A la loupe - Matra MS670B (1973-1974) : il y a 50 ans, feu d'artifice tricolore au Mans

Publié le 2 septembre 2024 à 15:30
A la loupe - Matra MS670B (1973-1974) : il y a 50 ans, feu d'artifice tricolore au Mans

Alors qu’aucun constructeur français n’avait remporté les 24 Heures du Mans depuis Talbot en 1951, Matra a permis au Bleu de France de renouer avec le succès dans la Sarthe. Et de quelle manière ! En remportant trois victoires consécutives, dont la dernière il y a 50 ans avec cette sublime 670B que Sport Auto a pu approcher.

Après la F1, Le Mans ? Sacré champion du monde de F1 en 1969, Matra Sport voit enfin la possibilité de briguer la victoire aux 24 Heures avec une auto 100 % faite maison. A l’orée de la saison 1972, le règlement de l’Endurance a été remis d’aplomb en empêchant d’engager en catégorie GT de véritables Sport-Proto survitaminés tels que les Porsche 917.
La marque française décide donc de n’engager plus qu’une monoplace en F1 et de s’attaquer sérieusement au Mans (qui représente le kilométrage d’une saison de F1 !). Avec une rigueur quasi militaire, la firme française prépare son coup sur le circuit Paul Ricard en multipliant les simulations de ving-quatre heures avec sa nouvelle MS670 concoctée par Bernard Boyer.
De son côté, Ferrari entreprend une impressionnante campagne en championnat du monde avec l’efficace 312 PB, une extrapolation « Sport-Proto » de sa monoplace de F1 (voir Sport Auto no 736). Malheureusement, au grand dam des spectateurs, le duel tant attendu n’aura pas lieu.
Déjà assuré du titre mondial après ses huit premières victoires, Ferrari déclare forfait au Mans de peur que ses voitures, taillées pour des courses de six heures, ne puissent tenir la distance. Seules l’équipe Alfa Romeo et quelques Lola privées peuvent donc vraiment s’opposer aux voitures françaises.
Matra se donne les moyens de ses ambitions en n’engageant pas moins de quatre voitures, confiées à des équipages comprenant tous un pilote français et un ténor anglo-saxon. Jean-Pierre Beltoise (écarté de l’écurie de F1) fait équipe avec Chris Amon, François Cevert avec Howden Ganley, Jean-Pierre Jabouille avec David Hobbs (au volant d’une ancienne 660).
Reste à composer l’équipage de la no 15. Gérard Crombac (rédacteur en chef de Sport Auto mais également team manager de Matra) contacte Henri Pescarolo et reçoit d’abord un accueil très froid.
« J’avais très mal vécu le fait d’être remplacé par Chris Amon dans l’équipe de F1, à la fin de l’année 1970, nous explique Henri Pescarolo. Aussi, lorsque Crombac est venu vers moi, je lui ai dit : “Tu te tires, je ne veux plus te voir.” Et puis il est revenu : “On a besoin de toi pour gagner Le Mans !” Au bout d’un moment, j’ai mis mon amour-propre dans ma poche et je suis retourné chez Matra. »
Nouveau coup de colère d’Henri lorsqu’on lui apprend qu’il fera équipe avec Graham Hill, double champion du monde de F1, certes, mais en fin de parcours. « J’ai dit : “Hors de question ! Dans ces conditions, je me tire”, se souvient Henri. J’avais connu Le Mans 1968 avec la nuit sous le déluge, le brouillard le matin, etc. Dans ma tête, je me disais qu’en cas de conditions difficiles, Graham irait se coucher et que je me retrouverais tout seul. J’aurais préféré un jeune capable de prendre des risques. »
Très vite, ces 24 Heures 1972 se transforment en un match interne : « Entre les quatre Matra, ça a été la bourre absolue sans en avoir l’air ! On s’est battu entre nous », résume Henri. Dans ce contexte, le pilote au célèbre casque vert change rapidement d’opinion sur son équipier : « En fait, je me trompais à propos de Graham. Je n’avais pas imaginé qu’il venait pour réaliser la triple couronne : titre mondial F1, Indy 500 et Le Mans. En réalité, il était encore plus motivé qu’un jeune ! La pluie est tombée durant la nuit, et c’est là qu’il a été le plus fantastique. Chez Matra, nous avions un tableau de marche à respecter, et le seul moment où nous avions un peu plus de latitude, c’était sous la pluie. On en a profité pour mettre la dose à tous les autres, et Graham a marché comme un avion dans ces conditions. C’était un Anglais, il était dans son élément ! »
Pesca se souvient de l’instant décisif : « On se tirait la bourre avec Cevert-Ganley, qui marchaient comme des avions aussi. A un moment, Graham est au volant et se montre plus perspicace que François : il s’arrête pour mettre les pneus pluie quand François attend un tour de plus et se prend le déluge dans la ligne droite. Quand il rentre au stand, il se fait emplafonner par un autre concurrent. C’était fini pour eux. » L’équipage Pescarolo-Hill file alors vers un succès retentissant.

