"La Piste Bleue" : à la découverte de l’école de conduite d'Alpine au Mans

C’est une piste bleue qui n’est pas à la montagne mais qui permet quand même de s’initier aux joies de la trajectoire et de la glisse. Bienvenue au Mans, à l’école de conduite Alpine baptisée "La Piste Bleue" !
Dans un an, l’A110 aura cessé d’être produite, et cette année, Alpine a refondu sa gamme, à l’occasion de son 70e anniversaire. Désormais, elle se compose de trois modèles : la « normale » de 252 ch, la GTS, qui remplace à la fois les versions GT et S, forte de 300 ch, et la R 70 (300 ch aussi), assemblée à seulement 770 unités.
La première est facturée 65 000 €, la deuxième place le curseur sur 79 500 €, alors que la dernière s’échange à partir de 122 500 €. La R Ultime de 345 ch (débutant à 265 000 €) sort du catalogue, ses 110 exemplaires ayant tous été vendus.
Dans un an, l’A110 thermique aura laissé sa place à l’A110 électrique qui suscite tellement d’interrogations que les 146 pages de ce numéro ne suffiraient pas pour y répondre.
Dans un an, celle qui a insufflé un vent de fraîcheur sur le segment du coupé sportif accessible ne sera plus disponible que sur le marché de l’occasion. Je ne suis pas pressé d’être à l’année prochaine…
Qu’Alpine signe l’arrêt de mort de la virevoltante dieppoise nous chagrine. Alors, pour se faire pardonner, la firme de Jean Rédélé a eu une bonne idée : ouvrir, sur le circuit Bugatti, une antenne « pour vivre pleinement l’expérience Alpine ».
Nous sommes chemin aux Bœufs, sentier goudronné sarthois avec à sa droite l’un des plus gros freinages du Bugatti. L’endroit rappelle de bons souvenirs, forcément, puisque Sport Auto est venu ici dégourdir les roues de 120 voitures, à l’occasion des Supertests.
Face à nous, une flotte d’A110 et d’A290, exposées comme à la parade, devant un fronton orné d’un majestueux A. Cet espace de 450 m2 , privatisable, n’est pas uniquement réservé aux clients de la marque et c’est tant mieux. Trois stages sont au programme.
Aujourd’hui, il sera question de freinage dégressif, de regard qui porte loin, de position dans le siège, de préhension du volant, de transfert de charge, de patience, de pneus qui couinent. Bref, il sera question de plaisir coupable en ces temps moroses…
Il est 9 heures…
… Le Mans s’éveille. Le premier atelier de la journée consiste, à bord d’une A110 S, à maîtriser le double droit du Garage Vert. Sur le papier, rien de bien compliqué, même si la piste en descente a tendance à saturer le train avant.
Ce virage, je pense l’avoir pris plus d’un millier de fois donc je suis comme à la maison. Sauf que chez soi, on prend des habitudes, souvent mauvaises. « Pas mal ton dégressif, mais tu plonges trop tôt à la corde du second droit. Et tu sous-vires. » Et ce n’est pas bien.
La plupart d’entre vous le savent déjà, mais pour ceux qui ne sont pas encore au courant, pour aller vite sur circuit, il faut avant tout être patient. Un pneu qui crisse est un pneu en souffrance, qui perd son adhérence. Sans adhérence, moins de directionnel ou de motricité et, de facto, des dixièmes qui s’évanouissent, sans espoir de les récupérer.
Sur ce premier atelier, l’apprenti pilote appréhende aussi l’un des éléments primordiaux pour claquer des chronos : le transfert de charge. L’A110 ayant la majorité de son poids derrière, il faut trouver le juste milieu entre délestage important de l’essieu arrière au freinage, pouvoir directionnel optimal en sollicitant les disques le plus longtemps possible sans basculer de l’autre côté du miroir, celui où le circuit n’apparaît plus par le pare-brise mais par les fenêtres.
« T’as vu, là, t’en as trop mis à la reprise des gaz », analyse le moniteur, après une glisse à la maîtrise approximative. Il est 10 h 45 et il est temps de passer à un autre atelier : le slalom en A290.
Comme il est important de balayer devant sa porte et de reconnaître ses erreurs, alors que la citadine électrique m’avait amusé à l’occasion de son premier essai sur les routes extraordinaires de Majorque, elle peine à me séduire depuis.
Je l’avoue. Cet exercice confirmera qu’une traction très efficace mais dépourvue de toute vibration et au feeling directionnel trop filtré, ce n’est pas ma tasse de thé. Zigzaguer entre les cônes met en exergue le comportement très agile de cet engin pourtant haut perché.
Son empattement réduit, synonyme de réactivité, sera l’excuse toute trouvée par certains participants pour justifier d’avoir envoyé valdinguer quelques plots.
Monsieur "Nordschleife"
Au déjeuner, nous nous incrustons à la table de Jules Gounon et Frédéric Makowiecki, pilotes qui partagent avec Mick Schumacher le volant de l’Hypercar A424 en WEC.
Ça cause boulons, rondelles, 24 Heures et youtubeurs pseudo-pilotes. Bref, ça balance et cela change des discours très marketés voulus par la FIA. Après le repas, le programme est plus alléchant puisqu’il s’agit d’effectuer, derrière un instructeur, des sessions de vingt minutes.
