EXCLUSIF Alain Dassas, sa dernière interview en F1

A votre arrivée en F1, vous aviez mis l’accent sur le fait que c’était une expérience totalement inédite pour le financier que vous êtes. Quel bilan tirez-vous de presque deux ans à la tête du Renault F1 Team ?
Je suis arrivé avec un vrai point d’interrogation en tête. La F1 est-elle utile à un constructeur automobile ? Et donc est-elle utile à Renault ? Je ne le savais pas. Et bien, oui. J’en suis aujourd’hui intimement persuadé. Je suis un grand défenseur de l’utilisation de la F1 chez Renault en interne et en externe. Le nombre de fanatiques de ce sport est sidérant. Notamment au sein de Renault. Dans notre réseau commercial, les demandes que l’on a sont claires : mettez plus de F1 dans nos voitures.
Donc si vous n’étiez pas convaincu de l’impact de la F1, sans doute Carlos Ghosn, le Président de Renault, ne l'était pas non plus ?
Carlos Ghosn demandait aussi à voir. Mais il était, je pense, quand même plus ouvert que moi. Si je devais dresser le bilan de mon action, je dirais que j’ai contribué à renforcer ce sentiment d’utilité de la F1 chez Renault. Quelque soit l’endroit où je serai demain, ou dans deux ans, je resterai un fan de F1. Mais pas seulement. J’ai été aussi impressionné par les World Series by Renault. Les gens adorent voir leur marque en compétition automobile. Les pilotes sont des héros. Avant, je n’en avais pas conscience.
Renault est une écurie un peu part, où Flavio Briatore est, semble-t-il, tout puissant. Comment se sont passées votre relation ?
C’est vrai. Mais Flavio est quelqu’un d’aussi puissant qu’il est compétent. Je m’entendais bien avec lui, mais il nous a fallu du temps pour que l’on se comprenne. On se connaissait de Benetton, mais il a une forte personnalité et moi, je venais pour faire mon boulot, pour assurer l’avenir de Renault en F1. Donc, il nous a fallu un an pour être en osmose. Ensuite, tout allait vraiment très bien entre nous. Au point que quand je lui a dit que je partais, il m’a dit : « qu’est ce que c’est que cette histoire ! On a mis un an pour se connaître et tu t’en vas ! »
Vous étiez vraiment sur le papier deux personnes totalement opposées.
Oui, mais on se complétait bien. Flavio, le charismatique qui fait le show, et moi, le financier qui gère les moyens de l’équipe et l’utilisation de la F1 chez Renault.
Si vous avez mis un an pour être sur la même longueur, cela signifie qu’il y a eu des désaccords entre vous ?
Oui, bien sûr. Mais en fait, je parlerais plutôt d’une méfiance sur la forme. Pas sur le fond. Il me voyait comme le financier qui veut être un poil à gratter. Or moi, je voulais construire quelque chose, pas démolir quelque chose. Donc, oui, on ne s’est pas compris tout de suite.
Qu’est ce que vous retenez de Flavio Briatore ?
Son talent d’animateur. Il y a le Flavio paillette, le Flavio show biz, mais il bosse. Il est à l’heure à ses rendez-vous. Il sait qui il faut recruter. Il sait réagir. Cette année, les performances ne sont pas terribles, mais il a restructuré pas mal de choses pour que 2008 soit une autre histoire. Voilà pourquoi il est si bon.
Certains disent qu’il est trop autonome ?
Mais c’est normal. Renault est un grand groupe, sérieux, avec des contraintes, des procédures, un conseil d’administration. La F1 a besoin de liberté. C’est une PME qui a besoin d’air. Et moi, je voulais justement que la F1 ait les moyens de faire ce qu’elle veut. Pour gagner. Mais derrière, par exemple, quand il y a eu des réductions d’effectif, Renault était là pour reprendre les gens.
Carlos Ghosn voulait aussi que la F1 réduise ses coûts. Avez-vous réussi cette mission ?
Oui, indéniablement. Grâce à la réglementation moteur. On a fait des économies sérieuses, mais Carlos Ghosn n’est pas qu’un cost killer. Il peut donner les moyens d’investir si cela vaut le coup. Un pilote par exemple. On peut mettre le prix. On a investi massivement ans dans le CFD, dans cette soufflerie digitale, c’était lourd, mais c’est nécessaire au développement de l’équipe.
Votre gros dossier a été la renégociation des recettes versées aux écuries. Vous avez pris l’initiative avec Bernie Ecclestone, et vous avez débloqué la situation.
J’arrivais avec un œil neuf et avec un objectif important à remplir : clarifier l’avenir encore trop flou de Renault en F1. Il fallait aller assez vite. Nous sommes passés du simple au double en matière de droits TV. Ce n’est pas rien. J’ai montré qu’on était là pour stabiliser l’équipe, les ingénieurs, les pilotes. C’était encore plus nécessaire pour Renault que pour les autres constructeurs. On a obtenu aussi la remise en cause d’avantages concédés de longue date à Ferrari.
