année.
"Pour cette ultime course, nous étions au courant que nous n’aurions pas la contrainte de participer à deux grands prix avec le même moteur, analyse Denis Chevrier. Nous avons donc mis tout ce que nous savions dans ce dernier V10. Nous avons réussi à en tirer une trentaine de chevaux supplémentaires. C’est absolument extraordinaire !
Je pense que c’était vraiment l’âge d’or de l’équipe de Viry-Châtillon. Je m’en souviendrai toujours. Fernando avait signé la pole. A l’époque, la qualif se faisait avec la quantité d’essence embarquée au départ de la course.
Ron Dennis affirmait à tout le monde que les Renault n’avaient quasiment pas d’essence à bord et qu’elles s’arrêteraient très tôt pour ravitailler. Or pas du tout : Fernando avait plus d’essence que les pilotes McLaren et il s’est arrêté après eux. A partir de là, la messe était dite !"

En tête de bout en bout, l’Espagnol s’impose et offre à Renault son premier titre mondial de constructeur « intégral ». C’est accessoirement la première fois depuis Mercedes, en 1955, qu’un constructeur généraliste parvient à battre les spécialistes de la Formule 1 !
La R25 mise à disposition par Renault pour cette séance photos est chaussée de pneus Pirelli, à la suite de son roulage au Grand Prix de France Historique. Elle n’a bien sûr jamais couru en grand prix avec des pneus de cette marque.

Renault R25 F1 (2005) : sa fiche technique

  • Moteur : V10 atmosphérique à 71°, moteur porteur (RS25)
  • Position : longitudinale centrale arrière
  • Cylindrée : 3 000 cm3
  • Alésage x course : 98 x 39,8
  • Matériaux : bloc et culasse en aluminium, carter en magnésium
  • Distribution : pneumatique, double arbre à cames, 4 soupapes par cylindre
  • Puissance : 850 ch
  • Régime maxi : 19 250 tr/mn
  • Couple : 33,7 mkg à 16 500 tr/mn
  • Gestion électronique : boîtier Step 11 commun moteur/châssis
  • Transmission : roues AR, boîte de vitesses semi-automatique à 6 rapports + marche arrière
  • Châssis : monocoque en fibres de carbone et nid-d’abeilles
  • Carrosserie : en fibres de carbone
  • Suspension AV/AR : triangles superposés en fibres de carbone, poussoir, barre de torsion et amortisseurs à l’avant/triangles superposés en fibres de carbone, barres de torsion verticales et amortisseurs horizontaux sur la boîte de vitesses
  • Freins : disques en carbone Hitco et étriers AP
  • Pneus : Michelin
  • L - l - h : 4 800 - 1 800 - 950 mm
  • Empattement : 3 100 mm
  • Voie AV/AR : 1 450/1 400 mm
  • Poids : 605 kg (avec pilote)

Retrouvez notre focus sur la Renault R25 F1 (2005) dans le Sport Auto n°766 du 31/10/2025.

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