Entre Norris et Piastri, McLaren devra choisir son (futur) "roi" : un casse-tête de luxe ?

Avec Lando Norris et Oscar Piastri, McLaren perpétue une tradition entamée en Formule 1 par Ron Dennis, qui a souvent associé deux pilotes de très gros calibre. A son tour, Zak Brown, le directeur général de l'écurie, fait face à ce "problème" de riche.
Oui, il est question d’un problème de riche, car avec deux
pilotes qui ont le potentiel de devenir champions du monde et donc
susceptibles de gagner au volant d’une monoplace également
candidate à la victoire sur tous les circuits, on se demande très
vite lequel favoriser pour ne pas éparpiller les points face à la
concurrence.
C’est à ce casse-tête que se sont retrouvés confrontés les
responsables de l’écurie McLaren cette saison. Zak Brown,
le directeur général de McLaren Racing, et Andrea Stella, le Team
Principal, ont ainsi été contraints de trancher entre Lando Norris,
le petit génie et chouchou de l’équipe depuis six saisons, et le
prometteur et tout aussi ambitieux Oscar Piastri. Une décision
douloureuse prise après Monza, sans doute trop tard pour changer
l’issue probable du championnat des pilotes.
Pour l’équipe McLaren, la genèse de ce « problème » est passée
assez inaperçue du grand public. C’était lors du Grand Prix du
Qatar en 2023, où Oscar Piastri avait signé la « petite » pole
position de la course sprint la veille et précédé (déjà)
Norris.
Le jeune Australien s’était vu offrir une première consigne en sa
faveur pour préserver sa deuxième place, derrière Verstappen mais
devant son coéquipier anglais, qui n’avait pas vraiment apprécié
alors que l’enjeu était vraiment mineur.
Norris n’avait pas manqué de faire comprendre qu’il aurait préféré
une stratégie allant dans son sens, sans qu’elle soit réellement
justifiée. « Je ne pense pas que j’aurais doublé Oscar, car
plus je m’en rapprochais, plus je subissais de turbulences. Mon
rythme était supérieur, mais il a fait du bon boulot. Il (Piastri)
mérite ce résultat. »
Ce ne fut qu’une petite alerte pour l’équipe de Woking au cours
d’une saison globalement dominée par Lando Norris face à son jeune
coéquipier qui, il faut le rappeler, faisait ses débuts de
titulaire en F1. Depuis, les choses ont changé, et Piastri se
montre de plus en plus entreprenant et brillant.
La situation s’est donc compliquée pour Andrea Stella, obligé de
ménager les ego de deux pilotes très haut de gamme avec le risque
de les voir se neutraliser et éparpiller de précieux points.
On reviendra sur la saison en cours, mais un petit rappel
historique s’impose pour mieux cerner l’ADN de cette équipe McLaren
qui s’est toujours efforcée d’aligner deux pilotes de gros calibre.
Une politique conquérante lancée par Ron Dennis.
Historiquement, des duos prestigieux
Lorsque celui-ci a pris les rênes de McLaren à la fin de l’année
1980, l’équipe créée par Bruce McLaren était en lambeaux.
Minutieux, pour ne pas dire maniaque, celui qui fut mécanicien
avant de devenir un patron respecté et craint s’est attelé à mettre
de l’ordre dans la maison, écartant ceux dont il jugeait
l’implication insuffisante face aux exigences d’une F1 en pleine
mutation.
Toujours avec un grand soin du détail et un choix méticuleux des
hommes clés, Dennis a de la sorte redynamisé et modernisé les
départements techniques. Il s’est chargé personnellement de chasser
des sponsors (Philip Morris, entre autres) et des partenaires
prestigieux prêts à s’engager sur le long terme.
Il s’est ainsi associé au milliardaire saoudien Mansour Ojjeh, qui
allait financer le développement du moteur Porsche. Une fois
l’équipe remise à niveau, Ron Dennis s’est penché sur le dossier
des pilotes. A la fin de l’année 1981, le patron britannique fut
l’un des rares à croire à un retour crédible de Niki Lauda à la
compétition.
