Renault R25 F1 (2005) : rencontre avec la célèbre "tueuse de Ferrari" (en images)
Indétrônable, le duo Ferrari-Michael Schumacher ? Que nenni ! Avec cette R25 F1 entièrement faite maison et un certain Fernando Alonso à son volant, Renault a réussi il y a vingt ans un coup d’Etat aussi brillant qu’inattendu. Sport Auto a rencontré la machine.
Six titres de champion du monde consécutifs ! Jusque-là, jamais
la suprématie d’un constructeur de Formule 1 ne s’était exprimée de
manière aussi cinglante. C’est simple, au début des années 2000, la
Scuderia Ferrari a l’allure d’une invincible armée rouge avec un
fer de lance impérial : Michael Schumacher.
C’est donc en plein tsunami rouge que Renault décide de revenir à
la Formule 1 en 2001. Après rachat de l’équipe Benetton, le losange
ne se contente plus d’un simple rôle de motoriste, comme dans les
années 90.
Objectif ? Afficher haut et fort son culte de l’innovation. Pour
appuyer ce leitmotiv, le bureau d’études de Viry-Châtillon concocte
un V10 à angle large, annoncé par les médias pour 111° (en réalité,
il n’en fait que 102 !).
Alors responsable de l’exploitation moteur de Renault F1, Denis
Chevrier nous rappelle l’origine de ce choix audacieux : « Cet
angle large n’était pas, à la base, un choix de motoriste. C’était
une demande du département châssis d’Enstone d’avoir un moteur qui
pourrait structurellement apporter un avantage à la voiture tant du
point de vue de son aérodynamisme – en faisant un moteur assez bas
– que de celui de l’abaissement de son centre de gravité qui, à
l’époque, n’était pas limité comme il l’est maintenant."
Après trois années et beaucoup d’énergie consacrées au
développement de cet enfant terrible – qui a tout de même permis à
Fernando Alonso de remporter son
premier grand prix en 2003 –, décision est prise de repartir sur
une architecture plus conventionnelle pour 2004.
Léon Taillieu est alors chargé de préparer un V10 à 71° s’appuyant
sur les acquis de la glorieuse et fiable lignée des années 90. S Un
choix d’autant plus pertinent que le règlement impose cette même
année d’utiliser un seul moteur pour l’intégralité d’un week‑end de
course.
Intégré au châssis R24, ce V10 offre à Renault de glaner une
victoire (Trulli à Monaco) et de monter sur le podium du
championnat des constructeurs, derrière Ferrari et BAR-Honda. Avant
même que débute en course ce moteur RS24, Viry-Châtillon entame la
conception d’un autre V10, plus abouti, destiné à la saison
2005.
Lancé par Jean-Jacques Brugirard, ce projet est conduit par Axel
Plasse (qui est revenu à Viry-Châtillon en septembre dernier pour
diriger l’entité Hypertech Alpine). Comme le souligne Denis
Chevrier, les objectifs de ce moteur sont multiples : "On
s’était ingénié à accroître les performances tout en augmentant la
rigidité, en réduisant le poids et en abaissant le centre de
gravité ! Nous avons donc dû refaire un nombre important d’éléments
fondamentaux tels que les culasses, le carter, etc."
Renault R25 F1 (2005) : un tout nouveau V10
Mais un coup de théâtre intervient en octobre 2004 : la FIA
décide d’imposer en 2005 qu’un même moteur doive être utilisé
pendant deux week-ends de course ! Les motoristes s’interrogent :
faut-il poursuivre le développement d’un nouveau V10 conçu pour une
performance accrue, ou bien jouer la sécurité en augmentant la
durée de vie des moteurs de 2004 ?
La plupart des équipes privilégient la fiabilité. A l’inverse,
Renault décide de continuer le développement de son RS25 avec des
résultats très probants que nous décrit Denis Chevrier : "Alors
que le règlement nous a obligés à doubler son potentiel
kilométrique, sa puissance avait progressé d’une quinzaine de
chevaux et son poids avait été abaissé à 108 kg !
Une très belle réussite qui ne sort pas du chapeau comme par magie
C’est vraiment le croisement entre une expertise, basée sur des
années d’expérience, et une réelle ambition technique."
A Enstone, ce bijou est accueilli avec bonheur par Tim Densham, le
concepteur de la R25 : "La monoplace de 2005 se pose comme un
développement du concept de la R24. Nous avons beaucoup travaillé
avec Viry pour améliorer l’intégration châssis-moteur. Ils ont
d’ailleurs fait un excellent boulot pour abaisser le centre de
gravité du V10.
Je pense qu’il s’était bien rapproché de celui du RS23 à angle
ouvert… Cela a permis de descendre également la boîte de vitesses.
Finalement, ça s’est traduit par une grosse amélioration en matière
de dynamique du véhicule."
