Reportage F1 : en immersion avec les commissaires et la direction de course

Publié le 29 septembre 2025 à 09:30
Reportage F1 : en immersion avec les commissaires et la direction de course

Il ne se passe pas un week-end de Grand Prix en Formule 1 sans que des pénalités ne soient distribuées par la FIA. Elles sont annoncées par la direction de course après décision des commissaires sportifs. Des hommes et des femmes qui scrutent chaque seconde de ce qui se passe en piste, afin d’assurer le respect du règlement sportif. Et l’équité de la compétition. Sport Auto en était.

Il faut bien distinguer la salle de la direction de course, transformée en sanctuaire dès que les Formule 1 sont en action, et la salle des commissaires sportifs où règne une atmosphère moins solennelle, mais tout aussi studieuse.
Ce jour-là, c’est le Belge Loïc Bacquelaine, l’un des quatre présidents des commissaires sportifs, qui nous fait visiter son antre. Cet avocat financier de 33 ans possède des notions de pilotage pour avoir disputé quelques courses en amateur.
Lorsque l’une des catégories estampillées FIA (Fédération internationale de l’automobile) est en action (de la F3 à la F1), un président est assisté de trois personnes, dont deux commissaires sportifs locaux et un ancien pilote.
Lors de notre visite, le Britannique Derek Warwick (146 grands prix) fait partie du panel de ces anciens pilotes en compagnie d’Enrique Bernoldi et Vitantonio Liuzzi, entre autres. Les commissaires sportifs sont installés devant quatre écrans et une demi-douzaine d’ordinateurs.
Ils sont au nombre de douze, en trois équipes qui se relaient dans leur travail d’assistance de la direction de course, sur chacun des 24 grands prix du championnat du monde de Formule 1. Durant les essais et la course, le directeur sportif ou le Team Manager de chaque équipe a la possibilité de communiquer avec les quatre présidents – dans la mesure du raisonnable – pour leur transmettre une remarque ou une requête.
En revanche, depuis le chaos à la fin du Grand Prix d’Abu Dhabi 2021, une équipe ne peut plus communiquer avec le directeur de course lui-même – aujourd’hui Rui Marques –, qui reste à l’écart dans une sorte de tour d’ivoire.
A l’époque, Michael Masi, alors directeur, n’avait pas respecté la procédure de safety car, favorisant la victoire et le titre pour Max Verstappen au détriment de Lewis Hamilton.

Big Brother

Sur leurs écrans, les commissaires ont accès à des centaines de paramètres, dont la télémétrie de chaque voiture en action, afin de s’assurer de la régularité de ce qui se déroule en piste et même dans l’allée des stands.
Les mesures du freinage, par exemple, permettent de distinguer si un pilote a essayé d’en piéger un autre en lui faisant subir un « braking test », ce qui est classé dans la catégorie « pilotage dangereux ». Ils peuvent aussi écouter les communications radio de leur choix. Ils ont devant eux vingt boutons, chacun correspondant à un pilote.
Les commissaires ont également à disposition plusieurs vues de caméras embarquées dans les monoplaces, avec en plus les angles de braquage des roues. Un paramètre important pour déterminer le bon droit d’un pilote lors d’un dépassement, et lequel des protagonistes a la priorité dans un virage au fameux point de corde, qui est désormais le repère retenu pour dénouer les conflits les plus épineux.
Dès qu’un incident est signalé ou qu’une infraction supposée est constatée, les commissaires l’étudient. C’est à ce moment-là que leur pouls augmente et que quelques gouttes de transpiration peuvent perler malgré la forte climatisation, plus destinée à préserver la bonne marche du matériel informatique que le confort du personnel.
Ils ont conscience des enjeux pour chacune des équipes concernées par une enquête de la direction de course, et doivent prendre rapidement leur décision – si possible la bonne – pour rendre un verdict avant la fin de la course.
Ce qui n’est pas toujours faisable compte tenu de la complexité du code sportif. C’est à cette bible que s’en remettent les commissaires de la FIA pour décider du niveau de pénalité à appliquer.

"On ne juge pas les conséquences, mais la faute"

Les représentants de l’autorité sportive aiment rappeler une antienne : « On ne juge pas les conséquences, mais la faute. » Ce qui n’est pas évident. Pour éviter les bévues et limiter les mécontentements, les commissaires sportifs de la FIA peuvent se référer à une banque de données accessible instantanément.
Une centaine d’infractions courantes y sont répertoriées ainsi que les pénalités recommandées, et l’archivage leur permet de comparer la question du moment avec les événements passés. Toutes les actions litigieuses ou qui ont nécessité une enquête sont mises en banque.
*Mais ce collège des commissaires n’est que la partie immergée de l’iceberg de contrôle de la FIA. A l’écart, dans une immense pièce qui ressemble à un studio de télévision ultramoderne, règne en maître LE directeur de course.
Charlie Whiting en fut longtemps le roi, avant sa disparition brutale à la veille du premier grand prix de la saison 2019 en Australie. Rui Marques est un de ses héritiers. Il a succédé à Niels Wittich, débarqué sans explications après le Grand Prix de Las Vegas 2024. Wittich occupait ce poste à haut risque en alternance avec Eduardo Freitas qui n’a jamais vraiment convaincu en F1 et qui est très vite retourné diriger les épreuves de WEC.
Ce duo avait été mis en place après le renvoi de Michael Masi, jugé responsable du scandale de la finale de la saison 2021 à Abu Dhabi, évoqué plus haut. Un événement qui avait ébranlé la crédibilité de la politique sportive de la fédération internationale, déjà fragile.

