Laura Wontrop Klauser : rencontre avec la boss de Cadillac Hypercar et Corvette LMGT3

Publié le 25 octobre 2024 à 10:30
Mis à jour le 25 octobre 2024 à 10:43
Laura Wontrop Klauser : rencontre avec la boss de Cadillac Hypercar et Corvette LMGT3

Sport Auto a rencontré Laura Wontrop Klauser. A la tête des programmes Cadillac Hypercar et Corvette LMGT3 en IMSA et WEC, cette ingénieure américaine a un esprit de compétition très aiguisé. Elle ne cache pas son ambition de porter vers le succès les deux marques qu’elle représente sur la scène mondiale de l'Endurance.

Sport Auto : quel est votre premier souvenir automobile ?

Lorsque j’étais petite fille, mes parents avaient une vieille Ford Mustang de 1965, je crois. Nous habitions dans le Maryland, où j’ai grandi. J’avais l’habitude de laver la voiture avec mon père.
Cela faisait partie de nos rituels, et je pense que ça a éveillé quelque chose chez moi. Mon père était intéressé par l’automobile mais pas un passionné. Quand j’ai eu 7 ans, mes parents ont acheté une ferme et ils travaillaient beaucoup pour nourrir notre famille. C’était leur priorité.
Ils se sont sacrifiés pour que leurs enfants puissent faire de bonnes études. Il n’y avait pas vraiment de place pour des hobbys. Très vite, j’ai passé mon permis de conduire car c’était un ticket pour la liberté.

Laura Wontrop Klauser : comment vous êtes-vous tournée vers l’ingénierie ?

A l’âge de 13 ans, j’ai eu l’envie de travailler pour l’un des grands constructeurs américains, Ford, General Motors ou Chrysler. Je me voyais bien dans la mécanique mais j’étais bonne en mathématiques. Du coup, je me suis plutôt dirigée vers l’ingénierie.

Vous intéressiez-vous au sport automobile à cette époque ?

Pas vraiment, non. Ce qui m’a amenée au sport automobile, c’est le programme Formula SAE (Society of Automobile Engineers), qui était proposé dans mon école d’ingénieurs.
L’opération était de concevoir une voiture de course et de la confronter aux projets des autres écoles. C’est un programme qui existe dans de nombreux pays. Et je suis tombée amoureuse du milieu de la compétition : travailler en équipe, repousser les limites tout le temps, etc.
Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai d’ailleurs continué et je continue aujourd’hui même en tant que bénévole à encadrer les épreuves de SAE au Michigan. Je trouve que c’est une belle opportunité pour les étudiants de développer leurs aptitudes. Pour moi, c’est un moyen de redonner à un programme qui m’a beaucoup apporté.

Avez-vous commencé à travailler directement dans le sport automobile ?

Non. Lorsque je suis entrée chez General Motors, les huit premières années m’ont tenue à l’écart de la compétition. J’ai d’abord travaillé sur des voitures de route. La première sur laquelle j’ai œuvré, en 1998, était très excitante : c’était la Corvette C7 avant qu’elle ne sorte.
Par la suite, j’ai davantage travaillé sur des Cadillac (ATS, CTS), puis sur les Chevy Cruze, Chevy Spark, etc. J’ai fait du travail de recherche, de la conception de suspensions, de la gestion de bruit et de vibration… C’est seulement plus tard que l’opportunité s’est présentée de travailler dans le domaine de la compétition au sein de GM.
Je me suis rappelé à quel point j’avais aimé la compétition durant mes études et j’ai donc posé ma candidature et obtenu le poste. C’était il y a huit ans. J’ai commencé à travailler sur le programme sportif Cadillac ATS-V.R, qui a couru en Pirelli World Challenge en Amérique du Nord.
Travailler sur cette GT3 était une très bonne manière de s’acclimater au milieu du sport automobile professionnel : tenir un planning, interagir avec l’équipe de course et comprendre comment elle fonctionne. C’était une parfaite occasion de me préparer à devenir manager d’un programme et de me développer en tant que tel.

Avez-vous vécu comme un problème d’être une femme dans cette industrie très masculine ?

General Motors est une compagnie inclusive. J’ai le sentiment que ça a été plus difficile pour moi d’être jeune que d’être une femme. Je n’ai jamais eu l’impression d’être traitée différemment en tant que femme. J’ai établi d’excellentes relations avec tous mes collègues.
J’aime à penser que c’est l’une de mes forces : échanger avec les autres et voir comment on peut améliorer les choses ensemble au lieu de suivre un agenda personnel. Ça m’a aidée à réussir. Je dirais que ça a plutôt été un atout de pouvoir m’appuyer sur des qualités généralement associées aux femmes.

