Retour aux sources - Porsche 911 Carrera RS (1995) : dépouillée, extravagante, rarissime...
Pour le quidam, ce sont les compagnies républicaines de sécurité, ce corps de la police qui n’a pas toujours bonne presse. Les membres de ces brigades sont là pour faire respecter quelques règles élémentaires du bien vivre ensemble. Mais “C.R.S.”, c’est aussi Carrera Rennsport. Et à bien des égards, cette 993 radicalisée de 1995 est aussi là pour nous rappeler quelques bonnes manières.
"T’as les boules, t’as les glandes, t’as les crottes de nez qui pendent ! » Pourquoi pensé-je à cette ritournelle de cour de récré à cet instant ? Aucune idée, à part peut-être celle signifiant une certaine appréhension. Pourtant, j’ai conduit plus puissant. Pourtant, j’ai conduit plus cher. Pourtant, j’ai conduit plus extravagant. Pourtant, je vais arrêter de rêvasser et rassembler mes esprits.
Pour beaucoup, c’est le Graal. Dernière 911 refroidie par air, modèle atmosphérique le plus sportif de la génération 993, poids réduit, plastique outrageuse, appendices de la version Turbo mais roues arrière motrices : la Carrera RS est une licorne. Seulement deux millésimes (1995 et 1996) furent commercialisés.
Pour la reconnaître, ce n’est guère compliqué : c’est celle qui a l’air méchante (aileron ressemblant à celui de la Turbo) ou très méchante (pack Clubsport, comme sur la nôtre). La RS, c’est 100 kg de moins que la Carrera. Le capot avant en aluminium : voilà déjà pour les premiers 7,5 kg. Le vitrage aminci : - 5 kg. Les filaments de désembuage : dégagés !
Idem pour l’isolation et les lave-glaces. Dedans, c’est roots : la coque à nu sous les fesses, des baquets monocoques, pas de GPS, pas de volant multifonction et, bien sûr, pas de boîte automatique. Dans une 993, le conducteur se sert de ses deux jambes. Et celle de gauche est particulièrement sollicitée, la faute à un embrayage costaud, collant bien haut.
La RS était vendue en pack Touring (comme celle-ci) ou bien avec le pack Clubsport intérieur qui ajoutait un arceau-cage, des harnais, un coupe-circuit et un extincteur et retirait le pare-soleil du passager. J’écrivais que je suis déjà monté à bord d’engins plus excentriques, mais cette 993 m’intimide. Le fait qu’elle n’ait été produite qu’à un millier d’exemplaires dans le monde joue probablement.
Le fait qu’elle n’ait que 53 000 km d’origine a son importance. Le fait qu’elle soit dans un état concours finit de placer le curseur du trouillomètre dans la zone rouge. Allez : il n’y a plus qu’à… Je suis quelqu’un de nostalgique, tendance rétrograde. Une voiture, surtout une Porsche, qui plus est une RS, doit me procurer un torrent de sensations.
Evidemment, rendre plus accessibles des engins aux prestations dynamiques phénoménales est louable. Après tout, il s’agit de permettre à un plus grand nombre de toucher du doigt la quintessence automobile. Et comme mes talents de pilote sont proches de ceux de Oui-Oui, j’y trouve mon compte.
Mais j’attends d’une sportive qu’elle m’implique, me contraigne à rester concentré, m’oblige à respecter un cahier des charges, à ne pas sauter de page dans la notice d’utilisation. « Stay focus », disent-ils de l’autre côté de la Manche. C’est exactement ce que fait la 993 RS. Faut-il des aptitudes particulières pour la conduire ? Nein. Son architecture en « sac à dos de randonnée bien chargé » la rend-elle délicate ? Re-nein. Peut-on l’emmener tambour battant sans se poser de question ? Re-re-nein !
Loin dans notre dos, un 3,7 litres qui se fait appeler « 3.8 ». En augmentant la taille des pistons de 10 à 10,2 cm (la course de 7,64 cm est conservée), le 3.6 d’origine affiche désormais 3 746 cm3 . La puissance de 300 ch est obtenue à 6 500 tr/mn, contre 6 100 tr/mn sur une Carrera standard. Le couple grimpe de 33,6 mkg (à 5 000 tr/mn) à 36,2 mkg (à 5 400 tr/mn).
Le flat 6 étrenne surtout le Varioram, qui sera ensuite généralisé sur les autres 993. C’est quoi donc ? Un système d’admission ajustable. Pour faire bref, on trouve avant les conduits coiffant les culasses un module composé de deux clapets. Le câble d’accélérateur commande ce duo, mais à bas et mi-régime, seule la soupape du haut s’entrouvre.
