Essai - Chevrolet Corvette E-Ray : évolution logique ou renoncement ?

Première Corvette hybride, mais aussi première Corvette à quatre roues motrices, l’E-Ray entend gagner en polyvalence sans perdre en caractère. Elle peut également fonctionner en mode 100 % électrique ! Evolution logique ou renoncement ?
Verdict sur les routes vallonnées des Länder de Hesse et du Bade-Wurtemberg, dans le Sud-Ouest de l’Allemagne.
Chevrolet Corvette E-Ray : rentrée dans les rangs ?
Ambassadrice de la sportive à l’américaine, la Corvette serait-elle rentrée dans les rangs ? Les aficionados se remettaient à peine du fait que leur auto chérie avait déplacé son moteur en position centrale que voici qu’elle débarque en version hybride !
Qu’ils se rassurent : même dans cette variante électrifiée baptisée « E-Ray », la Corvette conserve ses fondamentaux, à commencer par un V8 6.2 atmosphérique « LT2 » développant à lui seul 482 ch. Il se voit complété par un moteur électrique de 162 ch installé sur l’essieu avant, alimenté par une batterie lithium-ion implantée entre les sièges.
Résultat : la puissance cumulée atteint 644 ch, soit presque autant que le V8 5.5 « LT6 » à vilebrequin plat de la Corvette Z06 (646 ch). D’ailleurs, et malgré son handicap de masse (118 kg supplémentaires), l’E-Ray annonce un meilleur chrono sur le 0 à 100 km/h : 2’’9, contre 3’’1 pour la Z06.
La Corvette hybride n’est donc pas précisément un modèle édulcoré… Pour autant, de nombreuses questions restent ouvertes : qu’apporte concrètement la Corvette E-Ray ? L’électrification du train avant nuit-elle aux sensations de conduite ?
Dans quelle mesure l’auto progresse-t-elle en matière de polyvalence ? Nous avons une journée pour répondre à ces questions, avec comme terrain de jeu une vaste région située au sud de Francfort, incluant le massif montagneux de l’Odenwald, la vallée du Neckar et la belle ville de Heidelberg.
A première vue, rien ne distingue une Corvette E-Ray d’une classique Stingray, si ce n’est la présence des logos spécifiques sur les flancs. Ses dimensions sont d’ailleurs strictement identiques, tout comme ses cotes d’habitabilité.
A mieux y regarder, on note deux différences : l’aileron de la Stingray est remplacé par un plus discret becquet, tandis que les prises d’air sous les feux arrière ont une forme plus étirée et arborent la même teinte que le reste de la carrosserie.
Dans l’habitacle, idem : au premier abord, aucune différence avec une Stingray… à l’exception d’un bouton « Charge+ » dissimulé sur le côté du tunnel central et qui sert à forcer la recharge rapide de la batterie.
Plus étonnant encore pour qui a l’habitude de conduire une hybride : la pression sur le bouton « Engine Start » déclenche immédiatement un déluge de décibels en provenance de l’échappement.
Pas de timide « bip » suivi de silence et de l’affichage d’un « Ready » en vert dans l’instrumentation, mais il existe un programme « Stealth » (« furtivité », en anglais), qui permet de démarrer en mode électrique afin de ne pas vous brouiller avec vos voisins en cas de départ matinal.
Mais s’il autorise à rouler quelques kilomètres en silence (et en traction !), ce mode n’est disponible qu’au démarrage, seulement si la climatisation est coupée et que la température n’est pas trop basse. Plutôt léger, comme hybridation !
Chevrolet Corvette E-Ray : bruyante mais souple
Portières épaisses, seuils larges : l’accès à bord apparaît moins aisé qu’attendu. En revanche, une fois installé, il n’y a pas de raison de se plaindre. La position de conduite se révèle parfaite, l’instrumentation claire et lisible, tandis que la finition est à des années-lumière des (mauvais) souvenirs que je garde des Corvette C6 et – dans une moindre mesure – C7.
On appréciera le côté « cockpit » du dessin de la planche de bord qui, s’il isole quelque peu le passager, donne au conducteur la sensation plaisante de ne faire qu’un avec la machine. L’ergonomie s’avère assez intuitive, avec un bon équilibre entre interfaces tactiles (cantonnées pour l’essentiel à l’infodivertissement) et boutons… dont la fameuse rangée de touches sur la très longue console centrale (rangée qui disparaîtra sur les modèles qui seront livrés l’an prochain).
