Bugatti Chiron Super Sport (2021) : une « expérience » unique à 1600 chevaux

Publié le 6 janvier 2022 à 18:30
Mis à jour le 7 janvier 2022 à 10:44
Sylvain Vetaux en Chiron Super Sport (2021)

440 km/h, près de 4 millions d’euros, 1 600 chevaux. Croiser une Bugatti Chiron Super Sport relève de la chance inouïe. En prendre le volant, de l’utopie.

Il me faut me confesser. Bugatti, marque au passé ô combien respectable, ne m’a jamais réellement ému. D’accord, l’EB110 prenait de temps en temps la place du poster de F40 au-dessus de mon lit d’ado. C’est vrai, la Veyron, avec ses 1 001 ch, a suscité chez moi quelque intérêt. Mais Bugatti, c’est Volkswagen avec sa horde de déplaçoirs sans âme et ses patrons orgueilleux. J’avais tort. Déjà car c’est grâce à M. Piëch, le mégalo ex-n°1 du groupe, que Bugatti revit le jour.

Ensuite, car la Chiron est bien plus qu’une lourde transmission intégrale survitaminée, rôle auquel je la cantonnais. Croyez-moi : l’engin est intimidant, au sens premier du terme. L’avant, passe encore, même si le nouveau bouclier échancré et les excavations dans les ailes font leur petit effet. Derrière, la Super Sport a tout du Faucon Millenium, y compris sa propension à passer en hyperespace.

En piste !

Pour rappel, à l’inverse de la Pur Sport, qui est peu ou prou la version piste de la Chiron avec ses 50 kg de moins et ses réglages fermes, la Super Sport est celle prévue pour aller vite. Très vite. Trop vite. Bien bien trop vite… « Freine ! » réclame, depuis le siège passager, Olivier Thévenin, mon chaperon du jour et multiple participant aux 24 Heures du Mans. Pour des raisons d’assurance, je ne serai jamais seul dans la Chiron, mais comme mon copilote a le bon goût d’être orléanais (comme moi) et de m’expliquer les trajectoires, je n’y vois guère d’inconvénient.

Aujourd’hui, nous sommes au Paul-Ricard, temple varois de la vitesse, terrain de jeu approprié pour tenter d’approcher les limites d’une des hypercars les plus zinzins au monde. Car oui, la Chiron Super Sport est une voiture de maboul. Eludons la question tarifaire. Cette auto coûte le prix d’un village en Lozère, c’est vrai.

Ils seront nombreux à estimer qu’il est hérétique de dépenser autant d’argent pour une voiture qui ne peut dépasser les 130 km/h sur le réseau français. Les autres resteront cois devant la finition exceptionnelle apportée au moindre détail, que ce soient les commandes des sièges, la peausserie au toucher de peau de pêche, les aérateurs taillés dans la masse, la peinture à la profondeur inouïe… Mais la Super Sport, c’est avant tout l’engin ultime des ingénieurs qui aiment se prendre la tête.

Vers l’infini…

Deux V8 imbriqués l’un dans l’autre, une transmission à double embrayage à l’étagement légèrement allongé (3,6 % pour la 7e), quatre turbos, un poids abaissé de 23 kg et, surtout, un profil « longtail » (+ 22,9 cm) destiné à la fluidité aérodynamique à très haute vitesse tout en garantissant l’appui nécessaire pour ne pas s’envoler à la fin de la moindre bretelle d’autoroute. J’exagère ? Pas vraiment. Au bout de 12 »1, vous êtes à 300 km/h en Super Sport. Ça relègue la Chiron « tout court » à 1 » pleine. Mais c’est ensuite que la colère divine s’abat. Car, à cette vitesse-là, les supersportives commencent à tirer la langue. Cette Bugatti, elle, vous foudroie. 0 à 400 km/h : 28 »6, soit 4 » de mieux qu’une Chiron de base.

Les chiffres restent des gribouillis qui noircissent des feuilles blanches. La conduite de la Super Sport vous fait passer dans une réalité alternative. Un monde où, après avoir levé le pied à 320 km/h dans la ligne droite du Mistral, vous êtes de nouveau propulsé contre le dossier à la moindre reprise des gaz. Ce n’est pas de l’accélération mais de la torture cervicale. 330, 340, 350, les 360 km/h s’approchent et on plante les freins. L’aileron s’était déjà déployé quelques kilomètres-heure plus tôt, mais il se braque à la verticale, donnant l’impression qu’une ancre a été jetée. La poupe se tasse, les yeux ne clignent plus, la respiration s’estompe, l’espace d’un moment.

C’est la courbe droite de Signes, que les F1 enroulent à fond mais qui est en réalité un virage au rayon prononcé. Merci les quatre roues motrices. « Pour le Beausset, tu prends la première corde, tires tout droit et tu braqueras quand je te le dirai », explique Olivier à droite. Soyons francs, malgré quelques tours de piste et les conseils avisés du coach du jour, je ne suis toujours pas l’exemple à suivre dans cette partie de la piste (ni dans le reste d’ailleurs). En revanche, au « souriromètre », j’ai la pole ! Conduire une Bugatti est une expérience qui ne ressemble à aucune autre. Dissipons tout quiproquo : une Ferrari SF90 est infiniment plus agile et précise, l’alsacienne ne luttant pas toujours efficacement contre l’embonpoint qui l’accable.

… et au-delà

Le constructeur a mis à notre disposition, dans les mêmes conditions, une Pur Sport. Dès le premier virage, la différence saute aux yeux. Recalibrage des trains roulants (avec un carrossage négatif porté à 2,5°), étagement plus court de la boîte de vitesses, pneus Cup 2 R et assistance de direction plus ferme font de ce modèle la Chiron des amateurs de dynamisme et de précision, comme le revendique le discours officiel.

