Rencontre avec Pierre Gosselin (FFSA) : "La F1 à Paris, ce n'est pas idiot"
Arpentant circuits et rallyes depuis qu’il est étudiant, Pierre Gosselin, le nouveau président de la FFSA, a une vision très large de la course. Sport Auto a rencontré ce grand amateur de courses historiques et initiateur de ce qui est devenu la Formule E…
SA : Quel est votre premier souvenir lié à l’automobile en général ?
Pour moi, ce sont les départs en vacances dans la DS break
familiale, chargée à bloc. Nous étions cinq enfants et,
généralement, nous partions tôt le matin pour aller à la
montagne.
A l’époque, il n’y avait pas encore les autoroutes. Nous
empruntions la Nationale 6 pour un long voyage. L’automobile
occupait une place importante dans la famille, parce que mon
grand-père maternel – Paul Badré – était un pionnier parmi les
collectionneurs d’automobiles.
Proche de Serge Pozzoli, il était ingénieur aéronautique et pilote
de chasse, et comme il était souvent en mission en Angleterre
pendant la guerre, il était resté en contact avec de nombreux amis
anglais amateurs de voitures.
Il était un grand admirateur du constructeur Maurice Sizaire et
avait d’ailleurs fait le tour de la Corse avec ma grand-mère au
début des années 30 sur une torpédo qu’il a toujours gardée. Mon
père, qui était médecin, appréciait aussi tout ce qui était
mécanique, auto et moto.
Le dimanche, il aimait bien prendre la voiture et nous emmener
faire des visites. Mon père m’a appris à conduire au volant d’une
R5 alors que je devais avoir 13 ans. J’ai toujours adoré ça. La
France est certainement un des pays ayant les plus belles
routes.
Quand avez-vous développé un intérêt pour le sport automobile ?
J’ai toujours aimé la compétition, en fait, et j’ai adoré la
Porsche 356. Pourquoi ? Je ne sais pas ! J’ai grandi dans le
Val-de-Marne et on allait souvent voir le départ de la
concentration du Rallye Monte-Carlo ou celui du Paris-Dakar.
J’allais fréquemment voir les courses à Montlhéry : la Coupe du
Salon et le Grand Prix de l’Age d’Or. J’ai rencontré Sylvain
Reisser, dont le père était le président de l’Association sportive
automobile des véhicules d’époque (Asave).
J’avais 18 ans et, très vite, je suis devenu la petite main de
l’Asave où je faisais tous mes stages d’étudiant. Il n’y avait pas
encore l’informatique et je m’occupais de gérer les bulletins
d’engagement pour les différentes courses.
L’agence de Patrick Peter avait été choisie pour assurer la
commercialisation du Grand Prix de l’Age d’Or. C’est comme ça qu’il
est entré dans l’univers automobile. Rapidement, j’ai eu un bureau
au siège de l’agence, rue Lamarck.
Avez-vous été tenté de prendre le volant ?
Oui ! J’ai tenté ma chance au Volant Winfield de Magny-Cours
en 1986, l’année où Olivier Thévenin a gagné. Je suis allé jusqu’en
demi-finale. Ensuite, j’ai acheté une 205 GTi d’occasion ainsi
qu’un kit compétition qu’on a monté avec l’aide de certains membres
de l’Asave.
Avec Sylvain Reisser, nous avons participé au Rallye Jeanne d’Arc,
au-dessus de Rouen. J’ai dû vendre la voiture peu après. Je ne me
suis jamais vraiment imaginé comme pilote. En tout cas, je n’ai
rien fait pour le devenir. Est-ce que j’étais fait pour aller
chercher les derniers dixièmes ? Certainement pas !
Vous avez pourtant disputé le Rallye Monte-Carlo en 1993…
L’ancienne équipe officielle Lancia était chargée d’y faire
courir une quinzaine de petites Fiat Cinquecento pour en faire la
promotion. Il y avait plusieurs champions nationaux de nombreux
pays, et avec Philippe Lorthioir, qui travaillait au service
marketing de Fiat, on s’est retrouvés parmi eux un peu par
hasard.
Philippe n’ayant pas trop le temps de faire les reconnaissances,
c’est moi qui me suis mis au volant. Je venais de finir mes études
et j’ai passé un mois à faire les recos avec ma petite sœur. Après
le parcours de concentration, il n’y avait que deux Cinquecento
qualifiées pour la suite du rallye, dont la nôtre, et nous avons
alors bénéficié de toutes les attentions dévolues à des pilotes
d’usine !
Fiat tenait vraiment à ce qu’il y ait au moins une voiture qui
termine. Et nous y sommes parvenus ! Conquis par cette auto, nous
avons décidé de créer un Trophée Cinquecento en France. J’ai fondé
ma société Proral à cette fin. Nous avons organisé le championnat
pendant cinq ans.
