François Fillon raconte sa passion de l'automobile

L’ancien premier ministre assume depuis toujours une passion sincère pour l’automobile. Dans un entretien exclusif, il nous en livre les origines.
A l'occasion de l'entre-deux-tours de la primaire de la droite,
Sport Auto a ressorti de ses archives une interview exclusive de
François Fillon publiée dans le n°619 daté du mois d'août 2013.
L'ex-premier ministre raconte avec passion son intérêt pour
l’automobile et la compétition.
> Sport Auto : Quel est votre premier souvenir automobile ?
François Fillon : "Cela doit dater de 1963 ou 1964. Je suis à
l’école communale de Cérans-Foulletourte, petite ville de la Sarthe
où mon père est notaire. D’un côté de la route, il y a l’école des
garçons. De l’autre, l’hôtel-restaurant du Croissant. Il est, dans
les années 60, le siège de l’écurie Austin-Healey pendant les 24
Heures du Mans. A 16h30, dès que la cloche sonnait, on partait
comme des moineaux, et on passait le reste de l’après-midi à
admirer les Austin-Healey. J’allais déjà aux 24 Heures du Mans avec
mon grand-père. Mais le moment où vous touchez les voitures, où
vous approchez les pilotes, les mécaniciens, cela marque".
> Sport Auto : La passion automobile, c’est souvent un héritage.
Dans votre famille, il y avait des prédispositions ?
François Fillon : "Mon grand-père a dirigé le garage Peugeot du
Mans. Et il a été engagé aux 24 Heures du Mans dans les années 20.
Mais il n’a pas couru. Il raconte toujours que sa femme le lui
avait interdit. Il m’a emmené aux 24 Heures du Mans en 1955,
l’année de l’accident. J’avais un an, je ne m’en souviens
évidemment pas.
Ensuite, pendant très longtemps, cette passion se résume à deux
choses : les 24 Heures et mon intérêt personnel pour les voitures
rapides. A cette époque, je m’achète une R5 Alpine, ou une 405 MI
16. Les choses changent à la fin des années 90. Là, les 24 Heures
sont en très grande difficulté, quasiment condamnées. Je suis
président du Conseil Général de la Sarthe. On rachète le circuit,
on crée une société d’économie mixte pour organiser la course. Et
les moniteurs de l’ACO commencent à me donner des cours de
pilotage. Cela me pousse à participer à des courses historiques.
C’est une petite porte d’entrée dans la compétition, à un niveau
raisonnable pour quelqu’un qui n’a pas d’entrainement".
> Sport Auto : Dans votre adolescence, votre intérêt pour la
course est exclusif pour le Mans, ou vous regardez également la F1
?
François Fillon : "Franchement, je suis très Le Mans. La F1 je la
découvre beaucoup plus tard, au moment où, m’occupant du Mans, j’ai
le projet d’y faire venir la F1".
> Sport Auto : Ces deux univers sont-ils si différents ?
François Fillon : "Complètement. D’abord, il y a une méfiance, une
incompréhension totale entre l’ACO et le monde de la F1. Que j’ai
trouvée à certains moments excessive, notamment quand j’ai voulu
faire venir la F1 au Mans. Nous avions des investissements en
infrastructure considérables, que les collectivités locales avaient
contribué à financer. Je jugeais plus intelligent de les
rentabiliser sur deux grands événements dans l’année. A ce
moment-là, je vais me heurter à une résistance de l’ACO absolument
gigantesque. Il y a eu un moment fantastique : nous sommes allés
présenter notre dossier au moment du renouvellement du contrat de
Magny-Cours. Le directeur que j’avais recruté pour diriger le Mans,
Bruno David, présente le projet. Il est accompagné du président de
l’ACO de l’époque. Bruno David défend le dossier du Mans... et le
président de l’ACO le démolit. Devant le jury ! Au début, j’étais
très fâché contre les gens de l’ACO. Avec le temps, je ne suis pas
sûr qu’ils n’aient pas eu un peu raison. Leur idée, c’est qu’il
s’agit de deux mondes, de modes d’organisation et de financement
différents. Si l’on mélangeait les deux, compte tenu du poids de la
F1, ce n’est pas l’esprit de l’endurance qui l’aurait emporté".
