La F1 a-t-elle un problème avec les jeunes ?

Avec Räikkönen et Button maintenus chez Ferrari et McLaren en 2016, l'expérience barre une nouvelle fois la route à la jeunesse. La F1 devient-elle anti-jeune ?
Poser cette question peut paraître ridicule, l'année où la F1
compte en ses rangs le plus jeune pilote de GP de tous les temps,
Max Verstappen (17 ans). Mais l'accueil fut pour le moins frais,
les critiques et les doutes affluant sur le choix de Toro Rosso.
Comme en 2001, où Sauber était taxée d'inconséquence avec le
recrutement d'un jeune pilote de Formule Renault 2.0, Kimi
Räikkönen.
La FIA est même intervenue en un rien de temps pour changer les
règles d'attribution de la Super Licence et ainsi éviter qu'un
autre Verstappen ne débarque. Vu ce qu'il est en train de
démontrer, cela laisse perplexe...
Heureusement, en fait, que Red Bull est là ! Depuis quelques
années, la marque autrichienne est la seule ou presque à croire en
la jeunesse. D'autres constructeurs ont pourtant eu une filière,
sans vraiment s'appuyer dessus : Ferrari et son Academy, Toyota et
son Programme, Mercedes et son Junior Team...
Red Bull est allée au bout de la logique, grâce à sa petite soeur
Toro Rosso, endroit idéal pour mettre le pied à l'étrier. Klien,
Speed, Alguersuari, Buemi, Vettel, Ricciardo, Vergne, Kvyat, et
cette saison Sainz et Verstappen. On a tout eu, de 21 à 17 ans.
Red Bull aurait pu se contenter de faire avec les autres pilotes
existants, non, elle a voulu former ses propres pilotes. Et Vettel
est devenu 4 fois champion du monde ; Ricciardo a gagné 3 GP ;
Verstappen promet de devenir un grand. Bien vu.
Mais dans les autres écuries, notamment les top team ou assimilés,
on ne voit pas grand chose venir. Pour 2016, Ferrari aurait pu
recruter Bottas, comme elle aurait pu essayer Bianchi auparavant.
McLaren, de même, rempile encore avec Button, alors
qu'un (futur) champion de GP2 issu de ses rangs est prêt pour le
grand bain.
Alors, les top teams ont-ils, oui ou non, un problème avec les
rookies et les jeunes ? Voici les pour et les contre.
1. Non, la F1 n'a pas de problèmes avec les jeunes et les rookies
:
- Cinquante et un : c'est le nombre de rookies ayant débarqué en F1
depuis 10 ans. A un rythme assez fluide : 5 en 2015, 5 en 2014, 5
en 2013... On ne peut pas dire que la F1 se ferme aux jeunes.
Certes on est loin de certains records de renouvellement (14
nouveaux pilotes en 1994, 12 en 1989) mais il n'y a plus que 20
volants en F1, dont la moitié seulement vraiment bons.
- Plusieurs écuries jouent le jeu. C'est le cas de Williams qui
récemment a tenté des coups et misé, ce qui n'était pas tellement
le cas avant, sur des rookies ou juste des jeunes : Ralf Schumacher
en 1999, Jenson Button en 2000, à l'âge de 20 ans, Nico Rosberg (21
ans) en 2006, Hülkenberg (23 ans) en 2010, Bottas (24 ans) en 2012.
Sans faire injure à Williams, elle n'était alors plus considérée
comme un vrai top team du temps de sa superbe. Se rabattre sur les
jeunes était aussi un choix subi, même s'il a été au final
excellent.
Et comme par hasard, d'un coup, depuis que Williams revient sur le
devant de la scène, elle fait le choix de garder Massa au lieu de
prendre un jeune.
- McLaren aussi a pris des risques. Rarement, c'est vrai, mais ils
l'ont fait. Le dernier en date était le jeune espoir Kevin
Magnussen. Sans décevoir mais non plus sans épater, Magnussen a
vite été prié de retourner à l'école au bout d'un an, transfert de
Fernando Alonso oblige. Magnussen aurait pu avoir une année de
plus, à la place d'un Button en difficultés en qualifications face
au rookie (9 à10), comme il l'avait été face à Pérez en 2013 (10 à
9). Il est vrai que Button a marqué nettement plus de points que
ses équipiers en course (199 contre 104).
