Antonello Coletta : rencontre avec l'homme fort de Ferrari au Mans
A la tête des activités sportives, hors Formule 1, de Ferrari depuis près de 25 ans, Antonello Coletta est l’un des principaux artisans du retour du cheval cabré au Mans, couronné par deux victoires consécutives. Sport Auto l'a rencontré.
Qui se cache derrière le succès de Ferrari sur les pistes du monde entier, en-dehors de la sacro-sainte Formule 1 ? Rencontre avec Antonello Coletta, le Responsable Endurance et Corse Clienti du Cheval cabré.
SA : quel est votre premier souvenir automobile ?
Ma famille a toujours travaillé dans le milieu de
l’automobile. Je suis né à Rome et j’ai donc grandi dans cette
ambiance. J’ai nourri rapidement une passion intense pour les
voitures de série et les voitures de course, particulièrement
celles d’Endurance.
Lorsque j’étais enfant, j’avais acheté un magazine avec une
auto d’Endurance en couverture et ça m’avait marqué. J’étais un
fervent tifoso, dès l’époque de Niki Lauda. Aujourd’hui encore,
quand j’ai le privilège d’approcher une voiture de course de cette
époque, c’est quelque chose de merveilleux. J’ai aussi fait du
Karting pendant onze ans.
Avez-vous couru en monoplace ?
J’ai couru une demi-saison en formules de promotion mais
j’ai compris que c’était très difficile de trouver l’argent pour le
financement. J’ai préféré passer de l’autre côté. Je me suis mis à
travailler avec l’intention de faire quelque chose dans le milieu
de l’automobile.
J’ai travaillé sur des présentations et des opérations pour
quelques constructeurs, dans le domaine de la série, puis en
compétition pour des écuries de Formule 3 et Formule 3000. En
1993-1994, je suis devenu directeur sportif de Peugeot en
Italie.
C’est là que j’ai appris à parler français. J’ai ensuite dirigé
le programme Supertourisme d’Alfa Romeo. Jean Todt et d’autres
personnes étaient passés de Peugeot à Ferrari. Ils m’ont appelé et
j’ai rejoint Ferrari en 1997.
A votre arrivée chez Ferrari, les activités sportives hors F1 étaient-elles très développées ?
La part consacrée à la compétition en dehors de la F1 était
très réduite à l’époque. Il n’y avait alors que le Ferrari
Challenge, disputé avec des F355, mais il ne connaissait pas encore
un gros succès. Ça a donc été un défi de développer tout
ça.
Nous avons progressivement créé de nouvelles activités, surtout
à partir du début des années 2000, et aujourd’hui je supervise le
département Corse Clienti, Ferrari Classiche, le programme
Endurance, mais aussi tous les championnats organisés par Ferrari,
les cours de pilotage, les circuits du Mugello et de Fiorano, XX
Programme, les F1 Clienti et le Club Competizioni GT !
Ça couvre toutes les activités sportives de Ferrari à part le
championnat du monde de Formule 1. Nous sommes très fiers de tout
cela parce que nous avons créé quelque chose d’unique au monde. Et
je pense qu’il y a encore la possibilité de concevoir de nouvelles
choses.
A vos débuts chez Ferrari, aviez-vous imaginé un tel développement ?
Quand tu es jeune, tu cherches toujours à faire quelque
chose de nouveau, mais de là à imaginer tout ce qui existe
aujourd’hui, honnêtement non. Un tel développement paraissait
inconcevable à l’époque. C’est le fruit d’un gros travail et de
notre passion pour Ferrari. Sans cette passion et toute
l’abnégation de mes collaborateurs, ça n’aurait pas été possible de
développer tout ça.
Jamais je n’aurais pensé que nous allions devoir créer un aussi
gros bâtiment que celui inauguré en 2021 sur le circuit de Fiorano
afin de regrouper toutes ces activités. Au départ, nous avions un
petit bureau à côté de l’ancienne maison d’Enzo Ferrari à Fiorano
et, chaque fois que nous avons lancé une activité supplémentaire,
il a fallu trouver de l’espace en plus.
A la fin, il y en avait un peu partout dans l’usine existante.
C’était très compliqué en matière d’organisation. Il a donc été
décidé de créer un bâtiment neuf dans l’unique zone encore
disponible sur le circuit de Fiorano afin de tout rassembler. Et
c’est déjà trop petit !
