Essai - Porsche 963 RSP (hypercar unique) : quand Sport Auto tire le gros lot...
Qu’importe de n’avoir eu droit qu’à 15 minutes. Qu’importe que l’essai se soit déroulé sur une piste d’aviation. Sport Auto a pu prendre les commandes de la Porsche 963 RSP, un exemplaire unique, en marge des 24 Heures du Mans 2025. Un privilège rare...
Il y a deux confrères anglais et un collègue allemand. C’est
tout. Pas un journaliste de plus. Quatre veinards, sur toute la
Terre, ont le droit de conduire la dernière hypercar de Porsche.
Nous sommes à une semaine des 24 Heures du Mans 2025.
L’endroit ne paie pas de mine puisqu’il s’agit de l’aéroport du
Mans-Arnage. Aujourd’hui, il est question d’ultra-performance et
j’aurais préféré être quelques mètres plus à l’est, sur le Bugatti.
Mais ce n’est pas possible, car c’est la sécurité qui a
prévalu.
Pas de vibreurs, pas de gravier, pas de pneus ni de barrières dans
lesquels s’encastrer. Le Mans-Arnage accueille une invitée de
prestige, la 963 RSP, pour « Rennsport Prototype ». Du moins, c’est
ce qu’on pensait.
Le hasard fait bien les choses puisque ce sont aussi les initiales
de Roger Searle Penske, commanditaire de cette auto et propriétaire
de l’écurie homonyme qui fait courir ces monoplaces en
Endurance.
La 963 RSP n’est pas rare, elle est
unique. Depuis longtemps, la rumeur bruissait : Porsche devait
répondre à McLaren (W1), Aston Martin (Valkyrie) et Ferrari (499P
Modificata). C’est chose faite, mais de façon beaucoup plus
exclusive.
Comme l’italienne, la 963 RSP est avant tout une voiture de course,
une LMDh, catégorie Hypercar, en l’occurrence. Il n’est pas
question de compromis, l’auto développant un peu plus que les 680
ch auxquels elle a droit en course.
La 963 RSP est immatriculée (avec l’accord des autorités et à titre
isolé), mais vous ne la verrez jamais rouler ailleurs que dans le
film promotionnel ou aujourd’hui, sur le tarmac. Raison de plus de
profiter de cette exclusivité.
Au fait, j’ai la trouille, bien que dans cet environnement
sécurisant (une bande de bitume sans obstacle à proximité) il n’y
ait aucun motif d’être liquide. Suées froides dans les lombaires,
intestins plus dans le bon sens, mains qui tremblent, bouche qui
bafouille : on dirait Dustin Hoffman dans Rain Man. « Ça va le
faire, t’inquiète ! » rassure Timo Bernhard.
« Même si je ne vois pas bien comment tu vas rentrer là-dedans
», se gausse-t-il. Un type qui a participé onze fois aux 24
Heures du Mans, les a gagnées à trois reprises (dont deux fois en
LMP1) et vient de me harnacher dans un bolide inestimable est en
train de me chambrer. « Ça va le faire… »
Porsche 963 RSP : Dynastie
La 963 RSP rend hommage à la 917 K du comte Rossi, dévoilée il y
a cinquante ans. Par la couleur déjà, avec ce gris argent superbe.
Par l’exclusivité, ensuite. En avril 1975, au volant de ce que
beaucoup s’accordent à qualifier de « machine d’Endurance la
plus extraordinaire » (châssis no 030), l’Italien
faisait la liaison entre Zuffenhausen et Paris, par la route.
Il était l’héritier de la famille Martini, dont le patronyme accolé
sur de nombreuses voitures de course est devenu incontournable.
Extérieurement, les différences entre une 963 LMDh et cette RSP se
résument à des arches de roue re-dessinées, une garde au sol
rehaussée, des clignotants, des phares et feux fonctionnels et un
klaxon.
