Le moteur Mercedes à la place du Renault : comment Alpine en est arrivé là ?

Publié le 12 novembre 2024 à 13:30
Mis à jour le 12 novembre 2024 à 13:47
Enquête - Fin du moteur Renault en F1 : comment Alpine en est arrivé là ?

C’est la fin d’une histoire commencée au mitan des années 1970. Une aventure qui a remis au goût du jour la suralimentation des moteurs de F1. Un défi technologique qui a porté le nom de Renault au sommet grâce à une multitude de victoires puis de titres avec une motorisation plus conventionnelle. Sport Auto se penche sur l'affaire secouant l'usine de Viry-Châtillon.

A partir de 2026, la célèbre usine de moteurs de Formule 1 située à Viry-Châtillon ne fournira plus son unité de puissance à l’équipe Alpine ni à aucune autre équipe cliente. Quant à l’avenir d’Alpine F1, la seule formation française encore présente au départ des grands prix, il est plus qu’incertain.
Cette équipe Alpine, à l’origine appelée "Renault" avant de voir sa dénomination changée à de multiples reprises pour des raisons commerciales ou économiques, risque de disparaître du paysage des grands prix. C’est ce chapitre de l’histoire de la F1 française que quelques hommes ont décidé de refermer.
Les derniers fossoyeurs s’appellent Luca de Meo, le P.-D.G. du groupe Renault, et son acolyte et ami Flavio Briatore, qui a été propulsé au poste de conseiller exécutif. Autant dire que l’ancien banni de la F1 a désormais carte blanche. Ce même Briatore, qui avait été exclu à vie de la Formule 1 pour avoir été l’initiateur du "crashgate" de Singapour en 2008, avait vu sa peine annulée par le tribunal de grande instance de Paris.
A l’époque, les dégâts d’image pour l’équipe française, dont Briatore était le patron, avaient été terribles, au point de voir la formation Renault connaître une première petite mort fin 2009 avec des changements de propriétaires et de noms qui lui firent perdre son identité, avant que le constructeur français ne rachète son ancienne équipe, alors en quasi-faillite après la gestion calamiteuse d’un certain Gérard Lopez, un des fondateurs de Genii Capital.
Renault a donc commencé à s’éloigner du monde des grands prix en 2021 en décidant de promouvoir son label Alpine et en rebaptisant toute son activité liée à la Formule 1 du nom de la marque de Dieppe.
Luca de Meo avait tenu à ce moment-là à rassurer les fans de F1 en déclarant, dans l’euphorie de la présentation de la nouvelle équipe Alpine : "Je ne vais pas être le P.-D.G. qui va mettre un terme à plus de quarante ans de Formule 1 pour Renault, cela fait partie de notre ADN."
Sauf que depuis un peu plus de trois ans, l’équipe Alpine vit au rythme des remaniements et des psychodrames. Alain Prost, le quadruple champion du monde français, qui fut l’ambassadeur de Renault et Alpine jusqu’à la fin de l’année 2021, pointe le début de la descente aux enfers de l’équipe tricolore à l’arrivée de Laurent Rossi, sans aucune expérience du sport automobile, nommé directeur général de Renault Sport par Luca de Meo.
"Les décisions d’aujourd’hui ne sont pas étonnantes. C’est seulement le résultat de trois années de destruction totale sans investissement", souligne Prost, déplorant ce gâchis et préférant ne pas en dire plus. Il s’était sévèrement prononcé contre la politique du nouveau D.G. Laurent Rossi après avoir annoncé son refus de prolonger son contrat pour la saison 2022 en concluant : "Il (Rossi) veut toute la lumière."

