La F1 et les qualifs : une drôle d'histoire

En 65 ans, la F1 a connu 8 systèmes différents de qualifications. Dont 6 depuis 2003. Et pour 2016, cela change encore. Pour le meilleur ou pour le pire ?
En 1933, le championnat du monde de F1 n’est pas encore né, mais des grands prix ont déjà lieu depuis belles lurettes. Jusqu’à un certain GP de Monaco 1933, on n’allait pas chercher bien loin. La grille de départ était décidée... par tirage au sort ! On n’imagine plus un tel système de nos jours. Quoiqu'une première ligne Haryanto-Ericsson, décidée par le sort, ne manquerait pas de sel. Achille Varzi fut donc, en 1933, le premier vrai poleman au mérite de l’histoire des grands prix.
En 1950, la règle des qualifications du nouveau championnat du monde de F1 est très claire, et ce pour longtemps : les séances de roulage (de deux à trois, selon les années) comptent pour l'établissement de la grille de départ. A tout moment, un chrono peut être la pole position. Petit à petit, légère modification, la F1 s'adapte aux demandes des organisateurs et des télévisions. Pour en arriver au format le plus utilisé dès lors : des essais libres et des qualifications se déroulant officiellement en deux séances, sur deux jours, le vendredi et le samedi.
En 1996, la F1 rompt avec cette tradition. La qualification du vendredi disparaît, laissant place à deux séances d’essais libres. L'unique qualification a lieu le samedi. Elle dure une heure, sans restriction d’essence et dans la limite de 12 tours.
Chaque année son nouveau format
En 2003, c'est le début du raffut. Les réglementations se compliquent à tout-va et les idées farfelues se succèdent pour tenter d'améliorer la qualité du spectacle proposée aux télévisions. Tous les ans ou presque, quelque chose va changer.
2003, donc, il y a maintenant 2 séances de qualif. Une le vendredi, avec réservoir d’essence à vide, qui définit l’ordre de départ d’une seconde qualif, le samedi, avec, elle, la quantité d’essence pour la course. Dans les deux cas, chaque pilote roule seul en piste, avec un seul tour chrono possible.
2004, nouveau changement. Toujours deux qualifs, mais le samedi cette fois. L’ordre de départ de la première est décidé par le classement de la course précédente. L’ordre de départ de la deuxième qualif est lui-même décidé par le classement de la première qualif mais inversé... C’est encore pire qu’en 2003 car des pilotes font semblant en Q1 de faire une erreur afin d’avoir un meilleur ordre de départ pour la Q2.
Pour 2005, la FIA pense trouver la parade avec toujours deux qualifs et cette fois l’addition des temps... La deuxième ayant lieu le dimanche matin. Pas plus satisfaisant, la preuve, à partir de Valence, tout change encore.
Dès mai 2005 en effet, un nouveau système intervient en cours de saison. On revient à une seule qualif, sur un seul tour chrono, avec le plein d’essence et avec l’ordre de départ inversé du classement de la course précédente...
En 2006, la FIA se ressaisit. Partiellement. Le système Q1, Q2 et Q3 entre en scène. C’est un mode à élimination directe. On retrouve ainsi en Q3 les dix pilotes les plus rapides mais là-encore, ils doivent se disputer la pole avec le plein d’essence... C’est excitant en Q1 et Q2 , mais pas en Q3 où en plus de nombreux pilotes roulent juste pour brûler de l’essence en vue de la course...
Nouveau réajustement en 2008 où le carburant brûlé en Q3 n'est plus réintroduit avant la course. En 2009, les F1 sont toujours plus lourdes en essence en Q3 qu'en Q2...
En 2010, enfin, on en revient à quelque chose de plus logique : le retour d’une vraie qualif à vide. Q1, Q2 et Q3 sont toujours la norme mais cette fois on a le droit à une vraie Q3 basée sur les performances pures des voitures. Cette formule, plutôt adaptée et cohérente, a tenu pendant six saisons. Un petit miracle dans cette F1 si interventionniste.
Pourtant, d’autres idées entre temps ont été étudiées, sans jamais être adoptées. Dès 2005, on évoque une qualification en forme de course sprint. C’est-à-dire une première course courte, qui déterminerait la grille de la grande course du dimanche. Une piste abandonnée, heureusement.
Ce n'est pas tout, en 2009, l’association des écuries de F1 (FOTA) prône un autre modèle : celui où il faut d’abord ne pas être le plus lent, avant d’être le plus rapide. Chaque tour, le plus lent était éliminé. Une sorte de Royal Rumble (catch américain) mécanique. C'est justement le système que la F1 reprend pour 2016. Avec des paliers d'éliminations, toutes les 90 secondes.
"Comme si Usain Bolt..."
La F1 n'est pas le seul sport automobile à changer son système de qualifications. Toutes les disciplines ou presque ont également muté : Nascar, WEC, IndyCar, ainsi que la Moto GP et le DTM, championnat pionnier dans l'idée d'une SuperPole. Pourtant, désormais, le DTM a encore changé son fusil d'épaule avec un week-end articulé autour de 2 courses, avec deux mini qualifs de 20 minutes. Et même un championnat tout jeune comme la Formula E a déjà changé de format, dès sa deuxième année.
