Interview avec Sébastien Bourdais
Alors, cette première journée ?
C'est beaucoup plus marrant sans le contrôle de traction, en ce qui me concerne. J'ai trouvé ça beaucoup plus fun. Tu te causes tes propres problèmes mais tu les résous aussi, et puis ça change le caractère de la bête. C'est un peu difficile avec les pneus, puisqu'on roule avec les durs ici, mais d'un autre côté, comme il y a pas mal de patinage, tu n'as pas trop de problème d'usure, ça se compense. Je pense qu'on aurait du mal à tenir les pneus si on avait des tendres, mais là ce n'est pas le cas.
On a eu une matinée compliquée [avec un problème d'alternateur puis une casse hydraulique], mais ça s'est bien passé dans l'après-midi. On a plus eu de problème mécanique et on a pu évaluer ce qui était prévu au niveau aéro, donc c'était plutôt positif. Ça se finit avec des temps plutôt corrects, mais on a pas cherché le chrono à proprement parler, puisqu'on a roulé avec des charges d'essence constantes toute la journée.
C'est la voiture de 2007 ?
C'est la spécification avec laquelle ils ont fini la saison, avec l'électronique 2007, mais sans le contrôle de traction. C'est Sebastian [Vettel] qui avait l'électronique 2008, et il y a pas mal de boulot, sur toute l'analyse électronique des datas, parce que pour l'instant, il y a un système d'analyse sur ma voiture, et puis le TAG sur la sienne. Donc pour faire des comparaisons, c'est un peu scabreux. Ça prend quarante minutes pour comparer deux tours !
Vous allez utiliser l'électronique 2008 cette semaine ?
Je crois qu'il y a un moment où ils veulent qu'on change. Mais dans l'utilisation ça ne change pas grand chose.
Par rapport à ce que vous avez déjà connu avec Toro Rosso, ça change quelque chose ?
Là, tu pilotes ! Je pense que ça ne change pas particulièrement la hiérarchie, parce qu'à ce niveau là, les pilotes sont suffisamment pointus pour savoir faire les deux, mais c'est quand même beaucoup plus gratifiant et amusant sans le contrôle de traction.
Et par rapport au Champ Car ?
C'est une monoplace relativement légère, avec des pneus relativement durs, pas des slicks, donc ça glisse beaucoup, et pour couronner le tout, le règlement impose des roues très étroites par rapport au Champ Car, donc dans les virages serrés, ce n'est pas un exemple de stabilité. Mais à mon avis, de l'extérieur ça doit être spectaculaire. Tu te fais bousculer !
En plus, depuis le début, une des choses qui me dérange le plus sur cette auto, c'est la direction, qui est très, très directe. Donc quand on part à l'équerre, si on fait un mouvement un peu brusque pour la rattraper, on part dans l'autre sens.
Un pilotage fin est obligatoire ?
Oui, mais justement ce n'est pas facile puisque on est obligé d'avoir des gestes très mesurés avec des réactions de la voiture hyper rapide. C'est pour ça que j'aimerais que le volant se tourne un peu plus pour avoir des mouvements moins brusques sur la roue.
A Monaco, ça va donner quoi ?
J'espère qu'on aura une direction différente, tout simplement ! Je ne suis pas très inquiet puisque Giorgio [Ascanelli, le directeur technique de Toro Rosso] a l'air d'être assez sensible à ça, donc c'est bien.
Vous préférez quoi ? La F1 avec ou sans les assistances au pilotage ?
Sans, clairement ! Mais pour rendre tout cela totalement cohérents, il faut mettre des pneus slicks et enlever un peu d'appuis, pour que ça glisse plus "joliment". Normalement, c'est ce vers quoi on va se diriger pour 2009. Enfin, ça a l'air de vouloir se concrétiser. Mais c'est vrai qu'on se demande presque pourquoi on en est arrivés là [avec autant d'aides au pilotage]. Mais si celaévolue dans le bon sens, tant mieux.
