Retour aux sources - Ferrari 365 GTB/4 Daytona (1968) : pourquoi fascine‑t‑elle autant ?

Publié le 15 novembre 2024 à 15:30
Retour aux sources - Ferrari 365 GTB/4 Daytona (1968) : pourquoi fascine‑t‑elle autant ?

Contre son père, qui ne voulait pas qu’elle fît le métier de voiture de course et qui lui refusait son nom de guerre, contre ceux qui la prétendaient démodée dès sa naissance, contre les règlements qui l’écartaient, la Daytona s’est taillé sa carrière bien à elle, jusqu’à devenir cette Ferrari mythique que Sport Auto essaie chez elle, à Fiorano. En voiture !

Les "Trente Glorieuses", la prospérité économique, il faut le dire vite. En 1968, les soubresauts bousculent la marche des affaires, les mœurs, le monde. Dans la grande industrie, automobile par exemple, les tensions sociales se multiplient ; Fiat, premier constructeur européen, subit des grèves à répétition et continue d’engloutir les concurrents encore plus secoués, Bianchi en 1968, Lancia en 1969, et la même année Ferrari, qui n’écoule bon an mal an que quelques centaines de voitures de route (près de 15 000 aujourd’hui) et doit accepter sa tutelle.
Ce qui ne convient guère au Drake, Enzo Ferrari, longtemps maître chez lui, maître de Modène, maître du Mans. Mais tout change ! Ford le roturier a battu ses V12 en 1966 avec les GT40 et leur gros V8 à arbre à cames central ! Enzo ne verra plus jamais la victoire au Mans. En F1, les artisans anglais contestent sa suprématie et là aussi Ford arrive.
Du côté des voitures de route, ses propres ingénieurs, congédiés quelques années plus tôt, jettent sur le marché d’audacieuses nouveautés : Carlo Chiti a créé l’ATS, Giotto Bizzarrini a donné à Lamborghini, un tractoriste, un superbe V12 qui trône à présent à l’arrière de l’extraordinaire Miura.
La presse transalpine, dont Enzo méprise la majeure part du personnel sans pouvoir cesser d’être sensible à son discours, lui reproche chaque défaite. Tout de même, deux somptueuses P4 et une 412P ont pris une splendide revanche aux 24 Heures de Daytona 1968, un triomphal triplé, « chez l’ennemi ».
Six pilotes inspirés, amenés par l’Italien Lorenzo Bandini. Hélas, trois mois plus tard, il se tue à Monaco au volant de sa Ferrari 312. Surtout, la 365 GTB/4 lancée en 1968 semble trop conservatrice pour inquiéter la Miura, qui depuis 1966 séduit tout le monde avec son architecture de voiture de course.
Enzo peut trouver cela bien injuste, car dès 1963, il a tenté de proposer une version routière de la 250 LM et c’est la fédération italienne qui en a refusé l’homologation. En fait, cette injustice, il la doit à son retard à passer au moteur central en Formule 1.
Et plus encore à sa fameuse rodomontade devant les journalistes : « Les chevaux tirent la charrue, ils ne la poussent pas. »
Bien moins traditionaliste qu’on veut bien le dire quand il s’agit de course, Enzo a pourtant conquis le titre dès la première année de ses 156 Sharknose à V6 central, 1961. Et bien plus pragmatique qu’il n’aimait à le laisser croire avec ses hautaines déclarations de principe, il confiait discrètement dès 1960 ses moteurs Mondial à la Scuderia Castellotti, qui les réalésait à 2,5 litres, les renommait à son nom et les montait à l’arrière de châssis Cooper.

Pas “Daytona”

Enzo, en tout cas, refuse bel et bien que sa nouvelle GT coure, et lorsque les clients tifosi la baptisent eux-mêmes « Daytona », il s’en irrite. Il préfère s’en tenir au hiératisme des appellations maison, « 365 » pour la cylindrée unitaire (soit 4,4 l, une fois multiplié par 12), « GTB » pour la carrosserie berlinette, car il y aura un spider GTS, et quatre pour le nombre d’arbres à cames en tête, deux par banc.
C’était déjà le cas pour les dernières 275, mais avec ses 3,3 l seulement, le V12 manquait de couple à bas régime par rapport à la précédente version deux soupapes. Les généreux poumons de la nouveauté n’ont rien à craindre de ce côté, elle ne manquera pas de souffle. Mais elle est lourde et Enzo ne veut pas l’exposer, s’exposer, à d’autres défaites, ni disperser ses forces, ni faire plaisir à Fiat, il ne souhaite pas qu’elle coure.
Pourtant, le vieux complice, Luigi Chinetti, son importateur aux Etats-Unis, ne l’entend pas de cette oreille. Jouissant pour lui-même de sa réputation de triple vainqueur, il connaît le rayonnement du Mans et il voit bien qu’un modèle de route se vend mieux quand il est auréolé de participations aux 24 Heures.
Après deux années « perdues » à attendre une initiative de l’usine, Chinetti inscrit une 365 GTB/4 pour l’édition 1971, sous ses couleurs du North American Racing Team. Une semaine avant, Maranello ne lui a pas encore livré la voiture prévue ! Et rien n’a été fait pour hâter son homologation en Groupe 4.
Qu’importe, Chinetti inscrit l’auto en catégorie Sport, celle des prototypes, avec au volant son fils Luigi et l’Américain Bob Grossman. Luigi Junior reçoit la voiture directement au Mans, presque trop tard, en prend possession et a rode à toute pompe sur le trajet Le Mans‑Rennes, in extremis pour le départ.
Vingt‑quatre heures après, il termine 5e au général, loin devant toute autre GT ! En 1972, ça y est, la Daytona est enfin une « GT », et elle signe au Mans un quintuplé ! Deux autres victoires de catégorie suivront, jusqu’au‑delà de la commercialisation de la Daytona – le nom a bel et bien fini par s’imposer – et elle reste l’une des Ferrari « client » les plus souvent couronnées.

