Essai - Toyota GR Supra (BVM) : plaisirs en voie de disparition...
Les blocs thermiques vont disparaître, bientôt. Trop tôt. Idem, de facto, pour les boîtes manuelles. Ajoutons à ça le malus qui condamne tout engin un brin sympa et vous le savez déjà : nous avons connu des temps meilleurs. Raison de plus pour ne pas bouder notre plaisir au volant de la Toyota GR Supra avec ses trois pédales et son moteur politiquement incorrect.
Une balle perdue pour commencer : merci à Toyota qui a bouleversé le planning de cette Supra pour qu’elle ait les honneurs de nos pages. Le constructeur sait que sa voiture n’est pas une "pistarde", se doute que l’ami Christophe Tinseau risque de ne pas être conquis, et nous l’avons prévenu qu’elle lui sera rendue avec les chaussettes fumantes.
Pourtant, il s’est prêté au jeu, ce qui n’est pas le cas d’autres marques, bien plus prestigieuses, qui refusent tout bonnement de répondre à nos sollicitations. Parenthèse fermée. Contre toute attente, la Supra est donc toujours au catalogue de Toyota en 2024.
Sur le papier, tout joue en sa défaveur : malus maximal, pas d’hybridation, une consommation en sans-plomb manquant de modération et, pour ne rien arranger, une boîte mécanique qui perdure (la BVA est aussi proposée, moyennant 2 300 € supplémentaires).
Bref, alors que Toyota est un habitué des blockbusters (Prius, Yaris, RAV4), la Supra, c’est un peu son film d’auteur. Une production dont le scénario, tuons tout suspense, manque de rebondissements mais qui nous tient quand même en haleine du début à la fin. Vous le savez : ce coupé dérive du BMW Z4, plus cher, plus lourd et non disponible en boîte manuelle.
Il en récupère les trains roulants et le moteur, un 6 en ligne monoturbo à double étage (nom de code « B58 ») de 340 ch. Pas de traitement de faveur pour le cabriolet munichois : sa puissance est identique. Pas son positionnement.
Avec son toit repliable, l’allemand se destine à la balade, la flânerie, même si les performances entre les jumeaux sont similaires. La GR Supra est pour sa part la Toyota la plus puissante du catalogue et la plus caractérielle.
Bonne pâte
Il n’y a pourtant aucune radicalité à bord. On s’y glisse sans enjamber de bas de caisse proéminent, les commandes (BMW) se trouvent exactement là où nos doigts veulent les trouver, les sièges en cuir sont agréables et la seule extravagance sportive consiste en un bouton Sport, qui coupe le stop/start, raidit un peu l’amortissement et rend la pédale d’accélérateur plus sensible.
Heureusement que la tenue extérieure, galbée voire boursouflée, ajoute un peu de charisme, car pour l’instant, difficile de se sentir à bord « d’un engin pour les puristes de la conduite » (dixit Toyota).
L’anneau de Mortefontaine a essuyé quelques minutes plus tôt une bonne averse mais le goudron draine bien. Les hostilités débutent avec les reprises, qui n’ont pas besoin d’un tarmac parfaitement sec. En 4e , la Supra met deux petits dixièmes de plus que son homologue à transmission automatique.
Le dernier rapport fait office d’overdrive. Sur les 5e et 6e vitesses, la GR Supra réclame 4’’2 et 5’’1. C’est aussi bien qu’une M2 CS (2020) pour le premier chrono et la Toy’ fait jeu égal, sur son dernier pignon, avec une… Lamborghini Aventador SV !
Alors non, Sport Auto ne vous dit pas que la japonaise est aussi délectable à conduire que le buffle italien, mais avouez que la performance étonne. Surtout qu’elle ne s’accompagne pas de torse écrasé au fond du dossier ou d’échappement qui se tord sous l’effet de la pression.
Le 3 litres émet un joli bruit et c’est à peu près tout. Au moins la suralimentation a-t-elle la politesse de ne pas se faire entendre. Mais de se faire sentir. Le couple maxi étant disponible dès 1 600 tr/mn (en théorie), la poussée est immédiate.
L’anneau sèche un peu mais les conditions ne sont toujours pas optimales. Direction le pèse-voiture. La fiche technique annonce 1 577 kg, avec un conducteur de 75 kg. Dans la vraie vie, la vérité est proche : 1 507 kg, avec les pleins, mais sans le journaliste à bord.
La répartition entre les deux essieux est quasi parfaite : 51 % devant, un peu moins derrière. L’écart avec la boîte automatique (1 516 kg) semble bien minime. Et nos accélérations vont le confirmer. L’anneau est désormais sec. Il n’y a pas de launch control, aussi faut-il doser pour s’extirper correctement.
