Essai - Bentley Flying Spur vs Maybach S 680 : bienvenue au royaume des 12 cylindres !
Bentley Flying Spur Mulliner W12 contre Mercedes-Maybach S 680 : pas seulement des limousines, plutôt des pans de l’histoire automobile où la tradition d’un luxe sans limites rencontre les sommets mécaniques. Bienvenue au royaume des 12 cylindres !
Dans la vie, il y a toujours un cran au-dessus. Une
option dont on remarque l’absence le jour où l’on en a besoin, ou
un niveau de puissance supérieur que l’on regrette en doublant. Là,
c’est différent. Pas une case d’équipement restée vide dans le
secret espoir d’alléger la facture ni un quelconque sacrifice sous
prétexte qu’on pouvait faire sans. C’est même l’inverse.
Seul mot d’ordre : le meilleur, ou rien. Comme si vous aviez gagné
au Loto et que vous cherchiez une auto pour relier vos résidences
secondaires d’une traite et sans fatigue. Mais non, pas une 530d,
un peu de panache, bon sang !
Bentley, Mulliner, W12 ou Classe
S, Maybach, 680 : ça ressemble au dîner gastronomique d’un
trois-étoiles Michelin. A ma gauche, une somptueuse limousine
anglaise, avec une finition princière et un 12 cylindres biturbo en
cerise sur le gâteau.
A ma droite, le plus haut de gamme de Mercedes, cuir à gogo et V12
biturbo. L’ultra-luxe, comme on n’en fait plus. La page est déjà
tournée, malheureusement, et il n’y a qu’à consulter le site Web de
Mercedes pour le confirmer.
Rien, aucune mention sur le fait qu’il y ait 12 cylindres sous le
capot de la S 680, bien que cela puisse mériter d’être noté pour
expliquer la différence avec la S 580. C’est à peine si la
cylindrée (5 980 cm3 ) et la puissance (612 ch) sont mentionnées,
noyées entre la description circonstanciée des flûtes à champagne
argentées et les tailles des écrans tactiles.
Mais peu importe, les connaisseurs sauront reconnaître le « 6 » au
lieu du « 5 » sur la malle arrière ou encore les sigles V12
latéraux qui leur feront immédiatement tendre l’oreille. A ce
propos, un rappel s’impose pour éviter le mélange des
serviettes.
Chez Maybach, la S 580 e est une
hybride rechargeable dotée d’un 6 cylindres en ligne 3 litres turbo
de 367 ch couplé à un moteur électrique de 150 ch. La S 580 tout
court adopte un V8 4 litres turbo de 503 ch. Du luxe certes, mais
pas dispendieux : presque le tout-venant des limousines garées en
rang d’oignons devant les palaces.
En revanche, la S 680 se hisse au-dessus de la mêlée. Au rang du
futile, de l’opulence et de la rareté. Elle n’est pas sans évoquer
ses illustres aînées, comme la 600 Pullman de 1963, la 450 SEL 6,9
litres de 1975 ou encore la 600 SEL des années 1990 dont la
puissance du V12 faisait couler de l’encre (le « buzz », en vieux
français) en titillant les Ferrari.
Rappelons que le bloc de cette dernière servait de base à une
certaine Pagani Zonda. Voilà pour le
pedigree. Mais au fait, ça fait quoi d’avoir un V12 plutôt qu’un V8
sous le capot d’une Classe S ? C’est un détail pour certains, mais
pour nous, c’est le jour et la nuit. D’abord au démarrage. Le
réveil d’un 12 cylindres, même bardé de filtres antipollution,
reste un moment à part.
Lorsque vous appuyez sur le bouton du Start Engine, vos passagers
ne remarquent probablement rien, mais le tintement rauque du
démarreur suffit à procurer une vague de plaisir et vous fait nager
dans le bonheur. Non pas que le 6 litres fasse se vriller la
carlingue autour de son axe comme à la grande époque, mais le
soubresaut de la mise en marche est sans équivoque.
