Reportage exclusif : Sport Auto en visite chez Quarkus, artisan de "l'ultra-light" (+ images)
Le quark est une particule élémentaire. Pour résumer, c’est la base de tout. Sans quark, pas de neutrons ni de protons, et on me dit dans l’oreillette que ce serait un peu le bazar sur Terre. Plus terre à terre justement, un nouveau constructeur français a décidé de revenir à l’essence même de la voiture de sport. Sport Auto, avant tout le monde, vous emmène visiter Quarkus et vous explique pourquoi l’avenir n’est peut-être pas aussi morose.
Les locaux se trouvent au fond d’une zone artisanale. La façade
est verte et à côté, un garage se charge de remettre en état des
autos peu épargnées par leur vie francilienne. Au-dessus de la
porte d’entrée sans tain, « Quarkus » en lettres blanches.
Soyons honnêtes : ça ne paie pas de mine et, compte tenu des
ambitions du fondateur, le déménagement est pour bientôt.
Le fondateur, c’est Damien Alfano et nous avons tous, dans notre
entourage, ce genre de personne. Vous savez, celle qui sourit
régulièrement, fait preuve d’une vivacité d’esprit qui vous fait
défaut, arrive à expliquer sereinement les choses les plus
compliquées qui nous environnent, sans dédain.
Ça, c’est Damien, qui n’aimerait probablement pas que je le
dépeigne de la sorte, mais c’est pourtant la vérité. L’aventure
Quarkus est née il y a quatre ans. Lorsque la machine sera
véritablement lancée, l’enseigne prévoit d’assembler 200 voitures
par an. Ce n’est pas rien. Il y aura d’autres déclinaisons de
l’auto, dont le patronyme est pour le moment secret.
« Même pas, rigole Damien. C’est juste qu’on n’a pas
encore eu le temps de se pencher dessus. » Il faut dire que le
garçon et son équipe d’une dizaine de salariés sont pour l’instant
entièrement voués à l’aventure
Pikes Peak. « Ce n’était pas dans mes plans
initiaux, mais Ari Vatanen a évoqué avec Bruce Jouanny notre
barquette et ce dernier m’a contacté pour me dire que le projet le
séduisait et qu’il faudrait collaborer. Et puis un soir, il m’a
demandé : 'Et si on faisait Pikes Peak ?”'
L’idée tente autant qu’elle effraie Damien, l’imminence de la
course de côte laissant peu de temps à Quarkus pour finaliser une
voiture. Quelle est la philosophie de Quarkus ?
« Proposer une auto capable de faire aussi bien de la route que
de la piste. » Ouaip, déjà entendu mille fois. « C’est
vrai, mais nous avons opté pour des solutions techniques qui vont
vraiment permettre de répondre à ce cahier des charges. »
C’est-à-dire ? « Je ne peux pour l’instant pas trop rentrer
dans les détails car nous allons probablement déposer des brevets,
mais la voiture sera assemblée autour d’un inédit châssis tubulaire
en carbone et en Kevlar. Cette structure ne pèsera que 35 kg
», explique Damien Alfano.
Je fronce les sourcils. Ce Lego géant de tubes de 80 mm de diamètre
ne pèserait pas plus lourd qu’un sac de randonnée ? « C’est ça.
» Le fin fond des Yvelines voit donc naître l’auto que Colin
Chapman aurait adorée s’il avait vécu quelques décennies plus
tard.
« Au centre de ce projet, c’est la masse. La voiture, en état
de roulage, avec ses liquides, ne pèsera que 600 kg. Ce n’est pas
un discours marketing, c’est la réalité. On l’a totalement oublié
aujourd’hui, mais le poids est plus qu’un ennemi : c’est une
hérésie. Ne serait-ce qu’en matière d’écologie. Où est la logique
de commercialiser des autos de plus en lourdes qui, pour s’assurer
un minimum de polyvalence, emportent de plus en plus de batteries
et qui développent de plus en plus de chevaux pour trimballer cet
excédent de poids ? »
Je me fais l’avocat du diable en mettant en avant un aspect
sécuritaire et me fais renvoyer dans mes 22. « C’est faux. Le
poids n’est pas synonyme de sûreté. La rigidité, si. Il ne faut pas
assimiler la légèreté à une faiblesse. Notre voiture est un poids
plume mais elle répond à toutes les contraintes techniques et sera
homologuée pour la route, dans toute l’Europe. »
Fait maison
Quarkus s’est évidemment associé à de nombreux partenaires mais
met un point d’honneur à produire le plus d’éléments possible en
interne. « On maîtrise notre technologie et on ne veut pas
qu’elle sorte d’ici », enchérit Charles Meistelman, directeur
général délégué chez Quarkus, et chargé notamment de
la communication. « On innove et on va continuer d’innover. Si
on passe notre temps à demander à gauche ou à droite, ce n’est plus
de la création mais du managérat, appuie Damien.