Alors que la concurrence
utilise des boîtes à 7 rapports, la R25 n’en emploie que six. Un
choix parfaitement assumé par Tim Densham : "Nous tenions à
recourir à une boîte de vitesses aussi petite que possible car nous
avions constaté qu’avec les pneus Michelin, il était préférable
d’avoir le moins de poids envisageable à l’arrière. Le moteur RS25
ayant beaucoup de couple, n’avoir que 6 rapports n’était pas un
handicap."
Renault R25 F1 (2005) : perfos accrues malgré les restrictions
Pour 2005, la FIA a aussi imposé des restrictions
aérodynamiques, comme l’obligation de relever de 5 cm le nez de la
voiture et d’avancer de 15 cm l’aileron arrière. Objectif affiché :
réduire l’appui global de 25 %… "Notre auto de 2024 générait un
appui aéro énorme et ce changement réglementaire a vraiment
amoindri cet avantage, regrette l’ingénieur anglais.
Mais l’équipe de Dino Toso, notre chef aéro, a réussi à compenser
une bonne partie de cette perte. Dino était excellent et le fait
qu’il ait été auparavant ingénieur de piste était un atout. Il
savait précisément ce qui était important pour chaque
piste."
Aux yeux des puristes, la R25 se distingue aussi par ses
suspensions avant. "Généralement, les aérodynamiciens veulent
que les triangles inférieurs soient tous les deux fixés à une
quille unique, mais cela pose des problèmes de rigidité,
analyse Tim Densham. Ainsi avons-nous opté pour une solution
intermédiaire : une quille en forme de V dirigée vers l’avant.
Cette trouvaille de Nigel Leaper combinait les avantages."
Dès ses premiers essais, la Renault R25 fait la joie de ses deux
pilotes tituaires, Fernando Alonso et le nouveau venu Giancarlo
Fisichella, ainsi que de son pilote d’essai. Franck Montagny garde
un souvenir jubilatoire de cette machine : "De l’extérieur,
elle donne l’impression d’être petite, mignonne et frêle, mais en
réalité, elle est d’une férocité et d’une efficacité
incroyables."
Avec une telle arme et après deux saisons ponctuées chacune par une
victoire, comment positionner les ambitions de l’équipe pour cette
nouvelle saison ? "Connaissant toutes les améliorations que
nous avions apportées, je savais que nous serions bien, se
rappelle Tim Densham. Mais ignorant ce qu’avait fait la
concurrence durant l’hiver, j’avais du mal à imaginer ce qui allait
se passer…"
Au Grand Prix d’Australie, première course de
la saison, la R25 confirme ses bonnes dispositions : après avoir
signé la pole, Giancarlo Fisichella remporte la course avec
autorité, Fernando Alonso grimpant sur la 3e marche du
podium.
L’Espagnol ne tarde pas à prendre le relais de son équipier. Il
s’impose lors de la deuxième manche en Malaisie, validant ainsi la
capacité du moteur RS25 à tenir deux grands prix. Mieux : les deux
pilotes Renault pointent en tête du championnat !
La troisième course, disputée dans le désert de Bahreïn, ternit
l’ambiance : le V10 de Fisichella casse au cinquième tour.
"Après démontage, nous avons considéré qu’il était possible que
le moteur de Fernando ait lui aussi un petit problème, même s’il
avait gagné la course, reconnaît Denis Chevrier. Il y a eu
débat en interne pour savoir s’il fallait changer le moteur pour
Imola ou le garder en en
limitant le niveau d’utilisation.
Une campagne d’essais spécifiques au banc a été menée pour
quantifier cette limitation. Fernando a choisi cette dernière
option et, malgré un régime réduit, il a réussi à remporter la
course alors qu’il avait Schumacher à ses trousses ! Un moment fort
qui démontre sa totale maîtrise."
Toute la saison, les ingénieurs de Renault sont à l’affût :
"Que ce soit sur le plan aérodynamique ou sur celui du moteur,
nous apportions des évolutions constantes dont les équipes de F1
d’aujourd’hui n’oseraient même pas rêver, se délecte Tim Densham. A
l’époque, il n’y avait pas de plafonnement de budget comme
actuellement !"
Franck Montagny confirme : "Les essais
privés n’étaient pas limités. L’équipe de test comprenait 80
personnes et nous roulions entre chaque grand prix. Je pense que
j’ai dû parcourir près de 15 000 km au volant de la R25. C’est
simple : chaque fois que je montais dans la voiture, elle était
différente. Elle évoluait en permanence…"
Dans cette quête
frénétique de performance, Renault peut compter sur un allié
technique crucial : Michelin. Revenu à la F1 en 2001 pour défier
Bridgestone, le manufacturier clermontois alimente ses partenaires
en nouveautés. "Renault était leur équipe numéro un, et donc
ils développaient essentiellement avec nous, souligne Franck
Montagny. Surtout qu’en 2005, le règlement interdisait de
changer de pneus pendant la course. Il fallait alors impérativement
une voiture un peu plus facile pour le pilote et un peu plus douce
sur le pneumatique."
