"Les 24H de Spa, c'est mon jardin" : Vincent Vosse, l'homme fort de WRT
Vouant un culte aux 24H de Spa et au Mans, Vincent Vosse a créé il y a 15 ans l’une des équipes les plus pros du monde de l’Endurance. Cet ancien pilote belge représente BMW en WEC et a fait de Valentino Rossi un pilote auto.
Sport Auto a rencontré Vincent Vosse, l'homme fort du Team WRT sur la scène internationale de l'Endurance et du GT.
SA : quel est votre premier souvenir automobile ?
Etant de la région de Spa, évidemment, c’est ma première visite sur le circuit lors des 24 Heures de Spa 1977. J’avais 5 ans. J’ai un souvenir assez précis des voitures qui roulaient. D’ailleurs, j’en ai une en miniature sur mon bureau.
Ma famille n’était pas particulièrement portée sur le sport automobile, mais les 24 Heures de Spa étaient et demeurent un événement populaire régional, et mes parents y allaient chaque année avec des amis. J’ai toujours aimé m’y rendre.
J’avais un cousin éloigné – Claude Bourgoignie – qui faisait partie des pilotes de pointe de l’époque. Ado, j’allais moi‑même voir les épreuves avec des amis : les 24 Heures, bien sûr, mais aussi les 1 000 km. Je suis même allé voir un grand prix. A ce moment‑là, j’ignorais que pilote pouvait être un métier.
Comment vous est venue l’envie de prendre le volant ?
J’ai fait un peu de Karting à un niveau tout à fait amateur. J’ai participé au volant EBRT, qui mettait en jeu une saison en Formule Renault, et me suis retrouvé en finale.
J’ai compris que ça valait la peine de tenter ma chance. Ma famille connaissait de loin celle de Marc Duez, qui m’a conseillé d’aller en Angleterre. Je suis donc parti là‑bas une année, en 1992, pour disputer une saison de Formule Ford. A l’époque, il y avait des championnats par circuit.
J’ai ainsi beaucoup roulé à Oulton Park, Snetterton et Brands Hatch, en plus du championnat d’Angleterre. J’ai fait quelques belles cabrioles et acquis un bon bagage technique. Il faut dire que je partais de zéro.
J’ai même participé au Formule Ford Festival, la coupe du monde de la discipline. Tous les teams de F1 étaient là pour pêcher la nouvelle pépite. En 1992, elle s’appelait Jan Magnussen, mon coéquipier et colocataire. Il est certainement un des pilotes les plus doués que j’aie rencontrés.
En 1993, j’ai terminé deuxième du championnat du Benelux, puis troisième du Festival en 1994, à la suite de quoi j’ai décidé de me tourner vers les courses de tourisme, pour aller plus rapidement vers ce que je voulais réellement faire, c’est‑à‑dire les 24 Heures de Spa, les 24 Heures du Mans, les courses de GT, d’Endurance, de protos…
Pour vous, les 24 Heures, ce sont surtout celles de Spa…
Oui, ma première édition date de 1995. Depuis, je les ai toutes disputées soit en tant que pilote – jusqu’en 2010 –, soit en tant que patron d’équipe. 30 participations au compteur !
Lors de cette première, j’aurais dû être déclassé : nous avions cassé le moteur à deux tours de la fin, et c’est mon équipier, sur l’autre voiture, qui m’a poussé jusqu’à l’arrivée !
J’ai gagné en 2002 avec Christophe Bouchut, David Terrien et Sébastien Bourdais. J’ai parfois eu quelques mésaventures, comme en 2009 où nous avons signé la pole au volant de la Saleen de l’équipe Larbre mais où nous n’avons pas pris le départ car mon équipier avait pulvérisé l’auto au warm‑up !
2010 a été ma dernière participation en tant que pilote et la seule à une course avec WRT. Malheureusement, nous n’avons pas terminé : voiture en feu ! L’équipe s’est bien rattrapée en remportant la victoire l’année suivante pour la première fois, puis en 2014.
