Rencontre avec Andy Wallace, le légendaire chasseur de records de Bugatti
Vainqueur des 24 Heures du Mans dès sa première participation, le discret Andy Wallace avait l’habitude de rouler à 350 km/h. Désormais pilote d’essai Bugatti, il détient le record du monde de vitesse au volant d’une voiture issue de la série… à près de 500 km/h ! Accrochez vos ceintures…
Sport Auto s'est entretenu avec Andy Wallace, l'ancien pilote de course devenu essayeur officiel de Bugatti et chasseur de quelques uns des record de vitesse les plus spectaculaires de la planète automobile !
Quel est votre premier souvenir automobile ?
Dès mes 6 ans, j’étais un dingue de voiture. Dans la rue,
j’étais capable de nommer tous les modèles. Mon père aurait aimé
courir mais n’en avait pas les moyens. Lorsqu’il avait du temps
libre, il m’emmenait quelquefois sur les circuits. Nous sommes
allés voir des courses de club et puis quelques grands prix.
Parfois, je me rendais à Silverstone seul, à vélo. 3 h 30 à pédaler
pour voir les voitures à travers les grilles, depuis l’extérieur.
Plus tard, nous sommes allés trois fois aux 24 Heures du Mans.
Il y avait un bus spécial qui partait de Londres, moyennant une
quarantaine d’euros d’aujourd’hui ! On dormait à même le sol. Cette
course m’a fasciné très tôt. Néanmoins, mon objectif a d’abord été
de faire de la F1.
Quel a été le premier pas vers votre carrière de pilote ?
Quand j’ai eu 15 ans, mes parents m’ont offert une leçon à
l’école de pilotage Jim Russell de Silverstone. C’était basique,
mais pour moi ça a été un véritable déclic. Dès lors, je n’avais
qu’une idée en tête : suivre l’intégralité des cours.
Il m’a fallu deux ans et deux mois pour pouvoir me payer les deux
semaines de cours ! J’ai arrêté tôt l’école pour rentrer chez
British Gas comme technicien. J’ai trouvé une Formule Ford
d’occasion pas chère et j’ai pris rendez-vous à la banque pour
faire un emprunt.
J’ai beau avoir expliqué que j’allais devenir champion du monde,
ils m’ont refusé le prêt ! J’ai alors acheté à crédit une voiture
d’occasion que j’ai immédiatement revendue pour pouvoir acquérir
cette monoplace. Je me suis rendu à Silverstone pour la tester.
Très vite, je me suis senti à l’aise.
A la fin de la séance, un autre pilote m’a doublé avant le dernier
virage et a perdu le contrôle de son auto. J’ai décollé sur sa roue
et suis parti en tonneaux ! J’ai atterri pile au niveau de la pole
position mais la tête en bas. Tout le monde m’a dès lors conseillé
de vendre la voiture et d’en rester là.
C’est ce que vous avez fait ?
Non, bien sûr. Il m’a fallu plusieurs mois pour la réparer
et j’ai débuté en course en 1980, dans un championnat réservé aux
anciennes Formule Ford. J’ai gagné 6 des 12 courses et j’ai été
champion !
J’ai pu revendre l’auto le double du prix d’achat et, avec l’aide
du patron de mon père, j’ai pu m’offrir une voiture de l’année,
mais après quelques courses, je n’avais déjà plus d’argent. Grâce à
mon motoriste, j’ai pu finir la saison et continuer jusqu’en F3 où
j’ai pu remporter le titre britannique en 1986.
Vous avez aussi gagné le Grand Prix de Macao, la coupe du monde de Formule 3…
Oui. Lors de la première manche, Jan Lammers a perdu le
contrôle de sa monoplace, juste devant moi. Nos roues se sont
touchées, et ça l’a remis dans le droit chemin. J’ai alors pris la
tête. Une fois sur le podium, il m’a remercié pour ça !
Nous nous sommes très bien entendus et avons gardé contact. De tous
les pilotes que je connais, il est assurément celui qui a le
meilleur « car control ». Dans la foulée, Benetton m’a convié à une
séance d’essais F1 et Tyrrell m’a proposé un volant en grands prix
en 1987… contre 600 000 € !
Je n’avais même pas les moyens d’en rêver. J’ai couru en F3000 mais
avec un tout petit budget et sans grand succès.
Est-ce à ce moment-là que vous avez reçu un appel de Jaguar ?
Oui. L’équipe TWR Jaguar cherchait un pilote pour Le Mans,
et Jan Lammers m’avait recommandé. J’ai été invité à un test au
circuit Paul Ricard. Je n’avais jamais rien conduit d’aussi rapide
que cette Groupe C qui produisait beaucoup d’effet de sol.
A un moment, l’équipe me rappelle au stand et je commence à me
dégrafer. On me dit : « Qu’est-ce que tu fais ? Tu repars pour une
heure ! » J’étais déjà totalement épuisé et je ne voyais pas
comment je pouvais tenir davantage. Finalement, j’ai tenu et
l’équipe m’a engagé. J’ai disputé une première course à Jerez.
