Tour Chrono (vidéo) - Dallara Stradale IR8 Tribute : race en voie d’extinction...
Il nous aura fallu attendre cinq ans pour passer la Dallara Stradale au gril du Tour Chrono. Il nous aura fallu aussi consentir à quelques concessions pour que les Italiens daignent se déplacer. Le jeu en valait-il la chandelle ? Sans aucun doute, car cette auto pourrait être la dernière d’une race en voie d’extinction. Nous avons accepté quelques compromis pour Dallara, et la Stradale nous en a généreusement remerciés. Découvrez notre essai survitaminé en vidéo.
Dallara n’est pas le constructeur qui vient immédiatement à l’esprit quand on évoque la sportivité à l’italienne. Pourtant, la firme est incontournable, et cette édition limitée (25 exemplaires) de la Stradale, baptisée IR8 Tribute et célébrant les 25 ans de la première victoire aux 500 Miles d’Indianapolis (1998, avec Eddie Cheever), nous rappelle que la marque, fondée par Giampaolo Dallara en 1972, a un palmarès à faire frémir les plus grands constructeurs.
L’octogénaire a travaillé chez Ferrari, migré chez Maserati, donné naissance à la Miura et travaillé pour De Tomaso. Aujourd’hui encore, rares sont les marques, y compris les plus prestigieuses, à ne pas faire appel à Dallara, notamment pour la mise au point châssis et liaisons au sol, et le constructeur italien est inévitable en IndyCar, F2 et F3.
En 2017, il lance la Stradale, sa première auto homologuée route. La voiture est une barquette en carbone, animée par le 2,3 litres turbo de la Ford Focus RS, et peut être équipée d’une jolie bulle avec ses ailes papillon. Les sièges, moulés à même la monocoque, imitent ceux de la KTM X-Bow.
Rien d’anormal, Dallara en ayant développé le châssis. Il nous a fallu faire quelques concessions pour que Dallara accepte notre invitation. Première d’entre elles : l’essence. Malgré notre insistance, la marque a refusé que nous utilisions de l’octane 98 pour les mesures, le banc de puissance et les chronos au Vigeant. Est-ce juste à l’égard des autres marques ?
Probablement pas et nous le regrettons, mais le chef produit, Daniele Guarnaccia, s’est montré inflexible sur ce point. Qu’à cela ne tienne, l’auto est gavée de SP100 (introuvable chez nous mais disponible en Suisse ou en Italie). « Sur la quarantaine de Stradale vendues en France, près d’un quart sont à Monaco, et nos clients ont l’habitude de passer la frontière pour faire le plein. »
L’argument de Daniele ne me convainc guère, à l’inverse de la position de conduite. O.K., mes nouveaux amis transalpins ont dû ôter la mousse de l’assise (remplacée par une couche en cuir), et le dossier, qui dissimule un rangement de 25 litres, est moins épais, mais une fois la portière claquée, les cheveux ne touchent pas, les coudes prennent leurs aises, et seul le pédalier réglable, décalé sur la droite (idéal pour freiner du pied gauche), surprend les premières minutes.
Les jambes sont légèrement surélevées, les fesses avancées, le dos est incliné, le volant proche du buste : je me sens vraiment à bord d’un engin voué à la piste. Ce que les prochaines minutes ne tarderont pas à confirmer.
Petit moteur, grosses sensations
C’est parti pour les mesures sur l’anneau de vitesse. L’équipe
de Dallara me règle la hauteur de caisse (par une commande au
volant) ainsi que la dureté de l’amortissement. Je leur réclame
suffisamment de débattement pour absorber les irrégularités de la
dernière voie, mais la première tentative révélera que la Stradale
talonne à haute vitesse.
La compression manque de retenue et le diffuseur en carbone, tout
neuf, en fait les frais. Et hop, deux superbes tranchées dans la
fibre tressée ! L’auto est équipée d’une boîte Getrag manuelle que
Dallara doublonne avec un module robotisé, permettant de se passer
de pédale d’embrayage.
Depuis le tunnel central, une molette laisse le choix de la
cartographie normale ou sport. Le launch control est des plus
simples : pas de bouton spécifique, il suffit d’écraser la pédale
de frein, d’en faire autant avec l’accélérateur, d’attendre le
message indiquant que tout est O.K., et c’est parti.
A un détail près la Dallara oblige à moduler, du moins sur le
premier rapport, la pression à droite. D’où une première session de
mesures qui ne convient pas à mes potes italiens. La seconde
tentative sera la bonne.