Devoir de réserve

Plus de trois ans se sont écoulés et les rancœurs se sont apaisées. Les décisions de la direction de course ne passent pas toujours bien auprès de ceux qui en sont la cible, mais la confiance entre les pilotes, les équipes et les autorités est rétablie.
Le style discret et rigoureux de Rui Marques y est pour beaucoup. Le Portugais est désormais assisté de Claire Dubbelman. Celle-ci est devenue directrice de course adjointe en 2024 après s’être assurée à partir de 2022 que les décisions du directeur de course sont bien exécutées via les différents outils de la FIA.
Car il s’agit d’une machine de pointe qui ne doit connaître aucune défaillance. Lors d’un grand prix, il y a là six représentants de la FIA, dont le directeur de course et son assistante, qui ne perdent pas de vue les différents écrans sur lesquels, en plus des multiples caméras embarquées, ils observent trois angles de caméras pour chaque virage.
Ce qui n’est pas rien sur des circuits comme ceux d’Azerbaïdjan ou de Singapour qui en comptent une vingtaine. Sur chaque grand prix, des commissaires locaux sont en liaison avec tous les commissaires sportifs. Ce qui représente des dizaines d’intervenants. L’instance sportive est toutefois adepte du principe « ceinture et bretelles ».
De la même façon que toutes les équipes s’appuient sur une quarantaine d’observateurs dans leur propre salle de contrôle à leur usine, la direction de course est assistée par un « doublon » situé dans les locaux de la FIA à Genève.
Si les deux principaux membres de la direction ne sont jamais au contact direct avec les médias, les commissaires sportifs sont plus exposés, et plus particulièrement les anciens pilotes, plus connus, qui sont régulièrement l’objet des critiques.
Leur sévérité étonne ou agace ceux qui leur succèdent en piste aujourd’hui. Certains se demandent comment un ancien pilote peut avoir une opinion aussi « aberrante » à leurs yeux, au point d’appliquer des sanctions – le fameux éventail de pénalités – souvent jugées trop sévères.

Se faire le plus discrets possible...

Il est d’ailleurs dans leur intérêt de se faire le plus discrets possible, sous peine de se faire rappeler à l’ordre par la FIA, voire pire. Johnny Herbert, qui était l’un des commissaires pilotes, a été incité à quitter cette fonction avant le début de la saison 2025 au prétexte qu’il assurait par ailleurs un travail de consultant pour une télé britannique.
Il avait eu la maladresse d’exprimer son opinion au sujet de pénalités infligées à Max Verstappen au Grand Prix du Mexique 2024. Il y a quelques semaines, après l’incident de la safety car ayant opposé Russell et Verstappen, le très respecté Derek Warwick a été puni d’un grand prix de suspension pour avoir, lui aussi, commenté la décision du collège des commissaires.
Dans un élan de pédagogie, quelques jours plus tard, la FIA a décidé de rendre public l’ensemble des documents expliquant la façon dont sont prises les sanctions par les commissaires sportifs.
Ce qu’a justifié ainsi le président de la fédération, Mohammed Ben Sulayem : « Les commissaires accomplissent une tâche complexe dans nos championnats, et ils le font bénévolement, avec passion et engagement. Ce dévouement est trop souvent accueilli avec des critiques extrêmes et totalement injustifiées.
Afin de démontrer la rigueur avec laquelle ils s’acquittent de leur rôle, nous publions les Lignes directrices sur les sanctions et les normes de conduite, qui les aident dans leurs décisions. »

Des pilotes parfois circonspects

Ces documents sont consultables sur le site officiel de la FIA. Les pilotes et les équipes, qui avaient déjà bien sûr accès à ces textes, ont salué l’effort de transparence de l’autorité sportive. George Russell, directeur du GPDA (l’association des pilotes de grands prix), a ainsi commenté : « Nous espérons qu’il sera bénéfique pour le sport de mieux faire comprendre aux médias et aux fans les règles d’engagement en piste, et de les aider à comprendre comment les commissaires prennent leurs décisions. »
Carlos Sainz, codirecteur de l’association, attend surtout de la présidence de la FIA que la voix des pilotes soit prise en compte : « Ce n’est un secret pour personne que les pilotes ont ressenti, ces dernières années, un manque de transparence au sein de la gouvernance. (Ils) ont été mis à l’écart et nos opinions n’ont pas été écoutées. »
D’autres, à l’instar de Max Verstappen, sont circonspects sur les pénalités qui restent à géométrie variable. Le champion du monde n’a pas manqué de rappeler que Russell avait été blanchi par la FIA dans l’affaire de son puissant freinage sous safety car au Canada, Max s’étonnant qu’Oscar Piastri ait écopé d’une pénalité pour un cas de figure similaire à Silverstone (10 secondes, la perte d’une victoire et 7 points envolés, pour ne pas dire 14 puisqu’ils ont été récupérés par son adversaire direct, Lando Norris).
Ces interprétations opposées se reproduiront car, malgré des outils informatiques toujours plus sophistiqués, la décision finale revient à un humain. Et c’est bien connu, l’erreur est humaine.

Retrouvez notre reportage en immersion au sein de la direction de course dans le Sport Auto n°763 du 25/07/2025.

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