C’est à cette occasion que j’ai rencontré Jacques Régis, qui était
président de la commission Rallye de la FFSA. Ensuite,
Jean-Philippe Coulot m’a proposé de lancer le Trophée MG F avec une
super voiture développée par Tony Pond.
C’était une véritable auto de course mais avec des pneus et un
moteur de série. Par la suite, j’ai collaboré avec la FFSA sur le
développement des championnats sur circuit.
Comment vous êtes-vous intéressé à l’électrification du sport automobile ?
En 2006, la ville de Pau a élu une nouvelle maire moins
favorable à l’organisation d’un grand prix. J’ai perçu que la
perspective de courses avec des voitures électriques pourrait la
faire changer d’avis.
J’ai aussi découvert qu’Eric Barbaroux, le directeur général de la
FFSA, s’intéressait également à l’électrique. Nous avons donc
décidé de nous lancer tous les deux dans un projet de voiture de
course électrique et avons créé Formulec, en partenariat technique
avec Segula, Pininfarina et Matra.
Ils étaient partis plutôt sur l’idée d’un proto. Nous les avons
orientés vers une monoplace, pensant que ce serait probablement
assimilé à une F1 électrique. Et ça n’a pas manqué : l’Agence
France-Presse a ainsi présenté notre voiture, développée avec
l’aide de Fred Vasseur. C’était parti !
Nous avons été invités par le président de la République mexicain à
l’exposer à la COP16, à Cancún. Alejandro Agag nous a racheté le
projet pour créer la Formule E. Nous l’avons accompagné la première
année, en 2014-2015, pour mettre en place les premières
courses.
Avec le recul, il y a eu quelques moments de grande solitude, mais
ceux qui ont joué le jeu au départ ne l’ont pas regretté.
Toutefois, encore aujourd’hui, la compétition électrique reste
compliquée. On ne peut pas transposer directement ce qui se fait en
thermique.
Comment avez-vous réussi à organiser une course en plein Paris ?
Après notre mission auprès de la Formule E, nous avons eu
l’idée, avec Eric Barbaroux, de monter une course à Paris. Nous
avons eu un retour assez positif. Nous avons étudié plusieurs
solutions de circuit, dont une sur l’esplanade de Reuilly, près de
la porte de Charenton.
Réponse : 'Quitte à faire une course dans Paris, essayons plutôt un
circuit intra-muros !' Nous avons alors pensé au quartier des
Invalides avec l’avantage de 'n'enfermer' qu’une seule entité.
Avec le recul, le gouverneur militaire de Paris m’a confié qu’il
n’y croyait pas mais qu’il avait donné son accord pour ne pas qu’on
lui reproche d’avoir bloqué le projet. Et tout le monde a suivi
cette logique.
Il faut se rappeler qu’il y avait eu les attentats en 2015, et tous
les acteurs voulaient montrer que Paris était encore debout.
C’était d’autant moins simple que la mairie de Paris et celle du 7e
arrondissement n’étaient pas du même bord politique.
Pourquoi n’y a-t-il plus d’ePrix à Paris ?
Ce n’est pas du tout de la faute de la ville. Nous avions même un projet d’agrandissement du circuit vers Saint-François-Xavier, mais le promoteur de la FE a jeté l’éponge après deux éditions car c’est une course qui engendre beaucoup de dépenses et peu de revenus.
Est-ce cette course qui vous a rapproché de la FFSA ?
Oui. J’ai été amené à revoir souvent Nicolas Deschaux, son
président. C’était un moment où il y avait une vacance potentielle
à la présidence de la ligue d’Ile-de-France. J’ai été élu. Du coup,
j’ai intégré le comité directeur de la FFSA. Au bout d’un an ou
deux, j’en ai été nommé secrétaire général.
Ça m’a
permis de découvrir toute une autre partie de la vie d’une
fédération. En 2022, il y a eu la nouvelle loi sur le sport
introduisant le vote des clubs, la parité dans les instances
dirigeantes et la limite des mandats. Nicolas Deschaux ne pouvait
pas se représenter car il tombait sous le coup de cette limite.
Il a démissionné en juin 2024 et le comité directeur m’a désigné
pour assurer l’intérim. Conformément aux nouveaux statuts, nous
avons refait une nouvelle liste pour les élections d’octobre et
j’ai été élu pour quatre ans. C’est une chance mais aussi un vrai
challenge. La FFSA est une grosse fédération.
Nous avons dépassé les 50 000 licences l’année dernière ! Elle gère
toutes les disciplines : circuit, Rallye sur route, trial 4x4,
drift, championnat camions, Autocross, Rallycross, Karting,
etc.
Nous avons également des structures permettant l’éclosion de jeunes
pilotes depuis le Karting jusqu’à la F1 ou le WRC avec des
opérations comme Rallye Jeunes. Et puis, il y a toute la pratique
amateur.
Quelles sont vos priorités en tant que président ?
