Neuf questions autour des performances des F1 2015

Publié le 16 juin 2015 à 06:15
Mis à jour le 20 novembre 2020 à 10:56
Neuf questions autour des performances des F1 2015

L'un des griefs majeurs contre la F1 moderne concerne ses performances en deçà de son standing. Qu’en est-il vraiment ? Quelle est la part de vrai et de faux ?

1. Les F1 d'aujourd'hui sont-elles devenues trop lentes ?
Oui et non. C’est indéniable si l’on prend comme référent une époque très particulière de la F1, les années 2003/2004/2005. Au calendrier 2015, 15 records du tour (en course et absolu) remontent à l’année 2004. Les raisons sont nombreuses : guerre pneumatique sévère entre Michelin et Bridgestone, moteurs V10 musclés, régimes supérieurs à 20000 tours/min, aéro folle, poids total à 605 kg, présence de huit constructeurs (Ferrari, Mercedes, Renault, BMW, Honda, Jaguar, Toyota, Ford), ravitaillement en essence autorisé...
Pour tenter de quantifier les évolutions des performances depuis 15 ans, prenons l'exemple du circuit de Melbourne, certes particulier, mais qui n'a pas changé depuis 1996. C'est le seul avec celui de la Malaisie (1999).
Cette année, la pole position était : 6 secondes plus rapide que la première de 1996 ; 1,9 seconde plus lente que celle de 2004, année du record du circuit ; et 1,4 seconde plus lente que lors de la dernière année en V8 (2013). Rien de vraiment honteux, sachant que les monoplaces 2015 pèsent aujourd'hui bien plus lourd, 702 kg. Malgré cela, la pole 2015 était à peu près dans les eaux de 2009, 2007 et 2008.
Pour ce qui est des meilleurs tours en course, celui de 2015 était 2,4 secondes plus rapide que celui de 1996, mais 1,6 seconde plus lent que lors de la dernière année en V8 et... 6,8 secondes plus lent que le record, toujours en 2004. C'est l'effet conjugué de pneus Pirelli moins endurants (cahier des charges), de l'interdiction des ravitaillements en essence en 2010 et d'une aéro sabrée à deux reprises en 2009 et surtout 2014. Il y a toutefois eu des progrès entre la deuxième et la première année du nouveau règlement : 1,5 seconde. Le meilleur temps en course de 2015 est revenu dans les eaux des saisons 97/98/99/00.
Le deuxième seul exemple parlant est le tracé de Sepang, lui aussi inchangé, mais depuis 1999 lui. A ceci près que la pluie perturbe les qualifications depuis deux ans. Le seul chiffre utilisable concerne le meilleur tour en course : il était le plus lent de l'histoire du circuit, après celui de 2014. Soit 1,7 seconde plus lent qu'en 1999 ; 2,8 secondes plus lent que lors de la dernière année du V8 et 7,8 secondes plus lent que le record de 2004.
On évitera de remonter plus loin dans l'histoire car les performances modernes post années 2000 sont tellement plus rapides que celles des années 90, 80 et a fortiori 70, 60 ou pire 50. Un autre monde avec à la louche 10 secondes de gagnées entre 1955 et 1965 (merci le moteur arrière, la boîte 6 rapports, le châssis monocoque), 15 secondes entre 1965 et 1975 (merci le V8 3 litres, les ailerons, les pneus larges et les pneus slicks), 10 secondes entre 1975 et 1985 (merci les turbos, les pneus radiaux, le châssis carbone, l'effet de sol puis le diffuseur), et encore 5 secondes entre 1985 et 1995 (merci le V10, l'électronique, la boîte semi-automatique et l'aéro). Ces chiffres ont été calculés à partir de chronos sur des circuits n'ayant pas changé pendant ces périodes. Il donne une idée sans pouvoir être généralisé à tous les types de piste.
Enfin, les vitesses de pointe (362,1 km/h à Monza) sont depuis l’an passé et le nouveau règlement bien plus élevées que pendant l’ère du V8 (341,1 km/h). Elles sont uniquement en léger retrait (8km/h à Monza) par rapport aux derniers V10. Dans les années 80, elles oscillaient entre 310 km/h et 352 km/h.
Bref, oui, les F1 2015 sont devenues nettement plus lentes, mais uniquement face à 2003/2004/2005, le sommet de la folie technique. Et pas tant en qualifications qu’en course. Mais les règles du jeu entre 2004 et 2015 sont diamétralement opposées. Les ravitaillements en essence sont interdits, les monoplaces partent désormais avec le plein (100kg d’essence à ajouter aux 702 de la voiture), et les pneus Pirelli ont une obsolescence programmée (ou presque).