Dans quatre mois, vous aller disputer votre premier Grand Prix en F1. Dans quel domaine avez-vous a apprendre le plus ? Sur quoi allez-vous vous concentrer ?
Sur tout ! Il faut que je me familiarise avec l'équipe, il faut que je comprenne le fonctionnement de l'auto, j'ai tout à apprendre, aussi bien au niveau mécanique que humain. Les modes de fonctionnement de l'équipe, les structures, sont beaucoup plus lourdes que ce que j'ai connu en Champ Car ces cinq dernières années.
Quel est votre niveau de connaissance d'une Formule 1 ?
C'est assez difficile à dire. Tu fais une évolution, tu prends confiance, et c'est difficile de savoir qu'elle est la marge d'évolution, mais je pense que pour une première journée, c'était plutôt correct de se retrouver quasiment dans le même temps que Sebastian.
J'allais faire un tour un peu plus rapide, et j'ai bloqué une roue arrière dans le virage précédant la dernière chicane. Sans cela, j'aurais été plus rapide d'un ou deux dixièmes. La piste a pris un peu de grip sur la fin de journée, donc je pense que c'était possible.
Pour mercredi et jeudi, le programme est une simulation avec beaucoup d'essence ?
Oui, je crois qu'on va faire un très long relais pour voir comment ça se passe, et je n'ai pas les détails du programme pour jeudi, mais je pense que ça va être assez complet. Aujourd'hui, on a fait pas mal d'aéro, on essayait de voir ce qu'on perdait et ce qu'on gagnait, en déchargeant, en rechargeant... On essaie de voir ce qui va être le meilleur compromis, mais vu qu'il n'y a pas beaucoup de grip mécanique, quand tu remet tu grip aéro sur la voiture, cela aide clairement.
Entre l'envie de disputer votre premier Grand Prix et la crainte que vous devez avoir, qu'est ce qui domine ?
En fait je ne suis pas pressé ! J'ai envie de me faire plaisir et de profiter des sept séances d'essais qu'il va y avoir d'ici à la mi-mars, parce que franchement, je n'aimerais pas faire une course maintenant. Quand Sebastian [Vettel] est monté dans la voiture, il avait déjà fait des milliers de kilomètres pour BMW, c'est un peu différent. Il est arrivé avec une "connaissance" de la F1 que je n'ai clairement pas. A chaque fois que je remonte dans la voiture, vu qu'il se passe six mois entre chaque visite, ça change ! C'est clair que je suis content d'utiliser les sept séances pour tirer le meilleur de l'équipe et de la voiture.
C'était votre première journée en tant que titulaire, avec le travail que cela implique, qu'est ce que vous vous êtes dit avant de prendre le volant ?
C'est juste sympa de ne pas se sentir jugé à la moindre chose que tu fais, de pas avoir à craindre que si tu rates quelque chose, ça n'aille pas au bout. On a bossé et maintenant je me concentre pour essayer de comprendre les rouages de tout ça ! On commence à parler de réglages, j'essaie de voir qui fait quoi, les petites subtilités.
Avant, j'étais là pour être évalué, pas pour leur demander comment ça fonctionnait. C'est une optique complètement différente, et enfin on commence à travailler ! Tu fais ton boulot, ce n'est pas uniquement "tourner le volant".
Pensez-vous que vous allez autant influer sur une équipe que dans le passé ? La F1 est un peu plus stricte: la direction ne vous plaisait pas à Spa, elle n'a pas changé...
Ils ne peuvent pas refaire la direction. Il faut refaire une crémaillère, en plus avec la direction assistée c'est un peu plus compliquée, donc c'est faisable, mais il faut lancer une série de pièces.
Et en donnant des détails techniques, sentez-vous qu'un pilote peut, aujourd'hui, influer fortement sur sa voiture et faire en sorte d'avoir la voiture qu'il désire ?