L’air est alors canalisé dans des tubulures légèrement plus alambiquées que celles du bas (avec un diamètre plus serré), le but étant d’augmenter le couple lorsque le 3,7 litres est peu sollicité ou à régime constant. A mesure que la pédale de droite s’enfonce, le clapet du bas s’ouvre à son tour, et un actuateur vient commander, à l’intérieur des plénums d’admission, des espèces de trompettes qui montent plus ou moins grâce à un levier en forme de fourche.
Le résultat est le suivant : plus l’accélérateur est utilisé, plus les trompettes grimpent, plus la quantité d’air envoyée est importante, favorisant la puissance à haut régime. Et puisque vous aimez les infos techniques, sachez que les soupapes, que ce soit à l’admission ou à l’échappement, sont plus larges que sur le 3,6 litres avec un diamètre respectif de 51,5 et 43 mm.
Sous ses airs rustiques, c’est une véritable usine à gaz, ce boxer. La 993 RS, à la commande, pouvait avoir deux transmissions, toutes deux manuelles, toutes deux à 6 rapports, mais la version Clubsport recevait des pignons de 5e et 6e raccourcissant l’étagement. C’est fort logique, ce modèle étant avant tout disposé à écumer les circuits.
Notre exemplaire Rouge Indien de 1995 est équipé du pack Touring, le destinant à abattre des kilomètres. Je ne demande que ça, malgré la cacophonie qui règne à bord, mais nos amis de Moteur & Sens, sans lesquels ce sujet n’aurait pu se faire, me font confiance pour ne pas trop faire grimper le totaliseur.
Saveurs d’antan
C’est une 993, donc, en plus de son moteur ne comptant que sur l’air pour réduire la température de la salle des machines, cette 911 dispose d’un pédalier articulé par le bas. Il faut s’y faire au début, mais ça entretient la souplesse des chevilles. Il y a l’ABS et un différentiel mécanique (blocage de 40 % à l’accélération, 65 % au lever de pied).
Aucune raison d’appréhender alors, mais rien n’y fait. Elle ne me veut pourtant pas de mal. Si les commandes sont fermes, la direction assistée (hydrauliquement) ne rend pas les manœuvres insurmontables. En ville, la rétrovision laisse à désirer, la faute à cet énorme aileron biplan, et les ralentisseurs sont abordés avec une circonspection caricaturale. Mais comme le ridicule ne tue pas, tant pis si l’on s’impatiente derrière moi.
La position de conduite est… frustrante. Je ressemble à un crapaud sur une pelle chaude, avec les genoux à 10 h 10, les coudes tout pareils et l’occiput dans le ciel de toit. Adrien, photographe de son état, me fait remarquer : « Encore une qui n’est pas pour toi. » Je lui réponds que je ne veux pourtant qu’elle. Loin de l’image que je m’en faisais, la 993 RS est une ballerine.
Déjà, son champ de vision est génial, pas gêné par je ne sais quel écran interactif, 14e airbag de sourcil gauche ou affichage tête haute. Ensuite, ses proportions intimidantes depuis l’extérieur ont disparu une fois à bord. Même les hanches sensuelles paraissent bien timides dans les deux rétroviseurs obus, pourtant au fort pouvoir déformant.
La RS serpente, saute de file en file dans les bouchons, braque court. Et comme son moteur, coupleux à souhait, accepte de reprendre sans hoqueter, on se découvre des talents de chauffeur de taxi…
30 ans et très vite
... avant de s’apercevoir que le « RS » sur le capot moteur n’est pas un coup marketing. La poussée n’est pas brutale : elle est tout juste sportive. Mais elle s’orchestre avec vibratos, envolées métalliques et catapultage qui va crescendo. Par respect pour cet exemplaire en état concours, pas de zone rouge, mais à 6 000 tr/mn, il y a déjà de quoi rester baba. Béat.
Depuis le temps qu’on vous le dit : nous ne réclamons pas de chevaux par milliers dans nos souliers. Ce qui importe, c’est cette sensation de dresser une bête sauvage. Il faut composer avec le train avant qui se soulève, notamment dans les longues courbes. A la bonne heure !
C’est une 911, une vraie, pas une GT insipide qui vous donne l’impression de rouler sur une moquette en mohair. La RS se cabre en pleine charge et pique du nez sur le transfert. Comme la direction, pas trop démultipliée (2,7 tours), est consistante, le placement à la corde est progressif, pas incisif. Attention de ne pas trop la chahuter car l’empattement riquiqui (2,27 m) génère quelques mouvements surprenants.
