Ferrari Corso Pilota Classiche : reportage dans le saint des saints (+ images)
Retrouver des GT largement quadragénaires, les mener et les malmener sur la piste même de Fiorano, dans le saint des saints de Ferrari, l’expérience est tentante. Reportage de votre envoyé très spécial dans les circuits de la mémoire.
L'offre d’inaugurer le Corso Pilota Classiche tombe à
la rédaction et c’est le doyen qui est désigné. Les jeunes y
auraient trouvé matière à découverte, votre serviteur va surtout
raviver ses souvenirs, mais sûrement avec plaisir.
Rencontrer à nouveau les gloires du passé, modèles naguère
convoités autant et davantage que le sont aujourd’hui la 296 et la
812, quel délicieux voyage dans le temps…
"Ferrari Corso Pilota Classiche" 2024 : le scénario
Premier jour. Le « Corso » comprend la visite de l’usine
Ferrari, y compris une rapide
incursion, sur une sorte de promontoire, dans les locaux de la
Scuderia F1 ! Pas le temps d’espionner grand‑chose, d’autant que le
gros de l’équipe est en vadrouille en Australie, mais l’émotion est
là.
Autre temps fort, la découverte de l’atelier où sont menés les
restaurations les plus ambitieuses ainsi que les très convoités
processus d’authentification, en lien avec une salle d’archives
assez vertigineuse, détaillée voiture par voiture depuis 1947 !
C’est de ce département, Ferrari Classiche, que dépend le Corso que
nous allons suivre.
Deuxième jour, 400 m plus loin, à Fiorano. Le circuit, inauguré en
1972, a vu rouler toutes les Formule 1 de la Scuderia, aussi
longtemps que les essais privés ont été autorisés. Et donc tous les
pilotes de la Scuderia. Et puis moi.
Ne nous mentons pas : cette perspective « d’habiter » le mythique
temple Ferrari, de travailler sur cette piste historique fait
partie des éléments attirants de la nouvelle offre d’activité
Ferrari, le Corso Pilota Classiche.
Ce sont donc des voitures de 30 ou 40 ans qui nous attendent ici.
Mais il faut d’abord en passer par les leçons éclairées d’un
moniteur de pilotage, pour un assez court briefing qui résume les
données de base. Points de freinage et points de corde,
trajectoires, position des mains, transfert des masses, forcément
rien de très nouveau si vous avez suivi les semblables prologues
d’écoles de pilotage ou de simples track days, mais ici, il y a la
magie du lieu et le discours en anglais chantant, émaillé de
citations italiennes et de références prestigieuses : «
Alboreto disait qu’à partir d’une certaine vitesse la ligne droite
n’en est pas tout à fait une. »
"Ferrari Corso Pilota Classiche" 2024 : les actrices
Commençons par la 308, best-seller de Ferrari de 1975 à
1985, avec beaucoup de changements de définition et de puissance.
Les premières, seules Ferrari de série à jamais oser le polyester,
sont à présent hors de prix, mais dès 1977, sûr du succès (qui
permettait donc de rentabiliser les presses), Ferrari en venait à
une carrosserie métallique industrialisée, celle dont nous
disposons aujourd’hui.
Les évolutions ultérieures seront plus houleuses, avec le passage à
l’injection, qui coûte alors plus de 40 ch, jusqu’à ce que les
culasses quattrovalvole remontent la puissance. On s’approche.
Qu’elle est petite ! Mais nous sommes encore pleins de révérence
pour ce qu’elle apportait : un V8 3 litres, dans le monde des GT,
il y avait alors de quoi dominer.
Les 255 ch de la première version prenaient leur distance avec les
190 ch du beau V6 2,4 l de la Dino (la boîte restait la même) et
regardaient de haut la concurrence du moment (en 1975, une 911
titre au maximum 200 ch). Petite, mais toujours si jolie, si
harmonieuse.