Quelle comparaison faites-vous entre le milieu de la série et celui de la compétition ?

En sport automobile, l’unité de temps n’est pas la même. Tout va bien plus vite. Les deadlines sont beaucoup plus serrées que pour les véhicules de série. Le cycle de conception d’une voiture de course est largement plus condensé.
Il faut apprendre à prendre des décisions rapidement, en fonction des éléments dont on dispose, et à avancer sans atermoiements. Sinon, la compétition et la série partagent le fait de devoir se conformer à des réglementations. Celles du sport auto sont un peu plus strictes et contraignantes, ce qui peut simplifier le process de conception, du fait des options parfois plus limitées.
C’est intéressant de pouvoir engranger de l’expérience en sport auto dans le domaine de la conception et des tests et de la réinjecter ensuite dans la production.

Avez-vous l’esprit de compétition ?

Oui, je suis très compétitive par nature ! Je me suis donc adaptée facilement à ce milieu. Je suis aussi quelqu’un de déterminé. Dès que je fais quelque chose, j’essaie d’être la meilleure.
En sport auto, j’ai le sentiment d’évoluer dans une discipline où tout le monde est comme ça. Du coup, on se comprend et on se motive les uns les autres. C’est super d’évoluer dans un environnement qui vous pousse tout le temps au maximum.

Après une première expérience en compétition avec Cadillac, vous avez été nommée à la tête du programme Corvette Racing en 2020. Comment avez-vous vécu le fait de prendre le relais du légendaire Doug Fehan ?

En IMSA, nous avons mené les programmes Corvette et Cadillac DPI en parallèle, ce qui m’a donné l’opportunité de partager avec lui et d’apprendre de manière efficace à ses côtés en ayant une vision globale. Nous nous connaissions depuis plusieurs années et avions une très bonne relation.
J’ai grandement apprécié tout ce qu’il a fait pour Corvette Racing et la façon dont il a élevé la perception de la marque à travers le monde. Nous avons veillé à construire ça comme un programme général et non comme deux programmes séparés. J’ai eu beaucoup de chance de me voir confier ce poste. Mais c’est vrai que succéder à quelqu’un comme Doug met un peu la pression.

Avant de prendre la direction de l’équipe Corvette Racing, vous aviez déjà eu un avant-goût de ce qu’étaient les 24 Heures du Mans, n’est-ce pas ?

Exact. En 2018, mon mari et moi sommes venus en Europe en vacances. Nous avons commencé notre séjour à Amsterdam et nous avons pris le train pour passer quelques jours à Paris et assister aux 24 Heures du Mans. C’était très excitant.
Nous avons assisté à la course avec des yeux de fans. Ce fut une expérience complètement différente de ce que nous avions vécu aux Etats-Unis. Je suis reconnaissante d’avoir pu découvrir ainsi cette épreuve car, lorsque je suis revenue en 2021 comme manager du programme Corvette, j’étais déjà familiarisée avec certains aspects de la course. Sans cet avant-goût, je pense que j’aurais abordé cette mission avec moins de sérénité.

Comment s’est déroulée votre première édition des 24 Heures du Mans en tant que manager du programme Corvette ?

Du fait du Covid, le programme de cette édition 2021 était condensé. Du coup, ça a été vraiment intense et un réel test d’endurance physique pour chacun d’entre nous, d’autant que nous venions juste de disputer une course aux Etats-Unis.
Je crois que j’ai fermé les yeux pendant une heure. Puis j’ai dormi une semaine entière une fois retournée aux Etats-Unis ! Sportivement, nous avons entamé la course avec de grosses attentes.
Jusque-là, chaque génération de Corvette s’était imposée au Mans. Cette année-là, nous inaugurions la C8.R à moteur central arrière et nous avions l’ambition de continuer la tradition. Nous étions fiers d’avoir terminé sur le podium, mais déçus. Nous sommes revenus en 2022 avec l’objectif de la victoire.
Nous avons malheureusement connu des sensations très contradictoires pendant cette course. Nous dominions totalement, et un incident de course provoqué par l’écart d’une autre voiture a ruiné tous nos efforts. Nous étions tellement engagés dans ce combat… Ce fut vraiment triste, mais nous avons appris de cette expérience.
Et nous avons finalement rapporté le trophée de la C8.R l’année suivante ! Ce fut une course fantastique. Ben Keating, Nicky Catsburg et Nicolás Varrone ont réalisé une superbe prestation.

