Essai - Pagani Utopia : rendez-vous avec l'excellence absolue...
Plus incroyable que la plus spéciale des Ferrari, plus extraordinaire que la plus explosive des Lamborghini, la Pagani Utopia se laisse approcher pour un premier galop d’essai.
Pour avoir l’immense chance de sillonner les routes de France et
de Navarre au volant de toutes les supercars, je peux en témoigner
en toute objectivité : il n’y a rien, j’insiste, absolument rien de
comparable à une Pagani. Une Bugatti ? Bien plus lourd ! Une
Valkyrie ? Nettement moins exploitable !
Quant aux sensations, inutile de chercher, rien ne vous retournera
à ce point les tripes à l’accélération. Je ne parle pas de prendre
des G ni d’escalade de puissance, mais bien d’impressions qui
resteront à jamais gravées dans votre mémoire. Tout comme la
qualité de fabrication, poussée à un tel niveau qu’elle dépasse
totalement son statut de voiture.
L’Utopia est une sculpture.
Mieux, c’est un monument façonné par une imbrication d’œuvres
d’art. Comme son volant, qui est usiné dans un seul bloc de 40 kg
d’aluminium, pour en extraire 1,5 kg d’une perfection absolue. Il
est même creusé de l’intérieur, pour l’allègement, et la pièce qui
le referme comme un couvercle est tellement bien ajustée qu’elle
est invisible à l’œil nu ou au toucher. Finition au micron,
c’est-à-dire au millième de millimètre.
L’Utopia compte ainsi 800 pièces d’aluminium taillées dans la
masse. Et si l’une d’entre elles présente le moindre défaut, même
s’il s’agit du recoin sous la pédale de frein, c’est recalage et
retour à l’usinage. Deux polissages infructueux ? Direction
poubelle et case départ, soit le bloc d’aluminium brut. Même motif,
même punition pour l’ensemble des pièces de ce puzzle
d’orfèvre.
De la coque du phare arrière jusqu’au sigle collé sur la
carrosserie, en passant par la machinerie du levier de la boîte
mécanique… chacun de ces morceaux de choix pourrait être exposé
dans une vitrine éclairée. La per-fec-tion ! A tel point que cette
division de l’usine de Pagani fournit l’industrie médicale pour les
prothèses de genou.
La marque de fabrique d’Horacio Pagani : l’excellence absolue
A vrai dire, ce n’est même pas surprenant puisque c’est la
marque de fabrique d’Horacio Pagani : l’excellence absolue. Et tout
est à l’avenant dans le cerveau de ce génie qui a su matérialiser
sa vision pour dépasser, en moins de trente ans, les constructeurs
automobiles les plus prestigieux au monde.
Son goût prononcé pour les autos bestiales et authentiques se
retrouve immédiatement au volant de l’Utopia. Ce n’est pas le genre
des hypercars hybrides au sang-froid. Tout le contraire. A peine
démarrée que les vibrations du V12 se répandent au long de la coque
carbone.
Comme une première vaguelette qui parcourt l’échine, avant que le
tsunami de couple ne transforme l’Utopia en projectile (112 mkg et
864 ch pour 1 280 kg à sec). Mais n’allez pas croire que cette
Pagani soit un monstre indomptable. Avec un œuf sous le pied droit,
elle s’insère dans la circulation de Modène sans broncher.
Jusqu’à ce que l’envie d’appuyer vraiment sur l’accélérateur
devienne irrésistible. Pédale à mi-course. Le V12 lâche un bruit
d’admission qui fait penser aux narines d’un dragon. En
comparaison, le 6,5 l d’une Lamborghini Revuelto est bien plus
lisse, plus muselé, en clair moins animal.
Même chose pour la montée en pression de la suralimentation,
beaucoup plus sauvage que celle du W16 d’une Bugatti Chiron. Ce 6
litres est bestial. A 3 000 tours, le cockpit se transforme en
catapulte et une main divine vous tape dans le dos, en vous
projetant l’horizon dans le pare-brise.
C’est tellement violent que mon cerveau réclame plus de temps pour
anticiper le changement de vitesse que l’aiguille du compte -tours
n’en a besoin pour se planter dans la zone rouge. J’oubliais la
cerise sur le gâteau : notre modèle d’essai est équipé d’une
transmission mécanique. Une madeleine de Proust dans une boîte en
argent, nous y reviendrons.
Pour le moment, je tente de contenir, tant bien que mal, la fougue
impétueuse de ce sublime V12. L’échappement de l’Utopia détone dans
une série de bourrasques impossibles à retranscrire. C’est tout à
fait différent de la montée en pression d’une McLaren, qui vous
laisse un temps de latence pour comprendre ce qu’il va se
passer.
Là, c’est irrépressible et instantané. Aucun moteur suralimenté,
même avec un turbo à assistance électrique comme celui de la toute
dernière Porsche 911 Carrera hybride, ne dégaine aussi vite. Ce
turboréacteur est d’autant plus impressionnant qu’il n’a pas, non
plus, la moindre inertie en descente de régime. Et que dire de
cette musique ?
Un timbre du V12 à vous donner la chair de poule
A mesure que le compte-tours voit rouge, les chuintements des
turbines laissent place au timbre du V12, qui s’éclaircit avant de
monter dans des aigus à vous donner la chair de poule et vous
redresser jusqu’au dernier poil des bras. Les cris de l’Utopia sont uniques.
Ils mixent le panache et le romantisme des vrais V12 italiens (même
s’il est allemand) avec la violence et la bestialité d’un
authentique moteur de course. Tout en étant assez docile pour
s’immerger dans une circulation bondée.
