McLaren F1 GTR (1995) : la supercar qui n'aurait jamais dû gagner Le Mans...
Alors que McLaren débutera en Hypercar à l’horizon 2027, Sport Auto se penche en détails sur la F1 GTR, victorieuse il y a 30 ans aux 24 Heures du Mans. Une première participation réussie… qui n’aurait jamais dû se produire !
Non, non, non et non ! Plusieurs fois lors de la conception de
la voiture de route la plus rapide de son époque, Gordon Murray
avait posé la question : « Est-on certain que cette McLaren F1
ne courra jamais ? »
La réponse de Ron Dennis était
invariable : « Non, elle ne courra jamais ! » En
conséquence, Gordon Murray avait procédé à quelques arbitrages
privilégiant le confort au détriment d’une performance plus
extrême.
Seulement, voilà : comment imaginer que la supercar la plus
efficace de son temps, conçue par une marque plusieurs fois
championne du monde de Formule 1, puisse durablement snober les
circuits alors que la catégorie GT est en pleine renaissance ?
Un tel engagement sportif était inscrit dans ses gènes à défaut de
l’être dans les plans de Ron Dennis… James Robinson, ingénieur de
l’Unité 12 – cellule responsable du développement de la « F1 » –,
se souvient : « Il n’avait jamais été question que la F1 coure
en compétition mais, au milieu de l’année 1994, des clients ont
exprimé à Ron Dennis leur envie d’avoir une version course…
»
Le premier à formuler ce souhait a été Ray Bellm. Il
obtient d’abord une fin de non-recevoir de la part de son ami Ron
Dennis, mais lorsqu’il indique son intention de se tourner vers un
préparateur privé, le patron de McLaren se ravise.
Pas question que McLaren perde le contrôle d’un
tel projet ! Tarif annoncé par le constructeur : 1 000 000 £,
ramené à 750 000 £ quand deux autres gentlemen drivers – le
banquier Thomas Bscher et Lindsay Owen-Jones – remplissent, eux
aussi, un bon de commande…
Sous l’autorité de Jeff Hazell, l’Unité 12 est chargée du
développement de cette version compétition, baptisée « F1 GTR
». La mise en conformité au règlement de la catégorie GT1 met
Gordon Murray en rogne : elle impose un arceau de sécurité en
acier, alors que la coque en carbone d’origine offre une sécurité
bien supérieure !
La GTR reçoit également un aileron arrière, des extincteurs, et
voit sa hauteur de caisse abaissée. Finalement, cinq F1 GTR disputent les premières
courses 1995 de la série BPR, créée par Jürgen Barth, Patrick Peter
et Stéphane Ratel.
Sur ces épreuves qui redonnent vie à la catégorie GT, les McLaren
affrontent des Ferrari F40 (GTE et LM), des Porsche 911 GT2 et
d’autres modèles plus exotiques : Jaguar XJ220, Venturi (600 LM et
400 GTR), Lotus Esprit Sport et Marcos LM600. Les GTR remportent
les six premières courses !
Ces succès donnent des idées aux concurrents… « Evidemment,
très vite, nos clients ont souhaité participer aussi aux 24 H du
Mans, explique James Robinson. Or, la GTR n’a jamais été
conçue au départ pour encaisser une course de vingt-quatre heures !
Les épreuves de BPR étaient de quatre heures au maximum.
Jeff Hazell a alors lancé un développement spécifique à valider sur
une séance d’essais de vingt-quatre heures. Toutes les équipes ont
accepté de contribuer au coût de cette opération et ont dépêché un
de leurs pilotes sur la séance de Magny-Cours. »
Pas moins
de six McLaren sont initialement inscrites aux 24 H du Mans : deux
pour l’équipe Gulf Racing, deux pour la team David Price, une pour
Giroix et une autre – décorée par l’artiste César – pour l’équipe
française BBA.
Une septième auto va finalement être ajoutée, comme le rappelle
James Robinson : « Ron est venu nous voir, quelques semaines
avant la course, en nous annonçant qu’un sponsor japonais était
prêt à payer 250 000 $ pour soutenir une voiture, mais qu’aucune
des équipes engagées ne souhaitait bénéficier de ce partenaire !
» Petite précision : ce généreux sponsor était une clinique
spécialisée dans la chirurgie plastique du pénis !
Une voiture d’essais confiée à une équipe novice
« Il était hors de question que McLaren engage une voiture
officielle face à ses clients », poursuit James Robinson. Une
opération a donc été montée de toutes pièces pour ne pas laisser
cette manne s’évaporer.
C’est alors que Paul Lanzante entre en piste. Ce spécialiste
reconnu de la restauration de voitures de course historiques reçoit
un jour un appel inattendu de Ron Dennis, pour qui il avait déjà
retapé quelques McLaren : « Ron savait ce dont nous étions
capables. Cette année-là, nous avions aussi commencé à courir en
moderne avec une Porsche 911 GT2, mais notre demande d’inscription
aux 24 H du Mans n’avait pas été retenue.
