Essai - Maserati GranTurismo Folgore : coup de foudre ?

Publié le 11 décembre 2024 à 12:00
Essai - Maserati GranTurismo Folgore : coup de foudre ?

Beauté, performances, distinction. Et, comme son nom de "Folgore" l’indique en italien, la nouvelle Maserati GranTurismo prétend aussi faire parler la foudre. Mais elle est électrique… Ne va-t-elle pas s’avérer frustrante ?

Voilà. Je suis au volant d’une auto de rêve, de ce que le monde de la voiture électrique peut proposer de mieux ou peu s’en faut. Est-ce bien la voiture que je teste ?
N’est-ce pas plutôt un peu moi, ma capacité à me plier au sens de l’Histoire ? Le gourmet ne peut pas être amateur exclusif de spécialités du Périgord. Il doit se laisser porter quelquefois vers des traditions différentes et même goûter à des cuisines expérimentales.
Pourtant, le hasard des attributions d’essais autant que mon goût personnel font que mon expérience des voitures électriques est assez limitée. Je me souviens surtout de la Lancia Delta HF Integrale passée au rétrofit, sous la férule GCK ; elle permettait quelques tours seulement du circuit de Charade, mais ses réglages de transmission et de châssis démontraient que les électriques peuvent aussi avoir de l’esprit.
Cette fois, il s’agit bien de rouler, voire de voyager ; abordons l’exercice avec objectivité, rangeons le dictionnaire des jurons dans la boîte à gants et laissons-nous porter.

Plus puissante… mais électrique

D’autant que je suis peut-être le témoin idéal. Mon âge doit être assez proche de celui auquel on s’achète ce genre d’auto, grande voyageuse, capable d’accueillir deux amis ou deux petits-enfants, recelant suffisamment de singularité technique et de force motrice pour se régaler à l’occasion d’une accélération roborative.
Serais-je, en plus, l’homme de la situation ? J’ai eu l’occasion d’accomplir semblable virée dans la même auto nantie du V6 Nettuno, le premier conçu en dehors de l’égide de Ferrari.
Ma promesse de considérer sereinement la valeur intrinsèque de cette auto et le plaisir qu’elle sait ou non procurer se fissure déjà : durant ce moment privilégié où je suis juge d’une voiture, je vais donc sans cesse penser à une autre, sa sœur thermique. Le match est intéressant.
Le trident Maserati, fer de lance glorieux de Stellantis la pragmatique, applique la stratégie maison : on fait des autos et, pour choisir la motorisation, on attend que les grands décideurs clarifient leur politique.
En conséquence, la belle marque est à peu près la seule à nous permettre cette confrontation directe entre électrique et thermique, toutes choses étant égales par ailleurs. Maserati brouille tout de même la hiérarchie, en plaçant la Folgore (761 ch) bien plus haut en puissance que les deux V6 (Modena, 490 ch, Trofeo, 550 ch) mais en fixant son prix entre les deux (181 350 € la Modena, 225 650 € la Trofeo, et 199 900 la Folgore).
Au final, c’est elle la moins chère des trois, et nettement, car elle est épargnée par le malus écologique de 60 000 €. Manque le coup de gaz en sortant du garage mais, dès les premiers moments, la voiture est plaisante, autant qu’à bord de « l’autre ».
On retrouve l’habitacle très soigné, les trois grands écrans pratiques à la longue mais d’abord un peu déroutants (on cherchera longtemps l’icône qui commande… l’ouverture de la boîte à gants).
Comme la ligne le laissait espérer, l’essentiel est préservé : l’emplacement choisi pour les batteries, en T avec une longue barre sous le tunnel central et une autre transversale derrière les places arrière, ne rehausse pas le siège. Très bonne assise, excellent maintien, on profite d’une position de conduite sportive, dans un habitacle de coupé géant.
Poussant la conscience professionnelle jusqu’à m’installer à l’arrière, j’y constate que les deux fauteuils sont bons, que l’on y accède aisément, et que l’on y retrouve cette atmosphère engoncée, protégée, où se tricotent les beaux souvenirs d’enfance. Le coffre, déjà petit sur la thermique, est encore amputé. 250 litres pour une auto aussi longue, c’est un peu ridicule.