Sauf que certains constructeurs vous ont reproché d’être allé trop vite et de l'avoir joué un peu trop personnel.
Oui, il y a eu des reproches. Surtout quand Bernie Ecclestone a avoué ensuite qu’en demandant plus, on aurait pu avoir plus. Mais ça, c’est Bernie. Personne n’est dupe. Cette affaire pourrissait depuis deux ans. Et franchement, si on avait traîné, ce ne serait pas forcément réglé en 2007. C’était un bon accord, mais j’attends quand même qu’il soit totalement suivi des faits… Ce n’est pas totalement le cas sur certaines clauses.
Ce Bernie Ecclestone : un drôle de personnage aussi. Il tient les plus grands constructeurs du monde par le bout du nez. Agaçant, non ?
J’adore Bernie. C’est un homme d’affaire redoutable. Il fera tout pour vous prendre le dernier sou qu’il veut vous prendre. Mais à nous de nous défendre. Et ensuite, une fois que l’affaire est réglée, il a le cœur sur la main. Il m’a beaucoup aidé. Il était là quand j’avais des questions. Mais il n’est pas le seul à faire ce qu’il veut en F1. Ils sont deux. Avec Max Mosley. Et ils ne sont pas toujours d’accord. C’est la force et la faiblesse de la F1. Il n’y a pas toujours beaucoup de rigueur sur les règlements et comment la prise de décision se fait. Dans l’industrie automobile, ce ne serait pas possible de vois des gens aussi individualistes.
Y avait-il une vraie pression de la part de Carlos Ghosn pour qu’il y ait des résultats ? Ou l’engagement en F1 se suffit à lui-même ?
Oui, il faut des résultats. Carlos Ghosn l’a dit : être premier, c’est bien ; se battre pour être premier, c’est bien aussi. Maintenant, se battre pour les 6e ou 7e places, c’est bien pendant un ou deux ans. Pas beaucoup plus.
Renault est double champion du monde en titre, et justement, cette année, les résultats sont décevants. On a l’impression que Renault refuse un peu d’admettre que le départ d’Alonso a pesé.
J’ai toujours dit que son départ était une perte. Il est le meilleur pilote, avec son caractère certes, mais il est le pilote à avoir. Fernando avait décidé de partir avant que je n’arrive. L’avenir de Renault n’était pas clair, et McLaren lui a fait un pont d’or. Voilà. S’il était resté, cela aurait été mieux. De trois ou quatre dixièmes sûrement, mais nous n’aurions pas été pour autant champion du monde en 2007. Notre faiblesse, c’est la voiture. Nos pilotes sont bons, ce ne sont peut-être pas les meilleurs, mais la voiture a été décevante.
A quel point cela a-t-il été une surprise pour vous de voir la R27 loin du compte ? Quand l’avez-vous compris ?
Pour moi, en Australie. Car jusque-là, les gens de l’aéro pensaient avoir trouvé de bonnes solutions pour que l’on reste au sommet. Bon, on s’est trompé. Maintenant, on a des idées pour y revenir au sommet. A voir.
Vous avez cédé les commandes à Bernard Rey. Quels étaient les chantiers en cours ?
La réglementation du futur. Que faire pour 2009 et 2010 ? Récupération d’énergie ou pas ? C’est une bonne idée de récupérer de l’énergie du freinage, mais ça coûte très cher. Donc on discute. Un moteur pour 4 courses ? Ca se fera. Le côté écologique est sensible. Il faut réduire la consommation. Il faut penser peut-être à une technologie moteur différente. Bernard Rey connaît bien le sport automobile pour avoir travaillé entre autre chez Nismo au sein de Nissan. Donc il saura traiter ces dossiers.
Malheureusement, vous n’aurez pas été le président qui a mis un pilote français dans une Renault. Pourquoi ? On connaît le discours officiel du « s’il y en avait un bon, on le prendrait ». Honnêtement, n’y a-t-il pas un blocage de ce côté-là ? BMW donne des coups de main aux Allemands. Pas vous. Ni avec Bourdais, ni avec Prémat.
Non, il n’y a aucun blocage. Bourdais a été testé par Renault en 2003. Donc, nous avons vu ses qualités, et il y en a, mais aussi ses défauts. Il a eu une chance. Peut-être pas au bon moment.
Mais franchement, qui peut douter qu’il aurait fait, au moins, du aussi bon travail que Fisichella…
En F1, il y a aussi autre chose, c’est le timing. Quand vous avez vos pilotes, vous n’en changez pas comme cela. Nous en avons toujours eu des bons. Il y a bien sûr des bons pilotes français, mais pas forcément au moment où il y a des portes qui s’ouvrent chez nous. Croyez-nous, on serait ravi d’en avoir un. Et on cherche vraiment.