2. La différence de perf entre la qualif et la course est-elle trop grande ?
C'est exact. Si les temps des F1 en qualif et en course ont été pendant 20 ans quasi-identiques, la situation a changé dans les années 1970. Les réglages de qualif ont pris le dessus, avec des chronos autour d'une à deux secondes plus vites aux essais. Au début des années 80, l'écart a grandi pour atteindre les 3 voire 6 secondes. Les moteurs turbos avaient des modes qualif inutilisables en course.
Avec la fin des turbos et des pneus de qualif, les performances se sont par la suite rapprochées. Au milieu des années 90, il arrivait de nouveau qu'un meilleur tour en course frôle celui des essais, grâce au retour des ravitaillements en essence. Même chose dans les années 2000 avec au maximum 2,5 secondes de différence en faveur de la qualif.
Tout a changé en 2011 avec l'arrivée de Pirelli comme manufacturier de pneus unique. Le cahier des charges était le suivant : créer du spectacle et des dépassements avec des pneus qui se dégradent plus. D'où désormais des temps autour de 4 secondes plus lents. En 2011, c'était même excessif. Depuis, Pirelli essaie de trouver le bon dosage. Elle n'y arrive pas, avec en plus une inconstance selon les types de gommes. En 2015, le meilleur tour en course en Chine était 6,4 secondes plus lents que le samedi. Le double de la moyenne depuis 2010. Ce n'est évidemment pas acceptable. On est revenu aux excès des années 1980. Ils sont mêmes dépassés.
3. La F1 fait-elle encore assez la différence par rapport aux protos d’endurance ?
Oui et non. Deux bases de comparaison sont disponibles par rapport au WEC moderne, sur deux circuits : Silverstone et Spa. Les LMP1 ont signé à Silverstone en 2015 une pole position à 4 secondes de la pole F1 en 2014 (les F1 iront normalement plus vite en 2015). En course, le meilleur tour WEC était 3,6 secondes plus lent.
En Belgique, la pole 2015 Porsche ne peut pas être comparée à la F1 en 2014 pour cause de pluie. En revanche, en course, le meilleur tour WEC était tout de même 7,4 secondes plus lent. La F1 a encore de la marge face à une discipline d’endurance où des grands constructeurs dépensent aujourd'hui des fortunes comparables (bien plus de 150 millions d’euros) sur des technologies aussi puissantes : 8MJ et plus de 400 chevaux en électrique sur la Porsche 919, en plus des 550 du thermique. La différence de poids entre une F1 et un proto d’endurance s’est vue réduite : 702 kg (+100 kg d’essence en course) contre 870 pour une LMP1.
La différence entre les sportscars et les F1 a déjà été mince. Dans les années 70, des voitures de sport comme la Porsche 917 signaient des chronos parfois à 2 secondes des F1 (sur les mêmes circuits). Début des années 80, une Porsche 956 s’approchait à 4 secondes sur des pistes comme Spa ou Silverstone. L’écart s’est un peu réduit au début des années 90, avec des Jaguar XJR et Peugeot 905 passant les trois secondes à Magny-Cours ou au Mexique. Ensuite, la F1 passa la vitesse supérieure, et six ans plus tard, même les Mercedes CLK GTR étaient reléguées à plus de 10 secondes (16 à Silverstone).
Dans les années 2000, les écarts de perfo restèrent au-dessus du 10, jusqu’à donc l’évolution dernière du WEC, championnat ayant parfaitement mis le doigt sur une bonne formule technologique hybride. Mais la F1 reste quand même encore au sommet des performances.
4. Le GP2 s’est-il trop rapproché de la F1 ?
C’est vrai. Sur le début de la saison 2015, voici le retard des GP2 sur les F1 : 6,6 secondes (Bahrein) ; 4,5 secondes (Barcelone). Quant aux meilleurs tours en course : 8,3 secondes (Bahrein) ; 6,4 secondes (Barcelone) ; 4,2 (Monaco). Ces écarts n’ont plus rien à voir avec le gouffre des années 2000 où une F3000 était entre 10 et 15 secondes plus lente que les F1. Mais il faut dire aussi que les GP2 ont été remises à niveau avec des règles de plus en plus proches de celles de la discipline reine (pneus, DRS...). Si les autres disciplines se sont rapprochées de la F1, c’est aussi grâce à leurs propres progrès : arrivée de constructeurs et nouvelles technologies en WEC, et un GP2 calé sur une partie du règlement F1.

