Que penser de la première saison de Formula E ?

Lancée au mieux sous un scepticisme ambiant, au pire sous les critiques, la Formula E a conclu sa première saison, à Londres. Les avis ont visiblement changé.
Tout a commencé en 2012, c'est à dire il n'y a pas si longtemps,
par une ambition venue de nulle part d'un championnat de voitures
100 % électriques d'à peine 270 chevaux, frôlant difficilement les
200 km/h sur des parkings et autres aires en périphérie des grandes
villes, avec des batteries incapables de tenir une course complète
de 50 minutes, avec, donc, l'obligation de changer de voitures à la
mi-course sous une tente façon Fête de l'Humanité, le tout dans une
ambiance sonore de fraises dentaires. Les plus gentils ont ri, les
plus méchants ont crié à la fumisterie, les plus timides ont promis
d'attendre pour juger sur pièces. Trois ans après, en juin
2015, tout a fini, en tout cas la saison 1, par une bataille splendide à trois pour le
titre, dans les derniers mètres d'une course située dans le
Chelsea de Londres, au milieu d'une foule familiale et
enthousiaste. Que de chemin parcouru par les fous des toutes
premières heures : Alejandro Agag, le grand patron de la Formula E,
la FIA, Renault (le motoriste) ou encore Spark (la société qui a
conçu et fabriqué les voitures).
Il faut l'admettre, la première saison de Formula E est un vrai
succès. Elle a frôlé la perfection. Sur le plan sportif, le titre a
été disputé jusqu'au bout, avec 1 seul point d'écart entre le
champion Piquet et son dauphin Buemi, deux anciens pilotes de F1,
avec aussi 7 vainqueurs différents en 11 courses. Il y a tout eu :
de superbes batailles, des accidents sans gravité, des mano a mano,
des courses folles.
Sur le plan technique, il n'y a eu aucun loupé. La toute neuve
technologie électrique a tenu le coup, les batteries aussi. Aucune
avarie, aucun drame. Même après le terrible crash d'Heidfeld à
Pékin, qui aurait pu enterrer d'entrée la destinée du championnat.
Les performances, sur le papier pas folichonnes, ont finalement
suffi. 270 chevaux entre des murs, avec peu de freins, pas d'aéro
et des pneus presque de route, c'était finalement bien assez pour
donner du boulot même à des anciens pilotes de F1. Les voitures ne
sont pas faciles à conduire. Même des pilotes aguerris à la F1 ou
au WEC avouent une impression de vitesse qui les a étonnés. Parfois
plus que bien assis dans leurs protos pourtant redoutables mais
confortables sur des circuits plus aérés. Quelques chevaux en plus
et quelques kilos en moins ne seraient pas un luxe mais on n'est
pas loin de ce qui est acceptable pour un show spectaculaire en
ville. Plus serait de la folie pure.
L'ambiance, elle, a surpassé les attentes. Dans un sport automobile
vieillissant et grognon, ce nouveau championnat a redonné le
sourire. Une sorte de F1 des années 60, où tout le monde vit
ensemble. La décontraction est de mise. Les pilotes se marrent, la
pression est minimum, la presse est la bienvenue...
Les spectateurs en profitent, eux qui se retrouvent amenés à voir
de près les voitures et les pilotes. La pitlane est pleine à
craquer plusieurs fois par jour, la grille de départ voit des VIP
et leurs enfants approcher les stars et se prendre en photo devant
les voitures, le podium a lieu au milieu des vrais gens... La
Formula E ne vit pas en vase clos. Elle s'ouvre au monde, avec
également une belle politique sur les réseaux sociaux. Les vidéos
en ligne, les live, les votes Fanboost... Tout cela prend bien.
Un bien fou pour le sport auto
Evidemment, le grand coup de génie de ce championnat est d'avoir
réalisé ce dont Bernie Ecclestone rêve depuis plus de 30 ans :
amener la F1 en centre-ville. Il y a eu Monaco depuis toujours ou
presque, des tentatives loupées à Dallas, Detroit, Phoenix ou Las
Vegas, dernièrement la réussite Singapour. Pour le reste, la F1, sa
vitesse et son bruit (de moins en moins) sont persona non grata
dans des cités comme New York, Londres ou Paris. Ce n'est pas faute
d'avoir essayé. La Formula E, elle, a conquis Buenos Aires, Miami,
Punta del Este, Pékin, Berlin, Moscou et même Londres. L'arrivée
des monoplaces devant le Kremlin a fait effet. Comme celle devant
les Invalides, à Paris, devrait normalement le faire en avril 2016.