Le coup du capot

Les premiers kilomètres effectués, j’aime bien lever le capot, voir ce que l’agencement du moteur me raconte. Je tourne autour dudit capot dont l’équipe de style Maserati, dirigée par Klaus Busse, est si fière. Le mot-valise de « cofango » désigne la façon dont cette magnifique pièce de tôle englobe le capot (« cofano », en italien) et les ailes (« parafango »).
Et c’est vrai que c’est beau, cet avant sans jointure qui épure la forme. Mais c’est encore mieux quand il s’ouvre. Résignés à l’absence d’un moulin agréable à regarder (même si nombre de machines thermiques vous offrent pour tout spectacle « mécanique » un catafalque de plastique insonorisant et quelques bouts de câbles), nous aimerions tout de même contempler et photographier le bazar, mais pas de ça ici, le grand capot ne s’ouvre pas du tout.
A l’emplacement habituel de la tirette, à gauche du pédalier, un simple carré de plastique masque un orifice apparemment réservé aux garagistes, qui doit accueillir quelque clé secrète. Le précédent utilisateur a entrepris lui aussi de le martyriser dans l’espoir sans doute de dénicher l’ouvre-boîte.
Bon, nous n’allions de toute façon pas vérifier les niveaux ni nous régaler des borborygmes mécaniques que nous aimons tant, mais enfin, la Maserati y perd quelque chose ; elle se voit reléguée au rang d’objet ménager, sa présence mécanique réduite aux indications abstruses de la fiche technique.
Architecture électrique en 800 volts, batterie de 92,5 kWh dont 83 de puissance nette, trois moteurs à aimants permanents, un devant et deux derrière. Est-ce que vraiment j’éprouve la sensation satisfaisante de changer d’attitude, d’être passé du « Je gaspille les ressources de la planète mais j’ai les moyens » à « Je suis un pionnier, à l’avant-garde du luxe d’après, qui ne fait aucun mal à personne » ?
Pas si sûr… Je roule sans enfumer quiconque autour de moi et je n’en suis pas fâché, mais le « bilan carbone » des batteries demanderait à être inspecté de plus près. Un essai « grand format », c’est aussi l’occasion de présenter la voiture aux badauds qu’elle attire, de mesurer son impact, sa réputation.
De constater que les motards se retournent. D’apprécier l’appréciatif pouce dressé du camionneur en son Scania, grand spectateur de la route du haut de sa tribune mobile, encalminé pour l’éternité sur l’autoroute.
Il fut un temps, garçonnet, où ce métier de roule-toujours m’apparaissait comme le plus beau du monde ; plus tard j’ai essayé, l’envie m’en a passé, mais le routier demeure un frère de la route.
Devant un restaurant chic, une dame comme il faut, conquise par la ligne et impressionnée en bien par le faciès cannibale de la belle bleue, me demande, comme naguère : « Et ça roule à combien ? »
Mon respectueux et purement informatif « 325 km/h, madame » l’interloque quelque peu, je le vois bien. D’un seul coup, je passe pour un doux dingue qui abrite une fusée dans son jardin mitoyen.
A quoi peuvent bien servir ces 195 km/h de trop ? Et si ça venait à partir ? Ne craignez rien, madame, tout est sous contrôle. Je m’éclipse sans même utiliser la puissance d’accélération possible.

La question qui fâche

Le souci, évidemment, c’est la recharge : combien de temps va-t-elle durer, où la trouver ? Deux paramètres très liés. L’autoroute A4 est parfaitement pourvue en la matière. Une grâce qui n’est guère gracieuse ; le « plein » nous coûtera toujours plus d’une trentaine d’euros. Assez récemment, la promesse électrique comportait l’idée que les voitures seraient plus chères à l’achat mais que leur usage serait pratiquement gratuit ; la seconde partie de ce programme fut très vite oubliée. Certes, Maserati inclut dans le prix une wallbox spécifique et rapide installée chez vous. Mais si vous dormez chez des amis… mieux vaut être très organisé. 47 Sur une borne rapide, dix-huit minutes sont nécessaires pour passer de 20 à 80 % de charge. Dans nos conditions de voyage à nous, avec maints détours ludiques et photographiques, le regard ne quitte guère la jauge. A l’écart des grands chemins, la plupart des bornes annoncées disponibles étant tout juste bonnes à ravitailler les hybrides locaux, il faut s’attendre à rester posé longtemps dans de vilains parkings de sous‑préfecture, et l’ennui pointe son museau. La bonne borne la plus proche demeure souvent celle de l’autoroute, et si jamais on aime à rouler la nuit quand les restaus sont fermés, on se prépare des face‑à‑face tendus avec le rayonnage glauque des sandwichs Daunat. A l’hôtel, mieux vaudra s’en assurer dès la réservation, mais si vous êtes du genre à dormir la nuit, vous trouverez l’auto rechargée pour l’étape suivante, merci.

