Reportage F1 : en immersion avec les commissaires et la direction de course
Il ne se passe pas un week-end de Grand Prix en Formule 1 sans que des pénalités ne soient distribuées par la FIA. Elles sont annoncées par la direction de course après décision des commissaires sportifs. Des hommes et des femmes qui scrutent chaque seconde de ce qui se passe en piste, afin d’assurer le respect du règlement sportif. Et l’équité de la compétition. Sport Auto en était.
Il faut bien distinguer la salle de la direction de course,
transformée en sanctuaire dès que les Formule 1 sont en action, et la
salle des commissaires sportifs où règne une atmosphère moins
solennelle, mais tout aussi studieuse.
Ce jour-là, c’est le Belge Loïc Bacquelaine, l’un des quatre
présidents des commissaires sportifs, qui nous fait visiter son
antre. Cet avocat financier de 33 ans possède des notions de
pilotage pour avoir disputé quelques courses en amateur.
Lorsque l’une des catégories estampillées FIA (Fédération internationale
de l’automobile) est en action (de la F3 à la F1), un président est
assisté de trois personnes, dont deux commissaires sportifs locaux
et un ancien pilote.
Lors de notre visite, le Britannique Derek Warwick (146 grands
prix) fait partie du panel de ces anciens pilotes en compagnie
d’Enrique Bernoldi et Vitantonio Liuzzi, entre autres. Les
commissaires sportifs sont installés devant quatre écrans et une
demi-douzaine d’ordinateurs.
Ils sont au nombre de douze, en trois équipes qui se relaient dans
leur travail d’assistance de la direction de course, sur chacun des
24 grands prix du championnat du monde de Formule 1. Durant les
essais et la course, le directeur sportif ou le Team Manager de
chaque équipe a la possibilité de communiquer avec les quatre
présidents – dans la mesure du raisonnable – pour leur transmettre
une remarque ou une requête.
En revanche, depuis le chaos à la fin du Grand Prix d’Abu Dhabi
2021, une équipe ne peut plus communiquer avec le directeur de
course lui-même – aujourd’hui Rui Marques –, qui reste à l’écart
dans une sorte de tour d’ivoire.
A l’époque, Michael Masi, alors directeur, n’avait pas respecté la
procédure de safety car, favorisant la victoire et le titre pour
Max Verstappen au détriment de Lewis Hamilton.
Big Brother
Sur leurs écrans, les commissaires ont accès à des centaines de
paramètres, dont la télémétrie de chaque voiture en action, afin de
s’assurer de la régularité de ce qui se déroule en piste et même
dans l’allée des stands.
Les mesures du freinage, par exemple, permettent de distinguer si
un pilote a essayé d’en piéger un autre en lui faisant subir un
« braking test », ce qui est classé dans la catégorie
« pilotage dangereux ». Ils peuvent aussi écouter les
communications radio de leur choix. Ils ont devant eux vingt
boutons, chacun correspondant à un pilote.
Les commissaires ont également à disposition plusieurs vues de
caméras embarquées dans les monoplaces, avec en plus les angles de
braquage des roues. Un paramètre important pour déterminer le bon
droit d’un pilote lors d’un dépassement, et lequel des
protagonistes a la priorité dans un virage au fameux point de
corde, qui est désormais le repère retenu pour dénouer les conflits
les plus épineux.
Dès qu’un incident est signalé ou qu’une infraction supposée est
constatée, les commissaires l’étudient. C’est à ce moment-là que
leur pouls augmente et que quelques gouttes de transpiration
peuvent perler malgré la forte climatisation, plus destinée à
préserver la bonne marche du matériel informatique que le confort
du personnel.
Ils ont conscience des enjeux pour chacune des équipes concernées
par une enquête de la direction de course, et doivent prendre
rapidement leur décision – si possible la bonne – pour rendre un
verdict avant la fin de la course.
Ce qui n’est pas toujours faisable compte tenu de la complexité du
code sportif. C’est à cette bible que s’en remettent les
commissaires de la FIA pour décider du niveau de pénalité à
appliquer.
"On ne juge pas les conséquences, mais la faute"
Les représentants de l’autorité sportive aiment rappeler une
antienne : « On ne juge pas les conséquences, mais la faute.
» Ce qui n’est pas évident. Pour éviter les bévues et limiter
les mécontentements, les commissaires sportifs de la FIA peuvent se
référer à une banque de données accessible instantanément.
Une centaine d’infractions courantes y sont répertoriées ainsi que
les pénalités recommandées, et l’archivage leur permet de comparer
la question du moment avec les événements passés. Toutes les
actions litigieuses ou qui ont nécessité une enquête sont mises en
banque.
*Mais ce collège des commissaires n’est que la partie immergée de
l’iceberg de contrôle de la FIA. A l’écart, dans une immense pièce
qui ressemble à un studio de télévision ultramoderne, règne en
maître LE directeur de course.
Charlie Whiting en fut longtemps le roi, avant sa disparition
brutale à la veille du premier grand prix de la saison 2019 en
Australie. Rui Marques est un de ses héritiers. Il a succédé à
Niels Wittich, débarqué sans explications après le Grand Prix de
Las Vegas 2024. Wittich occupait ce poste à haut risque en
alternance avec Eduardo Freitas qui n’a jamais vraiment convaincu
en F1 et qui est très vite retourné diriger les épreuves de
WEC.
Ce duo avait été mis en place après le renvoi de Michael Masi, jugé
responsable du scandale de la finale de la saison 2021 à Abu Dhabi,
évoqué plus haut. Un événement qui avait ébranlé la crédibilité de
la politique sportive de la fédération internationale, déjà
fragile.
