Essai rétro : Honda NSX, pas une ride !

Au début des années 90, Honda déclare la guerre au gratin des sportives du monde entier, en lançant la « Ferrari japonaise ». Voyons si elle a de beaux restes.
La Honda NSX était placardée sur la tapisserie du frangin. Elle
médusait par sa ligne, ce qui ne l'empêchait pas de finir dans le
mur et d'être victime de maltraitance en Majorette, au profit des
Ferrari et Porsche ennemies. Une erreur de jeunesse... Mea culpa.
En la revoyant vingt-sept ans après, la japonaise en jette toujours
autant et intimide par ses proportions, son aura. Elle qui a osé
s'en prendre aux références de l'époque, en tablant sur la
polyvalence et l'innovation : coque et carrosserie alu, suspension
idoine, aéro générant de l'appui, « petit » V6 à haut rendement
doté d'une distribution et d'une admission variables, pneus dédiés
et asymétriques, docilité inédite...
En 1989, lors de l'essai du prototype, José Rosinski soulignait que
la demande d'une telle auto émanait des Etats-Unis, en mal de
sportives de moyenne cylindrée, et qu'elle avait « la même noblesse
technique que la concurrence » . Un an plus tard, après avoir pris
le volant d'un modèle de production, il concluait que « pour un
premier essai, c'est déjà un coup de maître » . Carrément.
Une sainte journée
Dans la cour de sa demeure loir-et-chérienne, le propriétaire de
cette NSX tend les clés en conseillant d'en profiter un maximum
tout au long de la journée. Un saint homme. Quelle confiance !
Laurent, ingénieur en mécanique et instructeur, a aussi bon goût.
Une Jaguar XJR (4 litres à compresseur) fonctionnant au GPL
l'accompagne sur les vols long-courriers. Un joujou Westfield
extrême lui rafraîchit les idées et une réplique de Cobra secoue
les champignonnières alentour avec son V8 7 litres. Au milieu de ce
beau monde, la NSX fait de l'œil. Ses traits purs n'ont pas pris
une ride. Elle rase le bitume. Elle semble rikiki par rapport aux
monstres actuels : largeur de Leon Cupra, longueur d'Evora 400. Mais quelle prestance ! Les têtes se
dévissent et l'écho « Ferrari » ne cesse de revenir aux oreilles.
Il y a pire comme comparaison... « Je vous donne tout l'argent que
j'ai ! Je dois avoir 70 €... », hurle un petit bonhomme. Et la
surenchère entre copains grimpe jusqu'à 155 000 €. La japonaise en
jette toujours autant et intimide par son aura. Elle qui a osé s'en
prendre aux références de l'époque. Adjugée. En regardant la star
de plus près, les petites roues font sourire et trahissent son âge
: 15 pouces à l'avant et 16 pouces à l'arrière ! Les phares
amovibles font craquer, au point de les dégainer à la moindre
occasion. Le capot avant, en alu et très coûteux comme le reste des
éléments, abrite une roue de secours. Et le coffre ? Il prend place
en porte-à-faux arrière. Le V6 transversal, lui, est caché sous la
lunette et la plage arrière.
Atypique, cette architecture est rarissime dans la production
actuelle : Lotus Evora/Exige V6. Face à la complexité du système
hybride de la nouvelle NSX, Laurent est fier de mettre les
mains dans le cambouis : « Je fais tout moi-même ! Tout est
accessible, même la distribution ! En plus de 55 000 kilomètres, je
n'ai presque rien dépensé. Je remets rarement de l'huile. La
fiabilité de Honda n'est pas une légende ! » Bon, il avoue quand
même avoir repeint la belle au moment de son rachat, en 2010. Il
pouvait se le permettre, sachant qu'il a réalisé une affaire :
modèle français de 1994 récupéré aux Baléares contre 23 000 € avec
150 000 kilomètres au compteur. La cote moyenne s'établissant
autour de 60 000 €, il s'agit d'un beau coup de poker. A bord,
l'ambiance est aussi triste que chez une allemande en mal
d'inspiration. Mais les matériaux font bonne impression. En levant
les yeux, le panorama et la visibilité périphérique surprennent. A
l'opposé des bunkers actuels ! Bref, on se sent bien. La position
de conduite enchante et les sièges relaxent par leur moelleux,
faute de maintenir. Le V6 se réveille gentiment. C'est tout ? Nos
tympans sont déformés par les tromblons actifs. Ca y est, le rêve
se réalise. La NSX s'élance à la conquête des châteaux
environnants.
Grand Tourisme
Pour une fois, les biceps sont sollicités. Et pas qu'un peu
étant donné la démultiplication de la direction. Cela change de la
surabondance d'assistance et de réactivité aux placements des
sportives contemporaines. Malgré l'absence d'aide, le feeling n'est
pas aussi pur qu'escompté. Ca y est, le moteur est chaud. Il est
temps de voir ce qu'il a dans le ventre. La lecture des
caractéristiques fait ricaner. Bêtement. Le couple maxi est
inférieur à celui du petit mazout prêté gentiment par Honda (1,6
litre turbo sur un CR-V). Quant à la puissance maxi, elle se hisse
à peine au niveau d'une 308 GTi. La NSX ne peut donc pas faire de mal.
