Lamborghini : reportage au coeur du célèbre "Polo Storico" (+ images)

Mission peu commune ! Pour fêter les 10 ans de son "Polo Storico", Lamborghini a invité Sport Auto à jouer les certificateurs d’authenticité. Voyons un peu s’il y a du plaisir de conduire là-dedans, d’abord, et ensuite des choses à apprendre.
Il ne tenait qu’à moi, je la jugerais parfaite, cette 400 GT. Sa ligne extraordinaire, sa couleur discrète, ses roues fil, son habitacle en cuir tabac, tout semble encore parfait. En plus, au fil des kilomètres, elle s’avère des plus agréables.
 Attentive au confort, elle comble de petites attentions, même si le siège, sans être affaissé, n’a pas appris à répondre aux derniers critères de l’ergonomie. Ce volant de bois, qu’il faut manier fermement faute d’assistance mais dont le diamètre s’adapte exactement à l’effort, cette boîte un peu lente mais toujours précise, la batterie de cadrans à l’ancienne dont on comprend les indications du coin de l’œil, le cerveau apprenant à repérer la position normale de l’aiguille, sans passer par le truchement d’un chiffre sans âme. Et en plus, elle a de la conversation.
 Quand on incline le pied droit à la poursuite des plus belles plages du compte-tours, elle pousse son rugissement heureux pour 12 cylindres alto. Et on l’entend souvent, car la boîte, sans l’exiger, apprécie grandement un bon double débrayage au rétrogradage, ponctué d’une sonore relance.
 Bien réjouissante journée sur les tracés montagneux des Mille Miglia, présentée comme la première phase d’un test tout à fait sérieux ; nous venons ranger le bolide à Sant’Agata Bolognese, devant cette usine même où il naquit, voici 57 ans.
Tribunal
Une question me tarabuste : à quel degré de sévérité faut-il s’attendre ? Je m’inquiète pour certaines Miura, passées entre les mains expertes de mon ami Edmond Ciclet, simple garagiste parisien mais allié français de la marque depuis les tout premiers modèles.
 Quand il avait à restaurer une Miura des premiers millésimes, il lui apportait d’emblée les améliorations trouvées plus tard pour la SV, en matière de géométrie du train avant notamment. Je soumets le cas. Un bon sourire dissipe mon inquiétude.
 Qu’une voiture soit upgradée, c’est tout à fait admis ici : « Du moment que l’on ne touche pas à l’esprit de sa conception. En revanche, si un propriétaire naïf veut nous soumettre une Countach ou une Diablo affublée de turbos, alors là, nous n’examinons même pas la voiture. »
 Il est peut-être bon de rappeler aux très jeunes gens que le V12 Lamborghini a longtemps figuré comme le parangon du plus beau des moteurs atmosphériques. Si certains préparateurs allemands osaient déjà dans les années 90 « souffler dedans » pour en multiplier déraisonnablement la puissance, c’est leur affaire.
 Trente ans plus tard, ça le reste, mais même si la voiture a survécu à leurs mauvais traitements, ils ont, eux, disparu. Donc si vous sollicitez une certification au Polo Storico, un premier examen sera fait, gratuitement, hormis les éventuels frais logistiques.
 Pour aller plus loin, il vous en coûtera 8 000 € environ et vous recevrez un fort volume portant les jugements détaillés des experts et leurs éléments d’analyse. Les éléments à restaurer peuvent l’être sur place, pas forcément au meilleur prix mais avec les meilleures chances d’une restauration sérieuse et conforme.
Authentification délicate
Puisqu’il s’agit d’authenticité, mieux vaudrait préciser la notion. Evidemment, pour les marques qui ont à gérer l’identification de voitures de course, la tâche est beaucoup plus considérable. En effet, une voiture de course tient sa valeur non seulement de sa nature et de ses performances, mais aussi, mais surtout, de son parcours spécifique, de son pedigree…
 Il faut donc s’assurer d’une part que la voiture est bien d’époque, d’autre part qu’elle a survécu à peu près intacte et surtout, si elle prétend être « celle qui a gagné telle ou telle épreuve », que c’est bien vrai. Une Jaguar Type D, une Ferrari 250 Testa Rossa, c’est toujours magnifique.
 Celles qui ont gagné les 24 Heures du Mans en 1956 ou 1960 sont en plus des objets presque sacrés, des totems, des fétiches. Et là, pour valider une différence de valeur pouvant aller de un à dix, une enquête très serrée est nécessaire 46 et, même, il n’est pas toujours possible d’aboutir à un résultat parfaitement convaincant.
 Permettons‑nous de rappeler que la certification est aussi un commerce et d’insinuer (mais nous n’irons pas jusqu’au procès, faute de moyens !) que la clairvoyance et la probité n’ont pas toujours régné en tous lieux chez les homologateurs des marques les plus huppées.
