A la loupe - Ferrari 499P Hypercar : déjà un pur-sang de légende...
50 ans après sa dernière participation officielle dans la catégorie reine de l’Endurance, Ferrari a réalisé l’exploit en 2023 de remporter les 24 Heures du Mans avec cette somptueuse 499P. Sport Auto se penche de plus près sur l'Hypercar écarlate, déjà inscrite au panthéon des machines de légende frappées du cheval cabré...
Un scénario de rêve... La victoire de Ferrari aux dernières
24 Heures du Mans a définitivement inscrit l’édition du
centenaire dans les annales du sport automobile. Il faut dire que
ce succès, intervenu après 50 ans d’absence et dès la première
participation mancelle de la 499P, relevait d’une véritable
prouesse.
Alors que certains constructeurs mettent plusieurs années avant de
rafler la victoire au Mans, Ferrari est parvenu à aligner les
planètes dans une discipline en quelques mois.
"Il est vrai que cela a été un grand défi car nous n’avions pas
de grands points de référence alors que Toyota courait déjà en
Hypercar depuis plusieurs saisons", nous a confié
Antonello Coletta, le responsable de l’entité
Endurance et Corse Clienti de Ferrari. "De plus, ils
avaient pu faire quelques modifications sur leur voiture depuis
leurs débuts. Donc, les quelques repères que nous avions les
concernant étaient obsolètes… "
Dès que le feu vert a été
donné par la direction de Ferrari en décembre 2020, Coletta s’est
appliqué à mettre en place la structure nécessaire pour mener un
tel défi à temps pour le début de saison 2023 : "Le groupe de
travail chargé de ce programme comprend aujourd’hui une centaine de
personnes", explique-t-il, "mais de nombreuses personnes
d’autres départements de l’entreprise ont aussi été impliquées dès
le début."
Le fait de concevoir une auto appelée à courir
sous un régime de balance de performance (BoP) n’a pas vraiment
modifié la philosophie de la firme au cheval cabré : "Nous
avons conçu la 499P pour qu’elle soit la plus rapide possible en
piste, sans avoir à l’esprit la gestion de la BoP. Nous pensons que
la meilleure voiture doit gagner. Je pense que la méritocratie
devrait être la valeur récompensant ceux qui font le meilleur
travail."
Soucieuse de démontrer son savoir-faire, Ferrari
s’est lancée dans la conception d’une Hypercar entièrement conçue
en interne sous la responsabilité de Ferdinando Cannizzo, à
l’inverse de marques comme Porsche et Cadillac, qui ont opté pour
une voiture de type LMDh, basée sur un châssis déjà homologué et un
système hybride standard.
Pour propulser celle qui allait devenir la 499P, le bureau d’études est
parti d’une base connue : "Le moteur dérive de celui de la
Ferrari 296 GTB, duquel a aussi été décliné le moteur de la 296 GT3
de compétition", explique Antonello Coletta. "Evidemment,
le 6 cylindres de la 499P a été substantiellement modifié pour
pouvoir courir en Endurance."
"Ce moteur 3 litres est bâti sur un V6 ouvert à 120°. Il s’agit
d’une architecture de type 'Hot V' avec les turbocompresseurs
installés au centre du V. Par ailleurs, les composants du moteur
ont été conçus spécifiquement pour l’Hypercar de manière à jouer un
rôle structurel. Le moteur est porteur. Il est une partie
essentielle du châssis lui-même."
Conformément à la
tradition de Ferrari, ce V6 de 3 litres a déterminé le nom de la
voiture : 499 est en effet la cylindrée unitaire, P signifiant
Prototipo. Comme le permet la réglementation Hypercar, ce V6 est
associé à un système hybride exploitant l’énergie cinétique du
freinage du train avant.
"Pour ce projet", poursuit Antonello Coletta, "nous
nous sommes appuyés sur tout le savoir-faire et la technologie de
la marque : nos collègues de la Scuderia Ferrari de Formule 1 mais
aussi différentes entités de l’entreprise. Pour ce qui est du
système hybride, la batterie dérive de celle utilisée en Formule 1.
Elle a, bien sûr, été adaptée aux besoins spécifiques de la
499P."
L’énergie récupérée est ré-injectée sur le train
avant. Pour cause de convergence avec les performances des LMDh, la
vitesse d’activation du mode quatre roues motrices est de 190 km/h.
Autant dire que la traction intégrale est rarement utilisée en
dehors des lignes droites :
"Sur l’ensemble de la saison, les virages dans lesquels nous
pouvons utiliser les quatre roues motrices se comptent sur les
doigts d’une main…", nous précise l’ex-pilote de F1 Antonio
Giovinazzi, membre de l’équipage vainqueur au Mans.