Il savait que nous étions disponibles et m’a proposé d’engager une
McLaren sous la bannière Kokusai Kaihatsu Racing. Il m’a ensuite
demandé combien de fois j’avais disputé Le Mans et il a été un peu
surpris par ma réponse : “Jamais !” »
Petit souci
logistique : l’équipe Gulf Racing ayant accidenté une de ses
voitures à Jarama, elle s’est vu attribuer le dernier châssis
construit – le 8 R –, et l’unique exemplaire disponible est donc la
voiture d’essais – châssis 01R – déjà largement sollicitée par le
développement de la GTR.
« Nous avons envoyé nos mécanos chez McLaren pour qu’ils se
familiarisent avec la voiture, et nous avons pris en charge la
séance d’essais de Magny-Cours », indique Paul Lanzante.
Déjà vainqueur de l’épreuve mancelle en 1992 et en 1994, Yannick
Dalmas est bombardé « capitaine » de cette McLaren additionnelle.
« J’ai d’abord effectué un petit roulage à Silverstone, puis la
simulation de Magny-Cours. La position de pilotage, avec le siège
central, est très sympa et offre une bonne visibilité. Tu as
franchement la sensation d’être au volant d’une monoplace fermée.
D’entrée, la voiture m’a paru particulièrement rapide, même s’il y
avait peu d’appui aérodynamique.
En comparaison avec les protos que j’avais conduits, je sentais un
gros roulis, une voiture un peu lourde et sans direction assistée,
mais elle avait un gros moteur. Ce dernier était exceptionnel avec
un couple phénoménal !
Sincèrement, c’était une auto vraiment pas simple à piloter. Il
fallait freiner 150 m plus tôt qu’un proto… Elle avait un talon
d’Achille : la commande de boîte de vitesses qui se faisait par
câble. Progressivement, la commande devenait moins précise.
»
La séance de Magny-Cours permet de valider le kit « 24
Heures » de la GTR, qui comprend une boîte de vitesses renforcée,
graissée par carter sec et dont les pignons peuvent être changés
facilement.
Il propose aussi des freins en carbone – plus légers de 25 kg –
favorisant une meilleure durée des disques (la voiture victorieuse
ne remplacera qu’une fois les plaquettes avant). Ce pack « freins »
intègre des porte-roues et des triangles spécifiques ainsi qu’une
prise d’air centrale à l’avant.
Autres ajouts : une pompe à essence de secours, un double câble
pour l’accélérateur et une réserve d’essence équivalant à un tour.
« Nous avons ensuite suggéré ce kit à toutes les équipes,
précise James Robinson. Libre à chacune de l’utiliser entièrement,
en partie ou pas du tout. Il n’y a que Lanzante qui a pris tout le
kit. »
C’est ce qui explique que la no 59 sera la seule à
embarquer sur son capot avant des phares additionnels croisés
destinés à éclairer les cordes de virage. Lorsque les sept McLaren
F1 GTR arrivent au Mans, les ambitions sont limitées face à la
catégorie Prototypes représentée, entre autres, par des Ferrari 333
SP, des Kremer-Porsche K8 et des Courage françaises.
D’ailleurs, aux essais, les protos (WR) signent la pole position, 9
secondes devant la première GT (une Ferrari F40 GTE) et 11 secondes
devant la première McLaren, la n° 59 pilotée par JJ Lehto,
l’équipier de Yannick Dalmas et de Masanori Sekiya, le Japonais
imposé par le sponsor de la voiture.
Avec une commande de boîte approximative, les pilotes de la no 59
effectuent quelques surrégimes pendant les essais. « Les
ingénieurs de BMW nous ont dit que ce n’était pas un problème, car
ce V12 était increvable, se souvient Yannick Dalmas. J’ai
tout de même insisté pour qu’ils contrôlent. En fait, les pistons
avaient touché les soupapes ! Ils ont donc changé le moteur pour la
course. »
En parallèle, la boîte de vitesses est, elle aussi, contrôlée : des
fragments de pignon se baladent. Elle est changée également.
La pluie : une alliée de choc contre les protos
Le samedi matin, Yannick Dalmas réunit ses équipiers : « Il
faut absolument économiser la boîte de vitesses », puis ajoute
: « Notre seule chance de bien figurer, c’est la pluie. »
Juste avant le départ, la pompe à essence refuse tout service !
L’équipe bascule alors sur la pompe de secours et croise les
doigts… Après un court show de la WR lors du premier relais, la
McLaren n° 49 de Nielsen-Bscher-Mass s’empare de la tête, pour le
plus grand plaisir de Gordon Murray présent sur le circuit de la
Sarthe (à l’inverse de Ron Dennis).
Très vite, la pluie s’invite. D’abord quelques gouttes, puis des
hallebardes. Elle inondera la piste pendant dix-huit heures ! «
Franchement, c’était un enfer, se souvient Yannick Dalmas.
Les pires conditions que j’ai connues au Mans. On se faisait
entre cinq et dix chaleurs par tour. »
Dans de telles
conditions, les prototypes avec leurs pneus larges sont
particulièrement handicapés. Même le grand Mario Andretti part à la
faute vers 20 heures, faisant perdre une vingtaine de minutes à la
Courage no 13 favorite. Différentes McLaren se succèdent alors en
tête.