L'avenir nous le dira. Mais ils sont loin d'être idiots. Ils ont envie que ça aille dans le bon sens, et la meilleure façon pour que le pilote se sente bien, et que ça aille le plus vite possible, c'est qu'il soit bien dans l'auto, donc si la direction pose problème, on va faire en sorte d'essayer d'autres choses. Après, on verra si cela résout le problème, mais il est clair qu'on va essayer des choses.
On a vu des pilotes se suivre en piste aujourd'hui: Vettel a suivi Schumacher pendant quelques tours. C'est une chose que vous essayez de faire aussi ?
Pas trop en essais. Quand tu fais ça, tu fausses les données. Donc quand tu fais des données aéro, comme aujourd'hui, si tu restes dans la boîte d'un autre, ça fausse la vision. Cela fait tellement varier les datas, parce que ça perturbe l'air, qu'au contraire, j'ai essayé d'éviter de me retrouver dans le sillage d'une autre voiture. Ce n'est pas facile, parce qu'il faut lever le pied, donc les pneus refroidissent... c'est pas toujours évident. Ce sera mieux de faire ça lors de la course ici.
Il est sympa ce circuit, malgré la nouvelle chicane ?
Ils ont trouvé le moyen de saccager un beau circuit, mais à part ça c'est fantastique. Je comprends pas que ce soient des pilotes qui demandent de faire ça. Les deux derniers virages, c'était un peu le juge de paix. C'est sûr, c'était pas la bonne chose pour les dépassements, c'est vrai. C'est sûr que maintenant on peut suivre quelqu'un dans la partie lente. Le virage 10 est très serré, c'est dommage.
Maintenant que vous êtes là, est-ce que vous voulez demander au public de vous soutenir ? A la presse de pas vous assassiner ?
Si la presse veut m'assassiner, elle m'assassinera, et si le public veut me faire la tronche, il me fera la tronche. Je vais faire tout ce que je peux pour que ça se passe bien. Je vais donner le meilleur de moi-même. C'est pour ça que je ne me fixe pas d'objectif clair et précis, parce que ça va dépendre essentiellement de la qualité de notre auto pour l'année prochaine. On sait un peu ce qu'on aura dans les premières courses, parce que ce sera très proche de ce qu'on a déjà.
On a aucune idée de ce que sera la voiture 2008 [qui apparaîtra pour les courses européennes], et on a aucune idée de ce que la concurrence va nous sortir. On a aucune idée d'où on va se situer. On travaille pour que les progrès aperçus en fin de saison se confirment, mais il n'y a aucune garantie, et tout le monde change tout en permanence.
C'est certain que les attentes des uns et des autres sont différentes. J'espère que le public a des attentes relativement mesurées: c'est clair qu'on ne va pas gagner des courses l'année prochaine. Mais si on fait un podium, cela sera fantastique. En général, sur une saison, il y a toujours un Grand Prix où si tu ne fais pas l'imbécile et que tu es au bon endroit au bon moment, il y a la place pour faire des étincelles.
Maintenant, c'est loin d'être garanti. Il faudrait qu'on soit le plus souvent possible en Q3, pour espérer viser les points. De toute façon on va donner le meilleur de nous même pour voir ce que cela va donner. Il faut mettre les choses en perspective: je n'arrive pas comme Lewis Hamilton dans une équipe potentiellement championne du monde. Si on entre dans le top 10, c'est déjà bien. Ce n'est pas une victoire, mais pour nous cela en est une, donc il faut prendre les choses avec mesure.
C'est une course de voitures, il faut comprendre que c'est un package. Il faut tirer le meilleur de la voiture, mais si elle vaut une dixième place et que tu finis huitième, tu as fait ton travail et tu devrais être félicité. A la limite, si tu gagne la course alors que c'était ce que valait la voiture, tu as simplement fait ton boulot.
Vous considérez Vettel comme un adversaire de quel niveau ?
Ça a l'air d'être un garçon solide, qui fait pas particulièrement d'erreur. Il est rapide, il a l'air posé, plutôt précis dans ses commentaires. Il est sympa, donc je pense qu'on va bien s'entendre. Je ne vois pas de problème arriver !