A la loupe - Lexus RC F LMGT3 (WEC) : une "bête de course" à la sauce manga
Au milieu des Ferrari, Aston Martin, Porsche, McLaren ou Corvette du plateau LMGT3 en WEC, la Lexus RC F assume une vraie singularité avec son look bodybuildé semblant sortir tout droit d’un manga. Sport Auto la passe au scanner.
Le lancement de la réglementation LMGT3 – au début de l’année
dernière – a marqué une date importante dans l’histoire de
l’Endurance. Après une formidable décennie, les LMGTE ont en effet
laissé place à des GT plus civilisées et abordables, déclinées de
la catégorie GT3, dont le succès est éclatant dans les championnats
gérés par Stéphane Ratel Organisation (SRO).
De nombreux constructeurs ont manifesté leur intérêt pour le LMGT3
et l’Automobile Club de l’Ouest en a alors sélectionné neuf. La
plupart avaient déjà couru au Mans, à part Lamborghini (déjà
reparti après une unique saison de compétition !) et Lexus.
Pour la marque premium du groupe Toyota, cet engagement en
championnat du monde d’Endurance et aux 24 Heures du Mans constitue
une étape majeure. Jusque-là, Lexus se limitait en effet au
championnat Super GT japonais et à divers championnats employant la
réglementation GT3.
Avec cette incursion en WEC, la marque passe clairement
la vitesse supérieure, en partenariat avec l’équipe française
Akkodis ASP. Basée près de Toulouse, l’équipe ASP compte parmi les
références de la catégorie GT3, dans laquelle elle a accumulé de
multiples succès avec Mercedes-AMG.
Ancien pilote de Formule 3000, son créateur Jérôme Policand tenait
absolument à revenir au Mans : « Nous y avions couru en 2014,
par le biais de notre engagement en ELMS, et j’avais une vraie
volonté d’y retourner. Lorsqu’il a été annoncé il y a trois ans que
le LMGT3 allait remplacer le LMGTE, j’ai tout de suite pris la
décision d’axer notre stratégie sur une entrée en WEC en 2024.
J’étais conscient que si on ne montait pas dans le train, on
pouvait le rater pour dix ans… »
Un oiseau rare
A ce moment-là, un tel projet ne figurait pas dans les priorités
de Mercedes-AMG et le patron de l’équipe française n’a pas hésité à
se tourner vers un autre constructeur.
« Il y a eu un premier contact avec Toyota/Lexus, et je leur ai
exposé ce qu’on souhaitait faire. Nous étions alignés. Ils m’ont
appris à cette occasion qu’ils étaient en train de développer une
nouvelle GT3 pour 2026 avec l’intention de la voir participer aux
24 Heures du Mans et en WEC. Il a juste fallu trouver une solution
pour la période intermédiaire 2024 et 2025. »
Et la
solution s’est vite présentée sous la forme de la RC F. Apparue en
2015 pour courir au Japon dans le championnat Super GT 300, elle a
déjà connu une deuxième vie en GT3 à partir de 2017. La voilà donc
qui attaque une troisième vie avec une version LMGT3 !
Il a bien sûr été nécessaire, pour cela, de procéder à quelques
aménagements exigés par les spécificités de la réglementation
concoctée par l’Automobile Club de l’Ouest et la FIA.
« Les ingénieurs de Toyota Gazoo Racing de Cologne ont réalisé
un gros travail de développement afin que la voiture soit éligible
au LMGT3, explique Adrien Cera, le directeur technique
d’Akkodis ASP. La configuration aérodynamique a dû être revue.
Ils ont été obligés de refaire des calculs, des simulations et des
passages en soufflerie en un temps record pour qu’elle entre dans
la fenêtre de performance aérodynamique imposée par le règlement
LMGT3. »
La validation de cette nouvelle configuration
aéro a donné lieu à une course contre la montre avant même le début
de saison 2024 : test de pièces aéro en septembre, approbation du
package global dans la foulée et homologation par le législateur
dans la soufflerie Sauber en janvier.
Sachant que le prologue commençait fin février au Qatar, il n’y
avait pas la moindre marge de manœuvre. « D’ailleurs, les
voitures n’étaient pas encore complètes lorsqu’elles sont arrivées
au Qatar, reconnaît Jérôme Policand. Certaines pièces de
la voiture d’homologation ont dû être démontées et envoyées au
Qatar pour être installées sur une des voitures de course. Nous
n’avions à ce moment-là que très peu de pièces disponibles !
»
Il faut préciser que cette RC F est un oiseau aussi rare
qu’exotique. Alors que certaines GT3 sont produites à plusieurs
centaines d’exemplaires, seules 18 Lexus ont été fabriquées en dix
ans !
« C’est une auto très atypique et intéressante, poursuit
Jérôme Policand. Pour une GT, elle présente quelques
caractéristiques assez orientées “proto”, que ce soit dans sa
définition technique ou dans le nombre d’unités produites.