La lenteur de la transmission (Dallara annonce pourtant une toute
nouvelle gestion sur ce millésime 2023) en automatique contraint à
jouer avec les palettes. Mais le claquement à chaque passage et la
sensation sous le majeur sont tellement agréables que ce n’est pas
vraiment un grief.
La voiture d’essai est enrobée de Pirelli PZero Trofeo R,
l’équivalent transalpin des redoutables Michelin Sport Cup 2 R. En
dépit du couple trop généreux (voir encadré ci-contre), la
motricité est sans faille. La Stradale détale sans demander son
reste. Les 3”3 revendiquées par le constructeur pour le 0 à 100
km/h sont hors de portée, mais les explications sont vite
trouvées.
Primo, ce chrono officiel a été réalisé dans un environnement moins
forestier que Mortefontaine, avec un goudron plus accrocheur.
Secundo, Daniele m’avoue que le pilote qui a établi les valeurs de
référence doit faire peu ou prou le poids de ma cuisse.
Tertio, l’auto était privée de toute option susceptible de la
desservir (cockpit, clim, roues de 17 et 18 pouces en lieu et place
des 18 et 19 pouces de notre modèle anniversaire). Quarto, le
réservoir n’emportait que quelques litres.
Pas si mal…
Bref, je trouve toutes les excuses possibles pour justifier mes
3”8 pour franchir les 100 km/h, exercice tout sauf révélateur sur
ce type d’auto. La borne kilométrique est dépassée à 234 km/h au
bout de seulement 21”6. « En plus, nous avons chargé la voiture
en aéro en prévision du Vigeant », me précise‑t‑on. « Finalement,
ce n’est pas si mal », sourit Daniele.
L’accélération n’est pas éprouvante, mais la position de conduite
au ras des pâquerettes et la vision très étonnante, presque à 180°,
qu’offre cette verrière frontale rendent l’expérience unique. Né
chez Ford, et malgré une ligne d’échappement sur mesure, le 2,3
litres turbo râle plus qu’il ne chante.
A bord, il maugrée. De dehors, il souffle. Pas de quoi
l’enregistrer pour en faire sa sonnerie de téléphone. En matière
d’agrément, sans surprise et suralimentation oblige, il y a un côté
on/off assez marrant mais qui ne donne pas envie de flirter avec la
zone rouge. Au-delà de 5 500 tr/mn, le 4 pattes s’essouffle un peu.
A l’inverse, pour les reprises, c’est la déferlante. Sans être au
niveau d’une 720S, en quatrième, la Stradale file aussi vite qu’une
GT3 RS en Drive !
Rendez-vous est pris pour le lendemain matin sur le banc de
puissance, mais avant, une corvée m’attend : les bouchons
franciliens. Deux heures et quarante-cinq minutes pour effectuer
les 108 km qui séparent le Ceram de mon domicile…
En raison d’un manque de docilité de l’accélérateur, s’immiscer
dans le trafic n’est pas toujours simple. Et puisque l’italienne
est haute comme un enfant de 8 ans, il n’est pas rare de se voir
fermer la porte au dernier moment. Heureusement que le klaxon est
puissant !
Ça propulse… sainement
Arrivés chez DM Performance, pas de complément de SP100 cette
fois-ci, mais un ordinateur sur le siège passager. Le représentant
de la marque précise qu’il s’agit uniquement d’acquérir quelques
données au moment de passer sur le banc de puissance.
Mais quand Julien, de chez DM, termine son run avec un couple
supérieur de 15 %, Dallara bafouille un peu. « Il fait vraiment
frais aujourd’hui, et les conditions sont optimales. C’est
surprenant qu’elle ait autant de couple. » Pas d’accusation de
ma part, juste une volonté de comprendre. N’étant pas motoriste, je
me tais, satisfait que la Stradale apprécie autant l’air des
Yvelines.
Cap sur la Vienne pour un périple étonnamment reposant. La
suspension a été adoucie (une clé Allen suffit à modifier
l’amortissement), et même les péages ne sont pas une punition. Il
faut bien sûr détacher le harnais 4 points, ouvrir la porte (les
vitres sont fixes) et à peine se déhancher pour attraper le
ticket.
Les bruits de roulement et aérodynamiques sont très nombreux, et
l’on comprend assez bien pourquoi la Stradale n’est pas équipée de
radio. Mais c’est en attaquant le réseau secondaire limousin que le
charme opère vraiment. Dépourvue de toute assistance, la direction
est parfaite.