Enfin, le volant « rond-carré » se montre naturel à prendre en main. Au rayon des reproches, on notera la fermeté des sièges (des baquets Competition optionnels, facturés 1 512 €), la rareté et l’étroitesse des rangements… et surtout une visibilité quasi nulle de trois quarts arrière.
Et même si la caméra de recul fait partie de l’équipement de série, elle ne compense que très partiellement ce gigantesque angle mort. Nous quittons le parking et dès les premiers mètres, l’important frein moteur trahit le travail de récupération d’énergie fourni par la machine électrique avant.
Le système s’attache d’ailleurs à maintenir en permanence une charge de batterie élevée, et il faut vraiment une accélération longue et soutenue pour voir la jauge baisser. Nous mettons cap au sud par les voies rapides, et première surprise : des bruits de roulement très présents.
Notre modèle ne dispose pourtant pas de pneumatiques ultra-radicaux, mais de très polyvalents Michelin Pilot Sport 4 S. Le problème ne vient donc pas des gommes, mais bien d’un manque d’insonorisation des passages de roue. Dommage, car en mode Tour, les suspensions à amortisseurs pilotés magnéto-rhéologiques (la fameuse Magnetic Selective Ride Control, de série sur ce modèle) se montrent très conciliantes. Voilà qui rendra inutilement pénibles les longs trajets…
Chevrolet Corvette E-Ray : le V8 ne manque pas de vigueur
Mais nous ne sommes pas là (que) pour évaluer les qualités Grand Tourisme de la Corvette E-Ray, aussi quittons-nous dès que possible le réseau principal et bifurquons-nous vers l’est en direction du massif montagneux de l’Odenwald.
Il ne s’agit certes pas d’un relief important (il culmine à 626 m), mais il présente l’avantage d’être à une heure de Francfort et d’offrir de jolis monts boisés sillonnés par des routes à l’aspect très varié. Entre deux croisements de voitures et de poids lourds aventureux… ça déménage !
Le V8 ne manque pas de vigueur et prend ses tours avec un tel entrain qu’il n’est pas rare de taper le rupteur sans le faire exprès. Dans l’habitacle, sa sonorité apparaît chaleureuse, notamment à mi-régime. Depuis l’extérieur, mon photographe Yann est formel : « Pas besoin de klaxonner quand tu arrives, je t’entends venir de loin ! Elle fait un sacré beau bruit ! Je me demande bien comment ils sont parvenus à homologuer ça ? »
En ces temps d’austérité où même les belles GT italiennes doivent mettre la sourdine, on ne va surtout pas se plaindre ! Je me pose des questions en revanche sur la pertinence du son artificiel qui s’échappe des haut-parleurs lorsque l’on écrase l’accélérateur, probablement censé rappeler qu’il y a un moteur électrique à l’œuvre.
Un gadget parfaitement inutile et hélas non désactivable. Cela ne suffit cependant pas à gâcher le plaisir que l’on a à exploiter ce groupe motopropulseur à la sonorité plaisante et au souffle quasi inépuisable.
Quasi, car une exploration ultérieure – et purement à des fins scientifiques, bien entendu ! – sur une Autobahn non limitée révélera que la tempête se mue en légère brise passé les 250 km/h. A tel point que l’on s’interroge sur le réalisme des 296 km/h annoncés en vitesse maxi… Ils doivent avoir une (très) longue ligne droite chez General Motors !
De son côté, la boîte – à double embrayage, identique à celle de la Stingray – donne globalement satisfaction. Elle fait preuve de douceur au quotidien et se montre raisonnablement réactive lorsqu’on la sollicite à l’aide des palettes. En revanche, elle traîne un peu trop la patte lors d’un kick‑down.
Chevrolet Corvette E-Ray : beau grip
Côté châssis, la Corvette Stingray aguiche dès les premiers virages, avec une direction très directe et un train avant fort incisif à l’inscription. Et grâce aux pneumatiques XXL (275 de large à l’avant et… 345 à l’arrière), la Chevrolet impressionne par son grip. De la même manière, sa tenue de cap très sereine et son équilibre général en font une machine très rassurante.
Oui, mais… Avec un seul moteur à l’avant, la Corvette E‑Ray ne peut piloter finement la répartition du couple (pas de torque vectoring), si bien que la machine électrique a tendance à élargir un peu trop la trajectoire en sortie de virage.