L’un des éléments moteurs de ces développements a été la décision de revenir en Endurance, en GT tout d’abord, à partir de 2006. Comment est venue cette décision ?
Quand je suis arrivé chez Ferrari, j’avais en tête de faire
de l’Endurance. Il y avait bien des initiatives privées, mais pas
de voitures développées par l’usine. Au début des années 2000, j’ai
demandé à monsieur Todt pourquoi nous ne ferions pas quelque chose
d’officiel en Endurance. L’idée est née ainsi.
Nous avons commencé avec la 430 en 2006 et nous avons gagné – dès
la première saison – le championnat du monde GT2 avec neuf
victoires sur dix courses ! Le meilleur début imaginable… Ensuite,
nous avons développé la 458 en GT3 et en GTE. Dans un premier
temps, ça n’a pas été facile d’avoir une clientèle sur la
piste.
Nous avons travaillé beaucoup pour attirer des équipes. Ce n’est
pas évident pour une équipe de changer de marque, car il faut
acheter non seulement les voitures mais aussi renouveler tout le
stock de pièces de rechange. Aujourd’hui, avec la 296 GT3 qui a été
lancée seulement l’an passé, nous avons atteint une production
équivalant aux cinq dernières saisons de la 488 !
Nos succès affirment la crédibilité de Ferrari. C’est le meilleur
argument pour convaincre les clients d’acheter nos voitures. Et
leur valeur se maintient dans le temps, ce qui n’est pas toujours
le cas pour certaines autos de la concurrence.
Nous travaillons très fort pour être présents sur tous les
terrains. Nous sommes très, très bien représentés en Europe et en
Asie, bien en Amérique. J’aimerais que nous soyons plus présents en
Australie et en Chine.
Remporter la catégorie GT des 24 Heures a dû être une émotion très particulière…
Oui, bien sûr. Nous avons remporté six fois les 24 Heures du
Mans en GT mais je me rappelle aussi qu’il nous est arrivé de
perdre la course dans la dernière heure. Et croyez-moi, ça fait mal
!
Toutes ces victoires ont été très importantes et constituent une
histoire à part, mais il y en a une dont je me souviens
particulièrement : celle de 2012. Giancarlo Fisichella avait eu un
gros accident lors des essais. La voiture était quasi détruite.
Nous avons alors rapatrié d’Italie la coque d’une auto d’un client
et nous avons remonté la voiture. Nous sommes partis de la dernière
position sans même l’avoir testée et nous avons gagné. C’était un
moment très fort.
Comment est venue la décision de franchir le pas menant à un engagement dans la catégorie reine de l’Endurance à partir de 2023 ?
Lorsque le législateur a indiqué son intention d’introduire
un nouveau règlement, nous avons participé aux discussions sans
forcément avoir la conviction de faire un proto un jour.
Pendant les deux ans d’échanges avec la FIA et l’ACO, nous avons
compris que le règlement Hypercar pouvait être moins cher que les
anciennes LMP1, tout en offrant la possibilité d’essayer des
solutions utiles pour les véhicules de route ou de se servir
d’éléments présents sur certaines voitures de route.
Ça a contribué à faire mûrir l’idée de venir en proto. Nous avons
commencé à travailler sur un projet. Notre président a bien reçu
ces éléments, et le board a donné son accord. Nous avons fait la
voiture en onze mois et avons procédé à son développement en six,
sept mois sur piste. Un timing très serré. Dans le même temps, il a
fallu effectuer le recrutement des hommes. Ça a été une période
très intense !
Pourquoi avoir choisi des pilotes issus du programme GT Ferrari plutôt que de recruter des spécialistes du proto ?
Nous avons eu peu de temps pour développer la voiture. Nous
avions des pilotes qui avaient tous une expérience en monoplace, en
GT et en Endurance et qui ont progressé au sein de la famille
Ferrari. Nous avons entamé le développement avec eux. J’ai constaté
lors des essais qu’ils étaient tous de très bon niveau.
Dès lors, pourquoi changer ? Pour avoir des noms plus connus ? Ce
n’était pas nécessaire. Giovinazzi n’est certes pas un spécialiste
de l’Endurance, mais il fait partie de la famille. Lorsqu’il a
terminé son engagement à temps plein en Formule 1, nous l’avons
appelé, bien sûr.
Aviez-vous imaginé pouvoir gagner les 24 Heures du Mans dès la première tentative ?
