Humeur : la vraie menace est ailleurs

Avant et après chaque GP, Sport Auto.fr se laisse aller à une humeur très personnelle. En Malaisie, on reparle du vieux serpent de mer des dominations en F1.
Le premier grand prix d'une nouvelle saison est souvent une occasion en or de se faire peur. C'est le naturel retour du balancier après l'optimisme béat des essais hivernaux. Devant les télévisions, mais aussi en salle de presse, les commentaires fusent : « la saison est déjà finie. » L’assommant doublé des Mercedes à Melbourne a créé la panique. Ni le suspense ni le spectacle n'ont été au rendez-vous. D'un coup, ça y est : tout est nul en F1, tout est à jeter, même le bébé avec l'eau du bain.
Du déjà vu
Mais à y regarder de plus près, ce grand prix d'Australie n'a pas été très différent de celui de l'an passé. Nico Rosberg l'avait remporté avec 26,7 secondes d'avance sur le deuxième, là où l'écart entre Mercedes et son rival le plus dangereux a été de 34 secondes cette année. Seul l’abandon mécanique d’Hamilton avait empêché un doublé allemand, et par conséquent, il n'y avait pas eu non plus de lutte en tête. Or on ne peut pas dire que la saison 2014 n’a pas été une saison passionnante pour le titre. En 2011, Vettel et Red Bull avaient également atomisé la concurrence : plus de 20 secondes d'avance. En 2010, le doublé Ferrari avait repoussé les autres à 23 secondes, et à 34 secondes en 2004. En 1998, pire que tout, les McLaren avaient collé un tour à tout le monde et même au troisième, la Williams de Frentzen. Or, 1998 a été une belle année, avec une lutte mondiale jusqu'à la dernière course. En 1996, enfin, les Williams naviguaient plus d'une minute devant les autres. Etc...
Une histoire de cycles
Rien n'est jamais nouveau en F1. L'histoire est un éternel recommencement de cycles. On sait depuis un an qu'un cycle Mercedes a démarré et qu'il ne s'arrêtera pas de sitôt. Il faut, quand une période de domination démarre, attendre patiemment un nouveau changement de règlement pour rebattre les cartes. Comme en 2014, 2009, 2000, 1995... Red Bull a dominé de 2010 à 2013, Ferrari de 2000 à 2004, McLaren de 1988 à 1991... Soit entre 4 et 5 ans chacun. On peut donc à vue de nez estimer que Mercedes pourrait rester la référence, sauf catastrophe, jusqu'en 2017. Pourquoi la F1 n'y survivrait-elle pas alors qu'elle le fait depuis 65 ans ? La nostalgie gomme la réalité pour ne retenir que ce qui nous fait plaisir et pour toujours cracher sur le présent. 2015 va nous réserver des surprises, comme toujours. Ce ne sera certes pas celle de voir Mercedes détrônée, mais le destin n'est jamais à court d'idées.
La F1 est un tout
La F1 est un sport à l'identité très à part. Elle est évidemment une discipline sportive où les pilotes sont des héros et nous font rêver. Mais elle est aussi un terrain de guerre technique où les monoplaces et les ingénieurs ont autant de places. Les Chapman, Murray, Newey, Barnard, et même les jupes, effet de sol, suspensions actives, antipatinages, turbos, ailerons ont leurs mots à dire dans les palmarès et dans nos cœurs, aux côtés des Clark, Piquet, Senna, Prost, Vettel... C'est un tout. On ne le découvre pas en 2015. Mais il semble qu'au fil du temps, la F1 ou plutôt les fans vivent cela de plus en plus mal. L'ère de la télévision et maintenant du numérique ne colle plus trop au patrimoine génétique de ce sport au spectacle aléatoire. Mercedes domine ? La saison sera terne ? Et alors. Il a toujours fallu accepter cette règle et vivre avec. Sans crier à l'injustice. Il y a toujours pleins d’autres choses à admirer : un beau pilotage, le travail de Mercedes, les duels Hamilton/Rosberg qui ne manqueront pas, une surprise, un exploit, un dépassement...
Ne pas sacrifier la recette magique de la F1
Au lieu de cela, certains comme Red Bull réclament que l'on s'en prenne à Mercedes, non pas discrètement comme ce fut souvent le cas quand quelqu'un domine mais purement et simplement en égalisant les performances. Proposition défendue par Bernie Ecclestone. Sacre bleu ! Voilà bien exactement la seule menace pour la survie de la F1, qu'un jour quelqu'un ouvre la boîte de Pandore en rajoutant du lest à une monoplace dominatrice ou en obligeant les meilleurs à rouler en pneus plus durs que les autres ou en inversant les grilles de départ... Certaines disciplines mécaniques l’ont fait et le font, mais pour quel retentissement médiatique ? GT, WTCC, ALMS, GP2... Ces championnats sont des shows sympathiques, mais quelles sont les audiences réelles ? En choisissant cette voix, la F1 détruirait sa recette magique sur l'autel de l'audimat et de la satisfaction de notre impatience chronique. Il sera toujours plus pur d'assister à un grand prix ennuyeux dans les règles de l’art que de voir une parodie de spectacle superficiel. On a déjà assez des pneus Pirelli et du DRS. Ceux qui n'ont toujours pas intégré cela ne comprennent pas l'esprit très particulier de la F1 et, disons-le, ne l'aiment fondamentalement pas. Malheureusement, ils sont nombreux et ce sont eux qui ont de plus en plus la parole.