Duel Matra-Ferrari

C’est ainsi que commence la légende qui lie Henri Pescarolo à la Matra 670 : « Cette auto était fabuleuse. Ses gros avantages étaient sa tenue de route et sa suspension. Au Mans, le règlement imposait un débattement de 15 cm, et l’ingénieur Caussin avait dessiné une suspension à débattement progressif et à progressivité variable. Génial ! »
Le fameux moteur V12, qui développait 450 ch à 10 500 tr/mn, n’était en revanche pas forcément son atout majeur : « Son seul avantage était d’être fiable. Comme on l’a vu en Formule 1, il manquait de couple face au moteur Cosworth, par exemple. Mais en Endurance, ce n’était pas trop un problème car les circuits demandent moins de couple que ceux de F1, plus tourmentés », analyse Henri Pescarolo.
Pour la saison 1973, Matra change de stratégie. La firme dirigée par Jean-Luc Lagardère abandonne la Formule 1 et mise tout sur l’Endurance. Elle défie Ferrari en championnat du monde des voitures de sport tout en visant une deuxième victoire au Mans. Pour rendre la 670 plus versatile, le responsable Structure du bureau d’études, Bernard Boyer, apporte quelques modifications à la 670.
Pour remplacer la boîte de vitesses ZF (conçue à l’origine pour des utilitaires et donc peu compatible avec le couple d’un V12), il commande une boîte de vitesses spécifique auprès de… Porsche. Grand adepte d’un centrage des masses optimal, Bernard Boyer envisage de la placer entre le moteur et le pont, mais le responsable du département moteur, Georges Martin, l’en dissuade.
Cette boîte sur mesure reçoit en prime des points d’ancrage pour les suspensions et de quoi installer les freins en position « in board ». Bernard Boyer en profite pour réorganiser le compartiment moteur de manière à faciliter le travail des mécaniciens.
C’est avec cette auto (qui sera rebaptisée « 670B » à partir du Mans) que Matra aborde la saison 1973 avec deux équipages choc, l’un composé des deux beaux-frères Beltoise et Cevert, l’autre réunissant Henri Pescarolo et Gérard Larrousse.
D’entrée de jeu, l’ex-pilote Porsche tombe sous le charme de sa nouvelle monture. « C’était une voiture complètement différente des Porsche que j’avais conduites jusqu’alors, ne serait-ce que par le fait que c’est un spyder, nous confie-t-il. La grosse différence venait de la coque. La monocoque Matra avait une structure basée sur les principes de l’aéronautique. Elle était extrêmement performante au niveau de la rigidité et offrait un très bon niveau de sécurité. La position dans la voiture était bien plus agréable que sur la Porsche 917. Chaque pilote avait son propre siège, ce qui n’était pas le cas sur cette dernière. »
En 1973, le duel Matra-Ferrari a bien lieu, dès les premières manches du championnat. Sur l’ancien tracé de Spa, le match est juste titanesque. Après avoir été victime d’un début d’incendie aux essais, la 670 est reconstruite dans la nuit par les mécaniciens, les « rats » comme les surnomme Gérard Ducarouge, l’ingénieur chargé de l’exploitation. En course, la bataille Pescarolo-Ickx est de très haut niveau.
« Pesca » se souvient : « Je voyais dans les rétros que nous avions des performances assez identiques et j’essayais de le distancer. Nous arrivions à près de 320 km/h à Burnenville, une grande courbe qui saute tout le temps. Pour passer pleine balle là-dedans, il fallait être en confiance. Mon cerveau me disait : “Ça passe à fond !”, mais mon pied disait non. La fois où j’y suis parvenu : boum, record ! J’ai fait un tour à 262 km/h. Il reste aujourd’hui encore le tour en course le plus rapide sur un circuit routier. Même en F1 à Monza, ils n’ont pas réussi à faire mieux ! »
Cette fois-ci, Ferrari ne se dérobe pas et participe bien aux 24 Heures du Mans. La tête d’affiche est somptueuse : quatre Matra (dont trois 670B flambant neuves) contre trois Ferrari 312 PB. Dans le clan des Bleus, la sérénité règne.
On laisse même Arturo Merzario Pace, le lièvre de Ferrari, prendre la tête en début de course. Mais bientôt, l’angoisse gagne le clan français. Les Matra sont victimes de plusieurs déchapages : quatre en douze heures !
L’état-major de l’équipe hésite : faut-il retirer les voitures de la course ? Il tergiverse et n’en fait rien. Une seule voiture échappe à ce mystérieux mal : la no 11 de l’équipage Pescarolo-Larrousse, en tête mais menacée par la Ferrari d’Ickx.

Des victoires pas si tranquilles !