Rien de dramatique, mais suffisant pour nuire à la lisibilité du comportement routier, d’autant que le phénomène varie en intensité d’une courbe à l’autre. On sent également quelques effets de couple qui viennent brouiller les sensations dans la direction, plutôt bonnes par ailleurs, sauf dans le mode Circuit où le volant réclame un effort excessif.
Heureusement, il est possible de configurer un mode Z où l’on personnalise les réglages de chaque sous‑élément. De son côté, le freinage est confié à un système by‑wire (sans liaison mécanique directe), ce qui évite les problèmes de transition délicate entre récupération d’énergie par le moteur électrique et décélération provoquée par les disques en carbone‑céramique.
Des « galettes » de presque 40 cm de diamètre dont les limites d’endurance seront probablement inatteignables sur route ouverte ! En tout cas, la pédale a du répondant et les ralentissements sont musclés. Nous avons cependant ressenti une légère instabilité du train arrière sur les gros freinages à haute vitesse.
Nous arrivons enfin à Heidelberg, cité à la fois très touristique et très active (on y trouve notamment la plus ancienne université du pays). La vieille ville n’est accessible qu’aux riverains (« Bien fait ! » dirait Greta Thunberg), mais nous posons nos roues à l’entrée du pont Vieux, jeté en 1788 en travers du Neckar.
Autant dire qu’avec son Rapid Blue pétant, la Corvette ne passe pas inaperçue dans ce décor de style baroque ! Aucune hostilité de la part des passants, mais beaucoup de pouces levés et de téléphones brandis.
A titre personnel, j’ai toujours du mal à m’habituer à ces lignes torturées et à ce style fort éloigné des canons de la beauté « corvettesque », même si je dois bien admettre que ce que la C8 a perdu en caractère, elle l’a gagné en efficacité pure grâce à sa meilleure répartition des masses. Et puis même en coupé, c’est un cabriolet !
En effet, son toit amovible se range très facilement dans le coffre arrière, faisant de cette Corvette une targa. Et avec un volume total de 355 litres répartis entre l’avant et l’arrière, elle engloutira sans aucun problème les bagages de vos vacances en amoureux.
Et la conso, on en parle ? Volontiers ! Evidemment, lorsque le pied droit se fait lourd, les 30 l/100 km sont largement à portée. Mais avec l’aide de l’hybridation et de la désactivation de la moitié des cylindres à faible charge, il est possible de descendre nettement sous les 10 l/100 km en conduite paisible. De quoi laisser Greta bouche bée !
L'avis de Vincent Desmonts : 4/5
Sur le papier, la Corvette E-Ray coche toutes les cases : performances accrues, polyvalence par tous les temps, mélodieux V8 préservé, etc. Alors pourquoi seulement quatre feux verts ? Parce que le caractère volage de son train avant entache la cohérence de l’ensemble, et qu’au long de cette journée, j’ai attendu en vain d’avoir l’étincelle, l’indicible déclic qui fait que l’on est séduit par une sportive. De quoi se demander ce qu’apporte vraiment cette version…
Chevrolet Corvette E-Ray : sa fiche technique
- Moteur : V8, 32 S + 1 électrique (avant)
- Cylindrée : 6 159 cm3
- Puissance thermique maxi : 482 ch à 6 450 tr/mn
- Couple thermique maxi : 62,5 mkg à 4 500 tr/mn
- Puissance électrique : 162 ch
- Couple électrique : 16,8 mkg
- Capacité de la batterie : 1,9 kWh
- Puissance cumulée : 644 ch
- Transmission : intégrale, 8 rapports à double embrayage
- Autobloquant : de série
- Antipatinage : piloté de série, déconnectable
- Freins AV/AR : disques carbone‑céramique ventilés percés (398/391 mm)
- Antiblocage : de série
- Poids constructeur : 1 907 kg
- Rapport poids/puissance : 3 kg/ch
- L - l - h : 4 731 ‑ 2 024 ‑ 1 237 mm
- Empattement : 2 722 mm
- Voies AV/AR : 1 685/1 678 mm
- Réservoir : 70 l
- Pneus AV & AR : 275/30 ZR 20 & 345/25 ZR 21 (Michelin Pilot Sport 4 S)
- Prix de base : 171 328 €
- Options/malus : 26 165/70 000 €
- Prix du modèle essayé : 267 493 € (malus compris)
- V. max. : 296 km/h
- 0 à 100 km/h : 2’’9
Retrouvez notre essai de la Chevrolet Corvette E-Ray dans le Sport Auto n°765 du 26/09/2025.