Essai XXL - Pagani Huayra R : meilleure qu'une Aston Martin Valkyrie Pro ?

Publié le 31 mai 2024 à 10:00
Mis à jour le 31 mai 2024 à 10:27
Essai XXL - Pagani Huayra R : meilleure qu'une Aston Martin Valkyrie Pro ?

Pagani nous ouvre les portes de son programme Arte in Pista, destiné aux propriétaires de Huayra R et Zonda R. Bienvenue dans un monde où la passion, la rigueur et l’exclusivité n’ont pas de limites !

Vous ne trouverez pas plus extraordinaire, plus pointu ni plus exclusif dans toute la galaxie automobile. Comment résumer le programme Arte in Pista de Pagani ? C’est une académie itinérante réservée aux propriétaires de Huayra R et Zonda R (modèles non homologués pour la route) qui se retrouvent sur circuit pour partager leur passion et améliorer leurs talents de pilotage.
Une sorte de club ultra-fermé, entre le collège Poudlard d’Harry Potter et un coaching de haut vol pour peaufiner ses chronos. Ou une harde de licornes au grand galop qui se rejoignent sur des champs de courses, à huis clos. Pour ce faire, il faut s’acquitter d’un virement avec plein de zéros. Ou être journaliste auto.
C’est ce qui m’a permis de me retrouver dans la peau d’un pilote milliardaire. Pur rôle de composition, donc, puisque je ne suis ni l’un ni l’autre. Mais pas le temps d’aller au Cours Florent, tant pis, je promets de faire de mon mieux pour ne pas casser l’auto et amasser de bons souvenirs à retranscrire. Simple conscience professionnelle.
C’est ainsi qu’on m’a conduit dans un hôtel du centre-ville de Valence en Espagne, où se tient l’ouverture de la saison Arte in Pista 2024. Petits plats dans les grands pour un dîner plus que parfait, la veille des deux jours de roulage.
Huit propriétaires de Huayra R, un de Zonda R et les membres de Pagani se retrouvent et discutent à bâtons rompus dans une ambiance chaleureuse et bon enfant. Très convivial, presque familial même, contrairement à ces événements dont l’envergure installe parfois une certaine distance entre les participants.

Coaching de luxe

Christopher Pagani, le fils d’Horacio, nous explique : "Nos clients suivent ce programme pour améliorer leurs capacités sur circuit. Certains sont des pilotes de niveau professionnel, d’autres des amateurs éclairés, et chacun vient pour s’adonner à sa passion en passant de bons moments."
"Cet aspect d’échange et de partage nous tient beaucoup à cœur. C’est un petit groupe qui se réunit autour de ce qui le fait vibrer. Nous rassemblons les gens et nous fabriquons des souvenirs, en quelque sorte."
Atmosphère décontractée et soirée qui se termine sans abuser de Barolo. Demain, c’est jour de classe !
Réveil aux aurores, café pour décoller et petit-déjeuner léger. C’est Andrea Montermini, 22 grands prix de Formule 1 à son actif entre 1994 et 1996, qui me fait l’honneur d’un briefing privé pour détailler les procédures à respecter pendant les sessions de roulage et rappeler la signification des drapeaux agités en bord de piste.
Comme celui à damier qui sonne la fin de la récré, et dont on a très envie d’ignorer la présence. Il m’explique aussi, sur grand écran et avec le sourire en coin, les fonctions des 14 boutons du volant, dont celui de l’antipatinage à 12 positions. A peine le temps de tout ingurgiter qu’on me tend une combinaison à mettre autour d’un pyjama ignifugé, une paire de bottines en 46 et des gants.
Direction le simulateur pour avoir un premier aperçu de ce qui m’attend. La machine est digne d’un film d’anticipation. Je ne parle pas d’un simple volant de course à retour de force posé devant un baquet Sparco, mais d’un vrai vaisseau. Tout carbone – quelle question –, avec l’ensemble des commandes d’une vraie Huayra R et un niveau de finition à vous laisser sans voix.
Somptueux, même si je dois vous avouer que le virtuel me rend plus malade qu’autre chose, affaire de génération. Un premier crash pleine face, dès le deuxième virage, et un autre où je n’arrache qu’un côté de la voiture (et un peu l’avant) au bout de la ligne droite. Je sens que ça rentre, passons aux épreuves pratiques.