Cette exception trouvera une explication après la course, comme nous le raconte Gérard Larrousse : « Nous étions très inquiets car nous redoutions que cela nous arrive aussi. Mais nous avons été épargnés car nous étions un peu moins rapides.
Après la course, les mécaniciens ont compris pourquoi. La course de la pédale de frein était un peu gênée par le palonnier, ce qui l’empêchait de revenir à fond. Du coup, les plaquettes étaient en contact permanent avec le disque. Cela nous coûtait environ 10 km/h en ligne droite et nous amenait à consommer plus de plaquettes de frein que les autres. Nous nous sommes d’ailleurs fait “engueuler” par Gérard Ducarouge, qui nous reprochait de trop freiner ! »
Et c’est ce ralentissement involontaire qui a sauvé la no 11 : en sollicitant moins ses pneus, elle a échappé aux déchapages. Une fois écartée la menace de la dernière Ferrari à une heure et demie de la fin (abandon sur panne moteur), la voie était donc libre pour le duo Pescarolo-Larrousse !
Déjà victorieux à Vallelunga et à Dijon en début de saison, ce duo en parfaite harmonie s’impose dans la foulée du Mans à Zeltweg et Watkins Glen. Matra est champion du monde des voitures de sport face à Ferrari ! A la suite de ce double échec, la Scuderia décidera de se concentrer sur la Formule 1.
En 1974, Alfa Romeo prend le relais de Ferrari en championnat du monde mais déclare forfait juste avant Le Mans ! Pour Matra, la concurrence se limite à deux Gulf, deux Ligier et deux Porsche Turbo. Une formalité, a priori. Eh bien, pas du tout ! L’équipe, qui porte désormais les couleurs de Gitanes, perd deux voitures sur quatre en un même quart d’heure.
La troisième étant très attardée, la no 7 de l’incontournable duo Pescarolo-Larrousse est seule à prétendre à une victoire en bleu, blanc, rouge. Après un petit accrochage d’Henri en début de course, la 670B châssis no 4 caracole en tête avec plusieurs tours d’avance sur une Porsche Turbo aux trois quarts de l’épreuve.
L’affaire semble entendue… jusqu’au moment où Henri Pescarolo est stoppé en piste peu avant 11 h. Problème de boîte de vitesses ! Avec moult précautions, Henri parvient à rapporter la voiture au stand et reste impassible à son volant, pendant que les mécaniciens se penchent sur la boîte de vitesses conçue par… Porsche, rappelons-le.
« Il faut rendre hommage au fair-play de Porsche, qui a assuré le service après-vente sur une auto qui pouvait gagner la course face à l’une de ses voitures ! souligne Gérard Larrousse. Ils nous ont envoyé un technicien. »
Les « rats » étaient déjà à l’œuvre. L’un d’eux, Guy Pratt, se souvient : « On savait qu’il y avait un problème sur les boîtes Porsche. Il y avait une vis de fourchette qui se desserrait, et la vis de verrouillage des fourchettes tombait dans le carter de boîte. Jean Guyard, le responsable des boîtes de vitesses, s’était d’ailleurs préparé à l’atelier pour démonter la boîte à chaud et intervenir en cas de besoin en course. Tout était rodé, et nous savions quels outils et quelles pièces lui transmettre à quel moment. Il y avait bien un technicien de Porsche qui était sur le muret des stands et qui supervisait la manœuvre, mais il ne nous a pas aidés. Pas un mot, rien ! »
La boîte est finalement remise en état, et Pesca peut reprendre la piste. Il compte alors trois minutes d’avance sur la Porsche Turbo, qui est revenue dans le même tour ! Ouf, c’était moins une ! La 670B n’aura pas de mal à recreuser l’écart.
Elle s’impose au bout du compte avec six tours d’avance, à la grande joie de toute l’équipe Matra, comblée par ce troisième succès d’affilée au Mans. Pour terminer la saison en beauté, elle remporte aussi le championnat du monde 1974.
Malheureusement, la belle série s’arrête là. En fin de saison, Matra annonce son retrait de la compétition, non sans avoir marqué l’histoire du sport automobile.

Matra MS670B (1973-1974) : fiche technique

  • Dénomination moteur : Matra MS 73
  • Architecture : V12 atmosphérique à 60°
  • Cylindrée : 2 999 cm3
  • Alésage x course : 79,7 x 50 mm
  • Position : centrale arrière, longitudinale, moteur porteur
  • Distribution : 4 soupapes par cylindre, double arbre à cames en tête
  • Alimentation : injection Lucas
  • Régime maxi : 10 500 tr/mn
  • Puissance maxi : 450 ch à 10 500 tr/mn
  • Couple maxi : 320 Nm à 8 400 tr/mn
  • Transmission : roues AR
  • Boîte de vitesses : Porsche à 5 rapports
  • Embrayage : bidisque à sec Borg & Beck
  • Châssis/coque : carrosserie en fibres de verre/monocoque en alliage léger
  • Suspensions AV/AR : triangles superposés et combinés ressorts‑amortisseurs/basculeur, bras tirés et combinés ressorts-amortisseurs Freins : disques Girling ventilés
  • Direction : à crémaillère
  • Réservoir : 119 l
  • Roues AV/AR : 13 x 11/13 x 17
  • Pneus : Goodyear
  • Empattement : 2 558 mm
  • Voies AV/AR : 1 525/1 500 mm
  • Poids : 675 kg

Retrouvez notre article "A la loupe" sur la Matra MS670B (1973-1974) dans le Sport Auto n°751 du 26/07/2024.

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