Compte-tours sur 2 000 tr/mn, on lâche l’embrayage (à la course bien trop longue) et, malgré quelques légères pertes d’adhérence, la Supra trouve du grip. En 4’’7, les 100 premiers km/h sont atteints. C’est à peine plus lent que la version à boîte automatique (4’’4) et pratiquement dans les clous de ce qu’annonce Toyota (4’’6).
Idem pour le 1 000 m D.A., expédié en 23’’4 (à une vitesse de 231 km/h) alors que le modèle à convertisseur de couple s’en acquitte en 23’’2 (228 km/h). Tout ça pour vous dire que ceux qui pensaient perdre de précieux dixièmes en optant pour la transmission manuelle devront trouver un autre argument.
Et comme le conducteur est davantage impliqué, vous ne serez pas surpris de connaître notre préférence entre les deux transmissions. La boîte manuelle n’est pourtant pas sans défauts. Déjà, son nom est moche : « GS6L50TZ ». Et le discours officiel de Toyota est mis à mal par la réalité. Les guidages, notamment lors des rétrogradages, ne sont pas toujours fluides et le débattement du levier est trop long. N’est pas une Civic Type R qui veut…
Le positionnement de la commande de boîte est distinct de celui sur la BVA. « L’ensemble ainsi modifié offre un espace de 42 mm entre le pommeau et le panneau de climatisation », nous dit le dossier de presse. La coiffe du levier, parfaitement sphérique, pèse à elle seule 200 g (quasi deux yaourts), pour faciliter les changements de pignon.
La transmission de la GR Supra a des défauts mais nous nous y accommodons sans peine. Sur les grands axes, le confort est appréciable. Le coupé reçoit l’AVS, pour « Adaptive Variable Suspension ». Cet amortissement est piloté selon deux lois, Normal et Sport, et, soyons honnêtes, la différence de tarage vient perturber les lombaires sensibles uniquement sur les vilains raccords et les plaques d’égout.
Dans le mode le plus verrouillé, la Toyota ne restreint pas totalement ses débattements verticaux. Une politique à deux facettes : le roulis est toujours présent sur les prises d’appui violentes, mais les mouvements de la caisse aident à cerner les limites d’adhérence. Et lorsqu’on déconnecte le VSC (Vehicle Stability Control), le conducteur passe son temps à jouer avec elles.
Pour tourner…
… ça tourne. Que ce soit la Yaris ou la 86, les GR de Toyota aiment appréhender les virages par les vitres latérales. La Supra ne déroge pas à la règle. Les 51 mkg théoriques (voir encadré Banc de puissance) qui déboulent dès le ralenti apprennent aux Michelin Pilot Super Sport (moins tendres que les Cup) la langue des Apaches. Ça fume dans les rétros et l’habitacle !
L’auto-bloquant à glissement limité est géré par l’électronique. Il permet, sur le papier, un taux de blocage allant de 0 à 100 %. Mais la motricité, surtout lorsque les conditions ne sont pas parfaites, n’est pas la vertu première de la japonaise. Paradoxalement, ce n’est pas un reproche.
Aux antipodes des sportives passant trop fort partout et nous donnant l’impression d’être des ténors du pilotage, conduire vite la GR Supra, une fois les aides déconnectées, implique de la concentration et de l’humilité. 340 ch, c’est plus que suffisant pour se retrouver au milieu d’un champ de charolaises.
La nipponne n’est pas dangereuse : elle n’est pas verrouillée, comme il est de coutume aujourd’hui. Je ne vous dis pas qu’une GT3 RS ou une Artura, dont les capacités dynamiques défient l’entendement, sont moins gratifiantes à conduire. J’explique juste que le comportement moins rigoureux de la Toyota suppose d’en connaître tous les traits de personnalité avant de la mettre vraiment en colère. Ce que Christophe Tinseau s’apprête à faire.
Sur la route, l’expérience fut plaisante. La direction à assistance électrique, avec un moteur et un réducteur (sur la crémaillère) dissociés, n’est pas trop réactive. La GR Supra n’est pas tranchante ni incisive. Elle est campée, sûre d’elle en appui, à condition, comme évoqué plus haut, de ne pas envoyer des signaux de fumée pour épater la galerie. Si tel est le cas, la démultiplication importante (15,1) oblige à tricoter des cubitus.
