Retour aux sources - Maserati Quattroporte (1998) : au creux de la vague ?
De la lignée des grandes routières Maserati, la 4ème génération de la Quattroporte est probablement la plus différente. Elle a dû viser moins haut, et c’est sans doute ce qui l’a rendue indéniablement attachante. Sport Auto remonte le temps.
On tente de fuir le désordre de la région parisienne.
Une Quattroporte, ça se savoure à
haute vitesse, avec si possible de la place devant pour jauger les
reprises phénoménales de son V8 biturbo. Est-ce que je m’attendais
à une telle fougue ?
Absolument pas. Elle qui vient de passer une petite demi-heure à
ronronner aimablement dans les embouteillages de l’A4, embrayage
docile et levier de vitesses coopératif à l’appui, me flanque une
belle raclée.
Déjà disponible aux moyens régimes grâce à son premier turbo,
l’italienne déguerpit comme une gazelle une fois la deuxième
turbine en action. Elle lui souffle fort dans les bronches, avec un
bon coup de pied au derrière.
Que les ayatollahs de l’atmosphérique ne me jettent aucune pierre :
oui, la montée en régime est moins irrésistible, et non, les
vocalises ne valent pas le feulement lyrique du 4.7 de la
génération suivante. Mais les mises en vitesse sont remarquables et
les reprises insoupçonnées.
Voiture de luxe, moteur de course
Cette berline de grand tourisme vient déjà de tenir
toutes ses promesses, le caractère mécanique en plus. Son cœur est
repris à la flamboyante Shamal. Au passage, le vilebrequin se
métamorphose et reçoit une conception en croix.
Plus d’inertie, moins radical, mais au comportement plus équilibré
et feutré, et donc plus en phase avec le positionnement de la
Quattroporte. Ses petits turbos profitent de l’action d’un
échangeur pour refroidir l’air envoyé et ainsi optimiser leur
apport.
Armée de la sorte, la Quattroporte semble gagner en maturité, sans
pour autant renier ses origines ni l’adage du concept initial : une
voiture de luxe avec un moteur de course. Mais la lignée
Quattroporte n’a pas évolué dans la quiétude. L’histoire de
Maserati fut jalonnée de couacs
qui ont souvent mis en péril le Trident de Modène.
Fin des années 80, De Tomaso espère profiter de l’outil industriel
de la marque. Si l’ADN de l’artisan italien est préservé, les
difficultés financières le forcent à se séparer de ses jouets
(Maserati, Innocenti). Les errements continuent quand Citroën prend
le relais : fiabilité toute relative, qualité douteuse. Le costume
est alors trop grand pour les Chevrons.
C’est à ce moment que Fiat entre dans l’arène, avec une approche
industrielle plus pertinente, au détriment de la personnalité même
de la Quattroporte. Pour développer sa nouvelle grande routière,
Maserati se voit imposer une économie d’échelle et doit donc
composer avec des éléments empruntés à la Ghibli II.
Bien qu’étirée, cette base technique empêche la grande italienne
d’afficher le gabarit de ses illustres aïeules. Mais Fiat a un plan
pour la suite : pour en redorer le blason, l’entreprise va peu à
peu placer la marque sous l’égide de Ferrari.
L’objectif est simple : réarmer le Trident avec des mécaniques
nobles (ce sera le retour des V8 atmosphériques), et surtout opérer
un gain notable en matière de qualité. A l’époque, la Quattroporte
IV a déjà quelques années de carrière derrière elle.
Ferrari se penche pourtant sérieusement sur le modèle pour en
vérifier les entrailles et améliorer aussi bien la fiabilité que
les finitions (on parle de 400 points). Les versions Evoluzione
voient ainsi le jour, disponibles tant avec ce V8 3.2 qu’avec les
V6 2.0 et 2.8. Ces tumultes ont donc occasionné un hic dans la saga
Quattroporte.
Une marche à la hauteur différente, celle qui nous fait tout le
temps trébucher. En l’occurrence, une marche plus petite. Avec
seulement 4,55 m, cette Mk IV est nettement plus compacte que ses
devancières, et sa succession retrouvera la grandeur baroque propre
à la limousine italienne. Cela en fait-il un opus moins intéressant
à scruter ? Le débat est ouvert.