Et Le Mans ?
Je pense que c’est la seule course à laquelle j’ai aimé participer juste pour être présent. Pourtant, j’ai un esprit compétitif ! J’ai tout de même roulé dans d’excellents bolides pouvant gagner la catégorie.
Lorsque tu accèdes au circuit pour la première fois, tu te rends compte que tu vas participer à quelque chose de spécial. Toute la semaine, la pression grimpe… Ma première participation remonte à 1999.
C’était une très belle édition avec sept constructeurs au départ, mais Eric Van de Poele et Thierry Boutsen, deux pilotes belges, ont été assez gravement blessés. Ça m’a marqué. J’ai fait mes premiers tours de circuit de nuit. A l’époque, inutile de dire qu’il n’y avait pas de simulateur.
Quand tu arrives vers Indianapolis à environ 320 km/h et que tu ne sais pas si ça tourne à gauche ou à droite, c’est plutôt surprenant ! Par la suite, j’ai connu plein de bons moments.
En 2005, j’ai fait la pole en GT devant les équipes officielles avec la Ferrari 550 de Larbre. C’est l’année où il a fait très chaud. J’ai dû rouler près de 15 heures sur 24. Heureusement, j’étais alors un brin plus « fit » qu’aujourd’hui.
C’est amusant car je pense que j’ai toujours pris le départ aux 24 Heures du Mans, tandis qu’aux 24 Heures de Spa, je ne l’ai pris qu’à ma dernière participation. Pour moi, les autres épreuves ne servent qu’à attendre ces deux courses‑là…
Il représente aujourd’hui BMW en WEC et a fait de Valentino Rossi un pilote automobile.
Et si vous deviez choisir entre les 24 Heures de Spa et celles du Mans ?
Une chance que dans la réalité, je n’aie pas à choisir ! Le Mans est un événement historique que tous les constructeurs convoitent. A partir de là, c’est l’épreuve la plus importante à gagner.
Evidemment, les 24 Heures de Spa, c’est un peu mon jardin. Ça reste une épreuve magique aussi, la plus prestigieuse de la catégorie GT, qui est le cœur de notre activité. A choisir, je préfère remporter Spa – car tu gagnes au classement général – que la catégorie GT au Mans.
Comment s’est opérée la bascule entre le rôle de pilote et la création de l’écurie WRT ?
Après avoir été victorieux au championnat ELMS en LMP2 en 2006, j’étais à la fin de ma carrière. En 2008, nous avons eu l’idée de monter une équipe avec Yves Weerts, alors l’un de mes partenaires personnels et aujourd’hui mon associé. C’était plutôt son idée, d’ailleurs !
Moi, je ne voulais pas spécialement arrêter de piloter. D’un autre côté, je ne roulais plus dans de très bonnes conditions et puis j’étais peut‑être un petit peu usé. Je désirais passer à autre chose. Ça s’est fait comme ça.
Je ne voyais pas ça comme un métier. Je le voyais éventuellement comme une possibilité de rouler de nouveau dans de bonnes conditions un jour, mais en fait, je n’en ai plus jamais vraiment eu l’envie. Je me suis concentré sur la mise en place de l’équipe et j’ai adoré ce rôle de chef d’orchestre.
Dès 2010, nous nous sommes liés à Audi. Rapidement, nous avons été sous contrat directement avec l’usine, d’abord pour les 24 Heures de Spa, que nous avons gagnées en 2011 et en 2014, puis sur d’autres courses. Nous nous sommes retrouvés leaders en GT dans le giron Audi.
Comment définiriez-vous l’identité de WRT ?
C’est une équipe belge avec une mentalité belge. Bien qu’aujourd’hui nous soyons environ 150, je pense que nous avons bien réussi à conserver un esprit familial.
Nous tenons à garder cet aspect convivial et professionnel et cette capacité à nous remettre en question. Ce que les gens ignorent souvent, c’est que cette remise en question commence dès le lundi matin, même après une victoire.