Alors consultant occasionnel pour une télé autrichienne, Lauda
accepte de remettre le casque, à l’âge de 33 ans, ce que beaucoup
jugent comme une juteuse opération financière pour l’ancien
champion du monde. Ron Dennis voit bien plus loin, et lorsqu’à la
fin de l’année 1983, Alain Prost se retrouve sur le marché, il
n’hésite pas à lier « l’ordinateur » au « professeur ».
Si Lauda redevient champion du monde pour un demi-point en 1984,
les deux championnats suivants sont pour Prost. Dennis a donc vu
juste et surtout, il pense à l’avenir. L’Autrichien avouera avoir
souffert du favoritisme assumé de Dennis pour Prost, lequel sera
frappé du même syndrome quand il sera associé à Ayrton Senna, de
cinq ans son cadet.
Mais entre-temps, Dennis n’a pas manqué de mettre un autre champion
du monde dans les jambes du petit Français après le départ à la
retraite définitive de Lauda. Ce fut le très rapide Keke Rosberg,
que l’on croyait mauvais coucheur.
A la surprise générale, le Finlandais fut un coéquipier exemplaire
pour Prost et déterminant dans la conquête du titre du Français
lors de la dernière course de la saison 1986. Mais Ron Dennis a
toujours été un visionnaire.
Dans son esprit, il ne faisait aucun doute qu’il fallait constituer
le duo de la décennie en laissant entrer un certain Ayrton Senna
dans la maison qu’Alain Prost pensait être sienne.
Si 1988 fut à peu près calme et presque sans escarmouche entre ces
deux-là, la belle harmonie entre Prost et Senna se désintégra en
1989, et Dennis n’y fut pas pour rien accusé d’avoir un penchant
pour le Brésilien. Mais jamais il ne fut question de consignes
d’équipe. Plus tard, elles ne furent pas vraiment nécessaires une
fois Ayrton Senna parti, lorsque Ron Dennis fit du très rapide Mika
Häkkinen son fer de lance.
Il n’y eut pas plus de consignes lorsque le Finlandais fut associé
au solide mais loyal David Coulthard. Ce fut plus compliqué lorsque
Ron Dennis eut la riche idée, pour l’intérêt du spectacle, de
rassembler le placide Kimi Räikkönen et le volcanique Juan Pablo
Montoya.
Plus fier que jamais d’aligner deux sprinters, Dennis s’interdit à
nouveau de faciliter la tâche d’un de ses pilotes. Montoya, triple
vainqueur en 2005, n’apprécia pas et fut moins docile, au point de
multiplier les prises de bec avec son patron dès le début de la
saison 2006. L’accrochage avec son coéquipier Kimi Räikkönen au
départ du Grand Prix des Etats-Unis scella son sort.
Quelques jours plus tard, le Colombien ne faisait plus partie de
l’équipe McLaren-Mercedes et quittait la F1. Une péripétie dans
l’esprit de Ron Dennis, véritable père la rigueur, pas mécontent de
se débarrasser de ce pilote super-rapide mais trop dilettante à ses
yeux.
Des stratégies incohérentes
Il avait déjà son plan de reconquête, Fernando Alonso ayant
annoncé son arrivée à Woking pour 2007. Dennis prévoyait de
l’associer au prometteur mais débutant Lewis Hamilton, mais
surprise, dès la première course, en Australie, Hamilton se montra
au niveau de son glorieux aîné, et les ennuis commencèrent pour le
patron de l’équipe de Woking, qui allaient même se transformer en
catastrophe.
A Monaco, 5e course de la saison, Lewis Hamilton, du haut de
ses 22 ans, peste à la radio contre la stratégie, qui lui est
défavorable. Malgré les messages de modération de Ron Dennis, il ne
se prive pas de mettre la pression sur Fernando Alonso, en tête de
la course. Le doublé Alonso-Hamilton met les deux hommes à égalité
au championnat.
Quinze jours passent et l’Anglais remporte son premier grand prix,
au Canada, récidivant une semaine plus tard à Indianapolis, à la
grande colère d’Alonso cette fois, jugeant que la stratégie et
l’absence de consignes lui ont coûté cher. Le pire est à venir.