Conformément aux contraintes imposées par le règlement, ce groupe
propulseur développe 500 kW, soit environ 675 chevaux. Entre le 6
juillet 2022, date du premier roulage de la
499P à Fiorano, et le début de saison 2023, lancée le 17 mars à
Sebring, l’équipe Ferrari s’est livrée à un programme d’essais
impressionnant :
"Nous avions totalisé 24 000 kilomètres d’essais en sept
mois, nous confirme le responsable de l’entité Endurance et
Corse Clienti. "Notre objectif numéro 1 a été d’atteindre un
bon niveau de fiabilité. Avant Le Mans, nous avions pu mener trois
séances de simulation longue durée. Une sur la piste d’Aragon et
deux au Paul Ricard. La performance a été notre deuxième
objectif."
24 000 km d’essais, et beaucoup de simulateur
Une grande partie du développement de la 499P a aussi été menée
sur simulateur : "Le simulateur a été et demeure la base pour
le développement et l’optimisation de la performance", assure
Coletta. "Nous avons commencé à travailler sur simulateur dès
le premier jour de ce programme et nous continuons à l’utiliser de
manière constante pour la préparation de chaque course et même
après celles-ci, lorsque nos pilotes et ingénieurs reviennent à
Maranello pour analyser les domaines dans lesquels nous pouvons
progresser."
De la même manière, la CFD (Computered Fluid Dynamic) a
joué un rôle fondamental dans la conception de la 499P : "Le
concept aérodynamique a été créé sur CFD et a ensuite été optimisé
en soufflerie puis lors d’essais sur piste."
En imposant de ne pas dépasser une fenêtre de performance
aérodynamique relativement facile à atteindre, le règlement permet
aux constructeurs d’injecter dans leur Hypercar leurs codes
stylistiques. Ferrari a su parfaitement en profiter et nous
gratifie d’une auto très stylée immédiatement reconnaissable comme
création de la marque au cheval cabré.
A son volant, Antonio Giovinazzi a vite trouvé ses marques, même
s’il a été un peu perturbé au début par la chaleur d’un cockpit
fermé : "Piloter la 499P est une expérience qui se situe entre
le pilotage d’une monoplace et celui d’une GT. Comme le veut le
règlement, elle est plus lourde qu’une F1 avec moins d’appui mais,
comparée à une GT3, elle a bien plus de puissance et d’appui et
moins de poids."
Après une préparation très sérieuse, la
499P a pu enfin plonger dans le grand bain de la compétition aux
Mille Miles de Sebring. L’équipe Ferrari, qui s’appuie sur
le terrain sur l’expérience d’AF Corse pour l’exploitation en
course, n’a alors pas manqué son entrée. Elle s’est adjugé la pole
position et a terminé sa première course sur le podium !
"Sebring a été une excellente surprise pour nous", reconnaît
Antonello Coletta. "Nous n’avions alors encore aucune référence
de comparaison avec nos rivaux et nous avons réalisé en Floride que
notre projet était excellent. Il faut se rappeler que Sebring est
une piste très exigeante en termes de fiabilité, aussi avoir nos
deux voitures à l’arrivée était un résultat fantastique."
"L’excitation que nous avons ressentie après avoir signé la pole
position ainsi qu’à la fin de la course était extraordinaire et
inoubliable. Puis, course après course, nous avons reçu davantage
de retours positifs."
A Spa, une erreur de stratégie de
choix de pneus, à un moment donné, a condamné toute chance de
victoire mais, néanmoins, la 499P a affiché en Belgique un
excellent rythme. Pour l’équipage de la n° 51, cette course de Spa
a été un tournant :
"Notre voiture avait rencontré quelques problèmes sur les deux
premières courses", confie Antonio Giovinazzi. "Spa nous a
remis en selle en nous permettant de marquer les premiers points de
notre voiture dans des conditions difficiles. Ce fut l’une des
courses les plus difficiles de ma carrière. Réaliser ce podium
juste avant Le Mans nous a donné un boost supplémentaire."
Ce matin-là, au Mans…
On connaît la suite de l’histoire : une pole
retentissante d’Antonio Fuoco (n° 50) et une victoire historique de
la n° 51 de Giovinazzi-Pier Guidi-James Calado qui illustre cet
article en exclusivité. Comme déjà raconté, ce succès ne fut pas un
long fleuve tranquille.
La n° 50 a perdu ses chances lorsqu’une pierre est venue endommager
l’un de ses radiateurs. La n° 51 a alors assuré une présence
régulière en tête mais tout a failli être remis en question
plusieurs fois. Lorsqu’Alessandro Pier Guidi a effectué une
incartade hors de piste en pleine nuit. Ou encore lorsque la
voiture a eu du mal à redémarrer après un arrêt au stand à 10 h 32
du matin…
"Je dois reconnaître que j’ai été effrayé par le premier
problème de la n° 51. Cependant, une fois encore, nos techniciens –
qui font un travail vital en coulisse – ont permis de comprendre
rapidement la nature du problème et de communiquer au pilote les
informations permettant de repartir."
