Analyse - La filière Red Bull vers la F1 : un système dans le rouge....
L’équipe Red Bull Racing, championne du monde en titre en Formule 1, pourrait être amenée à changer ses deux pilotes en 2025. Et obligée d’aller faire son marché ailleurs qu’au sein de sa filière, qui se tarit.
Dans l’hypothèse un peu folle d’avoir à trouver des remplaçants
à Max Verstappen et à Sergio Pérez
au sein de son équipe phare, la marque de boisson
austro-thaïlandaise serait contrainte de recruter en dehors du Red
Bull Junior Team. Une situation qui mettrait encore un peu plus en
évidence la défaillance de son système de formation de jeunes
pilotes.
Déjà, l’idée de se servir chez Racing Bulls (ex-Toro Rosso puis
AlphaTauri), la modeste équipe italienne dont Red Bull Racing est
en quelque sorte la maison mère, et qui a auparavant servi de
fournisseur/ testeur de talents, semble pour l’instant compromise.
Malgré des progrès sporadiques, Yuki Tsunoda ne paraît pas encore
taillé pour les combats les plus durs.
Liam Lawson, qui attend son heure dans la coulisse, peut prétendre
à un volant chez Racing Bulls mais rien de plus. Quant à Daniel
Ricciardo, l’autre titulaire Racing Bulls, son « mojo » est en
déclin et il ne semble plus capable d’assurer le rôle de vainqueur
potentiel.
La méthode de recrutement et de formation de Red Bull est donc en
perte de vitesse. La saison dernière, invité par son ami et
compatriote Carlos Sainz (qui fut biberonné par Red Bull) à
assister à un grand prix, l’Espagnol Jaime Alguersuari, éphémère
pilote Toro Rosso, posait un regard critique mais argumenté sur la
filière qui l’a pourtant porté jusqu’à la catégorie reine. Le fait
est qu’il en a été évincé sans ménagement, comme tant d’autres.
Alguersuari a lui-même profité du large recrutement de Red Bull, qui consistait à sa
création, au début des années 2000, à lancer d’immenses filets dans
toutes les catégories juniors en espérant ramener un gros poisson.
L’année dernière, Helmut Marko, le responsable de la filière des
jeunes pilotes depuis qu’elle existe, a mis le holà à cette
gabegie, préférant privilégier la qualité à la quantité, une
méthode plus adaptée à la F1 moderne.
Mais cette nouvelle orientation n’est pas non plus un gage de
succès. « Ce que Marko nous a dit, c’est qu’ils forment des
champions ou les meilleurs pilotes possible. Alors, le fait qu’ils
aient dû aller chercher ailleurs pour trouver un pilote pour Red
Bull Racing n’a pas de sens », constate Alguersuari en prenant
le cas de Sergio Pérez.
Celui-ci a en effet été recruté au détriment de deux pilotes de
cette « académie », Red Bull et Helmut Marko n’ayant pas souhaité
prolonger le bail d’Alex Albon pour la saison 2021. Lequel Albon
avait lui-même remplacé en plein milieu du calendrier (comme
souvent avec Red Bull) le Français Pierre Gasly. On peut comprendre
que l’engagement du Mexicain les fit bouillir de rage.
Le plus surprenant, c’est que Sergio Pérez s’est lui-même retrouvé
très vite sur la sellette, Il faut dire que sa première saison chez
Red Bull ne fut pas convaincante, le pilote mexicain ne terminant
que 4e au championnat, plus de 200 points derrière Verstappen,
titré cette année-là.
La saison suivante, Pérez ne parvint toujours pas à se classer
deuxième et Marko commença sérieusement à remettre en cause sa
présence dans l’équipe Red Bull, mais le Mexicain fut sauvé par ses
sponsors personnels, qui lui règlent son salaire. Mais surtout
parce que Marko était coincé, considérant ne pas avoir sous la main
un remplaçant susceptible de faire mieux que Pérez.
Pour Alguersuari, aujourd’hui devenu un DJ réputé après sa
douloureuse expérience en F1, le cas de Pérez est symbolique de la
perte de repères de la filière Red Bull : « Checo n’a jamais
fait partie de l’équipe junior. S’il l’avait été, vu la manière
dont Helmut Marko juge les pilotes, il n’aurait pas tenu un an.
»
Très peu d’élus
Et que dire du cas Nyck de Vries, venu de nulle part (la Formule
E) et jamais envisagé auparavant par Red Bull, qui fut prestement
engagé par Marko chez AlphaTauri (aujourd’hui Racing Bulls), après
un exploit qui devait rester sans lendemain à Monza en 2022 ? Pour
le compatriote de Verstappen, le rêve fut de courte durée (dix
grands prix).
Red Bull, et surtout Christian Horner, ont préféré récupérer le
vieillissant Daniel Ricciardo plutôt que de prolonger l’aventure
avec de Vries. Une sorte d’errance confortant les propos de
plusieurs observateurs, dont ceux d’Alguersuari. D’autant qu’une
blessure au poignet de l’Australien (après deux courses) a alors
obligé Helmut Marko à justifier le rôle
de la filière en jetant dans le grand bain le néophyte Liam Lawson…
qui donna satisfaction mais ne fut pas retenu plus que le temps de
l’intérim.
Red Bull ne voulait pas se déjuger vis-à-vis de Daniel Ricciardo,
dont les performances, depuis, démontrent pourtant que son
recrutement fut une erreur. La pilule est dure à avaler pour les
recalés. Si Red Bull doit être loué pour avoir porté jusqu’à la
Formule 1 22 pilotes, seuls deux d’entre eux ont été sacrés
champions du monde (Vettel et Verstappen). Ajoutons à ces deux
palmarès les 7 victoires sur 8 remportées par Ricciardo avec Red
Bull.