Concert privé

Mon coach personnel m’emboîte le pas vers une somptueuse Huayra R tout carbone mat, posée sur la pit lane. Avec, en fond sonore, les clients Arte in Pista qui commencent à débouler dans la ligne droite des stands en déchirant l’air dans des hurlements dignes de Formule 1 des années 80. Pincez-moi, je rêve.
Sous la cagoule et le casque sanglé au Hans, j’entends mon pouls rebondir contre mes tympans. Comme des acouphènes calés sur un rythme cardiaque dont j’essaie de contenir la cadence. Je m’installe dans le baquet de la Huayra R, ou plutôt cette mousse enveloppante dans laquelle je me glisse tel l’homme-obus, et j’ai l’impression d’essuyer des pics d’adrénaline en dents de scie.
Je tente de rassurer ceux qui m’en ont confié les commandes en jouant le vieil habitué, mais au fond, j’ai rarement été aussi exalté. J’inspire par le nez et répète ma check-list religieusement, pour ne pas paraître idiot et rester sur place lorsque le commissaire de piste me donnera le signal pour m’élancer. « Gardez bien la voie de droite lorsque vous accélérerez en entrant sur la piste, pour éviter les collisions avec les voitures lancées dans la ligne droite. »
Avec les yeux ronds comme des billes, j’observe ce panorama paradisiaque en forme de 16/9 tassé entre la barre horizontale supérieure de l’arceau de sécurité et le tableau de bord carbone. Délimité, de chaque côté, par des rétroviseurs en goutte d’eau sculptés comme des œuvres d’art. Je n’ai pas de mots pour décrire cette atmosphère.
C’est une sorte de mélange entre le podracer d’Anakin Skywalker, un proto du Mans et une sculpture de Giacometti. Du bout de l’index engoncé dans mon gant ignifugé, je fais basculer l’interrupteur d’allumage de la console centrale puis j’écrase mon pouce sur le Start Engine du volant.
Le démarreur résonne dans le vide, pendant trois ou quatre secondes qui durent une éternité, puis l’échappement explose. Une sorte de grosse moto sans pot, avec trois fois plus de cylindres. Je caresse l’accélérateur d’un orteil, et la Huayra R réagit comme une meute de pitbulls schizophrènes. Et pour cause : « Nos silencieux se plient à la réglementation locale. Ici, à Valence, nous sommes dans la configuration la plus permissive, c’est‑à‑dire en échappement libre, sans chicane. »
Comment décrire ce bruit étrange et sublime qui vous berce autant qu’il vous malaxe les tripes ? Il suffit de fermer les yeux pour remonter le temps à l’époque bénie des F1 à moteur V12. A vous glacer le sang ! Je tire sur la palette à droite du volant, et un « clonk » synchronisé avec un soubresaut dans le dos valide le passage de la première vitesse.
Plus qu’à appuyer sur le bouton Drive, à gauche du volant, pour ôter la sécurité et quitter la pit lane sans dépasser les 60 km/h. Bref, au ralenti. Ce qui donne l’impression d’avancer sur une plateforme de base-jump. 3, 2, 1… c’est le grand saut.

Aventure intérieure

Le bruit de roulement et de transmission s’amplifie, puis l’échappement prend le relais à mesure que les diodes du volant passent du vert à l’orange. Le V12 se détend comme une fronde qu’on relâche et avale la première portion de ligne droite en projetant le gauche de Doohan à travers le pare-brise. Deuxième, troisième puis freinage (on a dit dé-gres-sif !) et là… surprise : je n’ai jamais entendu un bruit de rétrogradage aussi envoûtant, aussi exaltant. A vous re-glacer le sang, décidément !
La boîte séquentielle non synchronisée mélange une rugosité et une musicalité invraisemblables. Comme si chacun de ses pignons transmettait des ondes de choc à travers la coque carbone pendant que le V12 aboie pour en remettre une couche. Le bout de ligne droite suivant est avalé sur un filet de gaz progressif en troisième, à prolonger pendant le léger gauche, avant de rajouter une demi-louche et d’appuyer sur les freins.
Beaucoup trop tôt, évidemment, hors de question de prendre le risque d’incruster ce chef-d’œuvre dans le décor. La Huayra R s’exécute avec une précision invraisemblable. Le 6 litres repart de plus belle dans une musique indescriptible. C’est plus aérien que le V12 d’une Lamborghini Centenario et plus cristallin que celui de la Ferrari 812 Competizione.
On ne va pas tourner autour du pot : de tous les bruits répertoriés dans notre Top 50, c’est bien le plus beau ! En matière de poussée, c’est différent d’une Aston Martin Valkyrie Pro, qui fait dans un registre plus brut de décoffrage. C’est aussi moins rugueux que la Bentley EXP Speed 8 du Mans, dont je garde des souvenirs émus même si l’essai remonte à vingt ans.
Et encore, je n’ai pas tout vu : « La position 2 du bouton de la cartographie bride la puissance du moteur sur les trois premiers rapports. La position 3, en revanche, permet d’avoir toute la puissance. » On arrive à la fameuse séquence du bouton « Touche pas à ça, p’tit c… », et c’est bien mal me connaître si vous pensez que ça va m’en dissuader.
Je tourne la molette de 2 à 3… rétrogradage puis gaz : la Huayra R se déchaîne et ses pneus arrière mordent violemment l’asphalte pendant que les diodes du tableau de bord basculent de l’orange au rouge. 8 000, 9 000 tr/mn, et par pressions successives de l’index droit, les rapports passent comme dans du beurre. La Pagani explose avec l’allonge d’un pur-sang. Il faut rappeler qu’avec 850 ch pour 1 050 kg, le rapport poids/puissance retombe à 1,2 kg/ch !

