Que penser de la première saison de Formula E ?

Publié le 29 juin 2015 à 06:00
Mis à jour le 29 novembre 2020 à 03:48
Que penser de la première saison de Formula E ?

Lancée au mieux sous un scepticisme ambiant, au pire sous les critiques, la Formula E a conclu sa première saison, à Londres. Les avis ont visiblement changé.

Tout a commencé en 2012, c'est à dire il n'y a pas si longtemps, par une ambition venue de nulle part d'un championnat de voitures 100 % électriques d'à peine 270 chevaux, frôlant difficilement les 200 km/h sur des parkings et autres aires en périphérie des grandes villes, avec des batteries incapables de tenir une course complète de 50 minutes, avec, donc, l'obligation de changer de voitures à la mi-course sous une tente façon Fête de l'Humanité, le tout dans une ambiance sonore de fraises dentaires. Les plus gentils ont ri, les plus méchants ont crié à la fumisterie, les plus timides ont promis d'attendre pour juger sur pièces. Trois ans après, en juin 2015, tout a fini, en tout cas la saison 1, par une bataille splendide à trois pour le titre, dans les derniers mètres d'une course située dans le Chelsea de Londres, au milieu d'une foule familiale et enthousiaste. Que de chemin parcouru par les fous des toutes premières heures : Alejandro Agag, le grand patron de la Formula E, la FIA, Renault (le motoriste) ou encore Spark (la société qui a conçu et fabriqué les voitures).
Il faut l'admettre, la première saison de Formula E est un vrai succès. Elle a frôlé la perfection. Sur le plan sportif, le titre a été disputé jusqu'au bout, avec 1 seul point d'écart entre le champion Piquet et son dauphin Buemi, deux anciens pilotes de F1, avec aussi 7 vainqueurs différents en 11 courses. Il y a tout eu : de superbes batailles, des accidents sans gravité, des mano a mano, des courses folles.
Sur le plan technique, il n'y a eu aucun loupé. La toute neuve technologie électrique a tenu le coup, les batteries aussi. Aucune avarie, aucun drame. Même après le terrible crash d'Heidfeld à Pékin, qui aurait pu enterrer d'entrée la destinée du championnat. Les performances, sur le papier pas folichonnes, ont finalement suffi. 270 chevaux entre des murs, avec peu de freins, pas d'aéro et des pneus presque de route, c'était finalement bien assez pour donner du boulot même à des anciens pilotes de F1. Les voitures ne sont pas faciles à conduire. Même des pilotes aguerris à la F1 ou au WEC avouent une impression de vitesse qui les a étonnés. Parfois plus que bien assis dans leurs protos pourtant redoutables mais confortables sur des circuits plus aérés. Quelques chevaux en plus et quelques kilos en moins ne seraient pas un luxe mais on n'est pas loin de ce qui est acceptable pour un show spectaculaire en ville. Plus serait de la folie pure.
L'ambiance, elle, a surpassé les attentes. Dans un sport automobile vieillissant et grognon, ce nouveau championnat a redonné le sourire. Une sorte de F1 des années 60, où tout le monde vit ensemble. La décontraction est de mise. Les pilotes se marrent, la pression est minimum, la presse est la bienvenue...
Les spectateurs en profitent, eux qui se retrouvent amenés à voir de près les voitures et les pilotes. La pitlane est pleine à craquer plusieurs fois par jour, la grille de départ voit des VIP et leurs enfants approcher les stars et se prendre en photo devant les voitures, le podium a lieu au milieu des vrais gens... La Formula E ne vit pas en vase clos. Elle s'ouvre au monde, avec également une belle politique sur les réseaux sociaux. Les vidéos en ligne, les live, les votes Fanboost... Tout cela prend bien.