Si Fernando Alonso et Renault restent
solidement accrochés en tête du championnat, leur saison ne se
résume pas pour autant à un long fleuve tranquille. A défaut de
Ferrari (plombé par ses pneus Bridgestone), McLaren représente un
danger permanent avec Juan Pablo Montoya et Kimi Räikkönen. Pour
contrer l’équipe de Ron Dennis, Renault prépare dans le plus grand
secret deux armes diaboliques pour la fin de saison.
L’atout top secret du "mass damper"
La première apparaît au Grand Prix du Brésil, à trois
épreuves de la fin. Il s’agit du "mass damper" qui prend place dans
le nez de la R25. Rendu public seulement huit mois plus tard, ce
dispositif se présente comme un tube vertical de quelques
centimètres de diamètre dans lequel se trouve une masse d’environ 9
kg et retenu par deux ressorts, l’un au-dessus, l’autre
au-dessous.
"Le but de ce système était de réduire le niveau de charge sur
les suspensions avant et de diminuer les vibrations parasites à
l’avant de la voiture, explique Tim Densham. Cela ajoutait
du poids et élevait le centre de gravité, c’est vrai, mais nous
avions assez de lest pour pouvoir obtenir néanmoins une répartition
des masses satisfaisante. Après analyse, nous avions estimé que
c’était un avantage même si cela nous a imposé de refaire un
crash-test du nouveau nez."
Au volant d’une auto ainsi
dotée, Alonso remporte le titre mondial des pilotes à Interlagos…
mais McLaren-Mercedes revient à deux points de Renault au
classement des constructeurs ! Cet écart demeure jusqu’à la veille
du Grand Prix de Chine, dix-neuvième et ultime épreuve de la
saison.
La FIA ayant décidé de faire basculer la F1 vers des moteurs V8 en
2006, ce grand prix est aussi le dernier disputé par des V10. A
cette occasion, les hommes de Viry-Châtillon brandissent une carte
redoutable : la "Spec E", cinquième évolution moteur de
l’année.
"Pour cette ultime course, nous étions au courant que nous
n’aurions pas la contrainte de participer à deux grands prix avec
le même moteur, analyse Denis Chevrier. Nous avons donc
mis tout ce que nous savions dans ce dernier V10. Nous avons réussi
à en tirer une trentaine de chevaux supplémentaires. C’est
absolument extraordinaire !
Je pense que c’était vraiment l’âge d’or de l’équipe de
Viry-Châtillon. Je m’en souviendrai toujours. Fernando avait signé
la pole. A l’époque, la qualif se faisait avec la quantité
d’essence embarquée au départ de la course.
Ron Dennis affirmait à tout le monde que les Renault n’avaient
quasiment pas d’essence à bord et qu’elles s’arrêteraient très tôt
pour ravitailler. Or pas du tout : Fernando avait plus d’essence
que les pilotes McLaren et il s’est arrêté après eux. A partir de
là, la messe était dite !"
En tête de bout en bout, l’Espagnol s’impose et offre à Renault son
premier titre mondial de constructeur « intégral ». C’est
accessoirement la première fois depuis Mercedes, en 1955, qu’un
constructeur généraliste parvient à battre les spécialistes de la
Formule 1 !
La R25 mise à disposition par Renault pour cette séance photos est
chaussée de pneus Pirelli, à la suite de son roulage au Grand Prix
de France Historique. Elle n’a bien sûr jamais couru en grand prix
avec des pneus de cette marque.
Renault R25 F1 (2005) : sa fiche technique
- Moteur : V10 atmosphérique à 71°, moteur porteur (RS25)
- Position : longitudinale centrale arrière
- Cylindrée : 3 000 cm3
- Alésage x course : 98 x 39,8
- Matériaux : bloc et culasse en aluminium, carter en magnésium
- Distribution : pneumatique, double arbre à cames, 4 soupapes par cylindre
- Puissance : 850 ch
- Régime maxi : 19 250 tr/mn
- Couple : 33,7 mkg à 16 500 tr/mn
- Gestion électronique : boîtier Step 11 commun moteur/châssis
- Transmission : roues AR, boîte de vitesses semi-automatique à 6 rapports + marche arrière
- Châssis : monocoque en fibres de carbone et nid-d’abeilles
- Carrosserie : en fibres de carbone
- Suspension AV/AR : triangles superposés en fibres de carbone, poussoir, barre de torsion et amortisseurs à l’avant/triangles superposés en fibres de carbone, barres de torsion verticales et amortisseurs horizontaux sur la boîte de vitesses
- Freins : disques en carbone Hitco et étriers AP
- Pneus : Michelin
- L - l - h : 4 800 - 1 800 - 950 mm
- Empattement : 3 100 mm
- Voie AV/AR : 1 450/1 400 mm
- Poids : 605 kg (avec pilote)
Retrouvez notre focus sur la Renault R25 F1 (2005) dans le Sport Auto n°766 du 31/10/2025.