"A moins d’une demi-heure de l’arrivée, le problème s’est à nouveau
manifesté, mais nous savions que nos ingénieurs pourraient en venir
à bout rapidement. Néanmoins, les 45 secondes nécessaires
pour relancer la voiture m’ont donné l’impression de durer une
éternité…", admet Coletta.
Dans la foulée de cette victoire, l’équipe Ferrari n’a pas été à
même de s’imposer à nouveau, Toyota raflant toutes les autres
victoires de la saison. "Je diviserais la saison en deux
parties : avant et après Le Mans. Après Le Mans, nous n’étions plus
en position de poser des problèmes aux leaders", regrette le
responsable de l’entité Endurance et Corse Clienti de
Ferrari, qui se garde bien d’évoquer tout lien éventuel avec la
BoP.
Si elle a été optimisée sur de nombreux petits détails pour sa
deuxième saison de compétition, la 499P ne fait l’objet
d’aucune évolution technique majeure : "Nous abordons 2024 sans
avoir utilisé le moindre jocker d’homologation sur la
voiture", révèle Antonello Coletta. "Bien sûr, il reste
des points à améliorer sur l’ensemble de la voiture, mais notre
connaissance la concernant a augmenté et continue à s’enrichir car
nous exploitons toutes les possibilités de la tester pour
progresser."
"Cette année, comparé à 2023, il y a quatre nouveaux circuits dans
le calendrier du WEC : Lusail, Imola, São Paulo et Austin. Par
conséquent, une meilleure connaissance de notre voiture est
essentielle."
Antonio Giovinazzi est convaincu du
potentiel de son actuelle machine : "Je suis persuadé que nous
pouvons extraire encore davantage de performance de la voiture et
de l’équipe, y compris au niveau des pilotes." Une voie
d’amélioration a vite été détectée : "Il est clair que la
gestion des pneus a été un paramètre plus sensible pour Ferrari que
pour la concurrence, particulièrement lors des deux premières
courses", reconnaît Antonello Coletta. "Mais depuis,
l’équipe a bien progressé sur ce point comme on a pu le voir à
Bahreïn."
Le fait qu’une troisième voiture, alignée à titre privé par AF
Corse, soit engagée cette saison pour le trio Kubica-Ye-Shwartzman sera sans
nul doute bénéfique au clan Ferrari qui disposera de davantage de
datas. Après avoir remporté la plus prestigieuse épreuve du
calendrier en 2023, Ferrari se verrait bien battre Toyota sur les
autres manches du championnat.
Antonello Coletta ne s’en cache pas : "En 2024, il nous faudra construire sur nos progrès et nos résultats de l’an dernier pour jouer un rôle de leader dans la bataille pour le championnat du monde."
Ferrari 499P : fiche technique
- Groupe propulseur : F163
- Architecture moteur : V6 à 120°, biturbo Garrett
- Cylindrée : 2 992 cm3
- Position : centrale arrière, axe longitudinal
- Alésage x course : 88 x 82 mm
- Distribution : double arbre à cames en tête, 4 soupapes par cylindre
- Alimentation : injection directe
- Lubrification : par carter sec
- Puissance maxi thermique : 707 ch à 7 350 tr/mn
- Couple maxi : 755 Nm à 6 500 tr/mn
- Système hybride : ERS de 200 kW (272 ch) disposé transversalement à l’avant
- Puissance maxi cumulée : 675 ch (500 kW)
- Transmission : roues AR ou intégrale au-delà de 190 km/h
- Boîte de vitesses : transversale à 7 rapports semi-automatique avec commande par palettes au volant. Carter en aluminium
- Embrayage : en carbone, 4 disques
- Châssis : monocoque en fibre de carbone + panneaux latéraux en zylon
- Suspensions AV & AR : doubles triangles, poussoirs et culbuteurs actionnant amortisseurs et barres de torsion
- Freins AV/AR : disques carbone/céramique ventilés (380 x 355 mm)
- Direction : à crémaillère
- Réservoir : 90 litres
- Roues AV/AR : 12,5 x 18 / 14 x 18
- Pneus AV & AR : Michelin 29/71 - 18 & 34/71 - 18
- Poids : 1 030 kg
Nos plus vifs remerciements à Ferrari et au Musée des 24 Heures du Mans pour avoir rendu possible cette séance photos. Retrouvez notre article dans le Sport Auto n°746 du 29/02/2024.