Murray et Beltoise l'avaient dit...

5. La vitesse pure génère-t-elle forcément du spectacle ?
Ce n’est pas loin d’être faux. Ce débat s’est posé deux fois dans l’histoire. Tout d’abord à la fin des années 60 avec l’arrivée des ailerons. Les chronos ont explosé mais les courses sont devenues moins folles que pendant cette période dorée des années Clark, Hill, Gurney, Surtees, Brabham... Mais on ne pouvait pas arrêter le progrès et les différences pouvaient se faire ailleurs (architecture moteur, turbo ou pas, guerre des pneus...). Au début des années 80, la question s’est à nouveau posée au moment de la guerre FISA/FOCA, notamment sur la question de l’effet de sol. Fallait-il ou non l’interdire ? Même chose pour les pneus larges. L’immense ingénieur Gordon Murray considérait que les pneus larges à l’arrière n’étaient pas bon pour le spectacle car ils permettaient d’avoir plus de grip et donc de réduire les distances de freinage.
Avec le recul, on peut noter que plus les F1 sont allées vite moins le spectacle était favorisé. Que ce soit en 2004 ou 1992. Il y a eu des bagarres mais moins qu’avant. C’est une évidence mise en avant par de nombreux pilotes dont Jean-Pierre Beltoise qui a toujours eu le raisonnement suivant : l’important pour créer du spectacle n’est pas d’augmenter les performances pures des voitures mais d’accroître les différences entre leurs performances relatives. Et ce par le biais de facteurs limitant le potentiel des bolides : plein d’essence, pneus moins endurants... La gestion du pilote seule peut permettre de faire la différence dans une voiture moins rapide sur le papier. En cela, le retour des ravitaillements en essence serait un catastrophe car il est admis par tous que la période où la F1 a connu le moins dépassement fut celle entre 1994 et 2009 : exactement là où les F1 remettaient de l’essence au stand.
L’hypocrisie actuelle consiste à être nostalgique d’années où les performances étaient si folles que les surprises et le spectacle en pâtissaient plus que de raison. La gestion, si importante à très nombreuses époques (années 1950, années 60, années 80) et qui a permis à des champions de faire la différence (Fangio, Clark, Stewart, Lauda et Prost), est devenue honnie des fans. L’abus de communication radio en est responsable. Il exagère cet aspect historique de la course.
6. Tous les pilotes réclament-ils des F1 plus rapides ?
Les pilotes sont des sportifs pour le moins égoïstes et ils pensent avant tout à leur propre plaisir de conduite. Ce qui est normal. Tous les pilotes rêvent d’une F1 la plus rapide possible, celle qui leur permettra de prendre leur pied mais aussi de gagner avec le plus d’avance possible, sans trop de gestion ou de luttes directes. Il est très rare de croiser des pilotes ne pensant qu’à la satisfaction du public. Cela semble les intéresser une fois qu’ils ont rangé leur casque. Voilà pourquoi les pilotes ne sont pas forcément toujours les mieux placés pour décider de ce qui est bon ou pas pour le sport.
7. Y a-t-il des contreparties à la baisse des performances ?
Les F1 modernes, avec des moteurs downsizés (2 litres de moins qu’il y a 20 ans), 40% d’essence en moins, moins de pneus, des gommes plus durs, des éléments mécaniques plus endurants (4 moteurs par an) et une aéro réduite, sont devenues des missiles plus rapides que dans 99% de l’histoire de la discipline. Elles sont des modèles d'efficacité. Ce n'est pas toujours séduisant mais c'est à noter. Ce n’est également que le début de l’ère hybride. Comme à chaque époque, les gains potentiels sont énormes, de quoi revenir non loin de 2004. En aura-t-elle le temps ? Un sport ne peut plus autant jouer le long terme, à l’heure des réseaux sociaux. La F1 va avoir du mal à sauver son règlement V6 Turbo Hybride.
8. Les performances sont-elles le seul problème de la F1 ?
Non. Elles ne sont qu’un pan du débat entourant ce sport. Il y a aussi d’autres aspects à prendre en compte : règlement sportif, pénalités en course, définition des circuits... C’est un autre débat, aussi complexe et long que celui des vitesses pures. La F1 2015, comme celle de 2014, fait finalement face au plus difficile des problèmes à régler : la domination extrême d’une écurie ! Mercedes, comme Red Bull, Ferrari, Williams, McLaren ou Lotus avant elle. Sans cette hégémonie, la F1 serait moins décriée. Lors de la victoire surprise de Ferrari et Vettel en Malaisie, comme par magie, la F1 avait d’un coup moins de détracteurs. Un répit de courte durée.
9. La F1 ne doit-elle donc rien changer ?
Oh que si. Elle n’est pas exempte de tout reproche. Elle doit se réformer pour corriger le tir dans plusieurs domaines. Notamment ce poids global passé à 702 kg, soit 160 kg de plus que pendant les années 80. C’est indigne de la finesse de la F1. De même, elle est devenue trop restrictive avec la standardisation de trop nombreux éléments, la limitation de l’aéro et des contraintes technologiques trop forte (100 kg d’essence pour la course). Le débit de carburant maximum fixé à 100kg par heure (40% de moins qu'avant) est trop handicapant. Enfin, les Power Unit hybrides sont trop compliqués, créent trop d’écart entre les motoristes et ne leur laissent pas assez de liberté pour y remédier. Un vrai gâchis technologique.
La sublime édition des 24 Heures du Mans 2015 et, plus généralement, le splendide championnat WEC prouve qu’il était possible de laisser plus de liberté technique aux motoristes, afin de favoriser des choix technologiques différents. La variété, elle, crée du spectacle. La F1 a tué cette variété dans l’œuf. Elle en souffre. Pour le futur, il faudra trouver un juste milieu entre la course en avant à la vitesse pure, le besoin de gestion pour relativiser les performances, et la recherche trop aveugle d’efficacité énergétique. Facile à dire.

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