Tsunami

Mais malgré cette énergie prodigieuse et ces salves de couple, la motricité est remarquable avec les slick neufs. En comparaison, et même si ça n’a rien à voir, c’est tout à fait différent d’une Ferrari SF90 Assetto Fiorano en Sport Cup 2, dont les fortes relances mettent parfois à mal l’adhérence. Tout ça pour dire que la Huayra R n’est pas un monstre inconduisible.
Elle est plus accessible, par exemple, qu’une Aston Martin Valkyrie. Cela dit, la confiance met du temps à s’installer car les capacités sont si impressionnantes qu’elles en sont intimidantes. Tout comme les freinages, qui vous sortent les yeux des orbites. Ou l’adhérence latérale, qui paraît irréelle avec les pneus chauds, même si, au risque de me répéter, je n’ai pas l’intention d’en tester la limite.
Un début d’amorce de survirage suffit à chasser définitivement cette idée. Mais pas l’envie d’accélérer pour encore profiter du V12. Bien qu’il prenne moins de régime que le 6,5 litres Cosworth d’Aston Martin (9 000 tr/mn au lieu de 11 000), le 6 litres de la Pagani a plus d’élasticité et plus de vie que la Valkyrie.
Rien à voir non plus avec le moteur de l’Aventador SVJ, qui a beaucoup plus d’inertie. Ni avec celui d’une Ferrari F12tdf, au punch moins marqué en comparaison. Quant au niveau sonore, il est moins élevé que dans la Valkyrie, plus musical aussi et moins strident.
La ligne droite du circuit relance le requiem à fond de cinquième, avant que la Huayra R ne plante ses herses de carbone dans l’asphalte et casse l’allure avec tant de facilité que vous vous promettez de retarder le freinage au tour suivant. Autant dire que vous n’avez pas vu le temps filer lorsque le drapeau à damier met fin à la première session de roulage.
Retour au stand pour se remettre de ses émotions et passer en revue l’acquisition de données avec le coach privé, virage par virage, pour se rendre compte qu’il faut potasser le chapitre du retardement des freinages. Juste après qu’un physiothérapeute vous tape gentiment dans le dos pour vous cryogéniser les cervicales.
Cette médecine du sport permet, apparemment, de mieux éliminer les toxines et de davantage oxygéner les muscles, le froid étant un allié pour récupérer et se remettre en selle plus rapidement. Je le remercie poliment, sans préciser que je n’en avais pas besoin pour me reprécipiter au volant de la Huayra R, en piaffant d’impatience pour une seconde session de roulage. En espérant que ça ne s’arrête jamais.
Voilà, c’est exactement ça : je voudrais être piégé dans le film Un jour sans fin avec Bill Murray pendant une journée d’Arte in Pista. Le rêve ! Quant à savoir s’il existe une expérience encore plus ultime que celle proposée par Pagani… je ne crois pas.
J’ai beau gratter dans ma mémoire et fouiller du côté des programmes Ferrari XX, Aston Martin Valkyrie ou Valkyrie Pro, je ne retrouve pas tout à fait la même ambiance ni la même proximité humaine.
Cette connivence, qui doit venir du fait que Pagani est (et demeure) une entreprise familiale, n’y est pas étrangère. Et quand j’observe tout ce qu’ils ont accompli en trente ans d’existence seulement, à ce niveau d’excellence, il y a de quoi rester sans voix.

L'avis de notre essayeur Laurent Chevalier

Entre une Huayra R et une Aston Martin Valkyrie Pro ? Choix pointu ! Les deux sont d’incroyables machines à rouler et à fabriquer des souvenirs qui restent gravés dans la mémoire à tout jamais. Mais je dois reconnaître que le programme Arte in Pista aurait peut-être ma préférence.
Il réunit tout ce dont un amoureux de la mécanique peut rêver : des sensations extrêmes, des échanges autour d’une passion commune et un grand professionnalisme dans une ambiance conviviale et décontractée. Le sans-faute.

Pagani Huayra R : fiche technique

  • Moteur : V12 atmosphérique, 48 S, 6 litres
  • Puissance maxi : 850 ch à 8 250 tr/mn (maxi 9 000 tr/mn)
  • Couple maxi : 76,4 mkg à 5 500 tr/mn
  • Transmission : roues AR, boîte séquentielle non synchronisée à 6 rapports
  • Freins AV/AR : carbone-céramique à 6 pistons (410/390 mm)
  • Poids annoncé : 1 050 kg à sec
  • V. max. : 320 km/h
  • Tarif : à partir de 3 120 000 € TTC (série limitée à 30 exemplaires, non homologués pour la route)

Retrouvez notre essai de la Pagani Huayra R dans le Sport Auto n°748 du 26/04/2024.

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