A l’origine de ce projet fou, Timo Resch, président de Porsche
Amérique du Nord, Thomas Laudenbach, vice-président de Porsche
Motorsport, et Urs Kuratle, directeur de l’usine LMDh à Road
Atlanta. A l’évocation de leur volonté de refaire le coup de la 917
K homologuée, Roger S. Penske a donné son feu vert.
L’équipe Sonderwunsch, responsable des projets spéciaux, s’est
ensuite chargée d’apporter les menues modifications, telles que les
jantes forgées OZ de 18 pouces, la couleur exacte (Martini Silver
avec vernis triple couche) obtenue grâce aux archives du musée
Porsche, les extracteurs d’air, le logo émaillé (comme sur la 917 K
du comte Rossi).
Vous remarquerez peut-être que les pneus, désormais en gomme pluie,
reprennent le logo Michelin des années 70. La peinture a été
compliquée à appliquer en raison de la finesse de la carrosserie en
carbone et Kevlar. Rappelons que les voitures de compétition sont
filmées et non peintes.
La RSP étant homologuée route, les artisans de Sonderwunsch ont eu
le droit de la civiliser. L’habitacle exigu est couvert de cuir
fauve, comme pour son aïeule. Compartiments pour les pieds et
montants sont drapés d’Alcantara.
On note quelques clins d’œil marrants, tels que le porte-gobelet
imprimé en 3D ou les aérateurs dont la forme imite celle du ventilo
du flat 12 de la 917. J’ai l’impression d’être une poule devant un
couteau.
Le volant, à l’exception de ses branches gainées de cuir, est
identique à celui d’une 963 normale. Molettes, boutons, six
palettes : je m’y perds. La procédure est particulière. Grâce au
casque Peltor, je suis relié à « mon » ingénieur, qui m’explique le
protocole. Tirer le commutateur Ignition et le descendre sur
On.
Attendre vingt secondes. Faire de même avec celui commandant
l’hybridation. Avec la main gauche, attraper la palette la plus
basse et la maintenir : c’est l’embrayage. Avec celle au milieu à
droite, enclencher la première. Appuyer enfin sur le Pit Limiter.
La 963 RSP s’avance, mollement, dans un sifflement électrique. Timo
est dans une 992.2 GTS et joue les poissons-pilotes.
« Dès que tu seras à 50 km/h, tu pourras relâcher l’embrayage
», expectore le pilote. Léger à-coup et les portes des enfers
s’ouvrent. Le V8 4.6 est en grande partie celui qui équipait la 918
Spyder. Et il n’a pas le réveil commode.
Ce bloc, au vilebrequin plat, est initialement apparu dans les RS
Spyder qui raflèrent les titres LMP2 en American Le Mans Series
entre 2006 et 2008, en 3,4 l à l’époque. Alors qu’il était
atmosphérique dans la première supercar hybride de Porsche, il est
désormais accouplé à deux turbos Van der Lee. La 963 RSP
hoquette.
« Pense au Pit Limiter ! » intervient Timo. Oups… A peine
la bride libérée, c’est le déferlement de sensations auxquelles il
faut bien donner un nom. Frayeur, béatitude, extase, concentration,
hilarité : tout se mélange. Ce n’est pas la poussée qui perturbe
les sens puisque j’ai même du mal, sur les premiers mètres, à
rattraper mon guide dans sa modeste GTS.
Ce qui altère tout jugement, c’est l’ampleur de la chance qui m’est
offerte. J’en chialerais presque. Mais avant, ce serait bien de
penser à freiner, du pied gauche évidemment, le pédalier en hauteur
et serré ne laissant guère d’autre choix. Les disques
carbone‑céramique mordent moins fort qu’escompté et il faut leur
mettre « quelques kilos » avant que l’allure ne réduise.
Les vitesses claquent comme un fouet, avec juste ce qu’il faut de
heurt pour se sentir impliqué. Premier double droit en deuxième et
Timo me conseille de lui laisser de l’avance sur la ligne droite du
retour.
Je soigne la trajectoire, ce qui, avec une direction qui se rue à
la corde comme des piranhas sur une bavette saignante, ne réclame
aucun talent. Herr Bernhard est loin, les roues avant sont droites,
on ne vit qu’une fois alors, taïaut !