Merci, Michelin
A notre arrivée sur la piste, celle-ci est détrempée par les trombes d’eau qui se sont déversées sur elle toute la nuit. Les prévisions ne sont pas optimistes, à l’inverse des locaux de l’étape. « Il ne pleuvra plus aujourd’hui », nous certifie Loïc, le chef de piste. Avant que le tarmac soit en état pour que la foudre Tinseau s’abatte sur lui, je fais quelques tours, sur un circuit piégeux.
La trajectoire sèche mais le moindre écart se paie par une perte d’adhérence brutale. Sous la passerelle, le tête-à-queue. Le photographe se gausse, le rail moins car j’ai failli esquinter son zinc, et mon amour-propre prend une énième claque.
La GR Supra a du caractère, même à allure réduite. Je préviens Christophe avant qu’il fasse sa première tentative. Il confirme : « Dans le “S” du sanglier, j’ai failli m’y mettre ! » Mais les Fun Cup, Ligier JS2 et autres barquettes avec lesquelles nous partageons la piste évacuent rapidement le reliquat d’humidité.
Les conditions sont à présent parfaites (une petite vingtaine de degrés, pas de vent) et les Michelin Pilot Super Sport atteignent enfin leur température idéale. Sur route ouverte, je n’étais pas arrivé à ce seuil et m’étais confronté à un pouvoir directionnel manquant parfois d’accroche et à un arrière-train baladeur.
Une fois les pneus clermontois chauds comme la braise, la donne change radicalement. Christophe Tinseau signe un joli 1’52’’04. Joli, car, rappelons-le, la Supra n’est pas une pistarde, avec ses mouvements verticaux la faisant hésiter sur ses appuis, son poids considérable et sa puissance modeste.
Joli aussi car ce chrono la place entre une Caterham 340 R et une Cupra Leon VZ 300. Joli enfin car la GR Supra est désormais une espèce en voie de disparition dont il faut se délecter. Peu importe qu’elle ne truste pas les premières places du classement. Peu importe que ses freins tolèrent mal une utilisation intensive.
Peu importe que son moteur manque de sauvagerie. Elle vise les conducteurs qui aiment se sentir impliqués quand le rythme augmente, ceux qui adorent flirter avec les limites d’adhérence, ceux qui ne jurent que par un talon-pointe (automatique) bien opéré. Ceux qui, tout simplement, voient dans l’imperfection une source de satisfaction.
L'avis de notre essayeur Sylvain Vétaux
C’est peut-être la dernière fois que nous essayons la GR Supra dans nos pages, son avenir commercial étant compromis par la fiscalité. La boîte manuelle sied à ravir à ce coupé au look clivant mais au caractère bien trempé.
Elle ajoute, à une recette qui ne manquait déjà pas de saveur, encore plus de piquant. Sur piste, même si la retenue fait parfois défaut à la suspension, la Toyota signe un chrono flatteur.
Toyota GR Supra (BVM) : que vaut-elle sur circuit ?
Toyota GR Supra (BVM) : fiche technique
- Moteur : 6 en ligne, turbo, 24 S
- Position : AV, longitudinale
- Cylindrée : 2 998 cm3
- Alésage x course : 82 x 94,6 mm
- Rapport volumétrique : 11
- Régime maxi : 7 000 tr/mn
- Puissance maxi : 340 ch à 5 000 tr/mn
- Puissance au litre : 113 ch/l
- Couple maxi : 51,6 mkg à 1 600 tr/mn
- Couple au litre : 17 mkg/l
- Transmission : roues AR, 6 rapports manuels
- Autobloquant : de série mécanique piloté
- Antipatinage : de série déconnectable
- Suspension AV/AR : MacPherson, amortissement piloté en continu (butées hydrauliques) et antiroulis actif/essieu multibras, amortissement piloté en continu
- Direction : crémaillère, assistance électrique variable
- Tours de volant/diamètre de braquage : 2,5 tours/11 m
- Freins AV/AR : disques ventilés (348/345 mm), étriers 4 pistons AV/monopiston flottant
- Antiblocage : de série
- Poids constructeur/contrôlé : 1 502/1 507 kg
- Répartition AV/AR : 51/49 %
- Rapport poids/puissance : 4,4 kg/ch
- L - l - h : 4 379 - 1 854 - 1 299 mm
- Empattement : 2 470 mm
- Voies AV/AR : 1 594/1 589 mm
- Réservoir : 52 l
- Roues AV & AR : 9 & 10 x 19
- Pneumatiques AV & AR : 255/35 & 275/35 R 19
- Prix de base : 65 300 €
- Options/malus : 1 000/60 000 €
- Prix du modèle essayé : 126 300 € (malus compris)
Retrouvez notre supertest de la Toyota GR Supra (BVM) dans le Sport Auto n°753 du 01/09/2024.