Nous étions en tête et un pilote est parti en tête-à-queue devant
moi. Oui, encore ! J’ai réussi par miracle à l’éviter, au prix
d’une incursion dans le bas-côté qui nous a fait perdre la première
place. A l’époque, il n’y avait pas de caméras partout comme
aujourd’hui.
Personne n’avait vu ce qui s’était passé. Heureusement, après la
course, le pilote fautif est venu me remercier de l’avoir esquivé.
Je l’ai alors supplié d’aller expliquer à Tom Walkinshaw ce qui
était arrivé !
Comment s’est déroulé le premier contact avec le circuit du Mans ?
Cette année-là, il n’y avait pas d’essais préliminaires et
je me suis retrouvé direct dans le grand bain. Lors de mes premiers
tours d’essai, je pensais déjà aller très vite, mais une autre
Jaguar m’a littéralement déposé dans la ligne droite ! Il n’y avait
pas encore de chicane, et c’était assez impressionnant.
Il m’a fallu quelques tours pour passer à fond la courbe avant
Mulsanne. Mais mes équipiers Jan Lammers et Johnny Dumfries m’ont
aidé. Nous avons fait un tour à pied et ils m’ont tout détaillé,
mètre par mètre. A l’époque, le point faible de ces voitures était
la boîte de vitesses.
Aussi, sur l’auto no 2, avions-nous fait un pacte entre nous
trois qui consistait à préserver celle-ci au maximum. Nous avions
décidé d’économiser un grand nombre de changements de vitesse en
gardant un rapport au-dessus dans certains virages. La course s’est
bien déroulée.
Nous avons souvent occupé la tête, mais malgré nos précautions, la
boîte de vitesses de notre XJR-9 a faibli à une demi-heure de
l’arrivée. Elle est passée au neutre, et Jan a fait le choix de
rester sur la première vitesse qui s’est enclenchée et a fini sur
le 4e rapport.
Ça a été compliqué lors de l’ultime ravitaillement, mais il a
réussi à repartir et à terminer. Lorsque les mécanos ont démonté la
boîte après la course, ses entrailles étaient en miettes ! C’était
incroyable pour moi de remporter les 24 Heures du Mans dès ma
première participation ! Ça m’a valu un contrat à plein
temps.
Vous vous êtes imposé dès votre première fois mais n’êtes jamais parvenu à regagner par la suite en 20 tentatives ! Pourquoi ?
C’est passé très près un certain nombre de fois ! Comme en
1990 où j’ai fini 2e , sur une Jaguar XJR-12 avec Jan et Franz
Konrad. Il y a eu aussi 1995 où je partageais le volant d’une
McLaren F1 avec Derek et Justin Bell. Il a plu presque tout le
temps.
C’était atroce. Nous avons mené la seconde moitié de la course,
mais notre embrayage nous a lâchés en vue de l’arrivée. Nous avons
terminé à la 3e place.
Vous avez couru pour plusieurs constructeurs et avez même piloté une Batmobile !
Oui, chez Panoz. Je me suis vraiment bien entendu avec Don Panoz. On avait beau lui expliquer toutes les bonnes raisons pour lesquelles les voitures de course ont un moteur central arrière, il disait : « Je m’en fiche, je veux faire une voiture à moteur avant ! » Et c’était une auto intéressante à conduire. Dommage que son V8 Ford n’était pas vraiment compétitif.
Quel souvenir gardez-vous du podium avec Bentley en 2001 ?
C’était une super-voiture à piloter et je me suis bien
intégré dans cette belle équipe. Ça a été une course assez
mouvementée. J’ai pris le départ, et après quelques minutes, il
s’est mis à pleuvoir très fort au fond du circuit. Un vrai piège
!
Devant moi, Stefan Johansson est parti dans une série de
tête-à-queue à l’approche d’Indianapolis. Il a fini 37 par taper le
rail. Je ne voyais rien ! J’ai abordé la première partie du virage
d’Indianapolis en pensant qu’il avait décollé et que son auto était
au-dessus de la mienne !
Finalement, il avait juste perdu son capot avant qui a tapé le
dessus de ma voiture ! Plus tard dans la course, le compresseur
actionnant les changements de vitesse a cessé de fonctionner à
cause de la pluie. Je suis arrivé à Mulsanne à fond, j’ai freiné…
et je n’ai pas pu rétrograder !
J’étais bloqué en 5e . J’ai fait de mon mieux pour revenir aux
stands. C’était un peu chaud à Arnage. J’ai coupé par le gazon et
suis passé. Mon équipier Guy Smith a eu le même problème que moi,
mais son moteur s’est arrêté à Arnage.
Une fois au stand, les mécanos ont remplacé le compresseur très
rapidement et c’était reparti. Il y avait une dimension politique
dans ce projet. Disons qu’il n’était pas nécessaire pour Bentley de
gagner dès la première année… Nous avons terminé en 3e
position derrière deux Audi.
Comment avez-vous pris la décision de vous retirer de la compétition ?
