Todt revient sur toute l'affaire d'espionnage
Plus que de la déception, c'est de l'incompréhension que la
décision du Conseil Mondial a suscité chez Ferrari. La FIA n'a pas
pénalisé McLaren dans l'affaire d'espionnage, ce que la Scuderia ne
conçoit pas.
Il a été prouvé que l'équipe anglaise avait en sa possession des
documents appartenant à sa rivale. Mais n'ayant pas la certitude
qu'ils avaient utilisés, la FIA a décidé de pas appliquer de
sanction. Pour Jean Todt, ce n'est pas normal: dans une très longue
déclaration officielle, le patron de Ferrari est revenu sur les
derniers épisodes, et il expose son point de vue.
Il révèle qu'un "pacte de non agression" a été signé entre les deux
équipes, au moment même où Mike Coughlan et Nigel Stepney étaient
en contact. Le français explique clairement pourquoi Ferrari ne
comprend pas la décision de la FIA. Et pourquoi l'affaire est loin
d'être finie...
Incompréhension
"Je suis amer à ce sujet: ce qui s'est passé [...] est sérieux:
d'un côté, le verdict parle de culpabilité, mais de l'autre, aucune
sanction n'a été imposée. Je ne peux pas le comprendre," s'offusque
Jean Todt. "Au cours de la réunion, tous les dirigeants de McLaren
ont admis que leur chef designer [Mike Coughlan] a obtenu en mars,
avant le Grand Prix d'Australie, des documents de la part de Nigel
Stepney."
"Ces données ont été utilisées pour préparer une demande de
clarification à la FIA [au sujet de la possibilité d'utiliser un
fond plat mobile], clairement dirigée vers nous, et au cours du
week-end de Melbourne, le team manager de McLaren et ses plus
proches collègues ont parlé de doutes au sujet de “quelques
voitures”."
"Ces informations ont donc été utilisées pour prendre un avantage
sur nous: pas une amélioration dans leurs performances, mais une
limitation des nôtres. Il est important de souligner que
l'information utilisée pour essayer de nuire à Ferrari via la FIA
pourrait ne représenter qu'une partie des informations reçues par
McLaren."
"Pour justifier ses actions, McLaren a tenté d'invoquer l'immunité
normalement accordée dans certains systèmes juridiques à une
personne qui dénonce quelque chose d'illégal [c'est le cas en
Angleterre, où un crime commis pour empêcher un autre crime peut ne
pas être puni, NDLR]. Mais il faut noter que normalement, un
informateur ou une source doit se référer à l'autorité compétente
pour dénoncer quelque chose, alors que dans ce cas il est allé vers
le principal rival de Ferrari qui, et c'est la FIA qui nous le dit
et pas nous, a bien pris soin de mentionner que l'information avait
été acquise de cette manière."
"Poursuivons. McLaren a confirmé qu'il a fallu mettre des barrières
pour que davantage d'informations de Stepney, sous forme de
documents, ne puissent arriver jusqu'à l'équipe. De plus, il a été
demandé à Coughlan de dire à Stepney de ne plus lui donner des
informations. Il est dommage qu'avant cela, Coughlan lui ait
demandé des informations sur le système de freins de Ferrari, qu'il
ait déjeuné avec lui en Espagne, pour rentrer tranquillement chez
lui avec 780 pages de croquis, diagrammes, données et bien plus en
rapport - comme l'a précisé la FIA - avec le design, le
développement et la façon de rouler d'une Ferrari de Formule 1
2007."
"Comme l'a confirmé la décision [de jeudi], la violation existait
déjà dans la simple possession d'une information, ce qui constitue
en soi un avantage énorme dans un sport comme la Formule 1. Pour
Ferrari, cela revient à jouer une partie de poker en connaissant
les cartes de l'adversaire."
La FIA a confirmé que McLaren avait eu ces documents... mais
n'ayant pas la preuve qu'elles avaient été utilisées par l'équipe,
le Conseil Mondial a décidé de ne pas appliquer de pénalité. Jean
Todt désapprouve cette décision. "Il reste incompréhensible qu'en
dehors de la possession [d'une information], une de celles ci doive
être visiblement adaptée sur une voiture de McLaren [pour qu'il y
ait une pénalité]," précise-t-il.
"En fait, ce même fait, sur la base des informations disponibles
que la FIA a utilisé pour juger McLaren coupable, montre que la
fraude réside dans la possession, sans besoin de prouver quoi que
ce soit d'autre. La preuve est là et cela a motivé la décision de
la FIA. Il est donc difficile de comprendre le sens du verdict. De
plus, je dois dire que la preuve d'une véritable utilisation [des
données] demandée par la FIA est impossible à fournir par Ferrari,
parce que bien sûr, Ferrari n'a pas accès à la voiture de
McLaren."
L'accord
Jean Todt révèle que Ferrari et McLaren, deux équipes dont la
rivalité à la parfois fait des ravages, ont tenté d'apaiser les
tensions, à l'initiative de Ron Dennis. Un accord pour mettre fin à
cette lutte permanente a même été trouvé, moins d'un mois avant que
l'affaire ne devienne publique...
"Quelques semaines avant la course de Melbourne, le team manager de
McLaren a proposé de trouver un accord pour établir une meilleure
relation entre nos deux équipes, évitant des dénonciations devant
l'autorité sportive," explique Jean Todt. "J'ai répondu que je
trouvais impossible de le croire, puisqu'à plusieurs occasions,
certains engagements n'ont pas été respectés par McLaren. Il y a eu
un échange de points de vue et, croyant en leur bonne foi, j'ai
accepté de signer un accord le 9 juin dernier."
"A cette époque et même bien avant, McLaren savait très bien ce qui
se passait, pas seulement grâce aux e-mails reçus grâce à leur
informateur [Nigel Stepney] dans notre entreprise, mais aussi grâce
au fait que leur chef designer [Mike Coughlan] était resté en
contact avec lui et continuait d'être en possession d'une grande
quantité d'informations techniques nous appartenant. Donc, d'un
côté ils disaient “ayons confiance en nous”, et de l'autre ils
cachaient des faits importants tels que ceux cités plus haut, sans
faire l'effort de nous en informer, ce qui aurait été dans l'esprit
et dans la lettre de notre accord."
L'audience
Jean Todt revient enfin sur la réunion du Conseil Mondial de jeudi.
Il déplore que Ferrari n'ait pu exposer son point de vue, et il
reste abasourdi par le verdict. "Il faut noter que que la réunion
[de jeudi] n'était pas une comparution devant un tribunal, mais une
réunion du Conseil Mondial de la FIA, auquel McLaren a simplement
dû répondre à des accusations, et où nous n'étions présents qu'en
tant qu'observateurs," note Jean Todt. "Il était donc impossible
d'avoir un rôle actif, comme nous l'aurions souhaité. Je n'ai pu
que poser quelques questions et répondre à quelques autres, nous ne
pouvions pas présenter notre opinion, ni nos documents pour la
soutenir."
"Cette décision reste très décevante et surprenante," conclut le
français. "Il n'est pas acceptable de créer un précèdent dans un
cas si important, dans lequel le verdict de culpabilité pour une
violation sérieuse et tenace du principe fondamental de l'honnêteté
sportive n'implique pas obligatoirement une pénalité. En ce qui
nous concerne, nous allons poursuivre les actions légales
actuellement lancées en Italie et en Angleterre, et nous n'excluons
pas de lancer une nouvelle action."
Le feuilleton est peut-être loin d'être fini...