> Sport Auto : En même temps, il y a une fausse bonne ambiance
en endurance. Alors que la F1 est plus accessible qu’on ne le pense
parfois...
François Fillon : "Vous savez, j’ai quand même eu des sujets
terribles avec l’ACO. Je les ai sauvés, et ils m’ont flanqué
plusieurs procès, que j’ai perdus ! Au bout d’un moment, quand la
situation s’est redressée, que Le Mans a recommencé à devenir une
belle course, ils nous ont dit : vous n’avez pas le droit de faire
ceci ou cela, vous ne pouvez pas utiliser le nom du Mans, il nous
appartient, etc. On était dans une situation invraisemblable !"
"J’ai eu énormément d’admiration pour Ickx"
> Sport Auto : Pour revenir à votre adolescence, aviez-vous
une idole, un pilote qui vous fascinait ?
François Fillon : "J’ai eu énormément d’admiration pour Ickx.
Chaque fois que je le revois, je suis comme un petit garçon. C’est
un homme d’une gentillesse extrême. Bien sûr, il y a Pescarolo.
C’est difficile de dire que c’est un ami, parce qu’il est toujours
en train de vous engueuler (rires). Mais j’aime beaucoup Henri,
j’ai beaucoup de respect pour lui. Et il y a le petit épisode Steve
McQueen, avec le tournage du film Le Mans, dans lequel je suis
figurant. On ne me voit pas, mais j’y suis ! Je prenais ma
Mobylette le matin pour faire les 18 km qui me séparaient du
circuit et participer au tournage.
Pour revenir aux pilotes, ce qui m’a toujours impressionné, c’est
le décalage entre l’image qu’en ont les gens qui ne sont pas
intéressés par le sport automobile, leur vision d’une « bête » qui
appuie sur l’accélérateur, alors que ce sont en général des types
fins, très calmes. Souvent dans le milieu de la politique, on me
pose cette question : comment peut-on être aussi calme et aimer la
course automobile ? J’ai répondu l’autre jour : vous avez déjà vu
un pilote excité ? En général, il ne dure pas longtemps."
> Sport Auto : Cela éclaire tout de même un pan de votre
personnalité, ce côté compétiteur, que le grand public n’imagine
pas forcément.
François Fillon : "Mais les hommes politiques sont des compétiteurs
! Toute ma vie, c’est la compétition. J’ai été candidat à des
élections à plus de vingt reprises. A chaque fois, vous remettez
votre vie en cause !"
> Sport Auto : Justement, quand vous êtes au volant d’une
voiture de course, regardez-vous les chronos ? Tout le monde avait
essayé de connaître votre temps sur le Bugatti, au volant de la
Peugeot 908...
François Fillon : "La preuve que ça m’intéresse, c’est que j’ai
fait un tête à queue ! Mon meilleur tour, de mémoire, devait être
en 1’50. Ce n’est pas extraordinaire pour une 908 sur le Bugatti.
Mais pour moi, c’était déjà pas mal. J’ai fait une première série,
je suis descendu en dessous de 2 minutes. Après, j’ai voulu
améliorer et j’ai fait un tête à queue au raccordement. Il ne faut
pas se raconter d’histoire, je ne suis pas très rapide. D’abord,
parce que je ne m’entraine pas assez. Et aussi parce que je suis
raisonnable. Je n’ai pas envie de tout casser. J’ai un frère,
l’actuel président de l’ACO, qui est beaucoup plus rapide que moi.
Ce qui m’énerve !"
"L'industrie auto allemande est dirigée par des gens qui aiment
l’automobile"
> Sport Auto : Quel regard portez-vous sur l’état de
l’industrie automobile française ?
François Fillon : "J’ai toujours pensé que le mode de recrutement
de ses dirigeants était un problème. Ce n’est probablement pas vrai
seulement pour l’automobile. Mais le fait que la plupart des
grandes entreprises françaises aient, pendant très longtemps, été
dirigées par des hauts fonctionnaires de très grande qualité mais
n’ayant aucun affect, aucune proximité avec l’automobile, explique
en partie l’écart qui s’est creusé avec l’industrie automobile
allemande. Car elle est dirigée par des gens qui aiment
l’automobile. J’ai le souvenir d’être allé voir, il y a longtemps,
le patron de Peugeot, pour lui demander pourquoi il ne faisait pas
de 4X4. Il m’avait répondu : il n’y a pas de marché ! Plus tard, à
l’époque de Folz, j’étais retourné les voir avec Pescarolo, pour
leur proposer de faire courir une voiture diesel au Mans. Réponse :
ça n’arrivera jamais ! Mille fois, j’ai dit aux dirigeants de
l’industrie automobile française : pourquoi ne faites-vous pas une
belle voiture de sport, puissante, vous avez tout pour le faire ?