Une fédération se doit d’être au service de ses membres. Je
pense qu’il y a un réel besoin de modernisation des outils. Il y a
aujourd’hui beaucoup d’outils numériques offrant une meilleure
gestion, concernant les passeports techniques, par exemple.
Nous allons vraiment faire un gros boulot en 2025 et 2026 dans ce
domaine. Pareil pour le recrutement des commissaires. Nous avons
lancé l’année dernière une plateforme digitale de formation en
ligne qui a très bien fonctionné. Il faut l’étendre à tous les
officiels. Il faut aller les chercher !
On a tous, autour de nous, des hommes ou des femmes qui aiment le
sport automobile et qui pourraient faire de bons commissaires
sportifs. C’est une autre façon de pratiquer. Tout le monde n’a pas
les capacités de devenir pilote… Par ailleurs, il nous faut mieux
communiquer.
Sur le plan sportif, quels sont vos projets ?
Nous créons cette année une catégorie qui s’appelle « FR6 ».
Il y avait besoin d’une petite voiture pour débuter parce que,
jusque-là, le premier échelon était le Rally5, qui est l’équivalent
du Super 1600 d’il y a vingt ans. On voulait vraiment revenir à une
auto d’accès, facile à conduire et abordable financièrement.
Ca se traduit par cette catégorie FR6 et la création du Trophée
Rallye FR6 FFSA. Le prix maximal de la voiture est de 40 000 € hors
taxes. Pneus, boîte de vitesses et moteur sont de série.
Comment abordez-vous le domaine du haut niveau ?
Mes deux prédécesseurs ont chacun eu leur champion du monde
des rallyes avec Sébastien Loeb puis Sébastien Ogier. Donc,
effectivement, j’ai la pression sur le sujet ! Nous allons
renforcer la filière vers le haut niveau, que ce soit en circuit ou
en Rallye.
En circuit, la Formule 4 française est accessible par rapport aux
autres pays. Helmut Marko suit de très près les pilotes de notre
championnat. D’ailleurs, il a intégré Jules Caranta dans la filière
Red Bull.
Nous suivons les pilotes les plus prometteurs dans le cadre de
l’équipe de France. Nous allons aussi regarder côté Endurance ce
qu’il est possible de faire. Il n’y a plus de grand prix de F1 ni
de manche de WRC en France.
Etes-vous confiant quant au retour de ces deux événements ?
Pour le Rallye, nous y travaillons. La France est une terre
de Rallye. Je rencontre prochainement le promoteur à ce sujet. J’en
saurai plus bientôt sur les conditions. C’est évident qu’on
aimerait bien se positionner. Ensuite, il y a la F1. Dès qu’on
parle de F1, ça cristallise tout le monde…
Le président de la République avait commandé un rapport à Christian
Estrosi et à Nicolas Deschaux. On le sait : pour la F1, la clé est
financière. L’Etat peut aider un événement comme les J.O. ou une
coupe du monde mais pas un événement récurrent comme un grand
prix.
Ça ne peut donc s’envisager qu’avec un partenaire important. La F1
connaît un fort engouement. En France, nous avons une équipe
française, des pilotes, des patrons d’équipe, une légitimité
historique…
J’ai rencontré le promoteur de la F1. Il est conscient que c’est
essentiel de garder des courses en Europe. En France, nous avons
deux circuits homologués en Grade 1 : le Paul Ricard et
Magny-Cours. En faisant des travaux, il pourrait y avoir le circuit
Bugatti au Mans.
En revanche, je ne crois pas à la construction d’un circuit, comme
ça avait été imaginé à une époque à Flins. Après, il y a l’option
d’un circuit éphémère. Dans le cadre du cahier des charges de la
F1, Paris – au sens large – n’est pas idiot.
Un tel projet vous paraît-il susceptible d’être soutenu par l’opinion française ?
Je pense que la perception de la F1 a changé. C’est à mettre au crédit des Américains, de ce qu’ils ont fait avec la série Drive to Survive sur Netflix, entre autres. Ça suscite un intérêt incontestable auprès d’un nouveau public : des jeunes, des femmes ou des moins jeunes qui ne regardaient pas du tout la F1.
Quelles sont les voitures de course qui vous ont laissé le plus de sensations ?
J’ai disputé les trois premières éditions du Mans Classic
sur une Bugatti 8 cylindres. Rien que mettre cet engin en route m’a
fait dresser les poils. Ce sont vraiment des sensations
uniques.
Quand tu es un amateur, partir de nuit ou au petit matin, attaquer
la courbe Dunlop et tout le grand circuit, c’est quand même quelque
chose d’exceptionnel. Sinon, dans un tout autre genre, j’ai adoré
la Fiat Cinquecento du Trophée. Et j’en ai d’ailleurs gardé une
!
Retrouvez notre interview avec Pierre Gosselin, Président de la FFSA, dans le Sport Auto n°759 du 28/03/2025.