Mais la marque a laissé en chemin de nombreux traumatisés, à
l’image de Jaime Alguersuari, dont la carrière n’a pas survécu à sa
mise à pied par Helmut Marko, qu’il regarde toujours comme son
bourreau. Une récente rencontre n’y a rien changé : « Je suis
allé lui dire bonjour, mais il ne m’a pas prêté beaucoup
d’attention », se souvient l’ex-pilote Toro Rosso. « En
revenant voir de près la F1, des flashs de moments angoissants me
sont venus à l’esprit. Le mot qui définit le mieux cette situation
est l’angoisse, détaille Alguersuari. Je fais encore des
rêves étranges de cette époque. Je vois toujours Helmut Marko en
colère, me traitant comme si j’étais un enfant. Parfois, je me
réveille en pleurant. C’est vraiment traumatisant. »
Après avoir quitté le paddock, Jaime Alguersuari a d’ailleurs eu
recours à un psychologue. Son coéquipier de l’époque, le Suisse
Sébastien Buemi, fut à peine mieux traité mais a eu la chance –
fort bien rémunérée – de rester dans le giron de Red Bull en tant
que pilote d’essai et de développement.
Le Français Jean-Eric Vergne, lui, éjecté après trois saisons, tout
de même, a ruminé sa rancœur dans son coin avant de voir sa
carrière rebondir en Formule E (titre mondial) et en Endurance. Une
récente déclaration de Franz Tost, qui fut à la tête de l’équipe
Toro Rosso pendant 18 ans et donc le patron de Vergne, a sans doute
ravivé les regrets du Français : « Vergne était vraiment rapide
avec une vitesse naturelle et un talent incroyable. J’aurais aimé
qu’il reste plus longtemps en F1. »
Rapide, le Français
l’était et il l’est toujours, mais il n’avait peut-être pas la
meilleure attitude lors de son arrivée en F1. Tout comme Sébastien
Bourdais, qui n’a jamais su, ou voulu, s’adapter à l’approche
technique et sportive de l’écurie Toro Rosso, dont il fut renvoyé
au cœur d’un été (en 2009) pour être remplacé par Jaime
Alguersuari, tout comme Jean-Eric Vergne fut informé de la fin de
son aventure chez Toro Rosso et dans la filière au milieu de la
saison 2014.
Ravaler sa fierté
Aujourd’hui, le traumatisme est guéri, mais Vergne n’a rien
oublié et affirme ne pas toujours comprendre les choix de ses
anciens employeurs. Il préfère en rire (jaune), comme lorsque Red
Bull fit appel au Néo-Zélandais Brendon Hartley pour remplacer le
Russe Daniil Kvyat chez Toro Rosso fin 2017 : « Ça me fait
marrer qu’ils aient appelé Hartley, sachant que c’est lui qu’ils
avaient viré (de la filière) pour me mettre à sa place en World
Series by Renault. »
Hartley, peu convaincant, fut assez
vite débarqué. Mais c’est le cas du Russe Daniil Kvyat qui résume à
lui seul toute la violence et l’aspect impitoyable du système Red
Bull. Longtemps en concurrence avec Carlos Sainz, Kvyat est sans
aucun doute celui qui a été le plus mal traité, voire humilié par
Helmut Marko.
Après la saison 2014 passée chez Toro Rosso (dominé par Vergne),
Kvyat est titularisé chez Red Bull en 2015 (mieux classé que
Ricciardo) avant d’être brutalement débarqué, rétrogradé. On
connaît la suite. Il est remplacé par Verstappen en Espagne. Le
Néerlandais s’impose et Kvyat tombe aussitôt aux oubliettes et
presque en dépression. Le pire reste pourtant à venir.
Il est rétrogradé chez Toro Rosso pour la suite de la saison 2016
avant d’être remplacé par Pierre Gasly fin 2017 pour deux grands
prix. Le Français a d’ailleurs connu le même sort, touchant du
doigt le rêve de courir chez Red Bull avant d’être rétrogradé.
Kvyat pour sa part a été écarté de la filière pour laisser sa place
au fameux Brendon Hartley.
Après une année dans la coulisse de l’écurie Ferrari, l’appel de la
F1 est le plus fort. Daniil Kvyat met un mouchoir sur sa fierté
pour revenir comme titulaire chez Toro Rosso/AlphaTauri en 2019 et
2020, avec pour seule (et dernière) satisfaction de monter sur un
podium. Il a quitté définitivement le peloton de la F1 à l’issue de
la saison 2020 pour permettre au jeune Yuki Tsunoda, poussé par
Honda, de faire ses classes. Et en théorie assurer la relève.
Mais après trois saisons, le Japonais n’a pas vraiment convaincu.
Red Bull fonde beaucoup d’espoirs (pour l’instant) sur le Français
Isack Hadjar (19 ans), qui débute en Formule 2. Mais il a encore
beaucoup à apprendre et surtout à prouver avant de prétendre
accéder à la F1.
Pour l’avenir immédiat, c’est Liam Lawson qui semble le mieux armé, mais son apprentissage passe par la case Racing Bulls. Dans ces conditions, Helmut Marko doit se dire que la meilleure solution est sans doute de parvenir à conserver Max Verstappen et Sergio Pérez, ou de faire revenir au bercail Carlos Sainz, un pur produit de la filière Red Bull...
Retrouvez notre analyse sur la filière Red Bull dans le Sport Auto n°748 du 26/04/2024.