Ce sursaut suivi d’un ralenti au calme olympien laisse ensuite
présager d’une onctuosité invraisemblable. Les premiers tours de
roues de la S 680 donnent l’impression d’évoluer sur un coussin
d’air en lévitation sur de la ouate.
C’est quasi aussi silencieux qu’un moteur électrique, mais en
beaucoup (mais alors beaucoup) plus consistant. Rien à voir avec
ces EQS qui vous poussent dans le dos avec austérité.
Pullman
Le V12 Mercedes a beau être pensé pour rouler au pas
dans les cortèges des têtes couronnées, il a son propre caractère.
Il suffit d’accentuer la pression sur l’accélérateur pour s’en
convaincre. La S 680 allonge alors ses foulées et sa sonorité monte
d’une octave. Pas le genre vulgaire comme l’échappement régurgitant
d’un SUV vaguement musclé qui joue les gros bras. Non, au
contraire. Le V12 Mercedes n’est pas dans la démonstration, il
relance avec constance et discrétion.
Jusqu’au moment d’écraser la pédale de droite, où il lâche sa
bride. Malgré la double suralimentation, ce 36 soupapes grimpe vers
sa zone rouge sans sourciller. C’est là que l’on découvre la vraie
différence entre un V8 et un V12. Dans son élasticité, son allonge
et sa force inépuisable.
Et peu importe si les 4’’5 annoncées par Mercedes de 0 à 100 km/h
se font ridiculiser par les 2’’1 d’une Tesla. On ne compare pas le
Dom Pérignon avec du Coca. Ici, on parle de goût, d’arômes subtils,
de finesse, de sensations, de velouté, en deux mots, de substance
et de personnalité. L’autre bonne surprise au volant de la Mercedes
concerne son homogénéité.
Alors qu’on pouvait s’attendre à composer avec une enclume perchée
à l’extrémité du train avant, comme c’est le cas dans un G 65 à
moteur V12, la S 680 s’avère relativement équilibrée. Cette
sensation au volant est confirmée par le passage sur la balance de
Mortefontaine.
Un âne mort, certes, mais pas beaucoup plus que ses congénères
électriques : 2 432 kg vérifiés avec les pleins, soit seulement 12
kg de plus que les 2 420 kg mesurés sur une Porche Taycan Turbo S
Sport Turismo par exemple. On relève aussi que 53 % de la masse
totale de la Maybach sont placés sur l’avant (c’est-à-dire dans les
mêmes proportions que sur une BMW M3 Touring).
De là à affirmer que la S 680 est un croisement entre une Lotus et
une Dallara, pas exactement… Mais les souvenirs que j’ai d’une BMW
760Li à moteur V12, pourtant 200 kg plus légère, sont ceux d’un
engin plus pataud.
La S 680 ne se vautre pas tant que ça et plonge à la corde en
restant digne, à condition d’anticiper et de ne pas trop retarder
les freinages. Et contrairement au G 65 qui ne peut pas prendre un
virage sans faire clignoter son ESP comme un sapin de Noël, la S
680 ne jette pas l’éponge lorsqu’on la bouscule un peu.
Ce qui est évidemment tentant, étant donné la puissance magistrale
du V12. Mais les règles de la physique et le ballant tempèrent le
mouvement. Raison de plus pour réduire la voilure et profiter du
confort princier de la Maybach. Il n’a pas d’équivalent, même chez
Rolls‑Royce ou Bentley. C’est une question de filtrage en
compression aussi bien que d’amorti en détente.
Alors qu’une Ghost Black Badge vous donne l’impression de masses
non suspendues incommodantes, la S 680 dribble mieux sur les
bosses. Cette sensation de tapis volant s’accompagne d’un intérieur
aux attentions inouïes.
Passons sur le confort suprême des sièges massants ou l’espace
dévolu aux places arrière. Ce qui m’a le plus bluffé, c’est plutôt
la qualité de la sono Burmester 4D Surround en option (6 500
€).