 Lamborghini, qui s’est très longtemps tenu à l’écart des affres de la course, se sent sans doute particulièrement à l’aise pour solliciter ainsi les projecteurs. Au nombre des difficultés plus vraisemblables ici, le cas d’une voiture gravement accidentée et mal restaurée. Là, l’expertise relève de celle, plus commune, de la voiture d’occasion.
 Mais il est certain que les experts de Lamborghini décèleront mieux que la médecine de ville ordinaire des anomalies sur un châssis ou sur l’assemblage, méthode Superleggera, qu’employait la Carrozzeria Touring, à savoir un treillis de tubes fins, en acier, soutenant les tôles d’aluminium battues et lissées à la main.
 Pour ce qui est de la pure authentification, l’aréopage d’experts et de sages locaux, mes collègues du jour, dispose d’une expérience inégalable et d’une arme très précieuse : les archives.
Vos papiers !
D’impeccables rangées de reliures noires, portant le nom du modèle et un millésime, occupent un bureau en couloir, équipé d’une porte verrouillée par un badge secret, très 1984. Il y a là de quoi aiguiser les convoitises, c’est sûr.
 Avec des mines de conspirateur, tout heureux de vous initier, Vittorio, aujourd’hui retraité mais collaborateur Lamborghini « depuis toujours », en retire l’un des tout premiers volumes, l’ouvre, le feuillette fébrilement, pour en sortir la pochette concernant « notre » 400 GT. Nous allons apprendre que la voiture a été livrée en 1968 au Garage des Nations, à Genève.
 Qu’elle était bel et bien grise, avec ce même intérieur en cuir, couleur tabac blond, qui fait encore son élégance. Que le pont autobloquant offre un rapport de démultiplication final de 13/61. Qu’elle n’avait reçu pour toutes options que la lunette arrière dégivrante et le pare-brise « Azzurato », ce dégradé bleu en haut du verre feuilleté, détail daté qu’elle a oublié quelque part au cours de sa longue destinée. Trois numéros la désignent.
 D’abord le V.I.N., le fameux matricule frappé sur le châssis. Vérification faite, il y figure toujours : « 01324 ». Ensuite le numéro du bloc-moteur L400, à savoir « 1582 ». Pour le dénicher, il faut dégainer une petite caméra et explorer le centre du V, sous la grosse durit haute du circuit d’eau.
 Tout ça pour constater qu’il est absent : pas de numéro du tout et il paraît que ce n’est pas une si mauvaise nouvelle. Les historiens du lieu savent aujourd’hui que les moteurs expédiés en remplacement n’étaient tout simplement pas numérotés.
 Un moteur portant un autre numéro, « non-matching », c’est-à-dire ne correspondant pas à celui indiqué dans le vieux grimoire, aurait été plus délicat à traiter. Il aurait fallu se demander ce qu’était devenue la voiture donneuse.
 Et aujourd’hui, soixante ans plus tard, on trouve souvent à bord d’une 400 le V12 d’une Espada, par exemple. Le troisième numéro, « 29290 », nous le trouvons sur le jonc chromé de la baie moteur.
 C’est celui qu’attribuait la Carrosserie Touring à chaque auto habillée par ses soins avant de la réexpédier à Sant’Agata pour y recevoir les éléments mécaniques. Je vais donc accorder son certificat d’authenticité à la nôtre, qui verra ainsi sa valeur augmenter d’environ 10 %.
Patrimoine
La pochette plastique contient d’autres documents. Nous apprenons qu’un V12 tournait une bonne quinzaine d’heures sur le banc moteur avant d’être posé. Que celui-ci donnait 270 ch, assez loin des chiffres officiels pour un 4 litres (320 !), mais la vantardise était alors la norme dans toute la région de Modène, et nous savons que notre 400 a reçu un V12 plus récent, nettement plus puissant. Voilà pour le boulot.
 Mais Vittorio nous retient encore un moment, il a quelque chose à nous montrer. Dans l’austère pièce noire que l’on pensait parfaitement rangée subsiste un secteur en désordre, une accumulation de papiers hors format, les dernières trouvailles encore non classées. Il en extrait un rouleau de papier millimétré, très long et très épais, qu’il entreprend de délivrer de ses élastiques.
 Il le déroule sous nos yeux avec des mines de vieil enfant retrouvant le goût de sa première madeleine. Il s’agit ni plus ni moins du plan à l’échelle 1 du prototype 350 GT, la toute première Lamborghini. Si ça, c’est pas un trésor…
Retrouvez notre reportage au sein du Polo Storico de Lamborghini dans le Sport Auto n°764 du 29/08/2025.
 
		 
		 
		 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					 
					