Il y a 20 ans : la Benetton B195 de Schumacher

Publié le 22 octobre 2015 à 06:00
Mis à jour le 20 novembre 2020 à 10:08
Il y a 20 ans : la Benetton B195 de Schumacher

En 1995, M.Schumacher remportait son 2e titre, le dernier de Benetton. Retour sur la monoplace B195 et récit de la saison des Schumi, Brawn et autre Renault.

« Avant, nous étions les vilains petits canards de Renault.» Christian Blum, alors ingénieur motoriste chez Ligier, n’a pas oublié à quel point les choses ont changé à l’orée de la saison 1995. « En septembre 1994, on revenait d’un essai avec Ligier, » narre-t-il,  » quand Jean-François Robin, l’un de nos patrons, m’appelle et me dit que l’accord avec Benetton a été signé pour 1995. Il m’annonce aussi que l’équipe dédiée à Ligier allait l’être désormais à Benetton. Les vilains petits canards allaient être armés pour affronter nos amis de Williams ! » Car le motoriste français, triple champion du monde 1992, 1993 et 1994 avec Williams, prit une décision unique en son genre. Il décida de fournir ses moteurs aux deux écuries les plus en pointe : Williams – client fidèle depuis 1989 – et la trublionne Benetton, titrée avec Michael Schumacher en 1994. Un défi plus osé encore que Honda avec Lotus et Williams (1987) puis McLaren et Lotus (1988).
Dans le bras de fer Williams/Benetton animant la F1, Renault se trouvait au beau milieu. « On peut parler de guérilla interne à Viry, » confirme Christian Blum. « On était dans les mêmes bureaux, mais on se battait les uns contre les autres. Bernard Dudot, le directeur technique, avait instauré les règles du jeu : on partageait ce qui était lié à la fiabilité, mais pour la performance, c’était chacun pour soi ! » Un autre ancien ‘’vilain petit canard’’, Vincent Gaillardot, devenu le responsable de l’exploitation Renault auprès de Benetton (en plus de l’ingé moteur de Michael Schumacher), confirme l’ambiance pour le moins tendue parmi les 30 ingénieurs employés sur le programme F1. « On ne se faisait pas de cadeaux entre nous. Cette année-là, la clé était le soufflage des échappements dans le diffuseur. Chez Benetton, on avait trouvé une astuce, et évidemment on ne l’a pas dite à nos petits camarades qui travaillaient chez Williams. » De bonne guerre, surtout que la saison 1995 aboutit finalement à un triomphe de Renault : 16 victoires sur 17 (11 pour Benetton, 6 pour Williams). Un taux historique seulement atteint dans l’ère moderne par Honda en 1988 (15/16).