Erreur. Elle procure des sensations inespérées, en raison d'un
poids contenu (1 370 kg vérifiés) et d'un V6 bipolaire. Merci le
VTEC ! S'il n'a rien de foudroyant à bas régime, le 3 litres fait
preuve de souplesse et profite d'un accélérateur vif, à la mode
nippone. Le ton change, et le caractère aussi, à 5 000 tr/mn,
lorsque la distribution devient hargneuse.
Le 6 cylindres montre son vrai visage, plus course et très réactif.
Il s'éclaircit la voix, en régalant les tympans et en massant les
épaules. L'aiguille s'emporte jusqu'à 8 200 tr/mn et le compteur
grimpe jusqu'à 135 km/h en 2de ! Ce V6 est très singulier, tant par
le timbre que par le tempérament, et procure un bien fou à l'heure
de la suralimentation généralisée. Oui, il a de beaux restes et
permet à la GT de couvrir le 1 000 m en 25''0. De quoi faire
enrager la Ferrari 348 TB. De nos jours, cette accélération émane
d'un autre segment : les GTi... Comme par exemple la Civic Type R 2016, au poids équivalent,
histoire de rester en famille. Le choc : Goldorak au coude-à-coude
avec l'icône ancestrale ! Il ose même la ridiculiser en reprises de
100 à 140 km/h en 5e . Facile, avec un turbo. Heureusement, la NSX
garde le dessus en vitesse maxi, grâce à sa finesse aéro. Tiens,
prends ça, le robot tarabiscoté ! « Tu fais la maline, mamie ?
Essaie de me suivre en virages... » Le jeune irrévérencieux a
raison. La type R montre les crocs aux placements et se dandine
avec beaucoup plus d'entrain.
Sensations inespérées
La NSX ne peut pas faire de mal : 274 ch, 29 mkg. Erreur. Elle
procure des sensations inespérées, en raison du poids contenu et
d'un V6 bipolaire. La NSX a toutefois l'apanage de l'équilibre, du
confort et de la stabilité. Et na ! On se rend vite compte qu'elle
n'est pas taillée pour avaler du vibreur. Les mouvements de caisse
lui octroient des réactions progressives, qui aboutissent en
premier lieu à du sous-virage. De quoi faciliter la prise en main
et proposer un concept inédit dans le segment, en 1990 : la
polyvalence d'utilisation. La NSX incarne une digne représentante
du Grand Tourisme. Pour satisfaire les puristes, elle s'est
déclinée en rare version R (1993 à 1995) : allégée à 1 230 kg,
raidie, portée à 280 ch et dotée de rapports courts. On en salive,
car elle devait ajouter un côté foldingue échappant à la NSX
classique. Certes, il peut lui arriver de glisser et de fumer de la
gomme si on insiste, selon son propriétaire.
Avant de rappeler : « Je dois faire une purge du système ABS et
j'ai préféré le déconnecter pour ne pas avoir de déclenchements
intempestifs. Du coup, l'antipatinage ne fonctionne pas car il
utilise le capteur ABS. » Message reçu : prudence. De toute
manière, nous ne sommes pas là pour torturer son bébé, « à peine
rodé » (206 000 km !), mais plutôt pour apprécier des saveurs
inconnues : mécanique atypique, comportement prévenant,
efficacité... Couverte de louanges à l'époque, la commande de boîte
séduit par sa rapidité et son guidage. Le débattement a toutefois
pris un léger coup de vieux. Et les freins ? Ils manquent de
piquant, mais les décélérations satisfont. Le bilan s'avère donc
enthousiasmant. De là à revendre femme et enfants pour l'acheter,
il y a un pas que je ne franchirai pas. La NSX est bien sous tous
rapports, facile à vivre. Elle laisse de très bons souvenirs au
volant, mais pas impérissables. Si vous en croisez une en France,
faites un vœu, car il en circule seulement une centaine.
Quelques données
Voici quelques chiffres sur cette icône des années 90, qui n'a
pas pris une ride. Un grand merci à Honda France
et au propriétaire de cette NSX pour leur confiance et leur
gentillesse. Désolé, ce modèle n'est pas à vendre !
> Moteur : V6, 2 977 cm 3, 274 ch à 7 300 tr/mn, 29 mkg à 5 400
tr/mn
> Transmission : aux roues AR, boîte manuelle à 5 rapports
> Poids constructeur/mesuré : 1 355/1 370 kg
> L - l - h : 4 405 - 1 810 - 1 170 mm, empattement : 2
530 mm
> Performances mesurées : 0 à 100 km/h en 6''6, 1 000 m D.A. en
25''0, 271 km/h
> Prix à l'époque/cote actuelle : 480 000 F/environ 60 000 €
Photo : L.Villaron / Sport Auto