Devoir de réserve
Plus de trois ans se sont écoulés et les rancœurs se sont
apaisées. Les décisions de la direction de course ne passent pas
toujours bien auprès de ceux qui en sont la cible, mais la
confiance entre les pilotes, les équipes et les autorités est
rétablie.
Le style discret et rigoureux de Rui Marques y est pour beaucoup.
Le Portugais est désormais assisté de Claire Dubbelman. Celle-ci
est devenue directrice de course adjointe en 2024 après s’être
assurée à partir de 2022 que les décisions du directeur de course
sont bien exécutées via les différents outils de la FIA.
Car il s’agit d’une machine de pointe qui ne doit connaître aucune
défaillance. Lors d’un grand prix, il y a là six représentants de
la FIA, dont le directeur de course et son assistante, qui ne
perdent pas de vue les différents écrans sur lesquels, en plus des
multiples caméras embarquées, ils observent trois angles de caméras
pour chaque virage.
Ce qui n’est pas rien sur des circuits comme ceux d’Azerbaïdjan ou
de Singapour qui en comptent une vingtaine. Sur chaque grand prix,
des commissaires locaux sont en liaison avec tous les commissaires
sportifs. Ce qui représente des dizaines d’intervenants. L’instance
sportive est toutefois adepte du principe « ceinture et
bretelles ».
De la même façon que toutes les équipes s’appuient sur une
quarantaine d’observateurs dans leur propre salle de contrôle à
leur usine, la direction de course est assistée par un «
doublon » situé dans les locaux de la FIA à Genève.
Si les deux principaux membres de la direction ne sont jamais au
contact direct avec les médias, les commissaires sportifs sont plus
exposés, et plus particulièrement les anciens pilotes, plus connus,
qui sont régulièrement l’objet des critiques.
Leur sévérité étonne ou agace ceux qui leur succèdent en piste
aujourd’hui. Certains se demandent comment un ancien pilote peut
avoir une opinion aussi « aberrante » à leurs yeux, au
point d’appliquer des sanctions – le fameux éventail de pénalités –
souvent jugées trop sévères.
Se faire le plus discrets possible...
Il est d’ailleurs dans leur intérêt de se faire le plus discrets
possible, sous peine de se faire rappeler à l’ordre par la FIA,
voire pire. Johnny Herbert, qui était l’un des commissaires
pilotes, a été incité à quitter cette fonction avant le début de la
saison 2025 au prétexte qu’il assurait par ailleurs un travail de
consultant pour une télé britannique.
Il avait eu la maladresse d’exprimer son opinion au sujet de
pénalités infligées à Max Verstappen au Grand Prix du
Mexique 2024. Il y a quelques semaines, après l’incident de la
safety car ayant opposé Russell et Verstappen, le très respecté
Derek Warwick a été puni d’un grand prix de suspension pour avoir,
lui aussi, commenté la décision du collège des commissaires.
Dans un élan de pédagogie, quelques jours plus tard, la FIA a
décidé de rendre public l’ensemble des documents expliquant la
façon dont sont prises les sanctions par les commissaires
sportifs.
Ce qu’a justifié ainsi le président de la fédération, Mohammed Ben
Sulayem : « Les commissaires accomplissent une tâche complexe
dans nos championnats, et ils le font bénévolement, avec passion et
engagement. Ce dévouement est trop souvent accueilli avec des
critiques extrêmes et totalement injustifiées.
Afin de démontrer la rigueur avec laquelle ils s’acquittent de leur
rôle, nous publions les Lignes directrices sur les sanctions et les
normes de conduite, qui les aident dans leurs décisions. »
Des pilotes parfois circonspects
Ces documents sont consultables sur le site officiel de la FIA.
Les pilotes et les équipes, qui avaient déjà bien sûr accès à ces
textes, ont salué l’effort de transparence de l’autorité sportive.
George Russell, directeur du GPDA (l’association des
pilotes de grands prix), a ainsi commenté : « Nous espérons
qu’il sera bénéfique pour le sport de mieux faire comprendre aux
médias et aux fans les règles d’engagement en piste, et de les
aider à comprendre comment les commissaires prennent leurs
décisions. »
Carlos Sainz, codirecteur de l’association, attend surtout de la
présidence de la FIA que la voix des pilotes soit prise en compte :
« Ce n’est un secret pour personne que les pilotes ont
ressenti, ces dernières années, un manque de transparence au sein
de la gouvernance. (Ils) ont été mis à l’écart et nos opinions
n’ont pas été écoutées. »
D’autres, à l’instar de Max
Verstappen, sont circonspects sur les pénalités qui restent à
géométrie variable. Le champion du monde n’a pas manqué de rappeler
que Russell avait été blanchi par la FIA dans l’affaire de son
puissant freinage sous safety car au Canada, Max s’étonnant
qu’Oscar Piastri ait écopé d’une pénalité pour un cas de figure
similaire à Silverstone (10 secondes, la perte d’une victoire et 7
points envolés, pour ne pas dire 14 puisqu’ils ont été récupérés
par son adversaire direct, Lando Norris).
Ces interprétations opposées se reproduiront car, malgré des outils
informatiques toujours plus sophistiqués, la décision finale
revient à un humain. Et c’est bien connu, l’erreur est humaine.
Retrouvez notre reportage en immersion au sein de la direction de course dans le Sport Auto n°763 du 25/07/2025.