Du Gandini pur style
Certes, le néophyte ne se retournerait probablement
pas sur cette berline tricorps classique, a fortiori dans cette
robe argent des plus discrètes. Quant aux amateurs… mamma mia ! Je
ne suis pas le plus grand aficionado de la Quattroporte, qu’importe
la génération. Mais celle que d’aucuns qualifieraient de « vilain
petit canard » revêt pour moi un intérêt tout particulier.
Sa face, délicatement composée, élégante et presque aérodynamique,
contrebalance le charisme de son popotin, haut perché et à
l’épaulement assumé. Puis viennent les détails, subtilement
dissimulés ici et là.
La discrète quadruple sortie d’échappement, la découpe si
singulière des ailes arrière qui semble se prolonger sur le
couvercle de malle… du Gandini pur style ! Le papa de la Countach
réutilise ici des gimmicks qui donnent une allure folle à cette
Quattroporte.
Une véritable pièce de connaisseurs. Et cette version Evoluzione se
targue en plus d’une présentation chic à souhait. Les fameuses
améliorations apportées sous l’égide du Cheval cabré nous donnent
droit à un intérieur somptueusement fini, avec du bois
généreusement plaqué sur le volant et la console centrale, du cuir
absolument partout, des bas de contre-porte à l’entourage des
aérateurs latéraux et un Alcantara habillant aussi bien le ciel de
toit que la planche de bord (pour éviter les reflets dans le
pare-brise, paraît-il).
Bref, cette Quattroporte revendique un luxe qu’elle ne galvaude
pas. Son gabarit plus contenu n’empêche pas, par ailleurs, une
réelle aisance aux places arrière (mention spéciale pour le confort
d’assise), et sa ligne callipyge renferme un coffre généreux. Une
certaine idée de la familiale parfaite ? Pour qui souhaite prendre
la route avec distinction et sans traîner, probablement.
Un souffle omniprésent
Cette Quattroporte, c’est un peu Dr Jekyll et M.
Hyde. Le Sleeper par excellence. En témoignent les automobilistes
dont la mine circonspecte s’éloigne promptement dans le
rétroviseur. Très confortable et douce à manier, la Quattroporte IV
ne donne pas le sentiment immédiat d’être aux commandes d’un
véhicule d’exception.
Sa masse et son empreinte au sol réduites y sont probablement pour
quelque chose. Le coupleux V8 affiche une belle élasticité, et le
levier de la boîte manuelle évolue dans du beurre. Une belle
quiétude, donc, jusqu’à ce que le 3.2 biturbo de 336 ch vienne
agiter les choses.
Le souffle omniprésent des turbos couvre le vacarme, mais le
caractère mécanique transfigure celle qui était jusque-là une sage
berline. Des performances redoutables et une certaine nonchalance
dans le comportement. Saine et posée sur des rails sur les grandes
courbes, la Quattroporte goûte moins aux injonctions rapides et
contradictoires.
Elle était déjà, à l’époque, dotée d’une suspension pilotée de série,
réglable sur trois niveaux (Normal, Sport et Soft). Un équipement
qui tient davantage du gadget, les calibrations n’engendrant pas un
niveau d’amortissement foncièrement différent.
Les 45,9 mkg de couple débarquent en force, donnant du fil à
retordre à un arrière-train pourtant pourvu d’un différentiel
autobloquant monté de série. Certains la trouvent assez pointue aux
limites, d’autres y voient le charme caractériel d’une belle
italienne. Je choisis la seconde option.
Différenciante et plus exotique que ses rivales allemandes d’alors,
la Quattroporte IV opère un charme inimitable, portée par des
performances époustouflantes pour ses contemporaines. Celle qui
aurait pu ne jamais voir le jour est finalement arrivée au bout des
chaînes d’assemblage, malgré une genèse contrainte par les enjeux
financiers de l’époque.
Un contexte challengeant mais qui a en fin de compte façonné une
Quattroporte plus « accessible », moins élitiste, plus compacte et
terriblement rapide. Le tout enrobé d’un écrin moins pompeux que ce
qui a été fait auparavant, et que ce qui suivra.