Outre la tension croissante dans la coulisse entre le rigide patron
de McLaren et le têtu taureau des Asturies, les deux pilotes
McLaren-Mercedes continuent de se partager les victoires et les
points pour finir le championnat à égalité, mais à une unité du
nouveau champion du monde Kimi Räikkönen, le pilote Ferrari sacré
au soir de la dernière course.
Jetons un voile pudique sur la trahison de Fernando Alonso, lequel
dénonça son équipe à la FIA au sujet d’une obscure histoire
d’espionnage qui ne fut jamais vraiment avérée et qui valut la
bagatelle de 100 millions de dollars d’amende à McLaren ainsi que
l’humiliation d’un déclassement au championnat des
constructeurs.
Mais jamais Ron Dennis n’exprima le moindre regret de n’avoir pas
imposé de consignes à ses pilotes. Près de 17 saisons ont passé
depuis ce coûteux fiasco, Ron Dennis a été écarté du groupe McLaren
début 2017, et le fonds souverain du Bahreïn Mumtalakat en détient
le contrôle total.
Désormais responsables de la formation anglaise basée à Woking,
Andrea Stella et Zak Brown connaissent tout de son histoire. Moins
orgueilleux que Ron Dennis, ou plus clairvoyants, ils ont donc
décidé d’appliquer – à contrecœur, semble‑t‑il – les fameuses
consignes afin de favoriser leur pilote le mieux placé au
championnat et susceptible d’aller taquiner Max Verstappen en cette
fin de saison 2024.
Tant pis pour le spectacle, la raison l’a emporté. Mais il a fallu
le « couac » de Monza, où Piastri a attaqué Norris de
manière virile lors du premier tour et l’a privé de la deuxième
place et peut‑être de la victoire.
C’est sans doute au cours du Grand Prix de Hongrie que les
stratèges de McLaren auraient dû prendre la décision, douloureuse
certes, de faire gagner Norris plutôt que Piastri. Mais comment
demander à un jeune pilote de sacrifier son premier succès en F1
?
Retour à la raison
C’est ainsi à la suite d’un Grand Prix d’Italie musclé qu’Andrea
Stella a pris toutes les précautions d’usage pour annoncer la «
nouvelle » politique de l’équipe McLaren : « Privilégier le
soutien de Lando (Norris), mais sans trop compromettre nos
principes, qui sont que l’intérêt de l’équipe passe toujours en
premier. Et puis nous voulons être justes envers les deux pilotes.
»
Oscar Piastri n’eut pas d’autre choix que de s’y soumettre. Comme
beaucoup d’observateurs dans le paddock, Juan Pablo Montoya,
l’ancien pilote McLaren dont nous avons rappelé les exploits, a
jugé cette sage décision tardive. « McLaren aurait dû décider
plus tôt lequel de ses pilotes allait être son numéro un. C’est une
leçon pour toutes les écuries. Elles devraient se dire qu’à la
mi-saison, celui qui est le mieux classé devient le numéro un. La
question est aussi de savoir si le championnat des constructeurs
est plus important pour McLaren. Peut-être qu’ils ont analysé ça
(plus tôt dans la saison, NDLR) et pensé que les chances de
remporter le titre pilotes étaient trop faibles, alors ils ont
décidé de se concentrer sur celui des constructeurs. »
Pour répondre aux critiques, Zak Brown estime qu’il s’agit là d’une
vision un peu réductrice : « C’est facile de prendre une bière,
de se jeter dans un canapé, d’allumer la télé et de diriger une
équipe de F1. Il y a tellement plus que ce que l’on voit qui motive
les décisions. Parfois, on se trompe. Nous avons laissé des points
sur la table ici et là… Nous aurions pu faire les choses
différemment. Mais cela ne changera rien. C’est passé, il faut
aller de l’avant. »
Retrouvez notre analyse sur la stratégie Pilotes de McLaren dans le Sport Auto n°754 du 25/10/2024.