L’habitacle de la Maybach oscille alors entre l’Opéra Garnier et
l’Olympia avec un son irréprochable. C’est dément. Comme sa
capacité unique à effacer les kilomètres. Sans parler du plaisir
distillé par les relances inépuisables du V12. Un délice.
Monomanie du détail
Si Maybach ouvre les portes d’un confort absolu,
Bentley va encore plus loin. C’est le sésame d’un monde à part. Au
point de rester bouche bée en s’installant à bord de la Flying Spur W12. La finition de
la S 680 a beau être spectaculaire, elle ne fait pas le poids face
au savoir‑faire anglais. Question de qualité de matériaux et
d’ajustage.
Dans la Flying Spur, il ne s’agit plus de finition mais plutôt
d’obsession. De monomanie du détail, de phobie de l’anomalie, de
hantise de l’imperfection, d’angoisse de l’à‑peu‑près. Ce qui ne
veut pas dire que l’ambiance dans la Bentley soit rigide ou
guindée, bien au contraire. La Mulliner est un monument, un vrai
château, avec une atmosphère très particulière.
Chaque commande, chaque basculeur est le fruit d’un travail
minutieux. Les contre-portes arrière de notre modèle d’essai sont
d’authentiques pièces de bois massif, comme si les Compagnons du
devoir en avaient fait leur projet de fin d’année.
Que c’est beau ! Dans un monde où l’interchangeable est devenu roi,
l’artisanat reprend ses droits. Et tout est à l’avenant. Pour
mémoire, il faut cent trente heures pour construire cette
Bentley.
A titre de comparaison, Tesla se targue de pouvoir produire une
voiture toutes les quarante-cinq secondes dans son usine de
Shanghai. Cela veut dire qu’un Model Y est construit 10 000 fois
plus vite qu’une Flying Spur !
Le faste à 333 km/h
Trêve de bla-bla, voyons plutôt ce qui se passe sous
l’interminable capot de la Bentley. Le démarrage à froid du W12 est
un moment indescriptible. Le 48 soupapes monte d’une octave pour se
chauffer la voix, comme une locomotive, avant de se caler sur un
ralenti imperturbable. A l’heure où les moteurs électriques
ressemblent à des mixeurs aphones, Bentley cultive les
atypismes.
La Flying Spur est une force de la nature qui donne l’impression de
ne jamais s’essouffler. Comme la Maybach, avec peut-être moins de
légèreté et une sensation irrépressible encore plus marquée.
Si ça pousse ? A few, my nephew : 3’’8 annoncées de 0 à 100 km/h !
Avouez que pour une enclume de 2 556 kg vérifiés sur notre balance
avec les pleins, ça détonne… Au même titre que sa vitesse maxi,
affichée à 333 km/h, rien que ça. C’est d’ailleurs ce contraste
entre le calme apparent de ce luxe fastueux et les performances
survoltées qui surprend le plus.
De là à en déduire que la Flying Spur a des capacités de GT, il ne
faut pas exagérer. Si le bilan du comportement dynamique est
positif au regard de sa masse et de son gabarit, il convient tout
de même d’observer une règle d’or : an-ti-ci-per.
Mais la Bentley reste saine, quel que soit le rythme. Rappelons que
cette génération bénéficie d’une architecture remaniée avec moins
de porte-à-faux moteur. Sa boîte de vitesses à double embrayage est
également plus réactive qu’auparavant.
Les roues arrière directrices de la Flying Spur apportent aussi un
plus, même si leur braquage maximal est moins marqué que celui de
notre Maybach d’essai (4,1° contre 4,5° de série et 10° en option
sur la Mercedes). A ce propos, gardez un compas dans l’œil si vous
vous aventurez dans un parking souterrain, sous peine d’y laisser
une jante. Avec du 22 pouces, ça fait mal au cœur.