Retour dans la Super Sport. Les turbos y sont nouveaux. Le diamètre de la roue de compresseur passe de 74 à 77 mm. La turbine opposée conserve la même largeur (64,4 mm), mais, comme pour le compresseur, bénéficie d’ailettes plus larges. Il y a plus d’air comprimé admissible (1 210 kg/h au lieu de 1 150 pour la Chiron de 1 500 ch) et le rupteur est décalé à 7 100 tr/mn au lieu de 6 800. Le couple, lui, est constant de 2 000 à 7 000 tr/mn, soit jusqu’à la coupure de l’injection. Même en 4e ou 5e, les reprises coupent la respiration. Le V8 biturbo de la SF90 développe 81,5 mkg à lui tout seul. Deux fois plus de cylindres, deux fois plus de turbos : en toute logique, le W16 8 l fournit deux fois plus de couple.

Sauf que la Super Sport n’est pas deux fois plus lourde que la Ferrari et que, même lorsqu’on a 2 tonnes à faire se trémousser, disposer de 163 mkg tout le temps devient gage d’estomac qui se noue et de vision qui se floute. Aucune voiture, vraiment aucune, ne m’avait à ce point donné l’impression de souffle inépuisable. Pied dedans, la Super Sport ne vous laisse pas le temps de reprendre vos esprits. Jamais. Quelle que soit l’allure. Ce n’est pas violent mais oppressant. Le compteur indique 500 km/h (les 440 sont une bride), mais la Bug’ semble pouvoir pousser avec la même force jusqu’à 600 ou 700…

Au quotidien

Cette allonge mécanique n’est pas le seul point fort de la Super Sport. Cette version se contente de Michelin Cup 2 (sur mesure et à la structure renforcée), moins tendres que les R mais aussi plus agréables sur réseau secondaire. Oui, nous avons pu vadrouiller du côté de Tourves, La Roquebrussanne et Néoules au volant de cet engin hors norme. Malgré des ressorts arrière raidis de 7 %, des jantes magnésium (optionnelles) et un amortissement plus ferme que sur la Chiron de base, la Super Sport remplit parfaitement son cahier des charges : du grand tourisme hyper-performant et hyper-luxueux. Hyper-facile à prendre en main, hyper-docile en ville, hyper trop rapide sur départementales, hyper trop aimant à tous les regards : tout est too much. Même le plaisir inédit éprouvé au volant. Le terme « expérience » est ici préférable à celui de « conduite ». Il n’y a rien qui puisse se comparer à ces kilomètres.

Il existe des autos plus radicales, plus virevoltantes, plus communicatives. Dans ce secteur, malgré le nouvel échappement implanté façon tourelles de défense dans le diffuseur en carbone, la Bugatti n’émet toujours pas une sonorité très plaisante. Impressionnante et intimidante, oui. Agréable, bof… Mais à bord de la Super Sport, tous les repères volent en éclats. Alors que sur Le Castellet le train avant souffrait d’une légère paresse en sortie de courbe, il est ici impassible, bien commandé par une direction dont l’assistance s’est durcie par rapport à la Chiron.

Il est impossible de flirter avec les limites d’une Chiron sur route ouverte. Il est en revanche tout à fait faisable d’en saisir l’étendue des talents. La Bugatti n’est ni trop large, ni trop basse, ni trop inconfortable, ni trop radicale pour une utilisation presque quotidienne. Et c’est probablement la principale surprise de cet essai. Alors qu’une McLaren Senna transforme les péages d’autoroute et les ralentisseurs en calvaires, alors qu’une SF90 réveille vos plus vils instincts et incite à convertir la moindre petite route en spéciale de rallye, la Chiron Super Sport est d’une polyvalence insoupçonnée, excellant autant dans son costume de docteur Jekyll que dans celui de Mister Hyde.

La fiche technique

  • Moteur : W16, quadriturbo Cylindrée : 7 998 cm3
  • Puissance maxi : 1 600 ch à 7 050 tr/mn
  • Couple maxi : 163,1 mkg à 2 000 tr/mn
  • Transmission : intégrale, 7 rapports robotisés
  • Antipatinage : de série déconnectable / Autobloquant : de série AV & AR
  • Poids annoncé : 1 972 kg Rapport poids-puissance : 1,2 kg/ch
  • L – l – h : 4 773 – 2 183 (avec rétros) – 1 212 mm / Empattement : 2 711 mm
  • Pneus AV & AR : 285/30 ZR 20 & 355/25 ZR 21
  • Réservoir : 100 l

Prix de base : 3 840 000 €

Prix des options/malus : NC/30 000 €

Prix du modèle essayé : 3 870 000 € (hors options, malus compris)

Performances annoncées

  • V. max. : 440 km/h (bridée électroniquement)
  • 0 à 100 km/h : 2 »4
  • 0 à 200 km/h : 5 »8
  • 0 à 300 km/h : 12 »1
  • 0 à 400 km/h : 28 »6

L’avis de Sylvain Vetaux

La Super Sport navigue dans une galaxie où elle seule gravite. Sa conduite ne ressemble à rien d’autre et sa polyvalence étonne dans ce segment de l’hypercar. Surtout, à l’heure actuelle, aucune voiture n’a cette capacité de reprise à très, mais alors très, très haute vitesse. Est-ce suffisant pour justifier ce tarif stratosphérique ?

Le reportage complet est à retrouver dans le Sport-Auto n°719 du 26/11/2021.

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