Un bien fou pour le sport auto

Evidemment, le grand coup de génie de ce championnat est d'avoir réalisé ce dont Bernie Ecclestone rêve depuis plus de 30 ans : amener la F1 en centre-ville. Il y a eu Monaco depuis toujours ou presque, des tentatives loupées à Dallas, Detroit, Phoenix ou Las Vegas, dernièrement la réussite Singapour. Pour le reste, la F1, sa vitesse et son bruit (de moins en moins) sont persona non grata dans des cités comme New York, Londres ou Paris. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. La Formula E, elle, a conquis Buenos Aires, Miami, Punta del Este, Pékin, Berlin, Moscou et même Londres. L'arrivée des monoplaces devant le Kremlin a fait effet. Comme celle devant les Invalides, à Paris, devrait normalement le faire en avril 2016. Si même la très autophobe Paris et ces jamais contents de Français se mettent à vouloir une course en plein centre-ville... Cela aurait une gueule incroyable et finirait de convaincre de la réussite de ce championnat. Pauvre GP de France abandonné de tous !
Bien sûr, tout n'est pas rose. La question de son modèle économique va se poser et se pose déjà. Les énormes sommes dépensées vont devoir un jour aboutir à des rentrées financières importantes. Ce n'est pas du tout le cas encore. Le gros train de vie de la Formula E ne pourra pas tenir 5 ans, sans un vrai retour sur investissement. Les TV vont-elles suivre ? Les sponsors vont-ils venir ? Des promoteurs vont-ils pouvoir prendre le relais pour organiser les courses et les rendre profitables ? On ne le sait pas encore.
De même, l'arrivée des constructeurs est autant une bonne nouvelle qu'une réelle menace. Renault ne sera plus seul l'an prochain. Audi, DS (Citroën), et qui sait bientôt BMW ou des Japonais... McLaren s'y met, la NASA aussi, avec des grosses boîtes de Houston. La Formule Electrique ne doit pas laisser le champ libre à des constructeurs pouvant tuer le championnat en deux coups de chéquiers. Les écarts ne doivent pas grandir. Mais le règlement est pour le moment bien fait et strictement sous verrou. L'aéro est une cité interdite, les freins aussi, les batteries sont figées pour 5 ans et le moteur, seul élément ouvert l'an prochain, reste limité à 200 KW de puissance en qualif et 170 en course (20 de plus que cette saison). Rien qui puisse permettre de prendre feu. Mais les budgets risquent de doubler, déjà, d'une année sur l'autre : de 5 à 10 millions d'euros. Ce n'est pas rien. D'autres championnats sont morts de ce poison puissant, après des débuts prometteurs  : l'A1 GP notamment en voulant se payer des anciennes Ferrari de F1.
L'excellente idée de courses en villes atteint parfois ses limites, comme cette dernière manche à Londres sur un tracé trop étroit et presque impraticable au milieu d'un parc. Sauf par hélico, on ne voyait pas Londres, et les pilotes étaient mécontents d'une piste bombée avec des bosses à en casser suspensions et batteries. Il a fallu lancer la course 1 sous safety car. Le championnat choisit les lieux pour leur prestige et ensuite fait au mieux avec ce qu'il y a pour créer une piste. A Pékin, le circuit n'avait aucun intérêt, et le besoin impératif de récupération d'énergie au freinage limite les tracés à des lignes droites/épingles ou lignes droites/chicanes. Il n'y a, à ces vitesses, presque aucune grande courbe possible. Le spectacle, là-encore, en pâtit peu.
Enfin, les pilotes doivent énormément gérer pendant qu'ils conduisent. Bien plus qu'en F1 ou au Mans. Le lever de gaz en ligne droite est très utilisé. Sur plus de 60 m la plupart du temps. La gestion des batteries et la régénération comptent énormément mais n'empêchent en rien le show. La preuve. On l'a aussi vu en endurance, même si en F1, bizarrement, là cela choque. Question de mentalités. Les Formules Electriques doivent rouler en peloton et en paquet pour faire effet. Aux essais, c'est plus limite.
Malgré ces quelques imperfections de jeunesse et de concept, tout de même cette première saison de Formula E vaut un bon 19/20. Elle n'ambitionne pas de remplacer la F1 (même si beaucoup venant d'elle le souhaitent par esprit de revanche), mais de se placer aux côtés de la F1 et du WEC comme un troisième championnat phare, celui qui pousse le plus le sport automobile vers un nouveau public. Tout le monde peut finalement l'apprécier, même les puristes. La lutte Piquet/Buemi/DiGrassi dans le final de Londres a dressé les poils de tous ceux qui aiment la course. Pas seulement de ceux qui vivent par effet de masse connectés 24h/24 sur les réseaux sociaux ou qui boivent du champagne dans les Paddock Club. De ceux qui aiment la F1 ou Le Mans aussi. Qu'il n'y ait pas du tout de bruit ou que ce soit des gros engins un peu grossiers, peu importe au final. Derrière, il y a une idée, et une bonne idée. Un concept et un bon concept. Une originalité et une vraie originalité.
Si la Formula E est une nouvelle façon de faire la course, c'est avant tout une nouvelle façon d'en parler et d'en donner le goût à des gens d'un horizon différent et nouveau. Tout ce qui participe à faire de la course automobile un centre d'intérêt puissant au milieu du foot, tennis, rugby et autres golf, est une bonne nouvelle. Rien que pour cela, bravo à elle. Et longue vie.

Nos marques populaires Voir tout

Sport Auto