La purge

De fait, outre Alain Prost, Rossi écarta des personnalités dont la crédibilité en F1 risquait de lui faire de l’ombre, comme le directeur technique des moteurs Renault Rémi Taffin, ou encore Marcin Budkowski, le directeur exécutif. Ce ne fut là que le début d’une purge dommageable.
Avec des répliques qui se font ressentir jusqu’à cet été 2024, alors que les performances d’Alpine sont en chute libre. La liste des errements à la tête d’Alpine et dans son organigramme est tellement longue qu’il est difficile d’en faire l’énumération de manière exhaustive. La crise interne liée à un management inconséquent a éclaté au grand jour au cours de l’été 2022 lorsque Fernando Alonso a claqué la porte d’Alpine, où il avait trouvé refuge en 2021 après deux années sabbatiques.
Dès le mois de janvier 2022, l’Espagnol avait multiplié les échanges d’e-mails et les demandes d’entretien avec la direction pour parler de la suite de sa collaboration avec l’équipe Alpine, ex-Renault, avec laquelle il avait été sacré champion du monde en 2005 et 2006.
Alonso, dont il ne faut pas trop chatouiller l’orgueil, avait perdu patience à force d’entendre Laurent Rossi évoquer son âge, doutant qu’il puisse garder son niveau de performances encore très longtemps. Piqué au vif, le pilote espagnol s’en est donc allé chez Aston Martin. Rossi crut sauver les apparences en annonçant que le prometteur Oscar Piastri allait remplacer Alonso, avec l’avantage que l’Australien représentait l’avenir, lui !
Mais Piastri et son manager Mark Webber n’avaient pas plus goûté le manque de visibilité sur le futur, Piastri ne voulant plus perdre de temps dans le rôle de pilote de réserve. Le jeune ambitieux avait déjà signé chez McLaren lorsqu’Alpine notifia par un communiqué laconique sa titularisation.
Une énorme claque pour les responsables de l’équipe Alpine, surtout pour le Team Manager Otmar Szafnauer, qui avouera n’avoir jamais été informé des desiderata d’Alonso et de Piastri. Cette situation ubuesque aurait dû ébranler les certitudes de Laurent Rossi. Il n’en fut rien, comme la suite de l’histoire allait le démontrer.
C’est que les étés sont particulièrement chauds du côté d’Enstone (base de l’équipe Alpine) puisqu’après le rocambolesque épisode des transferts ratés à l’été 2022, il y a eu un festival de départs voulus ou forcés en juillet 2023.
Ce fut d’abord le directeur technique Pat Fry, sans doute lassé des tensions internes, qui décida de quitter le navire. Ensuite, à la veille des premiers essais du Grand Prix de Hongrie, Laurent Rossi fut écarté de son poste de directeur d’Alpine et d’Alpine F1… pour être remplacé par Philippe Krief, un autre inconnu du monde de la F1.
Une semaine plus tard, c’était au tour du directeur sportif Alan Permane (peu apprécié des pilotes) et du Team Principal Otmar Szafnauer (très controversé) d’abandonner le bateau ivre. Quelques semaines encore, et c’est à peine si l’on remarqua le départ en catimini de l’Italien Davide Brivio, le directeur sportif fantôme.
La nomination de Bruno Famin, un véritable homme de la course et du sérail, pour reprendre en main l’ensemble des activités sportives d’Alpine et surtout de la F1 fut saluée avec soulagement en interne, en particulier du côté des francophones et des motoristes de Viry-Châtillon.
Un temps, l’ambiance fut plus sereine dans le camp des Bleus. Famin, avec patience et méthode, s’était attelé à remettre de l’ordre dans la maison. Mais la malchance a voulu que la monoplace 2024 soit ratée et propulsée par un moteur manquant toujours de puissance, le tout débouchant sur des résultats en berne.
Et puis Luca de Meo a sorti de sa manche son vieux copain Flavio Briatore, lui octroyant les pleins pouvoirs au poste de conseiller spécial exécutif. Et lorsqu’il s’agit d’exécuter, Briatore s’y entend.

Le lâchage

Bruno Famin, tenu à l’écart de tout cela, savait que ses jours étaient comptés une fois Briatore dans la place. Après son départ prévu à la fin du mois d’août et le Grand Prix des Pays-Bas, c’est l’Anglais Oliver Oakes qui va prendre les commandes d’une équipe Alpine de moins en moins française.
Oakes, âgé de 36 ans, est le cofondateur de l’équipe Hitech Grand Prix, qui évolue dans les catégories d’accès à la F1. Mais le véritable traumatisme de ce nouvel été brûlant a été l’annonce de l’arrêt de l’activité moteur sur le site de Viry-Châtillon, dont Briatore a toujours voulu se débarrasser.
Lors d’un récent entretien, Bruno Famin nous avait pourtant affirmé que l’historique usine de Viry venait d’être dépoussiérée et équipée de bancs d’essai ultramodernes. Renault et Alpine vont donc se priver de la future unité de puissance prévue pour 2026, mettant ainsi à la poubelle des mois de recherche et développement.
Bruno Famin, qui se dit libéré de la pression que suppose la gestion d’une équipe de F1, avoue toutefois ne pas avoir vu ce mauvais coup venir : "Ce fut un choc pour tout le monde – pour moi aussi, bien sûr. Voir Renault ne plus développer ses propres moteurs en F1, cela a été un événement très déstabilisant."
Il a toutefois accepté la difficile mission de "recycler" l’usine de Viry : "Nous aurons un énorme plan de transformation de l’entreprise qui mettra plus de ressources dans le développement de nouvelles activités dans le domaine de la haute technologie."
Difficile de faire plus flou. Au-delà du gâchis technique, c’est également la promesse d’une casse sociale, dont tous les syndicats se sont d’ailleurs emparés, comme le rapporte Karine Dubreucq, déléguée syndicale du site de Viry-Châtillon : "C’est un coup de poignard dans le dos, une trahison. On a développé ici des moteurs capables d’être 12 fois champions de F1, et maintenant on ne peut plus ? Ils n’ont même pas attendu le premier passage au banc d’essai. On va mettre à la trappe un fleuron de l’industrie française."
Un détail dont Flavio Briatore n’a que faire. Il va enfin atteindre son objectif, qui a toujours été de recentrer l’activité F1 de l’écurie dans la seule usine d’Enstone, en Angleterre. La formation aura finalement bien recours à un moteur client fourni par Mercedes.

Tant de balivernes ont été servies à la presse par les communicants et les responsables du constructeur français qu’il est permis de douter des propos de Bruno Famin lorsqu’il relaie le discours officiel en affirmant : "Non, la Formule 1 reste un projet clé pour Alpine. C’est grâce à la F1 que nous voulons développer la notoriété de la marque au niveau mondial."

Retrouvez notre enquête sur les soubresauts de l'écurie Alpine F1 dans le Sport Auto n°752 du 30/08/2024 [mise à jour au 12 novembre 2024]

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