Sur route dégagée, en revanche, la Flying Spur ne manque pas d’aise
et recouvre ses lettres de noblesse. Sa suspension s’affaire à
lisser toute aspérité en la faisant filer sur un bitume qu’elle
transforme en billard. Le seul bémol concerne ses masses non
suspendues que l’on sent pesantes lorsqu’elles tressautent sur
chaussée dégradée.
Les transferts de couple vers l’avant, toutefois, passent comme une
lettre à la poste malgré les coups de boutoir du W12. La Flying
Spur présente ainsi un niveau de sécurité inébranlable,
qu’importent les conditions de circulation. Notons que Bentley
offre une plus grande stabilité à haute vitesse que Rolls-Royce sur
la Ghost Black Badge par exemple.
Les freins de la Flying Spur montrent aussi une meilleure
résistance à l’échauffement que ceux de la Maybach et une stabilité
remarquable en cas de forte décélération. Reste à savoir si le
plaisir de conduire est proportionnel à la démesure de la Bentley
?
La réponse est oui, même s’il est très distinct de celui ressenti
au volant d’une GT conventionnelle. Ce curieux mélange entre la
fusée Ariane et l’Orient-Express procure des sensations
véritablement extraordinaires.
La Flying Spur ajoute une touche très personnelle aux standards de
l’exception. Elle n’est pas parfaite mais ses parfums subtils
relèguent les autres limousines au rayon d’un luxe interchangeable.
Comme si toute la différence reposait sur l’héritage. Celui de
Bentley ne s’invente pas, il se cultive et développe des saveurs
décidément intemporelles
L'avis de Laurent Chevalier
Grâce à l’allonge, la tessiture et la puissance de leurs 12 cylindres, ces deux carrosses procurent un vrai bonheur au volant. A cela s’ajoutent un niveau de confort incroyable dans la Maybach S 680 et une capacité à littéralement effacer les kilomètres. Au point de vouloir prolonger le voyage en faisant des détours pour faire durer le plaisir. Même si, subjectivement, la Bentley offre un supplément d’âme qui la rend encore plus singulière.
Mercedes-Maybach S 680 : fiche technique
- Moteur : V12, biturbo, 36 S
- Cylindrée : 5 980 cm3
- Puissance maxi : 612 ch à 5 250 tr/mn
- Couple maxi : 91,7 mkg à 2 000 tr/mn
- Transmission : intégrale, 8 rapports auto
- Poids annoncé/contrôlé : 2 290/2 432 kg
- Rapport poids/puissance : 4,7 kg/ch
- L - l - h : 5 469 - 1 921 - 1 510 mm (en option)
- Empattement : 3 396 mm
- Pneus : 255/40 R 20
- Réservoir : 76 l
- Prix de base : 250 351 €
- Prix des options/malus : 54 250/60 000 €
- Prix du modèle essayé : 364 601 € (malus compris)
- V. max. : 250 km/h
- 0 à 100 km/h : 4’’5
Bentley Flying Spur Mulliner W12 : fiche technique
- Moteur : W12, biturbo, 48 S
- Cylindrée : 5 950 cm3
- Puissance maxi : 635 ch à 6 000 tr/mn
- Couple maxi : 91,7 mkg à 1 350 tr/mn
- Transmission : intégrale, 8 rapports à double embrayage
- Poids annoncé/contrôlé : 2 437/2 556 kg
- Rapport poids/puissance : 3,8 kg/ch
- L - l - h : 5 316 - 2 220 - 1 484 mm
- Empattement : 3 194 mm
- Pneus AV & AR : 275/35 & 315/30 ZR 22
- Réservoir : 90 l
- Prix de base : 310 488 €
- Prix des options/malus : 49 008/60 000 €
- Prix du modèle essayé : 419 496 € (malus compris)
- V. max. : 333 km/h
- 0 à 100 km/h : 3’’8
Retrouvez notre match entre les Bentley Flying Spur Mulliner et Maybach-Mercedes S 680 dans le Sport Auto n°746 du 29/02/2024.