La victoire de l’an dernier, pour notre retour dans la
catégorie reine après cinquante ans d’absence, était quelque chose
d’inconcevable. Jamais je n’aurais imaginé que nous gagnerions dès
notre premier essai.
Pendant la semaine, nous avions compris que nous pourrions être
compétitifs, mais tenir les vingt-quatre heures sans problème n’est
pas facile, surtout la première année. Au préalable, nous n’avions
encore jamais terminé les tests d’endurance que nous avions
entamés… Nous sommes donc arrivés au Mans avec beaucoup
d’interrogations.
Nous redoutions des soucis de fiabilité. En fin de compte, ce fut
une édition particulièrement difficile avec la pluie, des
neutralisations et quelques surprises comme lorsque, deux fois, la
voiture victorieuse a mis du temps à redémarrer des stands. Nous
avons connu toutes les émotions possibles sur cette épreuve !
Finalement, c’est une très belle histoire après une prestation très
consistante. Si Toyota a perdu une voiture sur accident, c’est le
problème de Toyota, pas de Ferrari. Et de toute façon, nous étions
déjà en tête de la course.
Nous avons d’ailleurs effectué une grande partie de celle-ci à la
première place. Manager toute cette équipe a réellement été un
grand privilège pour moi. Je suis vraiment très fier
d’elle.
De la 499P victorieuse au Mans, vous avez décliné la 499P Modificata. A combien d’exemplaires allez-vous la produire ?
La 499P Modificata est un projet
vraiment unique. Alors que certains constructeurs essaient de faire
quelque chose de semblable à notre série XX, nous sommes allés
encore plus loin avec cette 499P Modificata, directement dérivée de
la 499P victorieuse des 24 Heures du
Mans.
C’est un projet très compliqué à manager. Pour l’instant, nous en
avons livré cinq. Nous n’avons pas encore décidé combien nous en
produirons au total. Il y a une demande incroyable ! C’est
merveilleux.
Ferrari n’abandonne pas la catégorie GT. Etes-vous satisfait de la 296 GT3 qui succède à la 488 GT3 ?
Le GT3 est une part importante de notre business et, entre
la 488 et la 296, nous avons tout changé : notre philosophie de
construction, la gestion du programme, etc. Après une période de
rodage, ce programme marche très bien. Je suis très fier que nous
ayons gagné les 24 Heures du Nürburgring l’année passée et le
classement GT des 24 Heures de Daytona cette année.
Avec Le Mans, nous avons remporté trois épreuves de vingt-quatre
heures en quelques mois. Nous avons l’équivalent d’un an et demi à
deux ans de liste d’attente !
Comment est née l’activité "F1 Clienti", qui permet à des particuliers d’acheter et faire rouler d’anciennes F1 ?
C’est venu d’une intuition. Jusqu’au début des années 2000,
nous vendions des F1 à des collectionneurs qui se contentaient de
les exposer dans leur garage. Un jour, un client anglais nous a
demandé s’il était possible d’en acheter une pour rouler avec. Nous
sommes allés à Donington pour l’assister.
Et lors de la course du Ferrari Challenge, de nombreux clients
m’ont demandé la même chose. Nous avons mis en place le service en
2003 avec des débuts à Laguna Seca. Sur certains de nos événements,
une vingtaine d’entre elles sont réunies. Une vraie grille de
départ ! C’est compliqué car chaque époque nécessite des
ordinateurs et des programmes différents.
Vous qui vous destiniez à être pilote, avez-vous eu l’occasion de piloter une 499P ou une 499P Modificata ?
Non, impossible ! De plus, lorsque j’ai arrêté de courir, je me suis promis de ne pas remonter dans une voiture de course.
A défaut, quelle voiture vous a procuré le plus d’émotion ?
Je trouve que la 296 GTB est une auto extrêmement sportive
et équilibrée à piloter. J’ai fait quelques tours à Fiorano et j’en
ai conduit une également dans la rue. C’est vraiment une très bonne
voiture.
A Imola, j’ai piloté pour la première fois une Purosangue et,
honnêtement, j’ai été surpris qu’une voiture aussi grande puisse
être aussi agile et rapide. Une autre que j’adore est la F40. Je
n’ai jamais eu l’occasion de l’essayer, mais je 34 trouve qu’elle
exprime tout l’esprit de Ferrari.
Retrouvez notre interview avec Antonello Coletta dans le Sport Auto n°749 du 31/05/2024.