Le calepin de Brawn, la peur de Michael

Fin 1994, donc, Benetton et Renault apprirent à se connaître. L’écurie d’Enstone sortait de huit saisons avec Ford (Cosworth puis HB puis Zetec R), du 1,5 litre turbo au V8 3,5 litres. Cette fois, le châssis anglais allait devoir accueillir un V10, à la cylindrée réduite de 500 cm3 par le règlement, à 3 litres. « L’hiver, on avait eu des problèmes de pompes hydrauliques, » explique Christian Blum. « Elles étaient entraînées par une courroie et celle-ci ne tenait pas. Williams avait trouvé une solution, mais comme elle venait du châssis, il fallait qu’on se débrouille avec Benetton pour trouver la nôtre… Ross Brawn est venu quatre jours à Viry, d’un jeudi à un dimanche, pendant que le moteur tournait non-stop aux bancs. Il avait son calepin et griffonnait des solutions. En un rien de temps, il a trouvé la même que Williams. »
Le moteur Renault conquit immédiatement les troupes d’Enstone : « on avait dès le début plus de puissance avec ce moteur 3 Litres qu’avec le Ford 3,5 litres, » rappelle Pat Symonds. « Cette puissance arrivait de façon équilibrée. Certes le V10 était plus lourd, plus long et plus compliqué à intégrer que le V8, mais le Renault était clairement le meilleur moteur. » Johnny Herbert, pilote Benetton en 1995, en sourit encore : « même quand je suis passé en 1999 au V10 Ford, cela n’avait rien à avoir avec la souplesse du moteur Renault. »
Ce beau monde attaqua la saison, au Brésil. Le soir de la première qualification, le vendredi, Benetton accusait 2 secondes de retard sur les Williams. « Les mécanos sont venus nous demander où était le nouveau moteur de demain, » raconte Blum. « On ne comprenait pas, car on ne changeait jamais le moteur d’une journée sur l’autre. Ford le faisait tous les soirs. On a découvert que leurs soupapes étaient trop fragiles en 1994. Quand on a vu cela, on s’est dit que Williams-Renault aurait dû largement dominer le championnat 1994 ! » La mort tragique de Senna était passée par là.
Au Brésil, pour la deuxième qualification, Schumacher parvint à rejoindre Hill en première ligne, à trois dixièmes de la Williams. Le lendemain, l’Allemand l’emportait, perdant dans un premier temps sa victoire sur une histoire de carburant Elf non homologuée, avant de la récupérer ensuite. L’alliance Benetton et Renault démarra sur un succès. Pourtant, du côté de Benetton, le climat était à l’inquiétude. L’Allemand avait été victime, aux essais libres, d’une rupture d’un cardan de direction. Sorti de la piste à pleine vitesse, Michael était indemne mas inquiet : « c’est la seule fois où je l’ai vu avoir peur, » avoua Flavio Briatore, le patron. « Schumi a commencé la saison sur une mauvaise expérience, » reconnaît Vincent Gaillardot, son ingénieur moteur. « D’entrée, il ne l’a pas trop aimé. » En 2010, Michael Schumacher nous avait parlé en ses termes de sa Benetton B195 : « elle était aérodynamiquement compliquée, difficile à conduire. Un cauchemar à certains moments. » « Je n’ai pas souvenir de cela, » rétorque aujourd’hui Pat Symonds. « La B195 était une moins bonne voiture que celle de 1994, mais elle n’était pas une mauvaise voiture non plus. » En début de saison, Michael commit d’autres erreurs de pilotage. Ce qui était rare chez lui. Johnny Herbert a été témoin de cette période. « Michael avait un style de pilotage très particulier. Il aimait un train arrière très précis et une voiture très directive. Au début, elle ne lui plaisait pas du tout. Il a fait des pieds et des mains pour que l’équipe technique la fasse évoluer dans son sens. Rory Byrne a tout changé pour le GP d’Espagne. Et Michael a dominé comme jamais. Quand Gerhard Berger a essayé la voiture au Paul Ricard, suite à son transfert en vue de 1996, il m’a dit : « mais elle est inconduisible cette voiture ! Comment avez-vous fait ? »

Revoilà le soufflage

En 1995, plusieurs choses handicapèrent les F1. La FIA prit de nouvelles mesures post-drame Senna pour réduire plus encore les performances. S’ajoutaient donc une réduction de la largeur de l’aileron avant et de la hauteur des dérives latérales, une réduction de 10 cm de la hauteur de l’aileron arrière, et la suppression d’éléments de carrosserie en amont des roues arrière… L’équilibre des voitures s’en trouvait bouleversé. Mais chez Benetton, n’y avait-il pas un autre problème plus spécifique ? Malgré l’interdiction des aides électroniques au pilotage – dont l’anti-patinage-, des rumeurs circulaient en 1994 sur un système recréant un contrôle de motricité. Ayrton Senna, sorti de la piste au GP du Brésil en suivant la Benetton de Michael Schumacher –
il avait oublié qu’il n’avait plus d’anti-patinage – était même venu à Viry-Châtillon pour demander à Renault de travailler sur un système identique, basé sur un programme électronique chargé sur la grille de départ et qui disparaissait, via une mémoire flash, une fois le contact coupé. En tout cas, en 1995, rien de tel sur la Benetton-Renault.
En revanche, le travail sur le moteur ne manqua pas. Notamment sur le soufflage des gaz d’échappement dans le diffuseur. Renault s’y connaissait déjà, puisque Jean-Claude Migeot l’avait expérimenté en 1983 sur la Renault RE40. Une solution difficile à mettre au point. En 1995, il fallait trouver une parade pour récupérer une partie de l’appui arrière perdu. « Benetton voulait aller encore plus loin que Williams dans l’intégration du moteur au châssis, » explique Vincent Gaillardot. « Michael aussi. Il ne voulait pas entendre parler de puissance max. Seul le chrono final comptait. » Le soufflage demanda un travail d’adaptation de la part du pilote. Michael Schumacher, toujours dans notre interview en 2010, notait : « la différence d’appui aéro entre les phases où j’accélérais et où je lâchais la pédale était très significative. On a travaillé pour réduire cet effet. » Renault apporta plusieurs solutions : « papillons toujours ouverts, allumage à retardement… On se concentrait surtout sur les charges partielles. Michael était excellent au jeu de garder une position d’accélérateur identique tout au long d’un virage. J’utilisais ses acquis pour montrer à Olivier Panis ce qu’il fallait faire. »
Renault apporta à Saint-Marin puis à Magny-Cours deux évolutions moteur : le RS07A puis le RS07 B. Elles portaient sur les pistons, la chambre de combustion, l’augmentation du taux de compression, avec une augmentation du régime moteur (500 tr/min) et de la puissance (25 chevaux). Les ingénieurs Benetton ne furent pas en reste avec deux systèmes de soufflage : à quatre sorties (deux dans le canal central, deux sous le fond plat) puis un nouveau diffuseur durant l’été avec une seule sortie unique dans le canal central. L’autre gros changement fut une toute nouvelle suspension avant à trois amortisseurs !