J’ai confiance dans les personnes avec lesquelles je travaille. C’est super‑important de mettre les bonnes personnes aux bons endroits. Après ça, il faut veiller à ne pas interférer toutes les deux minutes pour essayer d’imposer son avis. Mon métier, c’est de mettre les équipes en place.
Jusque‑là, ça marche plutôt bien. Il y a des gens qui sont avec moi depuis le début, comme Frédéric Colaux, à mes côtés depuis dix‑sept ans. Pierre Dieudonné, quelqu’un d’assez exceptionnel, m’a énormément apporté, dans l’équipe mais aussi dans ma manière de voir les choses. Et si je l’oubliais, je pense que je prendrais un procès de Thierry Tassin, un autre pilier de l’équipe. Il y en a bien d’autres…
Dans ma carrière, j’ai beaucoup roulé sur des Viper. Je connais donc très bien Oreca et Hugues de Chaunac, que j’ai toujours pris en exemple. Comme lui, je sais à quel point il faut se diversifier pour assurer une stabilité à l’entreprise.
En parallèle de la course, WRT a d’autres activités : production des voitures de Fun Cup – plus de 500 ! –, fabrication d’arceaux de sécurité, montage des Toyota Supra GT4…
En 2021, l’équipe WRT a fait une entrée fracassante en Sport-Proto dans la catégorie LMP2. Vous attendiez-vous à un succès aussi rapide ?
Je pense que nous avions une excellente équipe et que nous avons eu la chance d’avoir des pilotes exceptionnels dès notre première saison. Sans être ultra-compétitifs, nous avons remporté nos deux premières courses, et à partir des 24 Heures du Mans, que nous avons gagnées, nous avons commencé à dominer notre sujet.
Nous avons ainsi triomphé aux championnats ELMS et WEC dès notre première tentative ! Il faut dire que nous avions été à très bonne école avec le DTM, l’un des championnats les plus relevés à l’époque. Ça nous a hissés à un autre niveau.
Vouant un culte aux 24 Heures de Spa et aux 24 Heures du Mans, cet ancien pilote belge a créé il y a quinze ans l’une des équipes les plus professionnelles du monde de l’Endurance.
Comment avez-vous vécu ces 24 Heures du Mans 2021 extrêmement mouvementées pour votre équipe ?
Cette édition a été une fameuse page dans notre histoire. Déjà, ça a toujours été mon objectif que l’équipe coure Le Mans. Et puis, surtout, cette fin de course a été un ascenseur émotionnel incroyable que j’ai plutôt mal vécu.
Nos deux voitures se sont tirées la bourre lors des dernières heures et se dirigeaient vers le doublé en LMP2. Perdre la n°41 de Kubica-Delétraz-Ye dans le dernier tour a été difficile à vivre : il y avait une partie du box qui était en extase et l’autre qui était abattue. Ce n’était pas facile. J’ai mis quelques heures pour profiter de cette victoire, mais évidemment, on a fêté ça !
Votre équipe devait représenter Audi en Hypercar, mais le projet F1 a tout remis en question…
Courant 2021, WRT a été choisi par Audi pour les représenter pendant trois ans en Hypercar. Et puis, beaucoup de choses ont changé au niveau de leur management, et le 8 mars 2022, le patron d’Audi nous a informés par Teams de l’arrêt immédiat du programme.
Nous avons alors établi des contacts avec différents constructeurs. Il fallait en trouver un qui désire reprendre un double programme aussi complet. BMW a été le premier à nous donner sa confiance et à vouloir avancer avec nous.
Avez-vous craint que la défection d’Audi mette en péril le développement ou la survie de l’équipe ?
Je ne dirais pas la survie parce que je pense que nous avons toujours bien géré l’aspect financier. Heureusement que nous avions vraiment dominé notre sujet en LMP2.
Dès lors, pour un constructeur souhaitant s’engager en Hypercar, ne pas nous prendre en compte aurait été une erreur. En fait, je crois que la défection d’Audi est la meilleure chose qui nous soit arrivée.