»
Adrien Cera confirme : « Concernant les trains roulants comme
le moteur, elle reprend très peu d’éléments de la série, en
comparaison avec l’AMG. Elle est d’une conception plus complexe.
»
Pilote de la Lexus no 78 l’an passé et cette année
encore, le Manceau Arnold Robin ressent clairement ce caractère de
la RC F au volant : « On est quasi sur une conception de proto.
C’est un énorme avantage, car l’auto est très rigide et très saine.
Elle est bien équilibrée pour un gentleman driver comme moi.
Avec son empattement un petit peu plus long, elle a notamment une
très bonne stabilité dans les virages rapides et moyens. En
revanche, si on doit intervenir sur la voiture, ça prend beaucoup
plus de temps que sur les autres GT modernes. Ça se sent qu’elle a
été conçue à l’origine pour des courses sprint.
Par exemple, changer des éléments de carrosserie est bien plus
long. Nous avons d’ailleurs interdiction d’y toucher car cela peut
nécessiter une opération de dix ou quinze minutes pour remplacer un
bloc, alors que sur une Ferrari ça se fait sur le temps d’un
ravitaillement. »
Cette consigne d’éviter les contacts est
d’autant plus stricte que la carrosserie de la RC F est
particulièrement fine et a tendance à se casser au moindre choc…
« Grâce aux Américains qui courent en IMSA, nous espérons avoir
résolu la majorité de ces soucis », rassure le directeur
technique.
L’art de dompter sa singularité
Son âge avancé vaut à la RC F un léger déficit de performance,
dû en partie à une électronique pas vraiment adaptée aux
contraintes du LMGT3. « Il est vrai que
c’est un petit handicap pour nous, admet le patron de
l’équipe. Au fil des années, l’utilisation de nouveaux capteurs
est devenue nécessaire, mais notre système électronique n’a pas du
tout été prévu pour ça au départ.
Par exemple, en WEC, la régulation des moteurs est assurée non plus
par des brides, mais par des capteurs de couple sur les
transmissions. Il y a donc des calculs permanents pour ajuster la
puissance en fonction du couple. Cela demande beaucoup plus de
puissance de calcul…
Notre système nous restreint un peu pour être très proche de la
limite de puissance à la roue. Il est aussi légèrement en
surcharge, ce qui se traduit parfois par quelques problèmes de
fiabilité. »
Heureusement, quelques améliorations ont pu
être apportées pour la saison 2025, comme l’explique Adrien Cera :
« Grâce à de nouveaux systèmes qui sont employés sur le
programme IMSA, nous sommes capables d’augmenter le nombre de
données qu’on peut lire et transmettre. C’est sympa de pouvoir
bénéficier de retours d’expérience des Américains, même si tout
n’est pas transposable dans le cadre du règlement WEC. »
Au-delà de son look, la RC F cultive sa singularité jusque dans ses
pneus. Comme ses concurrentes, elle est équipée de gommes Goodyear,
mais pas de mêmes dimensions, ainsi que le précise Jérôme Policand
: « Notre Lexus est la seule voiture du plateau LMGT3 à avoir
des pneus de la même taille aux quatre roues.
Nous avons fait une séance d’essais pour tenter d’utiliser, comme
toutes les autres voitures, des pneus plus étroits à l’avant.
Nous étions bien en performance mais nous les détruisions
rapidement car, du fait du poids de l’auto et de la répartition des
masses, les pneus avant n’étaient pas en mesure d’encaisser la
charge. Nous avons en effet la voiture la plus lourde du plateau et
53 % du poids est sur l’avant. »
Dans le cadre du WEC, les
concurrents GT doivent être capables de tenir parfois deux heures
avec le même train de pneus. Un vrai défi pour la RC F : «
Compte tenu de l’impossibilité réglementaire de préchauffer les
pneus, Goodyear a fait un excellent boulot en produisant des gommes
qui montent en température en quatre ou cinq virages, même par
temps froid, révèle le fondateur de l’équipe. Le contrecoup pour
nous, qui avons beaucoup de masse, est que nous avons tendance à
surchauffer nos pneus sur les circuits à forte chaleur. »
Arnold Robin confirme qu’il s’agit d’un sujet délicat : « C’est
toujours un réel challenge de ne pas avoir une dégradation trop
importante. L’année dernière, nous avons commencé à vraiment
progresser sur la compréhension du pneu et à cerner comment ne pas
trop le stresser en début de relais. »
Tant pour Lexus que
pour Akkodis ASP, la saison 2024 s’est résumée à un parcours
d’apprentissage « à la dure », ponctué par quelques
performances prometteuses, notamment au Mans.
« Même si la voiture a 10 ans, c’était la première fois qu’elle
posait les roues au Mans ! Nous n’avions absolument aucune donnée
de référence, souligne Jérôme Policand. Néanmoins, nous
avons été dans le coup quasiment toute la course. Le fait qu’il y
ait moins de relances que sur d’autres pistes nous a, je pense,
aidés sur le plan de l’exploitation moteur.