Indépendamment de ses quelques faiblesses dynamiques, la
Quattroporte IV aura été importante pour l’histoire de la marque.
Elle releva le défi pour ne pas discontinuer une dynastie encore
vivante aujourd’hui et sut, contre tous les pronostics, livrer une
synthèse finalement convaincante pour les passionnés.
Maserati Quattroporte IV Evoluzione 3.2 (1998) : ce qu’en disait Sport Auto en 1997
Son V8 carré et compact est issu du débordant coupé Shamal
de 1990. Cylindrée de 3, 2 litres, 32 soupapes, deux turbos dotés
chacun de son échangeur thermique : tout y est ! Une Maserati
contemporaine, c’est tout un poème.
Une ode au plaisir de posséder une automobile exceptionnelle et de
le faire savoir. La robe, signée Gandini, relativement discrète,
est toutefois originale. Que l’on jette un œil à l’intérieur et
alors, c’est le feu d’artifice !
L’orme, un bois très clair, se répand dans chaque recoin. Le cuir
et l’Alcantara tendent cet habitacle aménagé par des artisans. Mais
le souci de la Quattroporte réside dans sa motricité, malgré le bon
travail des Michelin Pilot SX. Pour la lancer efficacement, il faut
se limiter à un très léger filet de gaz.
Si l’on est trop généreux, c’est la punition : l’italienne cire
allègrement et paie ce départ laborieux par poignées de dixièmes.
Mais en matière de reprises, c’est un phénomène. Prenons par
exemple le 100 à 140 km/h en 5e : la Maserati n’a besoin que de 5”4
dans cet intervalle. Notre base de données ne lui a trouvé qu’une
seule égale : la Ferrari 550 Maranello !
Rien n’est comparable aux reprises de la Quattroporte : elle
“enrhume” tout ce qui roule. Mais tout n’est pas de tout repos. Son
caractère survireur la rend amusante mais nécessite une certaine
pratique car ses réactions, sans être malsaines, sont très vives. A
cela s’ajoutent une rigidité moyenne et un amortissement piloté peu
efficace. »
Maserati Quattroporte IV Evoluzione 3.2 (1998) : ce qu’en dit Sport Auto en 2024
Les routières aux performances insoupçonnées ont
de nos jours atteint un niveau d’efficacité inouï, souvent porté
par une ingénierie de pointe et des apports factices, aussi bien
mécaniques qu’électroniques.
Que cette Quattroporte soit capable, aux standards d’aujourd’hui
encore, de sprints si véloces tout en conservant une conduite à ce
point directe et instinctive, le tout habillé façon haute couture,
est d’autant plus remarquable. Quant aux obnubilés de la rigueur,
passez votre chemin, le charme opérera davantage chez les
allemandes.
Maserati Quattroporte IV Evoluzione 3.2 (1998) : fiche technique
- Années de production : 1994-2006
- Exemplaires produits : 755
- Moteur : V8, biturbo, 32 S
- Cylindrée : 3 217 cm3
- Puissance maxi : 336 ch à 6 400 tr/mn
- Couple maxi : 445,9 mkg à 4 400 tr/mn
- Transmission : roues AR, 6 rapports manuels
- Suspension AV/AR : pseudo-MacPherson, barre stabilisatrice, amortisseurs pilotés/ bras obliques, barre stabilisatrice, amortisseurs pilotés
- Freins : disques ventilés
- Poids contrôlé : 1 695 kg
- L - l - h : 4 550 - 1 810 - 1 380 mm
- Empattement : 2 650 mm
- Pneus AV & AR : 205/55 & 225/50 R 16
- Réservoir : 100 l
- Prix à l’époque : 480 000 F
- Cote actuelle : environ 25 000 €
- V. max. : 263 km/h
- 0 à 100 km/h : 6”5
- 400 m D.A. : 14”4
- 1 000 m D.A. : 25”4
Retrouvez notre article rétro sur la Maserati Quattroporte IV Evoluzione 3.2 (1998) dans le Sport Auto n°746 du 29/02/2024.