A bas régime, l’Utopia se relance sur un filet de gaz, là où nombre
de supercars auraient hoqueté avant de rétrograder pour décamper. A
propos de rétrogradage, profitons-en pour passer au chapitre de la
boîte manuelle, que Pagani a la bonne idée de proposer en parallèle
de la boîte séquentielle. C’est une œuvre d’art supplémentaire dans
l’habitacle, avec une grille en aluminium posée sur un présentoir
digne d’un joaillier de la place Vendôme.
Et un plaisir de retrouver cette succession de mouvements quasi
oubliés consistant à décomposer les phases de débrayage, de
sélection du rapport puis de réembrayage. D’autant que son
maniement est à la hauteur du spectacle, ferme, précis, avec un
embrayage civilisé et non pas on/off comme sur certaines supercars
de la grande époque dont les disques manquaient de
progressivité.
Sur le papier et pour un galop d’essai, on est littéralement
conquis par ce charme un brin rétro. A usage plus prolongé, en
revanche, les accélérations du V12 sont tellement foudroyantes
qu’elles mettent en exergue la relative lenteur et la force, mêlée
de concentration, qu’il faut déployer pour passer les rapports.
Pour schématiser, on est à la croisée des chemins. Il y a une
espèce de décalage spatio-temporel entre l’ultramodernité des
performances et le caractère old school de la transmission. Alors,
boîte manuelle ou séquentielle sur votre Utopia ?
Après l’avoir conduite, j’avoue que je sèche. Sur le principe, je
vous aurais répondu la boîte manuelle sans hésiter. Mais à
l’utilisation, le fait de toujours garder les mains sur le volant
lorsque la tempête arrive me paraît une bonne idée. Ce n’est plus
une question de goût mais de nécessité.
Toile de maître
En matière de comportement routier, les différences par rapport
à la Huayra sont sensibles. On perçoit tout d’abord une hausse de
rigidité du châssis qui lui confère beaucoup plus de justesse. Les
suspensions donnent aussi le sentiment de dribbler avec plus
d’efficience, tandis que la gestion de l’amortissement offre encore
plus de stabilité.
Sans parler du guidage ultra-précis du train avant ni de l’agilité
hors pair. L’Utopia prend ses appuis avec une facilité sidérante,
et le compromis entre efficacité et confort progresse d’un cran. A
condition de garder la tête froide et de composer avec les
explosions du V12, qui ont tendance à vous projeter dans le virage
suivant plus vite qu’anticipé.
Sur la route qui retourne à l’usine, l’Utopia est un poisson dans
l’eau qui plonge dans les courbes et en ressort d’un coup de
nageoire, tout en conservant une assiette parfaite. Cette dualité
entre agilité et tenue de cap instaure un climat de confiance, même
s’il ne faut jamais baisser la vigilance étant donné les capacités
de remise en vitesse et la rapidité des réactions.
Les Pirelli quasi neufs de notre modèle d’essai digèrent le couple
faramineux sans trop sourciller sur un revêtement sec. Si ce n’est
pas le cas, le mode Pluie, qui tempère les ardeurs du moteur, sera
apprécié à sa juste valeur. A ce propos, les aides électroniques à
la conduite de Pagani sont devenues parfaites : présentes,
efficaces mais jamais envahissantes.
Rien à voir avec ces supersportives au poids d’armoire normande qui
vous coupent dans votre élan au moindre appel du pied. Quant à ceux
qui préféreraient une transmission aux 4 roues comme sur une
Bugatti ou une Lamborghini, cela dénaturerait le poids plume de
l’Utopia.
Avec 1 280 kg revendiqués à sec, Pagani prolonge en effet les
saveurs des supercars de l’âge d’or. Sans compromis sur la
technologie ni la sécurité active ou passive. Il faut rappeler un
autre exploit : l’homologation dans tous les pays sans aucune
dérogation. Ce grand écart enfonce le clou.
Non seulement l’Utopia est une œuvre d’art, mais elle se plie aux
exigences de la route. Et non pas l’inverse, comme on le constate
parfois à ce niveau d’exclusivité. Cette Pagani a beau être une
toile de maître, elle fait preuve d’un degré d’aboutissement qui
laisse sans voix.
L'avis de Laurent Chevalier
Imaginez le mélange savant de vos rêves automobiles : une
F40, une F50 et une Carrera GT réunies et remises au goût du jour
au travers d’une technologie ultramoderne servie par des
performances fulgurantes.
C’est l’exploit que parvient à réaliser l’Utopia, dont la conduite
n’a pas d’équivalent. C’est tout simplement une œuvre d’art, à
l’exécution parfaite, dont le tempérament bestial atteint un degré
d’aboutissement sidérant.
Pagani Utopia : fiche technique
- Moteur : V12, biturbo, 36 S
- Cylindrée : 5 980 cm3
- Puissance maxi : 864 ch à 6 000 tr/mn
- Couple maxi : 112 mkg à 2 800 tr/mn
- Transmission : roues AR, 7 rapports manuels ou séquentiels
- Antipatinage/autobloquant : de série/de série
- Poids annoncé : 1 280 kg à sec
- Rapport poids/puissance : 1,5 kg/ch
- L - l - h : 4 960 - 2 063 - 1 169 mm
- Empattement : 2 795 mm
- Pneus AV & AR : 265/30 R 20 & 355/25 ZR 21
- Prix de base : 2 580 000 €
- Prix des options/malus : 540 000/60 000 €
- Prix du modèle essayé : 3 180 000 € (malus compris)
- V. max. : 350 km/h (autolimitée)
- 0 à 100 km/h : non communiqué
Retrouvez notre essai de la Pagani Utopia dans le Sport Auto n°751 du 26/07/2024.