*On avait réussi chez Pininfarina (Paolo Martin alors à la
baguette) une OPA sur les lignes les plus simples, obtenu cette
pureté, cet équilibre dans la simplicité auquel tout designer
aspire. A bord, la petitesse se confirme (le casque touche le
toit), et aussi le fait que les Ferrari des années 70 n’étaient pas
des voitures de luxe.
En revanche, tout est en place et, même si l’on devine que les gens
de Classiche ont dû passer force polish sur le cuir, l’habitacle
témoigne d’une belle robustesse. Au volant, l’accélération ne peut
plus guère impressionner mais elle fait partie d’un ensemble
homogène. On monte les rapports, la boîte est ferme mais bien
guidée et presque aussitôt il va s’agir de les redescendre.
Le moniteur a beaucoup insisté sur la nécessité du double
débrayage, bien décomposé avec le lâcher de la pédale de gauche
quand on passe au point mort accompagné d’un petit coup de gaz qui
oblige à interrompre le freinage, à moins de maîtriser le
talon-pointe, « punta-tacco » en italien.
Je me sens scruté jusqu’à l’orteil mais s’il croit m’avoir avec ça,
il me prend pour un autre. Des années de rubrique Rétro à Sport
Auto ont tenu le mécanisme en éveil, neurones et pieds compris. Et
même, ce côté fait main de la conduite me réjouirait plutôt. Ou
fait pied. D’autant que cette maîtrise de la boîte ne sert vraiment
pas à rien, les rétrogradages sont bien utiles pour soutenir les
freins proprement dits qui ne sont pas si puissants, mais à la
mesure des pneus étroits (205 à l’avant, 225 à l’arrière).
Ah : il n’y a pas non plus d’ABS, qui n’apparaîtra que sur la 328.
Vous n’imaginez pas tout ce qu’une auto peut ne pas faire pour
vous. Mais de tout cela, on s’arrange, jusqu’à construire un
agrément, un réel plaisir dans lequel entrent la faible adhérence,
l’équilibre sûr et une vraie vitalité. Ce qui a franchement
vieilli, c’est la direction, qui semble aujourd’hui bien lourde en
virage court, et pas si précise.
Rappelons-nous que cette machine dominatrice ne prêtait pas du tout
le flanc à la critique en la matière. Quarante-cinq ans de progrès
de l’espèce automobile en général et de la race Ferrari en
particulier ont réussi là où la concurrence contemporaine échouait.
Autre atmosphère autour de la Mondial.
Cette fois la maison Pininfarina ne reçoit pas l’habituel écho
louangeur. Sur le difficile cahier des charges de la 4 places à
moteur central, c’est le concurrent Bertone qui excelle (Dino 308
GT4, Lambo Urraco et surtout le concept car NSU Trapeze), tandis
que l’équipe de Cambiano, si elle obtient une habitabilité
supérieure, peine à séduire sur le plan esthétique.
Tarabustée par les règlements qui imposent de forts pare-chocs et
sujette à un prurit de modernité malvenue (les cadrans orange !),
cette Ferrari n’entre pas facilement au panthéon des plus belles.
Parmi la pléthore de versions qui ont scandé la vie de la voiture
(3 l, puis 3,2 l, puis quattrovalvole, puis 3,4 l, puis « T » à
boîte transversale), « la nôtre » est une 3.2. Sous l’auvent qui
jouxte le circuit mythique, sa silhouette et le grand habitacle
déparent.
Toutefois la position est bonne, un peu assise peut-être, et la
paume empalme le pommeau toujours très bien placé. Le moteur est
vivant, vigoureux et d’emblée l’auto paraît plus sportive que son
aînée pourtant a priori davantage consacrée au sport. On réussit
une belle cascade de désescalade des rapports et le museau pointe à
la corde avec moins d’efforts.