24 heures, une semaine…

Nous ne vous avions pas tout dit lors de notre reportage sur le Corso Pilota Classiche. En plus des 308 GTB et GTS, de la Mondial 3.2 et de la 550 Maranello, les élèves peuvent, pour compléter le voyage temporel, s’ébattre au volant de cet exemplaire bleu ciel de la Série 1, reconnaissable à ses phares fixes et sous plexiglas, remplacés ensuite par des phares escamotables.
En descendant de la « Maranello », bien plus puissante et moderne, le dépaysement est vertigineux. La conduite de la Daytona s’avère terriblement physique. Il faut s’employer à manœuvrer l’embrayage à long débattement, à empoigner le volant avec une résolution de chauffeur routier, à coordonner ses gestes par anticipation et avoir réglé le problème des rétrogradages nécessaires avant le virage, durant lequel il ne sera plus question de lâcher d’une main le grand volant, qui n’accorde la précision qu’en échange d’une implication sans faille. Mais quel bonheur !
Cette bagarre est un dialogue. Il paraît que les meilleurs chevaux exigent de qui prétend les maîtriser le même type d’engagement. Une fois trouvé le truc, les passages de rapport, sans jamais cesser de réclamer de la poigne, offrent une rapidité dont on se serait cru incapable au premier tour.
De même, la direction, si on sait ce que l’on veut, accorde un placement solide, sans louvoiement ni hésitation au plus fort de l’appui. Et la puissance s’empare du train arrière pour pousser résolument vers la sortie du virage dans un équilibre remarquable. A haute vitesse, on ne bénéficie pas de l’angélique légèreté d’une Miura, mais on ne redoute jamais d’être enlevé, soulevé jusqu’au paradis.
Difficile d’abord, la Daytona vous donne une solide confiance et l’on sent que ça pourrait durer ainsi vingt‑quatre heures sans coup férir. Ou même toute une semaine, tiens, et l’on repense aux exploits de la voiture sur le Tour Auto, aux mains de Jean‑Claude Andruet (victoire en 1972) ou de Vic Elford, qui l’adorait et signait à son volant des chronos devant les ludions de l’équipe Alpine, jusqu’au creux des départementales béarnaises !
Qu’est‑ce qui donne tant d’épaisseur au rêve de conduire cette auto ? Sa beauté ? Sans doute ; Pininfarina a joué là un coup de maître. Son histoire ? Bien sûr. La voir nonchalamment se diriger vers la piste sous les fenêtres mêmes d’Enzo et Laura Ferrari, dans le grondement placide du V12 et le chuintement des gros Michelin XAS taille haute, évoque la perpétuelle tension politique de la gestion sportive de la Scuderia.
Mais encore ? Pourquoi donc la Daytona fascine‑t‑elle autant ? A coup sûr, pour la fierté d’avoir dû la conquérir. D’autres Ferrari, évidemment, sont plus rapides, plus commodes et moins difficiles. Mais la complicité avec cet animal de très haute race, quand on a su la trouver, cela n’a pas de prix.

Ferrari 365 GTB/4 Daytona (1968) : sa fiche technique

  • Années de production : 1968-1974
  • Exemplaires produits : 1 539
  • Moteur : V12, 24 S
  • Cylindrée : 4 390 cm3 Puissance maxi : 352 ch à 7 500 tr/mn
  • Couple maxi : 44 mkg à 5 500 tr/mn
  • Transmission : roues AR, 5 rapports manuels
  • Autobloquant/antipatinage : oui/non
  • Suspension AV/AR : roues indépendantes, triangles superposés, combinés ressort-amortisseur, barre anti-roulis
  • Freins AV/AR : disques
  • Poids annoncé : 1 300 kg à sec
  • L - l - h : 4 425 - 1 760 - 1 245 mm
  • Empattement : 2 400 mm
  • Pneus AV & AR : 215/70 VR 15
  • Réservoir : 130 litres
  • Prix 1968 : 101 000 F (environ 145 000 € en 2024)
  • Cote actuelle : environ 800 000 €
  • V. max. : 280 km/h
  • 0 à 100 km/h : 5’’9
  • 1 000 m D.A. : 25”0

Retrouvez notre essai "Retour aux sources" avec la Ferrari 365 GTB/4 Daytona (1968) dans le Sport Auto n°753 du 01/09/2024.

Nos marques populaires Voir tout

Sport Auto