Jaguar : à l'assaut de Goodwood au volant de félins emblématiques (+ images)

Publié le 20 janvier 2025 à 12:00
Mis à jour le 20 janvier 2025 à 12:21
Jaguar : à l'assaut de Goodwood au volant de félins emblématiques

A Sport Auto, nous sommes vernis : Jaguar a ôté la bâche à quelques modèles emblématiques. Type E, XK120, XJS, XJ220, Mark II : les yeux pleurent de joie. Mais aussi de tristesse, le constructeur venant d’annoncer que l’intégralité de sa gamme passera à la trappe avant de basculer au tout‑électrique. Raison de plus pour ne pas refuser un petit tour dans ces anciennes gloires du passé sur le circuit de Goodwood.

La raison d’être de Jaguar, l’idée initiale des fondateurs, a toujours été d’innover, que ce soit techniquement ou stylistiquement. » Rawdon Glover, directeur général de la marque, nous explique pourquoi la firme, qui fêtera ses 90 ans l’année prochaine, a décidé d’arrêter la production de sa gamme, à l’exception, pour quelques mois encore, de la F-Pace.
Pour le vieux de la vieille, ça sonne comme une trahison, n’en déplaise au discours officiel qui vante le pari osé mais nécessaire de cette mutation. Jaguar est depuis le début synonyme de performance mâtinée de luxe.
Et même si le constructeur connaît un franc succès en Formule E, savoir qu’à Coventry « piston » et « vilebrequin » sont devenus des gros mots met mal à l’aise. Surtout lorsqu’on tombe en pâmoison devant le cheptel sorti du département Classic.
Nous sommes à Goodwood. Aujourd’hui, il n’est pas question, comme le font certaines Cobra, 300 SL ou GT40 à l’occasion du Revival, de venir se poncer les ailes contre celles d’une 250 GTO ou d’une 2002 Turbo, mais de prendre le volant de Jaguar historiques.
Il y a une XK120 (auto la plus véloce au monde à son lancement, avec 212 km/h), une Type C (première voiture de course avec freins à disque), une Type D (triplement victorieuse au Mans en 1955, 1956 et 1957), deux Mk II (première véritable berline apte au circuit capable de dépasser les 200 km/h), trois Type E (l’icône des sixties), une rarissime XJC (dernier modèle supervisé par sir William Lyons, le créateur de la marque), deux XJS (voiture produite pendant vingt et un ans !) et la bestiale XJ220 (qui va avoir bien du mal à m’accueillir).
C’est l’heure d’attribuer les clés. Mes confrères européens, plus frêles et donc plus prompts à dégainer, se jettent sur les XJS et Type E. Andy, mon chaperon pour la matinée, me propose de prendre le volant d’une Mk II bleu ciel.
L’auto est superbe, dans un état de restauration indécent tellement c’est beau, mais soyons honnêtes, elle représente un lot de consolation. Une familiale sexagénaire pour découvrir la piste rapide de Goodwood : j’espérais mieux.
Mais j’ai vite changé d’avis. Le frein à main chromé est coincé entre le siège spongieux et la portière. A bord, il y a du bois et du cuir (ou l’inverse). C’est raffiné, silencieux, et je peine à voir dans cette élégante berline l’athlète de circuit qui s’est adjugé le titre ETCC (European Touring Car Championship) en 1963.
Le 6 en ligne 3.8 de 220 ch SAE émet un ronronnement de contentement jusqu’à 3 000 tr/mn. Andy, à ma gauche (nous sommes en Angleterre, pour rappel), m’intime de ne pas brusquer la vieille dame.

Oh, la belle surprise !

Pourtant, l’équilibre de la Mk II séduit. Les mouvements de la carrosserie sont légion malgré la construction monocoque, comme sur la Type D. La boîte de vitesses accroche un peu, aussi faut-il prendre le temps de bien décomposer.
Un talon-pointe méticuleusement dosé aiderait à gagner quelques dixièmes, mais j’ai les guiboles comme un compas et n’ai pas la latitude pour balancer le coup de gaz.
Notre modèle d’essai doit a priori recevoir une transmission pour néophytes car, si j’en crois les essais de l’époque, la boîte Moss, avec sa première non synchronisée et sa lenteur, ternissait grandement le tableau.
La direction est lourde (l’assistance était optionnelle), beaucoup trop démultipliée, mais le 3,8 l à double arbre à cames en tête est un collègue de travail efficace et polyvalent. Il préfère le mi-régime aux hautes sphères, et son couple de 33,1 mkg invite à enrouler calmement dans les longues courbes de Goodwood.
A ma gauche, Andy commence à faire grise mine. J’ai haussé le rythme. La Mk II me plaît, la piste aussi, et le roulis bien trop présent ne me dissuade pas d’aller chercher la Type E qui nous précède de quelques longueurs. « Back to the pit lane », annonce mon copilote.
Je lui adresse mon meilleur regard de Calimero, mords une énième fois les vibreurs pour jouir de la douceur de la suspension, relance fort dans le droit avant la chicane pour bénéficier de la motricité sans faille de ses gommes Dunlop de 15 pouces et consens enfin à garer la belle bleue devant les arcades blanches.
A peine le casque ôté, un membre de l’équipe m’alpague : « La XJ220 va entamer les baptêmes, ça vous dit ? » Un collègue italien tente bien de me faire l’intérieur, mais je l’éjecte de la corde. Prem’s !
Personne ne va m’enlever cette opportunité. Comme pour nombre d’entre vous, la XJ220 est pour moi un Graal, une chimère dont le poster dans la chambre d’ado changeait de mur en fonction des saisons histoire qu’il profite au mieux de la lumière extérieure.
Et qu’importe qu’aujourd’hui, on ne m’en laisse pas le volant : je me contenterai du siège passager. Quoique… Le conducteur voit arriver d’un œil mauvais les 2 m et 105 kg.
Pour loger le buste, je suis contraint d’avancer presque à fond l’assise afin d’incliner le dossier au maximum. Le haut est rentré, en biais, et les genoux sont bloqués par la planche de bord. Je n’ai jamais été aussi mal installé.