Dans la jolie courbe no 3, on passe en accél, un très léger
lever de pied suffisant à ramener le nez, à la demande. Le plaisir
de conduire est bien réel, on se sent plus jouisseur et moins
archéologue qu’à bord de la 308. Au point de lâcher plus tôt la
puissance, qui déborde facilement les pneus arrière mais se laisse
contrôler tout aussi aisément. Et voici la Ferrari 550
Maranello…
Quel nom ! Et en quel lieu ! La conduire ici, c’est comme écouter
la messe au Vatican. Les moniteurs ont ménagé une gradation et la
grande GT constitue le plat de résistance, à une surprise près,
dont nous vous parlerons très bientôt. A la fois plus jeune
(1996-2002) et beaucoup plus puissante, elle est aussi d’une autre
école, avec son V12 à l’avant.
Une révolution puisqu’elle remplaçait la série des BB et
Testarossa, toutes à flat 12 central. On franchit là un step
décisif, d’autant qu’à présent on connaît bien le circuit. Mais les
sessions se font par séries de trois tours, y compris un pour se
lancer et les trois derniers virages pour laisser un peu refroidir
les freins.
Dans ces conditions, n’attendez pas de moi un chrono de référence,
je ne suis pas Christophe Tinseau. Mais quelques impressions de
vitesse, oui, notamment dans le virage très court et refermant, à
la sortie du pont. Malgré son si long nez, la voiture ne demande
qu’à se placer et le gros V12 témoigne d’une belle appétence à
prendre des tours. Voici « l’ancienne » que l’on ramènerait le plus
volontiers à la maison, voyage transalpin compris.
"Ferrari Corso Pilota Classiche" 2024 : les coulisses
Une question ? Ah oui : à quel point est-il permis de bombarder
? L’élève roule toujours avec un moniteur à ses côtés (dérogation
pour nous autres journalistes pour quelques tours supplémentaires,
mais à la vitesse forcément très modérée nécessaire aux photos «
car to car » et embarquées), mais celui-ci n’a pas froid aux yeux
(il fait un dur métier) et il est donc autorisé de violenter
quelque peu les vénérables mécaniques.
Le cours prévoit même un passage sur le skidpad avec une 308, pour
tâter un peu la maîtrise au-delà des limites d’adhérence. Un moment
où la pauvre machine regrette clairement d’avoir quitté son garage
climatisé ! Les responsables de Ferrari Classiche disent avoir
monté ce programme à la suite de la demande de nombreux nouveaux
collectionneurs.
Il est permis d’imaginer que, gens sensibles au sort des
automobiles, surtout celles frappées de leur cher blason, ils en
aient eu assez de les voir se faire maltraiter à longueur de vie,
avec des pics piquants au moment des réunions de clubs et des
sessions « amicales » sur circuit. D’où peut-être ce cours en
secours propre à leur épargner le pire.
Peut-être ont-ils aussi l’arrière-pensée de redonner aux modèles
les plus abordables en collection un nouvel attrait et, partant,
une nouvelle cote. Côté client, l’intérêt de la démarche est
multiple et peut mériter le prix demandé, entre 6 000 et 7 000
€.
Pour ceux qui ont épuisé les charmes du tourisme modénais et des «
Motor Valley Tours » à présent très officiellement organisés, cette
immersion derrière les barrières du circuit privé le plus célèbre
du monde vaut à elle seule le voyage.
Ensuite, pour qui possède l’une de ces gloires accessibles ou
ambitionne d’en acquérir une, rafraîchir quelques notions en milieu
sécurisé ne peut pas faire de mal. Surtout que, en cas d’incident
mécanique ou de panne de cerveau, cela se passe au volant des
voitures des autres et que les frais de remise en état ne vous
incomberont pas.
Troisièmement et peut-être surtout, revisiter les GT qui nous ont
fait rêver et qui représentent, chacune à leur manière, une sorte
d’idéal de leurs époques respectives, c’est un bien beau voyage
dans le temps.
Retrouvez notre reportage à Fiorano pour le Ferrari Corso Pilota Classiche dans le Sport Auto n°749 du 31/05/2024.