Les freins réclament de la pression, mais leur dosage est facile et leur puissance rassurante, surtout lorsque cet énergumène patenté décide de bifurquer à gauche sans prévenir. En dépit de ses presque 30 ans, on va très vite en 993 RS, et comme la partie supérieure du volant cache le tachymètre, il n’est pas idiot de lancer Waze, même pour chercher le pain.
Le moteur n’est pas explosif mais il cause beaucoup. Il n’est pas hystérique comme le 4 litres d’une GT3, mais on lui prête une oreille attentive passé les 4 000 tr/mn. La motricité est sans faille, et même si l’on ne glisse pas un cheveu entre les pneus et les passages de roue, le confort est étonnant. Adrien me fait remarquer que c’est un peu bringuebalant en ville.
Je lui réponds que bien des sportives devraient prendre exemple sur cette symbiose probante entre filtrage et maintien : vous ressentez les irrégularités sans les subir. Et pour parachever cette union sacrée entre l’homme et la machine, il me faut louer les mérites de la boîte de vitesses. Guidage précis, verrouillage ferme, étagement parfait : jouer de ce levier, c’est le pied.
La RS me faisait peur, un peu. Je pensais la dompter, vraiment. Mais encore eût-il fallu qu’elle soit une sportive féroce. Elle l’est, quand on en a saisi toutes les subtilités dans ses transferts de charge ou ses régimes moteur optimaux. Mais elle est aussi, presque surtout, un engin qui m’a permis, pendant un trop bref instant, de retrouver des sensations que je croyais disparues.
Ce qu’en disait Sport Auto en 1995
Plus dure, plus pure, on ne sait pas faire plus chez Porsche comme ailleurs : une bête de course en habits de ville. Surbaissée, elle semble raser le bitume, bien campée sur ses énormes pneus. Impressionnante avec ses appuis aérodynamiques bien travaillés, ainsi qu’en témoignent l’aileron arrière mais surtout le bouclier avant, avec ses petites moustaches qui remontent.
Sur la bascule, la Carrera RS s’affirme comme étant la plus légère des 911, rendant déjà 100 kg à une Carrera standard et 225 à une 911 Turbo. Le son métallique du moteur est absolument magnifique. Il répond promptement à la moindre pression sur l’accélérateur.
Mais si l’on ne se lasse pas de son boxer envoûtant, on ne peut pas dire que la RS offre un confort de référence. Les bruits mécaniques finissent par devenir envahissants, et le rembourrage des baquets reste symbolique. Mais surtout, la suspension est très rude, accusant la plus petite aspérité de la route.
Avec son poids réduit, ses freins monstrueux et sa suspension de voiture de course, la Carrera RS affiche des arguments persuasifs… sur la piste. Sur le circuit du Mas du Clos, la plainte métallique de son moteur résonne sur les collines avoisinantes.
L’auto est légère, agile. Surtout, elle recule spectaculairement les points de freinage, et son comportement apparaît plus vif, plus précis et sans inertie. On voudrait 50, voire 100 ch de plus tant le châssis semble surdimensionné et l’adhérence phénoménale !
Ce qu’en dit Sport Auto en 2024
Dépouillée, extravagante, rarissime : la 993 RS n’est pas l’engin le plus extrême de tous les temps, mais elle est l’une des pierres apportées à l’édifice de Porsche, qui voue un culte aux sensations plus qu’aux performances. J’ai trouvé mon cadeau de départ à la retraite…
Porsche 911 Carrera RS (993 de 1995) : fiche technique
- Années de production : 1994-1995
- Exemplaires produits : 1 014 (dont 227 avec le pack Clubsport)
- Moteur : flat 6, 12 S
- Cylindrée : 3 746 cm3
- Puissance maxi : 300 ch à 6 500 tr/mn
- Couple maxi : 36,2 mkg à 5 400 tr/mn
- Transmission : roues AR, 6 rapports manuels
- Suspension AV/AR : MacPherson, barre antiroulis/multibras, barre antiroulis
- Poids : 1 270 kg
- L - l - h : 4 245 - 1 735 - 1 270 mm
- Empattement : 2 272 mm
- Roues AV & AR : 8 & 10 x 18
- Pneus AV & AR : 225/40 & 265/35 ZR 18
- Prix à l’époque : 496 400 F
- Cote actuelle : environ 300 000 €
- V. max. : 277 km/h
- 0 à 100 km/h : 5”0
Retrouvez notre essai "retour aux sources" de la Porsche 911 (993) Carrera RS (1995) dans le Sport Auto n°747 du 29/03/2024.