La no 59 ne se distingue guère, comme l’explique Paul Lanzante :
« Ron Dennis m’avait demandé quelle était ma stratégie. Je
lui avais rétorqué : “Maintenir la voiture sur la piste. Le
reste est entre les mains des dieux…” Il pensait que je
plaisantais, mais pas du tout. C’était mon seul objectif. Terminer
la course aurait déjà été une victoire pour mon équipe. »
Durant la nuit, JJ Lehto réalise un festival. La no 59 remonte dans
le Top 3. « Il roulait parfois dix secondes plus vite que les
autres concurrents en piste !, rappelle Paul Lanzante. Je
ne cessais de lui dire de ralentir, mais il me répondait : “Ne
t’inquiète pas, tout est sous contrôle !” C’est là que nous avons
compris pour la première fois que nous avions du potentiel.
»
La montée en puissance de cette no 59 est surveillée
d’un œil méfiant par les autres équipes McLaren qui la suspectaient
d’être une voiture d’usine déguisée. Pourtant, James Robinson le
confirme : « Ron Dennis l’avait bien précisé avant le départ :
cette voiture n’est pas là pour gagner la course… »
Sauf
que les autres McLaren collectionnent les déboires. Tandis que
Derek Bell et son fils Justin se voyaient déjà remporter une
victoire historique sur la McLaren Harrods, voilà que son embrayage
fait des siennes.
A la surprise générale, la McLaren no 59 s’empare de la tête
à deux heures de l’arrivée… mais elle manque de tout perdre lors
d’un arrêt au stand. La fatigue s’abat sur la petite équipe : la
voiture est reposée à terre alors que les pneus n’ont pas encore
été montés !
Finalement, elle repart avec Yannick Dalmas au volant, poursuivie
par la Courage d’un Bob Wollek enragé. Contre toute attente, la
McLaren F1 GTR no 59 décroche – avec un tour d’avance – une
victoire absolument historique, dès la première participation de la
marque et vingt-neuf ans après le succès de son fondateur Bruce
McLaren (sur Ford).
Seuls Chenard et Walcker en 1923 et Ferrari en 1949 avaient réussi
un tel exploit. Déjà triomphante en F1 et à Indianapolis, McLaren
s’offre la Triple Couronne dont rêvait tant Mario Andretti, qui
doit se contenter de la 2e place.
Pour compléter ce succès, les autres McLaren terminent aux 3e , 4e
, 5e et 13e places au général, raflant un cinglant quadruplé en
catégorie GT1. Ravis de leur coup, les acteurs de ce succès
reconnaissent toutefois le rôle joué par les circonstances : «
Sans la pluie, nous n’aurions jamais pu gagner, admet Yannick
Dalmas. Elle nous a permis d’économiser la voiture et,
particulièrement, la boîte de vitesses. »
James Robinson
va plus loin : « Sur le sec, je ne pense pas que nos voitures
auraient pu rallier l’arrivée… » Loin de capitaliser sur ce
succès, Paul Lanzante n’est jamais revenu au Mans : « Après la
course, l’ingénieur Harvey Postlethwaite, à qui j’avais emprunté
des pistolets pneumatiques pour les changements de pneus, m’a donné
un conseil : “Ne reviens jamais au Mans. Tu ne pourras jamais faire
mieux que ta première participation.” Je l’ai écouté. »
Le châssis 01R (voir diaporama) n’a plus jamais couru depuis. Il
n’a disputé qu’une course. Et quelle course ! A l’inverse, McLaren
est revenu en 1996 et en 1997, mais en vain. Son passage en 2027 dans la
catégorie Hypercar lui permettra-t-il de renouer avec le succès
?
McLaren F1 GTR (1995) : fiche technique
- Dénomination moteur : BMW S70/2 GTR
- Position : central arrière, dans l’axe longitudinal, porteur
- Type : V12 atmo à 60°
- Cylindrée : 6 064 cm3
- Alésage x course : 86 x 87 mm
- Taux de compression : 11,0:1
- Distribution : 4 arbres à came en tête, 4 soupapes par cylindre
- Alimentation : injection
- Lubrification : par carter sec
- Puissance maxi : 600 ch à 7 500 tr/mn
- Couple maxi : 73 mkg à 4 500 tr/mn
- Châssis : coque en carbone + arceau de sécurité en acier
- Carrosserie : fibre de carbone
- Suspensions AV & AR : triangles superposés de longueur inégale, combinés ressorts amortisseurs, barres antiroulis
- Freins AV & AR : disques en carbone (Carbone Industrie)
- Réservoir : 100 l
- Transmission : propulsion
- Boîte de vitesses : de marque FF, à 6 rapports, commande manuelle par câble
- L - l - h : 4 367 - 1 900 - 1 090 mm
- Empattement : 2 718 mm
- Voies AV/AR : 1 558/1 488 mm
- Poids : 1 012 kg
Retrouvez notre article à la loupe sur la McLaren F1 GTR (1995) dans le Sport Auto n°760 du 25/04/2025.


