Chez McLaren, le vrai coup de génie a été, en 2007, l'arrivée de
Lewis Hamilton. Il avait le palmarès, la réputation, et
l'opportunité d'arriver au moment où Montoya avait été renvoyé aux
USA et où Räikkönen se fâcha avec Ron Dennis avant de filer chez
Ferrari, Michael Schumacher prenant sa retraite. Hamilton aurait pu
voir sa route barrée par un duo Alonso/Räikkönen. McLaren a eu une
opportunité et l'a saisi. Ils ont vu juste, Hamilton faisant jeu
égal avec Alonso et manquant le titre d'un rien. Mais des Hamilton,
il n'y en a pas tous les ans !
- Les écuries de F1 laissent rarement les jeunes espoirs au bord de
la route, surtout quand elles les pensent hors du commun. Mais
elles les placent dans des écuries de fond de grille, histoire de
voir comment ils se débrouillent. Et c'est le même tarif pour les
futurs champions. Hormis Hamilton qui a débuté directement dans un
top team (McLaren), presque tous ont fait leur premiers pas dans
une écurie modeste : Vettel (Toro Rosso), Alonso (Minardi),
Räikkönen (Sauber), Schumacher (Jordan), Senna (Toleman)... Au
début des années 2000, si Alonso (19 ans) et Räikkönen (20 ans)
étaient précédés d'une réputation du tonnerre, aucun top team
n'avait pris l'initiative en premier. Surtout pas Ferrari qui
pourtant avait les deux sous les yeux. Des années plus tard, ils
iront bel et bien chez Ferrari, mais à près de 30 ans !
- En F1, l'expérience compte énormément. Autant que le talent pur.
Les F1 sont devenues si complexes, à cause des Power Unit, des
pneus Pirelli et des règlements, que l'expérience compte et prime.
La pression est telle, bien plus qu'ailleurs, qu'il faut une tête
bien faite et des nerfs d'acier. Tous les jeunes ou débutants ne
l'ont pas encore. Piquet Jr a explosé en plein vol, Bourdais a eu
du mal à s'adapter, Glock n'a jamais retrouvé son niveau de la F3
et du GP2. Comme chez McLaren, en 2013 et 2014. Face à Pérez et
Magnussen, le vieux Button a fait le job. Si dans l'histoire, il y
a eu d'excellents jeunes pilotes réussissant tout de suite, cela
reste une minorité. La trentaine est l'âge de raison, et celui où
les pilotes sont le mieux dans leurs pompes. Ce qui n'empêche pas
certains d'avoir trop fait trainer leur carrière : Heidfeld,
Webber, Coulthard, Barrichello, entre autres.
Pas de rookie chez Ferrari depuis... 1970 !
2. Oui, la F1 a un problème avec les rookies et les jeunes :
- La Scuderia Ferrari, l'écurie la plus historique et la plus
mythique, est le meilleur exemple. Pour trouver à Maranello trace
de la titularisation (sur une saison complète, pas juste pour un
remplacement façon Mordibelli ou Merzario) d'un vrai rookie, il
faut remonter à 1970 et Clay Regazzoni. Et encore, il avait déjà 31
ans. Depuis ce jour, Ferrari n'a fait appel qu'à des trentenaires
(à la louche), à quelques rares exceptions : Massa avait 25 ans en
2006 (3 saisons de F1), tout comme Lauda en 1974 (3 saisons
d'expérience). Alesi, un vrai espoir en 1990, avait aussi déjà 3
ans derrière lui et 27 ans.
Les deux seuls ''vrais jeunes'' choisis par Ferrari ont d'abord été
Ricardo Rodriguez en 1961 (19 ans) puis Jacky Ickx en 1968 (23
ans). Cela ne date pas d'hier. On pourrait y ajouter le choix de
Gilles Villeneuve en 1977, âgé certes de 27 ans, mais qui n'avait
alors disputé qu'un GP.
Ferrari fait appel le moins possible à des jeunes. Elle a l'aura et
le budget pour se payer qui elle souhaite, en général des stars ;
la pression est maximale : et elle préfère jouer la carte de la
continuité côté pilote numéro deux, quitte à utiliser des pilotes
plusieurs saisons : 8 pour Massa, 6 pour Barrichello... Tout
cela n'a pas permis à quelques jeunes d'avoir leur chance : Jules
Bianchi par exemple, pourtant dans le giron de la filière depuis
longtemps, De Angelis en son temps...