Porsche 963 RSP : Respect, messieurs
Je ne vois pas le régime moteur ni la vitesse. Juste le rapport
engagé. 2, 3, 4, 5, 6 : ça va trop vite et la GTS se rapproche
dangereusement de mon pare‑brise. La visibilité est d’ailleurs
excellente, à ma grande surprise.
Autre source de contentement : le confort et l’espace à bord. La
position très allongée (fesses plus basses que les pieds) est
naturelle. M… ! C’est déjà le virage. « Je vais donner un peu
plus de rythme maintenant. » La confiance s’installe.
Chez Timo, qui estime que j’ai le droit à du rabe. Chez moi, qui me
familiarise avec ces nouveaux repères. Réglée au plus haut sur des
amortisseurs Multimatic DSSV assouplis au maximum, la 963 RSP est
mieux amortie que certains tromblons grand public, d’autant que la
piste de l’aéroport n’est pas un long fleuve tranquille avec des
compressions qui, aux allures de missile que la Porsche permet,
génèrent quelques remous.
Ça sent les freins. Mon poisson‑pilote est en train de fusiller les
plaquettes de la GTS. Parfaitement harnaché, je ressens à peine les
décélérations. C’est simple, en fait, une LMDh… Le calibrage du MGU
(Motor Generator Unit) a été lissé pour que le couple arrive moins
violemment que dans la 963 de course.
Il est coincé entre le volant moteur et la boîte Xtrac. Il est,
comme le câblage, l’électronique et la partie logicielle, fourni
par Bosch. La batterie de 800 V provient de chez Williams Advanced
Engineering.
Elle peut délivrer entre 41 et 68 ch instantanément, mais cette
cavalerie ne s’ajoute pas aux équidés du V8, l’électronique bridant
la puissance en thermique. « Dernière rotation et box »,
crachote la radio. « Mais non ! »
Quelques secondes de
silence puis un laconique « Désolé ». Rétrogradage
progressif jusqu’en première et de nouveau la procédure fastidieuse
avec l’embrayage. Mon ingénieur ouvre la portière articulée par
deux vérins. Me montre les datas.
Des courbes colorées. Me remercie de l’avoir ramenée en un seul
morceau. Je l’entends mais ne l’écoute pas. Les sens sont comme
anesthésiés, le regard fixé sur ce gobelet Porsche totalement
incongru dans une voiture de course.
Car la RSP est une 963 pure souche. Elle est bruyante, elle vibre,
grince, couine, tremble et vous rappelle ce qu’on savait déjà :
même si les autos de course sont plus faciles d’accès aujourd’hui,
en tirer la quintessence réclame du talent et du travail. Et des
pilotes à leur volant. Des vrais. Respect, messieurs…
L'avis de Sylvain Vétaux : 5/5
Quand on voit la difficulté pour nous faire prêter certaines GT, la démarche de Porsche nous laisse pantois. Essayer, dans un cadre particulier certes, une voiture de plusieurs millions d’euros, exemplaire unique, le jour même où elle est révélée, ça frise l’inconscience. Ou l’envie de partager une passion…
Porsche 963 RSP : fiche technique
- Moteur : V8 biturbo, 4,6 litres + 1 électrique
- Puissance maxi cumulée : env. 700 ch
- Couple maxi cumulé : non communiqué
- Transmission : roues AR, boîte séquentielle Xtrac à 7 rapports
- Suspensions : doubles triangles avec combinés pushrod
- Freins : disques carbone-céramique
- Poids : 1 030 kg (à sec)
- L - l - h : 5 100 - 2 000 - 1 060 mm
- Empattement : 3 148 mm
- Roues : 12,5 x 14 J 18
- Pneus AV & AR : 29/71 & 34/71-18 (Michelin pluie)
- Prix : non communiqué (exemplaire unique)
Retrouvez notre essai de la Porsche 963 RSP dans le Sport Auto n°762 du 27/06/2025.