Pas trop secouante au point milieu et pourtant tranchante dès que
l’une des deux mains exerce une pression un peu plus forte. En
théorie, 400 ch sur les seules roues arrière pour à peine 1 tonne,
ça doit inviter à une certaine circonspection. Pas chez
Dallara.
Même l’ESP débranché, et à condition que la route soit sèche, la
motricité n’est jamais un problème, les réactions sont toujours
prévisibles. Le carrossage très peu prononcé est un atout dans ce
cas, avec une nature neutre, voire légèrement sous-vireuse.
Je dis « légèrement » car votre pote de track days aura toutes les
peines du monde à suivre votre trace si le goudron n’est qu’une
succession de virages serrés. Faible poids + centre de gravité bas
+ moteur explosif + essieu directionnel très réactif = attrape-moi
si tu peux !
Une géniale Lotus Exige est, en comparaison, plus souvent victime
de mouvements parasites. L’anglaise se rattrape avec ses cordes
vocales, mais il faut reconnaître que la baignoire en carbone de la
Stradale est encore plus rigide et réactive que sa rivale en
aluminium collé. Mais sur le circuit du Val de Vienne, il en pense
quoi, le journaliste, de cette barquette de route si
enthousiasmante ? Il n’en pense rien.
J’avais évoqué, quelques pages en arrière, les compromis faits à
Dallara. S’y est ajoutée une grosse louche de malchance. Un
problème technique, hélas pas réparable sur place, nous a forcés à
plier les gaules plus tôt que prévu. « Tout ça pour rien ? »
Heureusement non, car juste avant ce pépin, notre pilote a réussi à
mettre en boîte un chrono des plus flatteurs, qui hisse la Stradale
sur la troisième marche du podium, intercalée entre la Corvette Z06
et la Porsche GT3 RS.
Demeure un goût d’inachevé en bouche. La Stradale, aux dires de
Christophe, est une arme redoutable sur la piste. « Et sur la
route, ça donne quoi ? » Ça donne un engin dans le viseur de la
réglementation dont le seul tort est de permettre à son conducteur
de toucher du doigt l’extase automobile.
Rares sont les autos à distiller, dès les premiers mètres, ce Graal
absolu, cette osmose tant recherchée où l’homme, la machine et la
route ne font plus qu’un.
Embarquez en vidéo au volant de la Dallara Stradale IR8 Tribute dans notre dernier "Tour Chrono" :
L'avis de notre essayeur Sylvain Vétaux
La patience paie, et Dallara nous le prouve. Si je ressors frustré de n’avoir pu conduire, sur son terrain de prédilection, ce Sport-Proto homologué, le torrent de sensations fortes ressenties sur la route suffit à éteindre la déception.
La Stradale est une sportive pure et dure et paradoxalement accessible au commun des mortels. A condition d’y mettre un prix difficilement justifiable.
Dallara Stradale IR8 Tribute : fiche technique
- Moteur : 4 en ligne, turbo, 16 S
- Position : centrale, transversale
- Cylindrée : 2 261 cm3 Alésage x course : 87,6 x 94 mmR
- égime maxi : 6 750 tr/mn
- Puissance maxi : 400 ch à 6 200 tr/mn
- Puissance au litre : 176 ch/l
- Couple maxi : 51 mkg à 3 000 tr/mn
- Couple au litre : 22,6 mkg/l
- Transmission : roues AR, 6 rapports robotisés
- Autobloquant : de série, mécanique
- Antipatinage : de série, déconnectable
- Suspension AV/AR : doubles triangles, combinés ressorts amortisseurs réglables sur 3 voies
- Direction : crémaillère, non assistée
- Freins AV/AR : disques ventilés et rainurés (305 mm, étriers 6 pistons/291 mm, étriers 4 pistons flottants)
- Antiblocage : de série
- Poids constructeur/contrôlé : 855 kg à sec/1 027,5 kg
- Répartition AV/AR : 40/60 %
- Rapport poids/puissance : 2,6 kg/ch
- L - l - h : 4 180 - 1 870 - 1 041 mm
- Empattement : 2 475 mm
- Voies AV/AR : 1 654/1 590 mm
- Réservoir : 53 l
- Pneumatiques AV & AR : 205/40 ZR 18 & 265/30 ZR 19
- Prix de base : 255 000 €
- Options/malus : 58 320/60 000 €
- Prix du modèle essayé : 373 320 € (malus compris)
Dallara Stradale IR8 Tribute : en mesures
Retrouvez notre Tour Chrono au volant de la Dallara Stradale IR8 Tribute dans le Sport Auto n°745 du 26/01/2024.