- Si les écuries F1 prennent parfois des risques avec des jeunes
pilotes, ce n'est jamais dans leur période faste ! Red Bull a
choisi Vettel avant de dominer la F1, mais ensuite a gardé Webber
jusqu'au bout, même quand ce dernier régressait. Ricciardo a
finalement eu sa chance uniquement quand Webber a choisi de partir
en WEC.
Renault a fait exactement la même chose. Elle a parié sur Button
puis Alonso dès 2002 (pilote d'essais puis titulaires), a tenté
Kovalainen, Piquet Jr et Grosjean, mais quand elle gagnait, en
revanche, rien. Trulli puis Fisichella sont restés à bord, alors
que des Kubica ou Montagny frappaient à la porte. On ne change pas
une équipe qui gagne, comme on dit...
- Les quatre derniers champions de GP2 n'ont pas eu (encore) de
volants en F1 : Vandoorne, Palmer, Leimer, Valsecchi. Alors que les
six premières années du GP2, 5 sur 6 sont allés en F1. En F3, les
quatre derniers champions aussi sont restés à la porte de la F1
(pour le moment). En Renault 3.5, sept des neuf derniers champions
n'ont pas non plus eu une chance.
- La composante extra-sportive pèse lourd. Il y a en effet la
valeur marketing. Les sponsors recherchent des stars, des
personnalités, des pilotes bankable. Les Alonso, Button, Hamilton
et Räikkönen sont au-dessus du lot. Ils sont les seuls à être
vraiment connus, outre l'espace d'un paddock. Un sponsor qui met 20
millions dans une écurie préfère faire des publicités et amener au
paddock club un Räikkönen plutôt qu'un Bottas ou un Button au lieu
d'un Vandoorne. C'est encore plus vrai quand la F1 est en crise, ce
qui est le cas en ce moment. Si McLaren était gavée de sponsors,
Vandoorne aurait remplacé Button.
- Pour les jeunes, c'est le serpent qui se mord la queue. Les
écuries les formatent, leur interdisent de trop parler et de dire
ce qu'ils pensent, et derrière, elles leur reprochent de ne pas
avoir de personnalité telle que le public et les sponsors les
réclament... Or les jeunes aussi ont du caractère, n'est-ce pas Max
Verstappen ou Carlos Sainz Jr ?
- La suppression des essais privés n'aide pas les jeunes pilotes.
Quand ils ont une chance, c'est directement en grand prix et sans
expérience et sous la pression. Ce n'est pas l'idéal, surtout
quand, il y a encore 10 ans, certains débutaient avec 30 000 km au
compteur !
Une génération dorée
Conclusion :
Il n'y a pas vraiment pas de quoi tirer le signal d'alarme ou se
plaindre, la F1 vivant toujours sur la lancée d'une génération
dorée. Avec des Alonso, Hamilton, Vettel, Raikkönen, il y a de quoi
faire. Les champions du monde sont encore chez eux en F1, et se
retrouvent même équipiers dans les top team. Il n'y a donc pas de
place pour des jeunes.
Le niveau du top 10 est très élevé, mais il pourrait l'être encore
plus avec ici ou là l'injection de quelques jeunes de talent. On
pensait, hier aux Bianchi et autres Frinjs, à Vandoorne, pour 2016,
chez McLaren, à Bottas chez Ferrari, ou encore Verstappen chez
Mercedes, Ocon chez Lotus, Wehrlein chez Force India, Lynn ou
Rowland chez Williams. La partie est sans doute remise à
2017...
Quelques exemples de jeunes, justement, qui pourraient ou auraient
pu avoir leur place en F1 :
- Stoffel Vandoorne (23 ans), futur champion de GP2
- Pascal Wehrlein (20 ans) leader du DTM
- Alex Lynn (22 ans), GP2
- Esteban Ocon (19 ans), 2e du GP3
- Olivier Rowland (23 ans), champion Renault 3.5
- Felix Rosenqvist (23 ans), champion de F3
- Charles Leclerc (17 ans), 3e de F3
- Luca Ghiotto (20 ans), leader du GP3
- Marvin Kirchhoffer (21 ans) 3e du GP3