Première monture : une A110 S blanche. Dès la sortie du Dunlop, je loue l’équilibre génialissime de la française. D’un naturel sous-vireur, l’Alpine pivote parfaitement au transfert de charge.
C’est sensible dans le serré, flagrant dans le rapide, et le contre-braquage est souvent imposé. Avec un peu d’appréhension les premières fois puis de la confiance. Ce coupé est très bien né : prévenant, facile à cerner mais avec du tempérament.
Les 300 ch ne m’écrasent pas le casque dans l’appuie-tête, la boîte de vitesses n’a pas la vélocité de celle de Ferrari, le train avant n’est pas une sangsue comme celui d’une GT3, mais l’A110 fait de ses imperfections sa principale qualité : elle est ludique.
Il faudrait faire rembourser ce type de stage par la Sécu pour deux raisons : ça fait un bien fou au moral et ça éviterait bon nombre d’accrochages une fois que le conducteur a assimilé la capacité de décélération de son auto ou a enfin compris que, là où le regard se porte, la voiture ira, comme par magie.
Une deuxième session à bord d’un modèle GT, plus souple, me fait écrire ce que j’ai déjà dit : plus l’A110 endigue ses débattements, plus elle est délectable. Et c’est un baptême à bord d’une R qui enfonce le clou.
Les changements de cap sont plus tranchants, les déhanchés moins prompts à dégainer. Les vibreurs sont avalés avec gourmandise, sans altérer le pouvoir directionnel ni le grip.
Bref, ça va beaucoup plus vite et pour cause : ce n’est pas moi au volant mais Laurent. M. Hurgon, le toujours aussi jovial et prolixe metteur au point Alpine (après avoir été celui de Renault Sport).
Le quinqua, qui travaille actuellement sur la R5 Turbo 3E (« Ça va être un drôle d’engin, je te le garantis »), est probablement l’un des Français qui connaît le mieux le Nürburgring. Avec la R Ultime, il vient de coller près de 20’’ au chrono qu’il avait établi avec la R normale.
« Les conditions n’étaient pourtant pas optimales, avoue-t-il. Ça m’a pris un peu de temps de mettre mes pneus avant en température et je pense qu’on pourrait encore améliorer de 3 ou 4’’. »
Nous vous en dirons bientôt plus sur cette A110 GT4 homologuée, tant les modifications en matière de liaisons au sol sont importantes. La Piste Bleue n’est-elle qu’une énième formule de découverte du circuit ?
A bien des égards, oui. Ce n’est pas un reproche, au contraire. Comme évoqué, certaines vérités méritent d’être assénées régulièrement, et une remise à niveau, même chez ceux qui ont l’habitude de la piste, fait un bien fou. Y compris à Sport Auto ? Et comment !
Jauger des qualités d’une voiture, fût-elle de sport, ne suppose pas une maîtrise du pilotage, tant s’en faut. Même lorsqu’on connaît l’auto (l’A110), même lorsqu’on connaît la piste (le Bugatti), la progression est palpable à la fin de la journée et les bienfaits des conseils prodigués sont tangibles.
Pour résumer : je n’ai rien appris de cette journée que je ne sache déjà. En revanche, je m’en suis souvenu et cela m’a permis de davantage savourer, en toute sécurité, un tracé et une voiture qui m’avaient déjà conquis.
La remplaçante de l’A110 sera-t-elle aussi à son aise dans ce genre d’exercice ? « Crois-moi, c’est un projet enthousiasmant et l’auto se comportera comme l’espèrent les passionnés de la marque. » Cher monsieur Hurgon, nous ne demandons qu’à vous croire.
Faut bien secouer…
… sinon, la pulpe, elle reste au fond. C’est ce que je me suis dit à la fin de la journée lorsque le clou du spectacle arriva : un baptême en proto école. A ma droite, un instructeur de l’ACO (ceux d’Alpine n’étant pas habilités), et dans mon dos, un V8 de Corvette d’environ 360 ch. Sans personne à bord, le poids flirte avec les 850 kg.
Il y a un contrôle de traction paramétrable mais comme il fait un temps radieux, il est sur Off. Dès la courbe Dunlop, je sens que je vais en baver. Pas en raison de la poussée, physique mais pas brutale, mais à cause des turbulences aérodynamiques. Ce n’est pas que la barquette est mal conçue mais moi, si.
Entre Musée et Garage vert, le casque (tout à fait serré et à ma taille, je précise) remonte dangereusement et je suis, de la main gauche, contraint de le retenir. La droite s’agrippe à la carrosserie, le siège se résumant à un évidement dans le châssis.
Le freinage au chemin aux Bœufs remet le heaume au bon endroit avant qu’il ne soit de nouveau tiré vers le haut à l’attaque des S bleus. Heureusement que le Hans est là.
Les virages n’existent même plus, le proto serpentant plus qu’il ne tourne. Les freinages sont des appontages. A l’issue des deux tours, le cou souffre déjà. Et dire que cette voiture n’est même pas au niveau d’une LMP3 en matière d’appui…
Retrouvez notre reportage au Mans dans le Sport Auto n°759 du 28/03/2025.