"Nous n’avons pas vocation à faire de l’artisanat. Les
solutions pour lesquelles nous avons opté nous donneront la
possibilité de passer au stade de l’industrialisation. Notre
architecture châssis nous permettra d’assembler 200 voitures à
l’année. Cette conception modulaire, autorisant d’autres
carrosseries, a été pensée dès le début du projet pour limiter les
coûts et faciliter la production à grande échelle. Allez voir
Antoine, il va déjà vous montrer ses dessins de long tail et de
spyder. »
Antoine, c’est Antoine Mignot, le Creative Manager de Quarkus.
Toute la panoplie du designer est là, à portée de main. La trousse
de feutres, le grand écran tactile sur lequel il peaufine son
dernier croquis et même le casque de réalité virtuelle. « C’est
une véritable révolution dans la conception. Plus besoin de passer
par la maquette. On se rend compte des volumes immédiatement. Le
gain de temps est phénoménal », explique-t-il.
Sur les quasi 1 500 m2 des locaux, près d’un tiers est
consacré à la conception assistée par ordinateur, au design, à
l’administratif. Au bout du premier étage, une quinzaine
d’imprimantes 3D sont à l’œuvre. « Tout comme la réalité
virtuelle, ce système nous permet un gain de temps capital »,
nous dit Antoine. Au-dessus de l’atelier, des cadres nus de moto
intriguent, mais leur présence est facilement explicable.
« L’auto est animée par un 4 cylindres à compresseur. C’est un
bloc que nous retouchons pas mal. C’est une super base pour lancer
le projet mais le but est de réaliser notre propre moteur. »
Damien serait-il tombé sur la tête ? « J’ai déjà couché sur
papier toute la conception du futur bloc Quarkus »,
ajoute-t-il.
L’hybridation apportera une trentaine de chevaux aux 270 développés
par les 1 000 cm3 du thermique. Il se coiffera d’un collecteur en
Inconel, prolongé par une ligne en titane. Sur les cinq premiers
rapports, le rupteur interviendra à 12 500 tr/mn. Sur le dernier,
il est repoussé de 500 tr/mn.
De quoi, a priori, faire le plein de sensations fortes car la
Quarkus sera tapie au ras du sol (60 mm en configuration piste).
Des airjacks permettront de changer rapidement les roues. La
voiture n’aura pas l’ABS mais un contrôle de traction lui aussi
ajustable. « Pour les premières séries, on part de la boîte
Kawasaki mais on l’adapte. Elle est séquentielle, à crabots et sans
embrayage. On utilise le moteur électrique de l’hybridation comme
manager du séquencement de la boîte et pour générer les ruptures de
couple. »
Règles physiques
Les 300 ch de la Quarkus devraient lui permettre d’attraper les
260 km/h mais Damien Alfano rappelle que la vocation de cette
voiture n’est pas le 0 à 100 km/h en 2’’8 ni une vitesse de pointe
de Chiron. Sur les 600 kg de l’auto, les deux tiers se situent sur
l’essieu arrière. A son allure maxi, la charge aéro est estimée à
500 kg.
« Je reviens toujours aux lois de la physique, qui me
passionnent. 500 kg d’appui pour une voiture de ce poids, c’est
juste monstrueux. L’aéro, c’est fortement non linéaire, ce qui veut
dire que la charge est exponentielle en fonction de la vitesse. A
300 km/h, une Quarkus serait tout à fait capable de rouler à
l’envers mais ça ne m’intéresse pas. Le chrono au tour et
l’expérience de pilotage, si ! »
Pour aller vite sur
circuit, la Quarkus mise sur son poids plume et des trains roulants
aux petits oignons. Double triangulation partout, roues de 15 et 16
pouces car « pas besoin de plus », antiroulis
oléopneumatique paramétrable depuis le volant : le but est de
proposer deux voitures en une.
« Le conducteur pourra choisir un couplage allant de 0 à 100 %
en fonction de ses préférences mais uniquement lorsque l’auto sera
en mode Track. En mode Route (garde au sol de 110 mm), la
valeur de la barre antiroulis sera définie. »
La visite
touche à sa fin et en cadeau d’adieu, notre hôte m’invite à prendre
place à bord. Au préalable, la mousse de l’assise est enlevée et,
contre toute attente et après une séance de contorsions qui me vaut
quelques noms d’oiseau, j’arrive à m’installer derrière la colonne
de direction (le volant est ôté).
La vision périphérique est saisissante et le brushing n’époussette
pas le plafond. Bref, il ne reste plus qu’à vérifier, avec des
routes qui tournent ou un circuit qui fait peur, tous les mérites
de cet engin politiquement incorrect et, de facto, terriblement
intrigant.
Retrouvez notre reportage dans les locaux de Quarkus dans le Sport Auto n°748 du 26/04/2024.