Si même la très autophobe Paris et ces jamais contents de Français
se mettent à vouloir une course en plein centre-ville... Cela
aurait une gueule incroyable et finirait de convaincre de la
réussite de ce championnat. Pauvre GP de France abandonné de tous
!
Bien sûr, tout n'est pas rose. La question de son modèle économique
va se poser et se pose déjà. Les énormes sommes dépensées vont
devoir un jour aboutir à des rentrées financières importantes. Ce
n'est pas du tout le cas encore. Le gros train de vie de la Formula
E ne pourra pas tenir 5 ans, sans un vrai retour sur
investissement. Les TV vont-elles suivre ? Les sponsors vont-ils
venir ? Des promoteurs vont-ils pouvoir prendre le relais pour
organiser les courses et les rendre profitables ? On ne le sait pas
encore.
De même, l'arrivée des constructeurs est autant une bonne nouvelle
qu'une réelle menace. Renault ne sera plus seul l'an prochain.
Audi, DS (Citroën), et qui sait bientôt BMW ou des
Japonais... McLaren s'y met, la NASA aussi, avec des grosses boîtes
de Houston. La Formule Electrique ne doit pas laisser le champ
libre à des constructeurs pouvant tuer le championnat en deux coups
de chéquiers. Les écarts ne doivent pas grandir. Mais le règlement
est pour le moment bien fait et strictement sous verrou. L'aéro est
une cité interdite, les freins aussi, les batteries sont figées
pour 5 ans et le moteur, seul élément ouvert l'an prochain, reste
limité à 200 KW de puissance en qualif et 170 en course (20 de plus
que cette saison). Rien qui puisse permettre de prendre feu. Mais
les budgets risquent de doubler, déjà, d'une année sur l'autre : de
5 à 10 millions d'euros. Ce n'est pas rien. D'autres championnats
sont morts de ce poison puissant, après des débuts
prometteurs : l'A1 GP notamment en voulant se payer des
anciennes Ferrari de F1.
L'excellente idée de courses en villes atteint parfois ses limites,
comme cette dernière manche à Londres sur un tracé trop étroit et
presque impraticable au milieu d'un parc. Sauf par hélico, on ne
voyait pas Londres, et les pilotes étaient mécontents d'une piste
bombée avec des bosses à en casser suspensions et batteries. Il a
fallu lancer la course 1 sous safety car. Le championnat choisit
les lieux pour leur prestige et ensuite fait au mieux avec ce qu'il
y a pour créer une piste. A Pékin, le circuit n'avait aucun
intérêt, et le besoin impératif de récupération d'énergie au
freinage limite les tracés à des lignes droites/épingles ou lignes
droites/chicanes. Il n'y a, à ces vitesses, presque aucune grande
courbe possible. Le spectacle, là-encore, en pâtit peu.
Enfin, les pilotes doivent énormément gérer pendant qu'ils
conduisent. Bien plus qu'en F1 ou au Mans. Le lever de gaz en ligne
droite est très utilisé. Sur plus de 60 m la plupart du temps. La
gestion des batteries et la régénération comptent énormément mais
n'empêchent en rien le show. La preuve. On l'a aussi vu en
endurance, même si en F1, bizarrement, là cela choque.
Question de mentalités. Les Formules Electriques doivent rouler en
peloton et en paquet pour faire effet. Aux essais, c'est plus
limite.
Malgré ces quelques imperfections de jeunesse et de concept, tout
de même cette première saison de Formula E vaut un bon 19/20. Elle
n'ambitionne pas de remplacer la F1 (même si beaucoup venant d'elle
le souhaitent par esprit de revanche), mais de se placer aux côtés
de la F1 et du WEC comme un troisième championnat phare, celui qui
pousse le plus le sport automobile vers un nouveau public. Tout le
monde peut finalement l'apprécier, même les puristes. La lutte
Piquet/Buemi/DiGrassi dans le final de Londres a dressé les poils
de tous ceux qui aiment la course. Pas seulement de ceux qui vivent
par effet de masse connectés 24h/24 sur les réseaux sociaux ou qui
boivent du champagne dans les Paddock Club. De ceux qui aiment la
F1 ou Le Mans aussi. Qu'il n'y ait pas du tout de bruit ou que ce
soit des gros engins un peu grossiers, peu importe au final.
Derrière, il y a une idée, et une bonne idée. Un concept et un bon
concept. Une originalité et une vraie originalité.
Si la Formula E est une nouvelle façon de faire la course, c'est
avant tout une nouvelle façon d'en parler et d'en donner le goût à
des gens d'un horizon différent et nouveau. Tout ce qui participe à
faire de la course automobile un centre d'intérêt puissant au
milieu du foot, tennis, rugby et autres golf, est une bonne
nouvelle. Rien que pour cela, bravo à elle. Et longue vie.