J’ai travaillé pendant treize ans avec des personnes exceptionnelles – avec qui j’ai d’ailleurs encore d’excellents contacts –, et puis le management a complètement changé et l’esprit Audi a disparu.
Tout le travail de Wolfgang Ullrich, les vingt-cinq années précédentes, a quasi explosé en vol, hélas, pour finalement aller vers un programme F1 qui va être, je pense, difficile. Il risque d’assombrir l’image d’Audi, qui avait jusque-là surplombé toutes les catégories dans lesquelles la marque s’était engagée.
Quel bilan dressez-vous de la saison 2024, première saison avec BMW en WEC avec un double programme Hypercar/LMGT3 ?
Vu que nous n’avons pas gagné de championnat, 2023 apparaît à nos yeux comme une saison compliquée. Disons que c’était une saison de transition.
En Hypercar, nous nous y attendions, les débuts ont été extrêmement délicats, mais nous n’avons cessé de nous améliorer avec, comme point culminant, notre deuxième place à Fuji.
En LMGT3, il y a eu ce beau doublé à Imola sur un magnifique coup de stratégie et grâce à la capacité de nos deux pilotes pro à faire la différence sous la pluie en pneus slicks.
Nous avons aussi eu de beaux succès en GT World Challenge avec la victoire à Monza de notre voiture bronze ou notre troisième place aux 24 H de Spa, avec une auto pas du tout en phase en matière de vitesse.
Quelles sont vos ambitions 2025 en Hypercar et LMGT3 ?
Après avoir fini à la quatrième place l’an dernier en LMGT3 avec une voiture pas vraiment dans le coup, on espère être compétitifs avec davantage d’expérience.
Je serais déçu si on ne se battait pas pour la victoire sur quelques courses cette année. Concernant l’Hypercar, il y a un nouveau responsable de programme chez BMW.
Côté pilotes, Marco Wittmann est parti aider BMW en IMSA et Kevin Magnussen le remplace. Nous avons gagné en Tourisme, en GT, en Trophée Andros, en LMP2. Nous gagnerons en Hypercar ! 2025 a bien commencé avec une victoire aux 24 H de Dubaï [ainsi qu'un succès aux 12 Heures de Bathurst, ndlr.]
Depuis 2022, vous comptez parmi vos pilotes un certain Valentino Rossi. Comment s’est établie cette connexion ?
Je suis un grand amateur de sport, et de MotoGP en particulier. J’ai toujours tenté de faire rouler Valentino sur un one-shot, mais ça n’a jamais marché. Et puis, le père d’un de mes pilotes, lié au MotoGP, m’a indiqué la bonne personne à joindre.
J’ai pris contact avec elle. On venait de remporter les 24 Heures du Mans en LMP2. Quelques jours plus tard, nous avions un accord de principe formalisant son envie de rouler chez nous à la fin de sa carrière moto.
Il a fait des essais en GT3 le 9 décembre 2021, à Valence, piste sur laquelle il avait arrêté sa carrière moto un peu plus tôt, et il nous a rejoints en 2022, sur une Audi, et nous a suivis avec BMW.
Quel regard portez-vous sur son parcours sur 4 roues ?
C’est d’abord un pilote extrêmement doué. Il ne prend rien à la légère. Dès ses premiers essais, j’ai remarqué un gars très, très appliqué, même s’il arrive toujours trois minutes – ou trois heures ! – en retard…
Il est très concentré, à l’écoute des autres pilotes et capable de reproduire rapidement ce qu’il voit sur les data. Il s’est vite hissé à un niveau exceptionnel pour un pilote qui va vers ses 46 ans et qui a commencé sa carrière automobile il y a quatre ans seulement.
Il y a très peu de pilotes dans notre milieu qui, comme lui, s’améliorent encore à 46 ans. Sur certaines courses, il est à deux ou trois dixièmes des meilleurs pilotes de cette catégorie si compétitive.
Retrouvez notre interview avec Vincent Vosse dans le Sport Auto n°757 du 31/01/2025.