Si les raisons sont diverses (la sécurité par exemple pour les motos), la principale est de chambouler le plus possible la hiérarchie. Un patron d'écurie de F1, favorable aux systèmes d'élimination, utilise une comparaison intéressante. "Notre problème en sport auto est le même que si Usain Bolt s'élançait, lors de la finale du 100 m, avec 1 m d'avance sur les autres parce qu'il était le plus rapide lors de la demi-finale. Il serait alors difficile de le battre. C'est pareil pour nous avec les meilleures voitures en première ligne." Pas faux.
Alors évidemment, c'est contraire à l'esprit et à l'histoire de la F1. Mais on ne doit pas oublier non plus qu'aucun système de qualifications n'a jamais été parfait, et que les séances d'une heure étaient en fait intéressantes dans les dix dernières minutes seulement.
Ce n'est pas un hasard si les changements de qualifications arrivent souvent au moment des grandes dominations. Tout a commencé en 2003, après trois saisons de domination écrasante de Ferrari et Michael Schumacher. En 2016, c'est la même chose, Mercedes ayant signé 36 pole positions sur 38 possibles en deux ans !
Et si cela marchait ?
Surtout, un fait intéressant est ressorti de 2015. Il a mis la puce à l'oreille à ceux qui ont imaginé un nouveau format de qualifications. En effet, on a, à trois reprises, constaté que les Mercedes, quand elles ne partent pas devant et sont dans le trafic suite à un mauvais départ, marchent beaucoup moins bien. Malaisie, Hongrie et Singapour : les trois fois, les monoplaces allemandes ont mordu la poussière. Incroyable mais vrai. Les F1 sont des machines si complexes qu'on peut mettre une seconde à tout le monde quand on est en tête, à l'air libre, et perdre quand on s'élance sixième. Voilà bel et bien l'objectif : limiter la domination de Mercedes. Car ce n'est pas possible techniquement de le faire, comme cela fut tenté en 2006 sur la Renault (Mass dumper) ou sur les Red Bull plus tard (double diffuseur, diffuseur soufflé...). Le règlement sportif sert aussi à cela !
Le nouveau format 2016 est-il donc à jeter à la poubelle ? Et si cela pouvait s'avérer assez spectaculaire. Rouler en piste constamment, pour éviter d'être le plus lent, et donc d'être éliminé. Le côté compte à rebours apportera du suspense et un côté dramatique qui peut être intéressant. Certes, on est loin de l'esprit premier des qualifications, mais pourquoi pas...
Ce nouveau format est déjà très critiqué. Mais tout l'est. Les mêmes qui réclament des règles dans la plus pure pureté de l'art se plaignent aussi quand il y a des dominations et un manque de spectacle. Et la plupart de ces critiques sont très exagérées. Le format 2016 n'est pas une loterie sans règle. Rien sur le papier n'empêche foncièrement la meilleure voiture d'aller le plus vite. Il y a plus d'aléas, ce fameux compte à rebours, mais les Mercedes devront être autant rapides que constantes, ce qui est rajoute un obstacle en plus. Même mal qualifiés, Hamilton et Rosberg ne seront pas condamnés et pourront se battre pour remonter. Rien là-dedans n'est de la manipulation honteuse. Juste, cela rajoute de l'incertitude dans un sport qui déteste cela. Bizarre que les fans, qui devraient saluer cette part d'incertitude, eux, se transforment en ingénieurs conservateurs.
On évite le pire
Surtout, ce nouveau format a un énorme mérite. Il nous évite encore des bidouillages sur le format des courses. Certains championnats ont franchi le cap. Comme le DTM et ses deux courses. Comme le GP2 et sa grille inversée le dimanche... Comme d'autres avec un système de lest pour handicaper les meilleurs...
La F1 refuse encore de franchir le Rubicon. Tant mieux. Alors attention quand même à ne pas toujours et trop critiquer les dernières bouées de sauvetage sans lesquelles on irait tout droit vers une F1 dénaturée totalement.
Le sport automobile doit vivre avec son temps, préparer le futur et respecter son passé. Tâche de synthèse extrêmement difficile. Étonnamment, l'un des sports les plus spécialisés au monde est tellement critiqué qu'il en arrive à modifier ses gênes. Plus que tous les autres. On ne change pas les règles du foot quand l’Allemagne, le PSG ou le Barca domine. Pareil au tennis, au golf... Il ne viendrait à l'esprit de personne de changer le format des matchs de tennis pour que Djokovic ne gagne plus en 2016. Les pilotes portent une responsabilité en, eux-aussi, critiquant à tout va.
La F1 est sur les nerfs. Dans un monde hystérisé par les réseaux sociaux, elle panique. Pour le meilleur et pour le pire. On ne cesse de récolter, depuis 2003, les fruits de ces vagues perpétuelles de critiques. Mais ce sont des fruits souvent remplis de vers. Cette sensibilité manifeste à ce que l'on pense et dit d'elle doit nous pousser à la modération. Avant qu'on l'entraîne définitivement à se renier totalement. On l'aurait alors bien cherché.