Nous sommes dans un monde ultra-compétitif, et il arrive un
moment où vous perdez un petit peu en performance. Le temps de
réaction est légèrement plus lent. Au début de la quarantaine,
votre expérience compense, mais quand vous approchez de la
cinquantaine, c’est moins le cas.
J’avais 49 ans lors de l’édition 2010. Avec l’équipe RML, nous
avons fini 3es en LMP2. J’ai considéré que ce podium marquait le
bon timing pour arrêter. C’est alors que j’ai rejoint Bugatti.
Comment s’est développée votre collaboration avec Bugatti ?
Je n’avais aucune idée de la rapidité de ce type de voiture.
Vraiment aucune ! A l’époque où j’ai commencé à courir, les
voitures de course étaient très puissantes, mais celles de route
pas trop.
Et ça s’est complètement inversé à un moment. Les règlements ont
diminué la puissance des voitures de course tandis que celles de
sport sont devenues incroyablement vives. J’ai participé à ce
moment-là à l’élaboration de la Chiron et de la Bolide, qui est
destinée à la piste uniquement.
C’est hyper-excitant pour moi. Au lieu d’être perdu, tout ce que
j’ai appris dans ma carrière de pilote sert au développement de ces
autos.
Comment est venue cette idée de record du monde avec la Chiron Super Sport 300+ ?
Ils m’ont juste appelé un jour pour me dire qu’ils
souhaitaient se rapprocher des 490 km/h et m’ont proposé d’être le
pilote pour cette opération. Il faut savoir que j’avais déjà été
détenteur de ce record. Une première fois en 1991 avec une Jaguar
XJ220 à 349 km/h.
Puis je l’ai rebattu en 1998 à bord d’une McLaren F1 avec 389 km/h.
L’idée de Bugatti m’a paru un peu folle au début, mais quand ils se
lancent dans un projet, ils ne le font pas à moitié ! Malgré le
travail préparatoire effectué, il y avait deux problèmes auxquels
il fallait faire attention.
D’abord, les pneus. Heureusement, nous étions en partenariat avec
Michelin, qui est selon moi – et de loin – le meilleur
manufacturier. Nous avons fait beaucoup d’essais pour être sûrs que
les gommes puissent encaisser cette sollicitation car à 490 km/h,
le pneu subit une pression de 7 t !
Le second souci à gérer est de maintenir la voiture au sol. Nous
avons consacré la semaine entière à vérifier que ça
passerait.
Quelles sont les sensations à près de 500 km/h ?
Cette semaine-là, je pense que nous avons dû parcourir un
millier de kilomètres sur le circuit d’Ehra-Lessien, la plupart du
temps au-dessus de 400 km/h. C’est une grosse étape. Au tout début,
je me suis dit : « Jamais je ne serai capable de rouler à 480 km/h
! »
Et puis, au bout d’une heure, mon cerveau s’y est fait. Le seuil
des 450-460 km/h est un nouveau palier. On prend vraiment
conscience qu’il faut être extrêmement attentif. Nous avons attendu
un moment sans vent, et le vendredi matin, les conditions étaient
réunies.
On s’est regardé et on a dit : « Let’s go ! » J’ai accéléré jusqu’à
un repère convenu que j’ai passé à 482 km/h (soit 300 miles par
heure), et j’ai commencé à lever légèrement le pied. Il n’était pas
question de freiner car ça aurait trop déséquilibré la voiture.
La ligne droite est longue de 8,8 km, et à cette vitesse, il faut 2
km pour ralentir. J’avais pour mission de redescendre à une vitesse
n’excédant pas 250 km/h avant le banking.
Mais lorsque j’ai vu le virage se profiler, j’étais encore à 362
km/h ! Là, j’ai freiné fort ! Ça paraît être quelque chose de
complètement dingue, mais c’était une très bonne
expérience.
Pensez-vous qu’un record à 500 km/h est envisageable ?
Je pense que la Tourbillon en est capable, mais à ce stade, je n’ai pas connaissance d’un tel projet.
Par rapport à votre carrière en compétition, quelle valeur accordez-vous à ce record ?
Sur un record, l’essentiel du travail vient d’ingénieurs intelligents. La partie du pilote est limitée et facile : il n’y a qu’à appuyer sur la pédale ! Toutefois, pour un fan d’automobile comme moi qui n’avait pas un sou à ses débuts, se retrouver dans une telle machine est une expérience absolument incroyable !
Vous n’avez pas totalement rompu avec la compétition. Vous participez aussi parfois à des courses historiques…
Oui, c’est très intéressant de conduire ces voitures. Elles ont certes quatre roues et un volant, mais c’est leur seul point commun avec les modernes. Elles ont souvent un comportement inattendu, mais je prends beaucoup de plaisir à les piloter, particulièrement au Mans Classic. C’est un événement superbement organisé, et c’est toujours un privilège de rouler sur le circuit des 24 Heures. En plus, sur mes trois participations, j’ai eu la joie de gagner deux fois au volant d’une Jaguar Type D !
Retrouvez notre interview avec Andy Wallace dans le Sport Auto n°754 du 25/10/2024.