Benetton enfin une vraie équipe

Rapidement, le scenario de la saison 1995 se dessina à contours très nets. Des Williams en pole position mais des Benetton vainqueur le lendemain ! 12 pole positions Williams contre 4 pour Benetton. 11 victoires pour Benetton contre 5 pour Williams… « La Benetton était moins fine qu’une Williams, » reconnaît Christian Blum. Effectivement, Williams avait sa propre soufflerie, pas Benetton. « En qualif, ils nous dominaient. Par contre, en course, on faisait la différence. Surtout en stratégie. Avec le retour des ravitaillements en essence à partir de 1994, la stratégie a pris énormément d’importance. Et là, Ross Brawn était bien meilleur qu’un Patrick Head un peu largué. »
Schumacher était aussi un Roi pour appliquer à merveille les stratégies implacables de Ross Brawn. « Vincent et moi-même étions fascinés de les entendre à la radio. Ross prenait la parole pour annoncer à Michael que pour gagner, il fallait faire 3 arrêts. ‘’Tu peux le faire ?’’ Schumi demandait deux tours pour réfléchir :  »ok, on peut y aller. » Et ils y arrivaient… Williams, elle, partait sur un plan et n’en changeait jamais ! Combien de grands prix Williams a perdu à cause d’une stratégie manquée ! »
Michael Schumacher était sans aucun doute le leader de l’écurie. Par son talent naturel mais aussi par statut. « Après la première qualification, j’ai imprimé les télémétries de Michael pour les montrer à Herbert, » raconte Blum. « Michael me les a arrachées des mains. Il est allé voir Dudot pour se plaindre : « J’ai un contrat de pilote n°1. Il est interdit de montrer mes télémétries. » J’avais fait une boulette ! Mais on faisait cela pour aider Johnny, pour que ce soit lui qui soit sur le podium à la place d’une des deux autres Williams. Michael a mis du temps à le comprendre. » Le caractère de l’Allemand était déjà bizarre : généreux avec son équipe rapprochée, les siens ; maladroit et distant avec les autres. Dire pourtant qu’il avait pris des cours de Français pendant trois mois l’hiver, afin de commencer son premier briefing moteur dans la langue de Molière. « Ici, on parle en Anglais, » lui avait rétorqué Bernard Dudot.
Damon Hill, courageux en 1994, fut assommé par son rival allemand. A deux reprises, l’Anglais se prit les pieds dans le tapis et s’accrocha avec lui : Silverstone et Monza. Sous la pluie de Spa, Schumacher dégouta Hill, en zigzaguant en piste avec des pneus… slick. Parti 16e, l’Allemand l’emporta. Une démonstration. Dès le Pacifique, à trois courses de la fin, l’affaire fut pliée. Schumi y empocha son deuxième titre, égalant le record de 9 victoires en une saison détenu par Mansell en 1992. Benetton, elle, eut le droit au titre constructeur (au Japon) qui lui avait échappé en 1994. Même le second pilote, Johnny Herbert eut sa part de gloire (deux succès). Il fut le premier équipier de Schumi à monter sur la plus haute marche d’un podium ! « Benetton devient une vraie équipe », clama Flavio Briatore. Plus pour longtemps ! « L’autre Scuderia », comme disait Luciano Benetton en comparaison avec la mythique Ferrari, remporta là ce qui fut son dernier titre. Dès le 16 août, Schumacher informa de son départ pour la vraie Scuderia, en 1996. Il emmena avec lui une grande partie de ce qu’il avait appris cette saison-là : la recherche complète de la performance, l’intégration optimale du moteur. Cela tombait bien, Ferrari se préparait à un crime de lèse-majesté : le retrait du V12 au profit d’un V10 !

Fiche technique

Benetton-Renault B195
Voie avant : 1690 mm
Voie arrière : 1618 mm
Empattement : 2880 mm
Longueur : 4500 mm
Largeur : 1996 mm
Hauteur : 950 mm
Poids : 595 kg
Moteur Renault RS7A puis RS7BV10 à 67° 2998 cm3
4 soupapes par cylindre
Rappel pneumatique
695 chevaux à 16400 tr/min
Boîte de vitessestransversale, 6 rapports + marche arrière
Essence et lubrifiants : Elf
Electronique : Magneti-Marelli
Pneus : Goodyear

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