Folgore fulgurante

Le moment où l’on est seul avec la route, la jauge pleine, la voie libre, la météo favorable et la musique bien choisie, est‑ce que l’on se soucie encore de savoir d’où provient la poussée ?
Non, on s’affaire à se construire de bons souvenirs, histoire de profiter de la vie et en plus d’honorer la créature en lui faisant donner tout ce dont elle est capable. Sur l’un des innombrables tronçons bien revêtus et peu fréquentés de la campagne française, champenoise plus précisément, employons‑nous à quelques départs arrêtés, annoncés comme météoriques : 0 à 100 km/h en 2”7.
A Sport Auto, si romantiques que nous soyons, il y a toujours un moment où seuls les chiffres comptent, c’est sous le verdict du chronomètre. Mode Corsa enclenché, la voiture s’abaisse, se tapit telle une MotoGP avant le départ, et boum !
Agrippée à l’asphalte, elle bondit vers l’avant, et le poids enlevé comme un fétu ajoute plutôt à la sensation. Là, oui, il y a du nouveau. Sans doute les pneus ne sont‑ils pas à la fête si vous jouez à ça trop souvent, mais c’en est fini du moteur à retenir aux abords de la zone rouge et surtout de l’embrayage à ménager.
Quant à la façon d’envoyer le paysage vers l’arrière, c’est bel et bien la même qu’avec les thermiques du haut du tableau. Deuxième bon point, le silence. Certes, il est relatif pour qui assiste au spectacle debout près de la voiture : le grip des pneus, les gravillons chassés, que sais‑je, l’air qui vibre, rien de tout cela n’est à zéro décibel.
Mais le hurlement typique d’un beau thermique sollicité à son maximum a de quoi dresser l’oreille de la maréchaussée à sept ou huit kilomètres à la ronde. Pas ici. Quand on multiplie les mesures – ou les prises de vues – au même endroit, voilà qui est précieux.
A propos : chez Maserati, le bruit, le son, la musique font partie des arguments de vente ! Comment créer l’ambiance avec ces moteurs muets ? Les acousticiens maison, penchés sur le problème, ont concocté pour l’habitacle une bande‑son artificielle, qui utilise certaines fréquences de l’ancien V8.
C’est de la triche, mais ça fonctionne jusqu’à un certain point. Entre les bouts droits et les accélérations, il y a tout de même des virages à négocier, que l’on redoute un peu, vu le poids annoncé : 2 260 kg, soit presque 500 de plus que la Trofeo ! Mais non, la Folgore n’est pas un camion en forme de Maserati. Ses kilos, elle les porte au bon endroit, très bas et au plus près du train arrière.
Moyennant la distribution de puissance délibérément sportive (jusqu’à 100 % sur les roues arrière grâce aux moteurs surdimensionnés), la vectorisation du couple, le dosage permissif des antipatinages, la Folgore s’inscrit en virage avec appétit et s’en extirpe avec autorité : c’est une voiture de sport. Si vous êtes vraiment joueur, elle propose même un mode Drift. Mais le manque de naturel et de progressivité à l’accélération en fait vite passer l’envie.

L'avis de notre essayeur Robert Puyal : 4/5

Cette GranTurismo fait son métier avec constance en ajoutant à son look ravageur une puissance hyperbolique. Mais je ne suis personnellement pas client, pour des raisons détaillées ci-dessus, la principale tenant au maillage des bornes de recharge, même si elle n’y est pour rien.

Maserati GranTurismo Folgore : fiche technique

  • Moteurs : 3 électriques (1 à l’avant, 1 par roue arrière)
  • Puissance maxi : 761 ch
  • Couple maxi : 138 Nm
  • Transmission : intégrale, 1 rapport automatique
  • Antipatinage/autobloquant : de série déconnectable/non (torque vectoring)
  • L - l - h : 4 966 - 1 957 - 1 353 mm
  • Empattement : 2 929 mm
  • Poids annoncé/mesuré : 2 260/2 342  kg
  • Pneus AV & AR : 265/30 ZR 20 & 295/30 ZR 21
  • Autonomie : 450 km
  • Prix de base : 199 950 €
  • Prix des options/malus : 19 716/0 €
  • Prix du modèle essayé : 219 666 €
  • V. max. : 325 km/h
  • 0 à 100 km/h : 2”7
  • 0 à 200 km/h : 8”8

Retrouvez notre essai Grand Format de la Maserati GranTurismo Folgore dans le Sport Auto n°754 du 25/10/2024.

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