Réponse : ça ne se vendra par ! Ils ne comprennent pas la part
d’irrationnel de l’automobile. Je ne crois pas que les allemands
soient génétiquement différents des français dans leur relation à
l’automobile. C’est plus dans le comportement des dirigeants,
politiques et industriels, que se trouve le sujet.
Une idée, très répandue parmi les dirigeants politique, veut que
l’automobile ce soit fini, quelque chose qui appartient au passé.
Toute cette subjectivité autour de l’automobile, cette passion,
reste totalement incomprise. J’ai une anecdote à ce sujet. J’ai
assisté à toutes les éditions des 24 Heures du Mans depuis
quasiment 40 ans. En 2003, je suis ministre des affaires sociales,
je défends la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Le
débat dure trois semaines, jours et nuits. Le samedi des 24 heures
du Mans, je suis en séance à l’assemblée. Je ne peux pas regarder
le départ de la course, et je suis fou furieux. Le président de
l’Assemblée nationale offre alors un déjeuner aux parlementaires.
Je passe à côté de la table des communistes, et je leur dis : vous
exagérez, quand même! A cause de vous, je vais rater le départ des
24 Heures du Mans. L’un d’eux répond : on va arranger ça. A 15h50,
un député communiste demande la parole, sur le mode : c’est
scandaleux, le ministre vient de nous insulter, cela ne peut pas
continuer, nous demandons une interruption de séance ! Interruption
de séance et, du coup, on regarde le départ sur un poste de télé
dans le couloir. A ce moment, Jean-Louis Debré passe et me dit : «
Ah ? Ça existe encore, les 24 Heures du Mans ? » Quand je dis qu’il
y a 250 000 spectateurs, que seul le Tour de France rassemble plus
de public, les dirigeants français ne comprennent pas. J’ai essayé
dix fois d’amener Chirac au Mans, de lui faire donner le départ, je
n’ai jamais réussi. Je pense que sa fille Claude s’y opposait."
> Sport Auto : Justement, lors des tentatives de faire revenir
un grand prix en France, étiez-vous seul face contre tous ?
François Fillon : "Je n’ai rencontré quasiment aucun soutien, ni «
au-dessus », ni auprès de mes propres collaborateurs. Il y avait
même un côté un peu méprisant de la part des politiques. Cela dit,
je me fais le reproche de n’avoir pas été assez combatif sur le
sujet. Surtout, l’erreur a été de croire à cette histoire d’un
nouveau circuit. Cela nous a fait perdre quatre ans. Et après, il
était trop tard. Si, en 2008, j’avais consacré tous mes efforts à
réinstaller le Grand Prix au Castellet, franchement, il y serait.
On avait vraiment avancé. La seule décision qui restait à prendre,
c’était la garantie de l’Etat, au cas où les choses se passent
mal.
Mais avec cette histoire de nouveau circuit, on s’est laissé
embarquer sur des projets qui, pour certains, étaient totalement
irréalistes. Le plus sérieux, c’était Flins. Et là, je ne pouvais
pas imaginer que j’allais rencontrer une hostilité pareille au sein
même de mon gouvernement, avec un Borloo déchainé... J’ai dirigé
plusieurs réunions interministérielles sur le sujet. Et ils étaient
là, avec leurs trucs sur les captages d’eau ! Cet endroit, qui
abrite quand même une usine Renault, était quasiment devenu un parc
naturel à préserver !
Votre passion risque-t-elle d’être un boulet dans votre carrière
politique ?
Les gens se sont habitués à mes passions. Je peux vous dire que
quand je suis arrivé à Matignon, tout le monde m’a expliqué :
maintenant, tu arrêtes ! Mais aujourd’hui, c’est rentré dans les
esprits."
Propos recueillis par Jean-Eric Raoul et Thibault Larue
Photo : L.Villaron / EMAS