Oh, le rêve de gosse !

La visibilité est géniale mais la finition déplorable. Dans notre dos, le V6 TWR 3,5 l doublement turbocompressé entame son concerto. Enfin, sa ritournelle plutôt, car les montées en régime, y compris à l’approche des 7 500 tr/mn de la coupure, n’ont rien d’émoustillant.
A droite, le pilote s’emploie à ce que mon séjour britannique vaille le coup. Et c’est réussi. Vers 4 000 tr/mn, la suralimentation déboule sans prévenir. Souple à basse vitesse, la mécanique devient presque hargneuse.
Dans la porte conducteur, le manomètre de pression de turbo joue au yo-yo au rythme des changements de vitesse. L’étagement est long et, si j’en crois la mine du bonhomme à ma droite, la commande n’est pas de tout repos.
"Et ce n’est rien si l’on compare avec la direction", sourit-il. Cette dernière n’est pas assistée, et comme la crémaillère est reliée à des roues de 255 mm, je comprends qu’il faille y mettre du sien. Deuxième tour : l’absence d’ABS n’a pas l’air d’inquiéter mon chauffeur, qui prend goût à l’auto.
La stabilité de cet immense coupé raplapla (4,93 m de long pour 1,15 m de haut) donne envie de flirter avec les limites. Mais qu’elles sont loin ! Les gommes Pirelli PZero (de 345 mm de large) sont du genre coriace.
Goodwood, à l’exception du virage St. Mary’s, ne tourne qu’à droite, aussi ai-je tout le loisir de subir la force centrifuge la joue gauche plaquée contre la vitre. Dans l’enchaînement Madgwick et Fordwater (les deux premières courbes après les stands), la XJ220 passe presque à fond.
A travers l’énorme pare-brise apparaît la Type D, également en baptême avec un journaliste. Mais notre limande humilie la reine du Mans comme si celle-ci tractait une caravane. Troisième et dernier tour : je ne souris plus. Je suis béat.
Mal aimée, décriée en raison de sa mécanique peu noble (un V12 était initialement prévu), la XJ220 ne me déçoit pas. Ses performances sont, plus de trente ans après son lancement, tout à fait au goût du jour. Avec 550 ch, c’eût été dommage.
Le poids (1 470 kg selon la police) ne la handicape guère sur cette piste rapide de Goodwood. Le souffle des turbines se marie au râle peu mélodieux du V6. Le tachymètre affiche plus de 200 km/h. Le plaisir est ailleurs : dans ce rêve de gamin devenu réalité.
Je l’aurai fait : parcourir quelques kilomètres à bord de cette supercar emblématique des années 90. Et qu’importe que je n’en prenne pas le volant. De toute façon, je ne pouvais physiquement pas m’y installer. Je m’extrais du siège passager comme un reliquat de dentifrice au fond de son tube…
Mais à l’euphorie du moment se mêle de la mélancolie. Jaguar ne produira plus de voitures telles que les Mk II, Type E et XJ220. La marque, qui compte quitter le segment premium pour intégrer le luxe, tire un trait sur son passé, celui qu’elle a écrit à coups de mécaniques onctueuses, musicales, enivrantes.
Jaguar, avant d’autres, bascule dans le 100 % électrique. Et bien que les prochaines anglaises (le nouveau design du constructeur sera dévoilé en décembre) soient joliment dessinées, on redoute de ne pas leur vouer le même culte qu’à leurs ancêtres.

Jaguar Mk II 3.8 : fiche technique

  • Années de production : 1959 - 1967
  • Exemplaires produits : 30 627
  • Moteur : 6 en ligne, 2 carburateurs
  • Cylindrée : 3 782 cm3
  • Puissance maxi : 220 ch à 5 500 tr/mn
  • Couple maxi : 33,1 mkg à 3 000 tr/mn
  • Transmission : roues AR, 4 rapports manuels
  • Poids : 1 450 kg
  • L - l - h : 4 590 - 1 690 - 1 460 mm
  • Empattement : 2 730 mm
  • Roues : 6,40 x 15 Pneus : 640 H 15R
  • éservoir : 55 l V. max. : 203 km/h
  • 0 à 100 km/h : 8”6
  • Prix à l’époque : 31 000 F
  • Cote actuelle : environ 48 000 €

Jaguar XJ220 : fiche technique

  • Années de production : 1992 - 1994
  • Exemplaires produits : 275M
  • oteur : V6 biturbo, injection
  • Cylindrée : 3 498 cm3
  • Puissance maxi : 550 ch à 7 000 tr/mn
  • Couple maxi : 65,4 mkg à 4 500 tr/mn
  • Transmission : roues AR, 5 rapports manuels
  • Poids : 1 470 kg
  • L - l - h : 4 930 - 2 010 - 1 150 mm
  • Empattement : 2 640 mm
  • Roues AV & AR : 9 x 17 & 14 x 18
  • Pneus AV & AR : 255/45 ZR 17 & 345/35 ZR 18
  • Réservoir : 90 l
  • V. max. : 341 km/h0
  • à 100 km/h : 4”0
  • Prix à l’époque : 3 500 000 F
  • Cote actuelle : environ 500 000 €

Retrouvez notre reportage au Circuit de Goodwood dans le Sport Auto n°755 du 29/11/2024.

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