L'humeur du GP : pourquoi tant de haine ?

Avant et après chaque GP, Sportauto.fr se laisse aller à une humeur très personnelle. Au Canada, on revient sur les critiques injustes sur cette course.
Le grand prix du Canada 2015 a été suivi par un
vif flot de critiques. Certes ce ne fut pas le grand prix du
siècle, ni même le plus beau grand prix du Canada de ces dix
dernières années et encore moins le plus sympa de l'année, mais de
là à tomber dans l'excès. De là à ne plus comprendre les
fondamentaux de la course... De là à lire que même (et surtout) des
anciens pilotes en arrivent à oublier la complexité d'un sport
qu'ils ont pourtant bien avant expérimenté. Depuis quelques temps,
ceux-ci, payés grassement par les télévisions à grossir le trait,
se régalent à dégrader la réputation de la F1, comme pour mieux
suggérer que leur époque à eux était plus grande et donc leur
mérite aussi. Critiquer fait partie du jeu, surtout de nos jours.
Il serait bon de ne pas trop en faire non plus.
A quoi a-t-on assisté lors de ce GP du Canada ? Ni plus ni qu'à une
course logique, quand ni un safety car ni la pluie ne viennent tout
chambouler. La grande force historique de ce circuit est justement
que l'imprévisible est en général la norme. Contrairement à
ailleurs. Et bien pas cette année. Même les pneus n'ont pas joué un
rôle, avec une stratégie à un arrêt pour quasiment tout le monde.
Safety car, météo et pneus : ce sont quasiment les seuls épices qui
peuvent relever une compétition automobile entre des voitures
classées sur la grille selon leur vitesse pure. Mais gardons à
l'esprit aussi que les mêmes qui critiquent le manque de spectacle
ne tardent pas non plus à regretter les interventions de la Safety
Car ou encore à fustiger Pirelli quand les pneus sont moins
endurants que la moyenne. A se demander donc ce qui peut vraiment
les satisfaire, ces gens-là.
Autre critique adressée au grand prix du Canada : la gestion trop
importante des freins et de la consommation d'essence. Sacrebleu !
Les bras nous en tombent. On semble découvrir qu'un pilote de
course est tout autant un gestionnaire de mécanique qu'un kamikaze
sans cerveau. Les champions du monde ont toujours fait la
différence là-dessus par rapport aux attaquants nés. Or, sur le
très rapide circuit de Montréal, historiquement, deux facteurs sont
toujours à la limite : les freins et l'essence. Cela ne date pas de
2015. Il apparait même que la gestion de ces deux facteurs était
moindre cette année que dans le passé. Dans les années 80, c'était
pire puisque s'y ajoutaient encore d'autres facteurs limitant les
performances en grand prix : comme l'embrayage ou même la boîte de
vitesse. L'essence aussi était un casse-tête énorme, menace de
panne d'essence oblige. A Montréal, cette année, des messages
radios venant de Mercedes ont faussé l'impression générale. Les
ingénieurs de l'écurie ont plusieurs fois demandé à Lewis et Nico
de surveiller la mécanique. Pour Nico, il s'agissait des freins,
puisque suivant Lewis non loin, il surchauffait des étriers pas
assez refroidis par l'air chaud de la monoplace devant lui. Pour
Lewis, il s'agissait de l'essence, car étant le leader, il
consommait forcément plus que Nico, qui, dans l'aspiration même
lointaine de son équipier, sauvait un peu plus d'essence.
Et la lutte Rosberg/Hamilton alors ?
Mais ces messages radio ont été exagérés. Car au final, ni Lewis
ni Nico n'ont véritablement levé le pied. Ils ont géré la course,
ce qui est bien normal, massacrant quand même la concurrence (40
secondes sur la Williams de Bottas) tout en se livrant duel. On
était loin du coude à la portière.
Dernier argument contre ce GP du Canada, il n'y aurait eu aucune
bataille entre les leaders. Juste une procession. Ah bon ?
D'accord, ils ne se sont pas attaqués directement, mais l'écart n'a
jamais dépassé les 4,4 secondes. La plupart du temps, il a été
entre une et deux secondes. C'était en fait un sacré bras de fer à
peine un ou deux dixièmes de la barrière décisive des "une seconde"
permettant l'utilisation du DRS.
Les observateurs sont visiblement allés boire une bière quand Nico
a commis deux erreurs, au moment où il aurait pu tenter de passer
Lewis. Au premier arrêt de l'Anglais, tout d'abord, Nico a attaqué
au maximum, entrant trop fort dans l'épingle du bout du circuit, et
donc, perdant quelques dixièmes. Dommage pour lui, car finalement
il ressortira lui-même pas loin du tout de Lewis. Il aurait été
très près sans son erreur. Ensuite, plus tard dans le grand prix,
au moment où l'écart passa un temps à 0,9 dixièmes, c'est à dire
dans la zone DRS, Nico poussa encore l'effort jusqu'à une petite
erreur. Toujours dans l'épingle. Voulant tellement se rapprocher au
max pour prendre l'aspiration dans la ligne droite, il a freiné
trop tard et perdu quelques dixièmes le remettant à 2 secondes de
Lewis.
Il y a bien eu un mano a mano entre Hamilton et Rosberg, à distance
plus que serrée. Un jeu d'échec qui est tout autant l'ADN de la F1
que des dépassements roue dans roue. N'est-on plus capable
d'apprécier la finesse d'un sport qui a toujours été non seulement
le sommet du sport auto mais aussi l'art le plus fin de la course
automobile ?
Cette année, enfin, il y a eu 35 dépassements pendant le grand
prix. Grâce en grande partie à Vettel et Massa, auteur à eux deux
de 19 dépassements. Ils ont été facilités par les pénalités et les
soucis en qualifications qui ont repoussé ces deux hommes en fond
de grille, mais il fallait dépasser quand même. Alonso/Vettel et
Ericsson/Vettel ont été deux très beaux moments, très proches de la
limite. Ces 35 dépassements font partie de la moyenne haute du GP
du Canada dans l'histoire, or course sous la pluie. Dans les années
quatre-vingt, il est arrivé à quelques reprises voir moins de 20
dépassements sur cette course.
On oublie aussi un peu vite le beau retour dans le top 10 des Lotus
et Force India, le show d'Alonso dans la radio, Bottas sur le
podium, le tête à queue de Räikkönen. Tout cela n'est pas le vide
sidéral qu'on nous décrit depuis dimanche.
La F1 a assez de problèmes pour en rajouter. Soyons ferme mais
juste, exigeant mais honnête. Ciblons les bons problèmes (le
règlement moteur notamment), et non ce qui fait que la course est
course depuis plus d'un siècle et qu'elle le sera toujours.