Avez-vous été impliquée dans la décision de Cadillac de s’engager en Hypercar ?

C’est le board qui a pris la décision finale. En revanche, j’ai proposé d’explorer cette plateforme LMDh et de nous engager dans la catégorie GTP en IMSA et de viser la victoire aux 24 Heures du Mans en Hypercar.
Les dirigeants du groupe ont considéré que c’était une bonne option. Pendant longtemps, Corvette participait aux 24 Heures du Mans sans s’engager sur l’ensemble du championnat du monde.  Désormais, Corvette et Cadillac sont présents en WEC sur toute la saison.

En quoi est-ce important ?

Nous estimons que c’est une opportunité de vraiment comprendre les subtilités du règlement, qui diffère sur certains points de ce que nous connaissons aux Etats-Unis dans le championnat IMSA. Ça nous donne aussi l’occasion d’exposer nos voitures à travers le monde dans des pays que nous ne visitions pas jusque-là. Nous apprécions réellement notre engagement en WEC et sommes ravis que Le Mans en fasse partie.

Pourquoi avoir choisi de n’engager qu’une voiture en WEC ?

C’est sûr que n’engager qu’une seule voiture est un peu plus exigeant. Vous passez moins de temps en piste. D’un autre côté, ça évite de se disperser. S’engager sur l’ensemble de la saison étant une expérience assez nouvelle pour nous, nous avons décidé d’y aller par étapes. Ça nous permet de bien nous acclimater à ce championnat.

Vous attendiez-vous à terminer sur le podium du Mans, l’an dernier, pour la première apparition de la Cadillac V-Series.R ?

Nous courons pour gagner. Donc, nous étions venus pour jouer les premiers rôles et nous avons été ravis de monter sur le podium et de voir notre voiture être la mieux classée des LMDh. Ce fut une vraie reconnaissance pour toute l’équipe.
Nous avons développé cette V-Series.R rapidement, et ça valait le coup. C’était très excitant. De manière générale, c’est réellement chouette de voir ce qui se passe en Endurance. Tous les grands noms de l’industrie sont présents. Et rapporter un trophée a véritablement de la valeur : vous courez contre les tout meilleurs !

La catégorie LMGTE a laissé place au LMGT3, dont les voitures doivent être engagées par des équipes privées. Êtes-vous contente de cette évolution ?

C’est une opportunité exaltante. Jusque-là, nous n’avions couru qu’avec notre propre équipe, et nous sommes heureux d’accueillir dans la famille de nouveaux membres. Nous aimons travailler avec l’équipe TF Sport, qui nous représente bien. Nous développons cette nouvelle auto ensemble.

Vous considérez-vous comme un exemple pour les femmes qui souhaiteraient travailler dans le sport automobile ?

Je ne me considère pas vraiment comme un exemple. En revanche, j’apprécie le nombre grandissant de jeunes femmes qui me contactent pour me faire part de leurs aspirations. Nous échangeons, et j’essaie de les guider pour intégrer ce sport.
Je me sens privilégiée de pouvoir dire « Je l’ai fait ». Il ne faut pas oublier qu’il y a déjà beaucoup de femmes formidables dans les paddocks. C’est réjouissant que leur nombre augmente. Je suis convaincue que la diversité apporte de la richesse. Je suis avec une grande attention ce que fait l’équipe Iron Dames en LMGT3. Elles diffusent un beau message.

Avez-vous tenté de prendre le volant en course ?

Non, je n’ai jamais conduit de voiture de course. J’ai une Corvette C6 à la maison. Il m’est arrivé de l’emmener sur un circuit et de me faire plaisir à son volant. Je sais que je ne serai jamais une pilote de course mais j’aime pousser la voiture. Je trouve ça vraiment fun. Et je tiens à ce que ça reste un plaisir. Je ne veux pas que ça devienne une pression !

Quel est votre objectif personnel ?

Je veux gagner Le Mans avec nos deux programmes : Corvette, comme nous l’avons fait en 2023, et Cadillac.

Quel est votre meilleur souvenir lié au sport automobile ?

Je pense que la victoire de Corvette en GT au Mans en 2023 en fait partie, d’autant qu’elle était complétée par le podium de Cadillac. Voir ces deux équipes, que j’ai contribué à développer, célébrer leur succès après la course était très spécial pour moi.

Retrouvez notre interview de Laura Wontrop Klauser dans le Sport Auto n°752 du 30/08/2024.

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