De même, les températures fraîches ont aussi facilité la gestion
des pneus. Pendant un moment, nous avons cru à un podium. Nous nous
sommes battus pour, mais nous avons par la suite connu différents
soucis de fiabilité au fil de la course. »
Après s’être
portées plusieurs fois en tête de la catégorie LMGT3, les RC F se
sont finalement classées 7e (no 78) et 10e (no 87). Une conclusion
très honorable si l’on se souvient de ce qui s’est passé lors du
warm up du samedi matin.
Au volant de la no 78, Kelvin van der Linde s’est fait percuter à
l’arrière par la Toyota Hypercar de Nyck de Vries, condamnant les
mécanos d’Akkodis ASP à une intense séance de mécanique, juste
avant le départ. « Histoire de mettre l’équipe sous pression,
c’était pas mal ! sourit aujourd’hui le patron d’ASP. Les
dégâts étaient loin d’être superficiels. Nous y sommes allés à la
masse pour réaligner l’arrière de la voiture !
C’était très chaud, car nous n’avions que trois heures pour tout
remettre en état.
Heureusement, c’est la première course où nous disposions d’un jeu
de pièces de rechange considérable. Nous n’avons pas eu le temps de
remplacer le radiateur de clim qui était tordu.
Nous l’avons laissé tel quel, mais nous avons pu prendre le départ
depuis les stands, derrière tout le monde. Nous avons écopé en
prime d’un stop and go de deux minutes, car nous avons été jugés
responsables de l’accrochage du warm up. Malgré ça, cette auto n’a
connu aucun problème en course. »
2025 sous le signe de l’optimisme
Lors de cette édition des 24 Heures du Mans, José María López a
été rappelé au pied levé par Toyota pour remplacer Mike Conway,
blessé, au volant de l’Hypercar. Il a été relevé en mode express
par Jack Hawksworth, qui court régulièrement avec la RC F en
IMSA.
L’occasion idéale pour profiter de son expérience : « Déjà, il
nous a un peu rassurés en nous indiquant qu’il retrouvait bien les
caractéristiques de celle qu’il pilote aux Etats‑Unis,
constate Adrien Cera. Ensuite, nous avons appris beaucoup. Il
nous a orientés dans des directions intéressantes sur plein de
petits détails, comme la chauffe des freins ou la façon de piloter
la voiture sur les doubles relais. »
« Il nous a bien aidés pour l’anti-patinage, par
exemple, ajoute le créateur d’ASP. Il nous a dit : 'Nous
sommes passés par là. Il faut sortir du virage, accélérer à 70 %
et, une fois que tu sens le grip, tu mets à fond. Ça évitera les
coupures' Qu’il nous lance ça en une phrase nous a
permis d’économiser des heures de briefing !"
Après une
saison riche en enseignements, Lexus et Akkodis ASP abordent la
saison 2025 avec davantage de décontraction : "Nous sommes
beaucoup plus optimistes qu’il y a un an, affirme Jérôme
Policand. Nous espérons avoir trouvé 7 dixièmes au tour, même
si je ne suis pas sûr que cela suffira pour gagner des
courses."
A défaut de truster les victoires face
à une concurrence très racée et composée d’autos plus
récentes, la Lexus RC F pourrait bien créer la
surprise en s’invitant sur quelques podiums… Ce serait déjà
une belle performance pour une auto qui entame sa
troisième vie.
Lexus RC F LMGT3: fiche technique
- Moteur : V8 atmosphérique à 90° en aluminium (2UR)
- Position : centrale avant, dans l’axe longitudinal, non porteur
- Cylindrée : 5 408 cm3
- Taux de compression : 13
- Distribution : double arbre à cames en tête, 4 soupapes par cylindre
- Alimentation : injection directe, gestion électronique Cosworth
- Lubrification : par carter sec
- Puissance : env. 507 ch
- Transmission : propulsion
- Boîte de vitesses : Xtrac transversale séquentielle à 6 rapports, commande par palettes au volant Embrayage : AP 4 disques
- Châssis : coque en acier
- Carrosserie : en fibres de carbone et aluminium
- Suspension AV/AR : triangles superposés, combinés ressorts amortisseurs Ohlins réglables (disposés sur le moteur à l’avant), barres antiroulis
- Freins AV/AR : disques en acier Endless (390/332 mm), étriers AP (6/4 pistons)
- Direction : à crémaillère, assistance électrique
- Roues : jantes BBS 13 x 18
- Pneus AV & AR : Goodyear (310/680 & 310/710 R 18)
- Réservoir : 120 litres
- Empattement : 2 770 mm
- L - l - h : 4 846 - 2 030 - 1 271 mm
- Poids : 1 355 kg
Retrouvez notre focus sur la Lexus RC F LMGT3 dans le Sport Auto n°758 du 28/02/2025.


